épistémologie
critique
théorie théories
Le cinéma est l’objet de nombreux discours de nature critique, savante ou simplement spontanée comme quand des spectateurs échangent leurs impressions au sortir de la salle. Ces discours sont évidemment multiples — tout le monde n’a pas le même avis sur le même film —, diversifiés — une thèse universitaire n’a pas le même statut qu’une opinion émise sur un site web ou qu’une promotion publicitaire — et contrastés — les critiques peuvent se disputer à propos du même film —. À l’intérieur de cet ensemble de discours hétérogènes s’est constitué cependant progressivement un savoir sur le cinéma, savoir plus ou moins savant, plus ou moins argumenté, plus ou moins fondé : très tôt apparaissent des « théories » du cinéma cherchant aussi bien à définir la spécificité du cinéma par rapport aux autres arts qu’à défendre certaines formes ou certaines conceptions du cinéma, et qui se renouvelleront au cours du XXe siècle, analysant les évolutions de ce moyen de communication, mais l’influençant également dans une certaine mesure.
Même si ces analyses théoriques n’ont pas été lues par tout le monde, elles ont été largement diffusées au-delà des cercles savants souvent sous une forme sommaire et simplifiée, proche parfois du simple slogan : ainsi, peu de spectateurs se récrieront à l’idée que le cinéma serait un art, et beaucoup admettront sans difficulté qu’il existe un « langage cinématographique » ou que le cinéma est un « art de l’image ». En outre, certaines de ces évidences, qui ne sont souvent imposées qu’après de longs combats symboliques, ne sont plus questionnées en tant que telles de manière théorique et semblent admises et partagées par l’ensemble du monde savant (universitaires, critiques, spécialistes du cinéma…).
La réflexion proposée ici ne consistera cependant pas à parcourir les dernières recherches sur le cinéma mais plutôt à susciter un questionnement plus général sur certaines évidences largement partagées et plus fondamentalement sur la validité épistémologique de notre savoir sur le cinéma : autrement dit, que savons-nous vraiment du cinéma ? que savons-nous exactement sur la réalisation des films mais également sur leur réception ? quelles sont également les limites de notre connaissance du cinéma ? dans la masse diversifiée des connaissances sur le cinéma (ou de ce qui se prétend comme tel), qu’est-ce qui est avéré ? qu’est-ce qui est problématique ? qu’est-ce qui est hypothétique et qu’est-ce qui est certainement faux ou totalement subjectif ?
Prétendre répondre de manière définitive à toutes ces questions serait bien sûr présomptueux et même naïf, et notre objectif sera finalement beaucoup plus modeste. La réflexion proposée s’appuiera sur un fait incontestable, à savoir que le cinéma est un objet social historiquement constitué, c’est-à-dire que, loin de se réduire à une définition simple, il est composé de multiples dimensions — technique, économique, artistique, créative… — souvent hétérogènes, et qu’il « rassemble » des réalisations extrêmement diverses et soumises à de grandes variations — il suffit de considérer des genres aussi différents que le documentaire et la fiction, des techniques aussi évolutives que le cinéma muet, le parlant, le film en couleur, la 3D… —.
L’on propose donc ici de considérer les thèses générales sur le cinéma (sur sa nature, son essence ou sa structure supposée) moins comme des énoncés vérifiables ou falsifiables que comme des décisions ou des a priori épistémologiques qui permettent de définir un point de vue et d’orienter la recherche ou l’analyse mais qui ont également pour effet de réduire la complexité même de l’objet ainsi que la diversité des réactions des spectateurs…
C’est à une telle démarche de nature épistémologique que l’on s’attachera à travers une réflexion sur trois thèses largement partagées dans le domaine du cinéma et qu’on vient d’évoquer, à savoir que le cinéma serait un art, qu’il existerait un langage cinématographique spécifique et enfin que le cinéma serait avant tout un art de l’image. Ce que l’on propose à présent, c’est précisément de prendre le contre-pied de ces affirmations trop facilement admises pour en montrer les limites implicites. Les thèses paradoxales défendues ici ne le sont donc pas en tant que supposées vérités — elles ne sont sans doute ni plus ni moins vraies que les thèses inverses — mais comme d’autres points de vue possibles sur cet objet complexe qu’est le cinéma. De manière générale cependant, l’approche proposée ici, qui vise à souligner la complexité de l’objet cinéma et donc la diversité des points de vue possibles sur lui, s’appuie sur les acquis des sciences humaines et historiques concernant cet objet (même si l’on ne prétendra pas maîtriser l’ensemble des savoirs en ce domaine) et n’a pas de visée partisane, notamment en matière esthétique : il ne s’agit pas de défendre (ou de rejeter) certaines réalisations cinématographiques, certains genres ou certains auteurs, mais simplement de mieux comprendre ce qu’est le cinéma.
Enfin, l’on s’attachera dans une perspective d’éducation permanente aux conséquences que ces réflexions épistémologiques peuvent avoir sur toute démarche éducative dans le domaine du cinéma (en se limitant cependant aux spectateurs « ordinaires » de cinéma sans visée professionnalisante).