Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux consacré à
La Vie est belle - La Vita è bella
de Roberto Benigni
Italie, 1998, 1h54
Le dossier pédagogique dont on trouvera un court extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront le film La Vie est belle de Roberto Benigni avec leurs élèves (entre onze et quinze ans environ). Il contient plusieurs animations qui pourront être rapidement mises en œuvre en classe après la vision du film.
Le film de Roberto Benigni est très riche de sens. Outre les grandes lignes dégagées par l'analyse des deux parties du film, il reste du sens, niché dans des détails qui auront échappé aux «grilles» proposées dans les animations précédentes. Il s'agit donc ici de passer d'une compréhension d'ensemble à une compréhension de détails.
Demandons aux élèves de citer quelques détails du film qui les ont frappés. Proposons-leur ensuite d'interpréter ces détails, de rechercher tout le sens que ces détails recouvrent.
Peut-être ce sens apparaît-il à d'autres moments du film? Invitons les élèves à échanger leurs réflexions, à partager leurs trouvailles.
Pour éclairer le sens de l'exercice, on peut donner aux jeunes spectateurs les exemples qui suivent.
Voici quelques exemples de détails frappants et de la manière dont on peut les interpréter.
C'est ce que répond l'Oncle à Guido qui lui demande pourquoi il n'a pas crié lorsqu'il a surpris les trois voyous chez lui. Cette réponse un peu mystérieuse prend une dimension particulière dans la suite de l'histoire, lorsqu'on apprend que Guido et son oncle sont Juifs et qu'ils ne reviendront pas du camp d'extermination. Aujourd'hui encore, l'absence des millions de personnes assassinées dans ces circonstances « résonne comme un silence assourdissant».
Le fait qu'elles aient été tuées sans qu'elles opposent de résistance et sans que les pays alliés aient rien fait ou pu faire pour empêcher cela, évoque le silence qui s'apparente pourtant à un cri de désespoir.
Par ces mots, l'Oncle se présente également au spectateur comme un «sage», capable d'entrevoir l'avenir et dont les paroles ont une portée d'avertissement. Ce caractère de l'Oncle est plus marqué encore lors de l'agression commise sur le cheval: « Bientôt, ce sera ton tour» dit-il à Guido, incrédule. De la même façon, lorsqu'il explique à Guido qu'il ne doit pas trop s'incliner devant les clients de l'hôtel («Tu es un serveur, pas un esclave»), ses mots ont une portée plus large: il faut rester digne, ne pas oublier que l'on est un être humain
Quand Guido et Ferruccio arrivent chez le tapissier où Ferruccio va travailler, Guido échange quelques mots avec le tapissier et demande notamment «Politiquement, comment ça va?». Au lieu de répondre à cette question, le tapissier interpelle rudement les deux gamins qui se chamaillent par ces mots: «Benito, Adolfo, restez tranquilles !».
Le tapissier ne nous donnera donc pas ses opinions politiques, trop occupé qu'il est par ses affaires domestiques, mais, comme ses deux garçons (des jumeaux?) portent les mêmes prénoms que les deux grands dictateurs de l'époque, Mussolini et Hitler, on y voit immédiatement le signe de son admiration pour ces deux dictateurs. Enfin, les deux garçons un peu balourds qui se chamaillent sur le canapé apparaissent comme une caricature des deux hommes d'Etat, dont Benigni se moque ici.
On retrouve ce regard ironique et féroce que porte Benigni sur les fascistes dans plusieurs scènes: il n'épargne pas le dignitaire Rodolfo, le fiancé de Dora, en en faisant la victime d'une chute de pot de fleurs et de plusieurs ufs cassés sur la tête De la même façon, l'officier qui est stupidement figé dans son salut hitlérien à la réception de fiançailles est lui aussi particulièrement ridicule. On peut encore voir de l'ironie dans le gâteau éthiopien, ridicule à la fois par sa taille et son décor, censé pourtant représenter la grandeur de l'Italie et de ses colonies
C'est ce que dit Guido à plusieurs reprises, à l'arrivée au camp. Pour mieux convaincre Giosuè, il se montre lui-même surpris et admiratif devant l'organisation dont ils font désormais partie: organisation des équipes, des lieux occupés par chacun, de l'emploi du temps Cette expression résonne avec un sens tout à fait particulier pour le spectateur qui connaît les événements. Les camps de concentration et d'extermination étaient en effet les dernières étapes d'une «organisation» terrifiante destinée à assassiner des millions de personnes. Cet aspect systématique et organisé du génocide est particulièrement terrifiant.
Cette scène met en évidence l'absence de haine des Juifs pour les Allemands. Il ne s'agit pas d'une guerre entre les deux mais bien de l'extermination des premiers par les seconds.
Cette idée transparaît dans d'autres détails: à Giosuè qui lui demande pourquoi l'entrée du magasin est interdite aux chiens et aux Juifs, Guido répond «chacun fait ce qu'il veut». (Il est vrai qu'il ajoute ensuite qu'il interdira l'entrée de sa librairie aux araignées et aux Wisigoths, désignant ainsi implicitement les Allemands. Mais cette remarque traduit davantage son agacement par rapport aux tracasseries que lui cause l'occupant, qu'une véritable haine. De plus, il désigne les Allemands par un autre terme, ne permettant pas à Giosuè de comprendre sa vraie pensée, comme s'il voulait éviter au petit garçon d'imaginer que les gens puissent se haïr.)
Ce détail montre aussi qu'il n'y a pas de différence fondamentale entre Juifs et Allemands. Cette idée est aussi présente à d'autres moments du film: Giosuè n'est pas repéré parmi les enfants allemands au goûter; il pourrait tout aussi bien être le fils d'un officier nazi. Lors de l'inspection de l'école, Guido démontre bien sûr avec humour que tous les gens sont les mêmes en décrivant et en faisant voir son oreille, ses jambes, son nombril Pendant toute la première partie du film, rien ne nous apprend que Guido et son Oncle sont Juifs; il faut pour cela attendre la mauvaise blague jouée au cheval Benigni ne désigne donc jamais les Juifs comme des personnes différentes. Ils ne le sont que dans le regard de certains.