Quelques éléments de réponse
- Le costume du personnel de Gattaca n'a évidemment rien de futuriste: ce sont des costumes trois-pièces d'une coupe classique et sans aucune fantaisie. Celui d'Irène est un tailleur aussi classique et sévère que celui de ses collègues masculins. Le monde de Gattaca ressemble au nôtre mais paraît beaucoup plus sévère et sérieux: de fait, notre attention va porter moins sur l'apparence des individus que sur ce qu'ils sont réellement dans leur corps même. Ce qui est plus frappant, c'est l'absence totale de diversité, pas un membre de Gattaca ne se distingue d'un autre: le costume est en fait un uniforme.
- Les policiers ont l'air de policiers. Ils semblent sortis tout droit d'un film noir des années 40: chapeau mou, trench-coat, couleur gris muraille L'apparence du tissu est cependant moins nette que celle des employés de Gattaca: ce ne sont que des policiers, génétiquement inférieurs à l'élite sélectionnée de Gattaca. Anton, leur chef, se distingue seul de ses subordonnés par son absence de chapeau et son manteau noir. Élégance, sobriété, classicisme, rigueur, netteté policiers et membres de Gattaca appartiennent fondamentalement au même monde et ne se distinguent que par des signes à peine perceptibles.
- Les membres de l'équipe de nettoyage portent quant à eux un véritable uniforme, une salopette gris clair purement fonctionnelle. Admis dans l'univers de Gattaca pour des raisons de service, ils sont immédiatement visibles, repérables, explicitement désignés comme les inférieurs dans cet univers d'individus génétiquement sélectionnés. La ségrégation théoriquement interdite est néanmoins inscrite dans les costumes.
- L'immeuble où habite Jérôme Morrow est un bâtiment aux lignes épurées dont le style est celui des architectures modernistes inspirées de Le Corbusier. Lignes droites, courbes parfaites et régulières, espaces largement dégagés, absence totale d'élément naturel (plante, arbre, accident de terrain ). Si la beauté et l'harmonie de ces formes épurées sont généralement reconnues, leur froideur et leur inhumanité sont également souvent dénoncées. L'univers de Gattaca, celui des êtres génétiquement purs auquel appartient Jérôme, est parfait, sans doute trop parfait On remarquera également l'absence totale de voisins dans ce grand espace extérieur d'où se dégage un intense sentiment de solitude. La lumière du soleil d'un jaune intense contraste seule avec la froideur de cette architecture: dans ce monde inhumain, l'espoir comme la lumière ne semble ne pouvoir provenir que du ciel.
- L'intérieur de la maison de Jérôme relève lui aussi de ce style architectural moderniste et fonctionnel avec, en particulier, cet escalier métallique à la courbe parfaite. Le reste de l'appartement est rempli de meubles métalliques, de tables lumineuses, de néons glacés, de parois translucides, les murs sont en béton sans décoration, percés de meurtrières horizontales comme un bunker C'est peut-être ce terme qui caractérise le mieux cet intérieur: un refuge à l'abri des regards indiscrets.
- On n'aperçoit la chambre de Jérôme Morrow qu'un court instant lorsque Vincent le ramène saoul et le couche dans son lit. À ce moment, on s'aperçoit que c'est la seule pièce qui contienne des meubles en bois, meubles luxueux dont la chaude matière contraste avec la froideur des autres architectures en particulier à Gattaca.
- Cette douche-crématoire est l'un des rares objets réellement futuristes du film, bien qu'elle ne doive apparemment servir qu'à l'usage exclusif de Vincent (qui d'autre aurait besoin de détruire ainsi ses traces génétiques?). Son utilité est d'ailleurs discutable: une simple douche ferait aussi bien disparaître ses cheveux, ongles et peaux mortes. Il s'agit donc d'un objet symbolique, le feu symbolisant beaucoup mieux que l'eau cette volonté de destruction de son ancienne identité qui anime Vincent. En outre, l'objet, comme on le découvre à la fin du film, peut aussi être transformé en instrument de mort dont les flammes se confondront avec celles de la fusée qui emporte Vincent. Il a donc été inventé par les décorateurs du film pour permettre ce montage visuel particulièrement frappant et pour la charge symbolique qui s'attache de manière générale au feu et à son pouvoir de destruction.
- On n'aperçoit qu'un bref moment l'appartement de Vincent lorsqu'il s'entraîne physiquement et qu'un trafiquant d'identités génétiques vient lui rendre visite. La seule caractéristique remarquable de l'endroit est sans doute le désordre qui y règne. Comme Vincent ne s'est pas encore engagé à ce moment dans la voie de l'imposture, il n'est encore soumis à aucune des extraordinaires contraintes qui seront celles de son existence à Gattaca: le désordre symbolise alors cette liberté qui est encore la sienne.
- Le bureau de Jérôme est en fait perdu au milieu d'une dizaine de bureaux semblables de forme semi-circulaire complètement ouverts au regard d'autrui. Le monde de Gattaca est le monde de l'uniformité et d'un contrôle permanent. Rien de personnel, rien de différent ne doit distinguer les individus les uns des autres à Gattaca.
- On retrouve dans le reste de l'immeuble de Gattaca les mêmes lignes fonctionnelles, épurées, les grands espaces dégagés de l'architecture moderniste inspirée de Le Corbusier. Ce qui est notamment remarquable, c'est l'absence totale de dégradation (pas de graffitis, de matières abîmées, de déprédation d'aucune sorte, pas le moindre signe de vieillissement non plus): il est vrai qu'une équipe de nettoyeurs nettoie consciencieusement les lieux. Cette architecture impersonnelle, trop parfaite correspond bien à l'idéal d'hommes et de femmes que Gattaca entend promouvoir.
- On retrouve dans la salle d'entraînement de Gattaca la même disposition que dans le bureau, c'est-à-dire un ensemble de tapis roulants tous identiques, destinés à contrôler les performances physiques des membres de Gattaca. L'objet le plus remarquable y est peut-être l'espèce de sphère d'entraînement: on y retrouve la figure du cercle parfait, très présent à Gattaca, figure idéale qui semble enfermer l'homme. Le cercle est une prison: ce sont les grandes roues du fauteuil roulant de Jérôme, c'est le seul voyage spatial de ceux qui comme Irène ne peuvent quitter la terre et tournent avec elle autour du soleil (même si l'orbite des planètes est en fait une ellipse), c'est enfin la forme du couloir qui, à la fin du film, mène à la fusée, et de la porte que des techniciens vont refermer sur les astronautes.
- Les costumes d'entraînement sont de longs caleçons noirs qui couvrent tout le corps. Il s'agit encore une fois d'uniformes qui en outre masquent tout ce que le corps a d'individuel, d'érotique, de sensuel Le corps est réduit à sa fonction d'outil dont on a gommé toute dimension de plaisir et de désir.
- Anton...
- Vincent... En soi, le prénom de Vincent n'a rien de significatif, mais, lorsqu'on annonce au père du nouveau-né toutes les «tares» dont il souffre, il substitue immédiatement ce prénom à celui d'abord retenu d'Anton: Anton commence par un A, première lettre de l'alphabet, tandis que Vincent commence par une des dernières Ainsi, dès sa naissance, le bébé est pratiquement rétrogradé à la dernière place!
- Le nom de Vincent n'apparaît, de manière significative, que très tardivement lorsqu'il avoue à Irène qu'il s'appelle Vincent Freeman, c'est-à-dire homme libre. Ainsi isolé, ce nom, qui aurait perdu toute signification s'il avait été appliqué à ses parents ou à son frère, retrouve à ce moment tout son sens: Vincent est évidemment le seul homme libre dans cet univers.
- Le second prénom de Jérôme est Eugène, un prénom dont la racine est certainement la même qu'«eugénisme» qui est une combinaison de la racine grecque «eu-» signifiant «bien» et de «genos», la race (l'eugénisme étant la science prétendant améliorer la race humaine par la sélection génétique). Même dans son second prénom, Jérôme Morrow est l'homme aux gènes parfaits!
|