Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux consacré à
Looking for Richard
d'Al Pacino
USA, 1996, 1h54
Le dossier dont on trouvera un extrait ci-dessous s'adresse d'abord aux enseignants et aux animateurs qui verront ce film avec un jeune pulic (à partir de quatorze ans environ). Il souhaite prolonger l'approche passionnée et passionnante qui est celle d'Al Pacino : il propose de multiples pistes d'animation pour amener des adolescents (ou même des adultes) à découvrir Shakespeare sous un jour nouveau ainsi que l'importance du travail de la mise en scène.
Comme les passants interrogés dans la rue par Al Pacino, la plupart des spectateurs qui découvrent Looking for Richard n'ont sans doute qu'une connaissance très sommaire de la pièce de Shakespeare. Tout au plus se souviennent-ils souvent de la célèbre exclamation de Richard III à la bataille de Bosworth: «A horse! A horse! My kingdom for a horse» («Un cheval! Un cheval! Mon royaume pour un cheval!»). Mais même cette expression célèbre ne signifie sans doute plus grand'chose... elle est le plus souvent employée de manière humoristique lorsqu'elle est tirée de son contexte d'origine.
Le film d'Al Pacino va alors retracer (c'est-à-dire en fait mettre en scène) les épisodes les plus importants de la pièce (ou ceux du moins que le réalisateur a jugés tels), même si ces scènes sont entrecoupées de différentes interventions ou commentaires qui ne sont pas tirés directement du texte de Shakespeare. C'est ainsi qu'au terme de la vision du film la plupart des spectateurs peuvent avoir l'impression d'avoir assisté à une représentation, même si elle a été partielle, de la pièce. On peut donc suggérer aux élèves d'essayer de reconstituer l'histoire de Richard III en se basant sur leurs souvenirs du film, d'abord pour voir si tout le monde a compris [1] cette histoire de la même manière, ensuite pour comparer la version qu'en donne Al Pacino dans son film à celle de Shakespeare lui-même.
Nous proposerons que les élèves travaillent en groupes de discussion, un peu comme le font les acteurs engagés dans la mise en scène de Richard III dans le film de Pacino, en évitant notamment de donner au professeur le rôle de meneur de débat: chacun ici sera plutôt invité à donner un avis, son avis sur ce qu'il comprend de Shakespeare.
Pour ce premier travail sur l'histoire racontée par la pièce, nous suggérons de diviser la classe en trois groupes inégaux.
1. Le premier, le plus important, qui regroupera à peu près les deux tiers de la classe, devra essayer de se souvenir d'un maximum d'épisodes de la pièce mis en scène par le film. Les participants seront invités à se remémorer le film, à faire part à leurs compagnons des scènes dont ils se souviennent et à les noter par une brève indication sur un bout de papier. Ensuite, l'on essayera collectivement de remettre en ordre ces scènes en essayant de tenir compte des liens de succession logique et chronologique.
2. Un deuxième groupe de deux ou trois personnes recevra un résumé de la pièce [ce résumé qui n'est pas reproduit sur cette page WEB se trouve dans le dossier complet imprimé] et essaiera de repérer quelles sont les scènes retenues par Al Pacino dans son film et celles qu'il a négligées. Le plus simple sera d'utiliser un marqueur fluorescent pour souligner les scènes qu'on retrouve dans le film. Dès que ce travail aura été réalisé, une première discussion dans ce groupe pourrait porter sur les choix du réalisateur et sur les raisons qui ont pu le pousser à préférer certaines scènes et à en négliger d'autres.
Al Pacino néglige par exemple totalement le destin ultérieur de lady Anne devenue reine et aussitôt mise à mort: Richard III projette même d'épouser la jeune Élisabeth, la soeur des deux jeunes princes qu'il vient de faire assassiner. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce choix du réalisateur: la séduction de lady Anne avait déjà été présentée comme un morceau de bravoure, celle d'Élisabeth (à travers les offres que Richard fait à sa mère la reine Élisabeth) a pu paraître redondante au réalisateur ou pire invraisemblable. Mais on peut aussi remarquer que Pacino souligne fortement dans sa mise en scène de la séduction de lady Anne la dimension érotique de tous les gestes et de tous les comportements de Glocester (grâce notamment à la répétition «carnassière» de l'expression «I'll have her») et néglige de ce fait tout l'arrière-plan politique de cette conquête (qui lui permet de s'allier aux Lancastre). Pour le spectateur, il devient alors difficile d'admettre que Richard change subitement d'inclination au point de faire mourir celle qu'il a mis tant de peine à conquérir (Shakespeare ne donne aucune explication à cet assassinat et nous devons comprendre que c'est encore une fois l'ambition politique qui fait agir ainsi Richard). Al Pacino en accentuant cette dimension érotique a donc sans doute créé une contradiction avec le reste du texte qu'il a ensuite préférer évacuer.
3. Un troisième groupe de cinq ou six personnes recevra également le résumé de la pièce et essaiera d'en repérer le mouvement d'ensemble: on demandera ici de réaliser une représentation graphique simplifiée de la pièce de manière à en visualiser clairement les grandes parties. (Ce graphique doit bien porter sur la pièce de Shakespeare telle qu'elle est résumée dans le dossier imprimé et non telle qu'elle apparaît dans le film de Pacino: il a précisément pour but de montrer les différences qui séparent le texte d'origine de son adaptation).
Il s'agira sans doute d'un exercice relativement inattendu parce que rarement pratiqué par les élèves. Une représentation graphique présente pourtant de nombreux avantages notamment par rapport à un exercice de résumé écrit: elle permet de visualiser dans le même espace des événements qui se déroulent dans le temps, elle oblige à synthétiser fortement l'information et à bien distinguer l'essentiel de l'accessoire, enfin elle peut mettre au jour des relations qui, sans cela, resteraient inaperçues. Il y a cependant énormément de possibilités de représentations graphiques d'une pièce comme Richard III: pour faciliter le travail des élèves, nous leur suggérerons donc de s'attacher essentiellement au parcours de Richard de Gloucester. Ce parcours se dessine en effet de manière très claire comme une montée vers le pouvoir suivie d'une chute rapide. Il est alors facile de marquer sur cette courbe ascendante puis descendante les différentes étapes de cette prise du pouvoir ainsi que de noter la séparation des différents actes: même si la division en actes n'est pas de Shakespeare lui-même, elle permet néanmoins de prendre une mesure approximative de la pièce et de constater par exemple que la chute de Richard est plus brève (deux actes) que sa montée vers le pouvoir (trois actes).
Dès que le mouvement d'ensemble de la pièce a été repéré, on peut, pour accélérer le travail, diviser ce groupe en deux sous-groupes qui s'occuperont de noter l'un les événements marquants de l'accession au trône de Richard, l'autre ceux de sa chute.
Lorsque chaque groupe aura accompli sa tâche, on rassemblera les différentes informations afin d'obtenir un résumé aussi exact que possible de la pièce. Le premier groupe commencera par donner son résumé de la pièce, tel qu'il aura pu être reconstitué à partir des souvenirs des participants. Les membres du second groupe seront alors invités soit à corriger les erreurs de cet essai soit à signaler les scènes manquantes parce qu'omises volontairement par le cinéaste. Lorsque cette mise en commun sera terminée, le troisième groupe pourra proposer la représentation graphique qu'il aura élaborée et qui devra théoriquement synthétiser l'information obtenue.
[1] À ce stade du travail, cette compréhension ne peut évidemment être que très sommaire et concernera essentiellement les différents épisodes du récit et leur articulation.