Extrait du dossier pédagogique
réalisé par Les Grignoux
et consacré à
Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary
un dessin animé de Remi Chayé
France/Danemark, 2020, 1h21
Ce dossier pédagogique consacré à Pinocchio de Matteo Garrone s'adresse aux institutrices et instituteurs ainsi qu'aux animatrices ou animateurs qui verront ce film avec des enfants entre 9 et 12 ans environ. Il propose quelques pistes d'animations qui permettront d'aborder en classe, de manière adaptée, les différentes aspects du film comme l'histoire racontée, les personnages mis en scène, la leçon du film ou encore son esthétique.
L'extrait ci-dessous porte sur le sens du film et en particulier la « leçon » dont il est porteur.
Calamity constitue un excellent support pour sensibiliser les enfants à l’égalité fille-garçon. En effet, on peut examiner d’abord les injustices dont les filles sont les victimes dans le film, donc à une autre époque que la nôtre, et ensuite examiner ce qu’il reste de ces inégalités aujourd’hui ou si d’autres, nouvelles, sont apparues…
L’histoire que raconte le film se déroule au 19e siècle. Les filles et les garçons se différencient naturellement par leur apparence, mais aussi par ce qu’ils font (ou ce qu’on les autorise à faire…).
On pourrait par exemple citer des scènes comme celles-ci :
Ces scènes indiquent une différenciation marquée des garçons et des filles : pour les filles, les robes et les jupes ; pour les garçons, les pantalons. Pas question d’échanger les tenues. Mais pas question d’échanger les rôles non plus : les garçons s’occupent du bétail, montent à cheval, conduisent les chariots. Les filles ramassent le bois et s’occupent des enfants.
Le problème avec ces rôles différents, c’est qu’ils sont à l’avantage des garçons. Par exemple, quand on sait monter à cheval (et pour cela, c’est mieux de porter un pantalon…), on peut aller se balader, on peut s’éloigner du camp, on peut explorer les environs, on peut galoper et se sentir libre ! Quand on doit s’occuper des petits frères ou des petites sœurs, on n’est jamais libre ! De la même manière, Samson fait rêver les garçons (et Martha Jane) par les aventures qu’il vit, alors que les filles le voient comme un amoureux idéal. Comme si le rêve de bonheur des garçons, c’était de courir le monde et de vivre des aventures et celui des filles de rester à la maison à attendre leur mari !
Ce que ces scènes disent aussi, c’est que les filles sont considérées comme inférieures aux garçons : c’est clair quand Abraham désapprouve le fait que Ethan se laisse guider par une fille… Et quand il dit à Monsieur Cannary qu’il doit « tenir » sa fille, cela signifie qu’il doit se faire obéir d’elle ! Un peu comme il dirait « tiens ton cheval » ! Il doit rester le maître de sa fille.
Alors, soit les filles acceptent cet état d’infériorisation, soit elles ne s’en rendent pas compte. En tout cas, elles semblent trouver normales les conventions qui règlent leurs tenues et leurs comportements. Ainsi, c’est une fille qui, la première, désapprouve le fait que Martha Jane ait enfilé un pantalon !
Donc, si on veut l’égalité entre les filles et les garçons, il faut d’abord percevoir les inégalités ( et quand on est « dedans », ce n’est pas si facile ! ) et ensuite, il faut réclamer des changements !
Aujourd’hui, dans notre société, existe-t-il aussi des inégalités entre filles et garçons ? Si oui, lesquelles ?
Pour examiner cette question, proposons 3 thèmes à développer. La classe pourrait être divisée en 3 groupes qui auront chacun un de ces thèmes à discuter.
Le film montre bien que les jupes et les robes empêchent les filles de faire certaines choses. C’est plus difficile de monter à cheval en jupe qu’en pantalon.
Dans le film, les garçons et les filles ont des activités différentes : les garçons montent à cheval, s’occupent du bétail, conduisent les chariots ; les filles vont ramasser du bois ou des bouses et s’occupent des petits enfants.
Dans le film, les garçons et les filles n’occupent pas les mêmes places : les garçons sont plutôt en hauteur, parce qu’ils montent les chevaux ou conduisent les chariots ; les filles marchent à côté des chariots. Et quand elles sont dans les chariots, c’est à l’arrière, elles voient moins bien que les garçons ce qui se passe devant. Quand le campement s’installe pour la nuit, les garçons peuvent s’éloigner pour faire boire les chevaux, mais les filles restent à proximité du camp pour ramasser du bois. Martha Jane est la seule qui ose entrer dans le bois…
Laissons les groupes discuter de ces questions et demandons à un porte-parole de résumer le débat pour l’ensemble de la classe. Ensuite, il pourra y avoir une discussion globale sur les inégalités entre les garçons et les filles et l’on pourrait chercher à prendre une décision pour réduire une de ces inégalités
.Les commentaires suivants permettront à l’enseignant de relancer les débats dans les groupes, en attirant l’attention sur l’un ou l’autre enjeu que les enfants risquent de ne pas percevoir.
On pourrait penser que les choses sont inversées aujourd’hui, parce que les filles continuent à porter des jupes et des robes si elles en ont envie, mais elles peuvent aussi porter des pantalons, sans que ça pose un problème ! Alors que les garçons, eux, recevraient certainement des remarques désagréables s’ils portaient des jupes !
Mais en réalité, ce n’est pas aussi simple. Les filles ont certes plus de choix en matière de look. Mais si elles sont toujours attachées aux robes et aux jupes dans certaines circonstances, ces robes et ces jupes entravent toujours leur liberté de mouvement.
Par exemple, lors de certaines fêtes ou quand elles veulent être spécialement élégantes, les filles portent presque toujours une robe. Si la robe est longue, comme quand on veut jouer à la princesse par exemple, il faut faire attention à ne pas la coincer quelque part ou à ne pas la déchirer. (Pas de vélo avec une robe un peu longue.) Et si on porte une jupe ou une robe courte, il faut toujours faire attention à ne pas laisser voir sa culotte ! Donc, pas d’acrobaties, et il faut essayer de garder les jambes un peu serrées… Si les garçons ont moins de choix vestimentaire, au moins, quand ils sont habillés, ils gardent toute leur liberté de mouvement. Alors que les filles, elles, doivent choisir : être élégante ou jouer et courir en toute liberté…
Ensuite, les filles reçoivent beaucoup plus souvent des remarques sur leur aspect ou leur tenue. Si c’est souvent pour les complimenter, il arrive aussi qu’on leur demande d’être plus « soignées » que les garçons. Un autre exemple de ce « soin » que l’on demande davantage aux filles : les cheveux. Aujourd’hui, les filles peuvent avoir les cheveux longs ou courts. Et les garçons aussi ! Mais si un garçon a les cheveux longs, on ne lui demandera pas d’être aussi bien peigné ou de faire des tresses ou une queue !
Et quand les filles deviennent des adolescentes, leurs choix vestimentaires risquent d’être plus souvent sanctionnés que ceux des garçons. Certaines tenues ne sont pas autorisées à l’école, on considère que ce n’est pas correct. Les garçons ont beaucoup moins de problèmes avec les vêtements ! On pourrait dire que c’est un détail, cette histoire de vêtements ! Mais en réalité cela montre que la société veut toujours « contenir » les filles dans une image stéréotypée : les filles doivent être soignées, correctes, jolies… Si une fille porte les cheveux courts et des pantalons, elle court le risque qu’on lui reproche de n’être pas assez féminine !
Chacun choisit les activités qui lui plaisent, en matière de sport, de jeux, de passe-temps… En théorie, la liberté est totale. Mais dans la réalité, il y a des petites choses qui limitent cette liberté. Un exemple classique : les filles font de la danse et les garçons du foot. Qu’est-ce qui se passe si un garçon veut faire de la danse ? Et si une fille veut faire du foot ? On risque de se moquer d’eux. Et il faudra une certaine dose de courage et l’appui et la confiance des parents pour persévérer. Mais s’il y a un cours de danse dans la localité où il vit, le garçon pourra suivre les cours, même s’il est le seul garçon. Tandis qu’une fille ne pourra faire du foot que s’il y a un club de foot féminin[1] dans sa localité. Et ça, c’est beaucoup plus rare que les clubs de foot masculins. (D’ailleurs, on ne parle jamais d’un club de foot masculin : parce que cela va de soi que ce sont les garçons qui jouent au foot ! ) Il y a des domaines qui sont neutres, comme la musique par exemple : la musique, ce n’est pas plus un truc de filles qu’un truc de garçons.
Mais beaucoup de centres d’intérêt sont « genrés » : on dit que les filles s’intéressent aux vêtements, au maquillage, alors que les garçons s’intéressent aux sports, aux jeux où on s’affronte, etc. Ce sont des stéréotypes : ce sont seulement des tendances mais on finit par les trouver normales et elles nous font penser que tous les garçons s’intéressent (ou devraient s’intéresser !) aux voitures et que toutes les filles s’intéressent (ou devraient s’intéresser !) à la mode. Mais c’est faux, naturellement. Pourtant, cela induit beaucoup de contraintes sociales et cela formate les esprits. Même si on ne s’en rend pas compte, il nous semble naturel que certaines activités conviennent aux filles et d’autres aux garçons. Cela réduit les possibilités pour les filles et pour les garçons aussi ! Mais ce qu’il y a d’injuste là-dedans, c’est que les activités des garçons sont plus valorisées que celles des filles : on leur consacre plus d’attention (et aussi plus d’argent). Il y aura plus de reportages consacrés au salon de l’auto qu’à la semaine de la mode dans les journaux ou les magazines généralistes. On a bien plus l’occasion de voir du foot (masculin, naturellement) que du ballet à la télévision… Et ces tendances se retrouvent aussi dans les métiers. De la même manière que ce sont les garçons qui conduisent les chariots dans le film, ce sont souvent des hommes qui pilotent les avions ou qui conduisent les trains.
Souvent les garçons prennent plus de place : dans la cour de récréation, par exemple. S’ils jouent au foot, ils prennent une grande part de l’espace disponible. Cela a été montré par des études. Les filles restent sur les bords de la cour. Dans les transports en commun aussi. Souvent les hommes sont assis et ont les jambes écartées : ils prennent beaucoup de place. Et les femmes se serrent pour qu’il y ait le moins de contacts possible avec les hommes qu’elles ne connaissent pas. En plus, même si elles portent des pantalons, elles ont quand même l’habitude de se tenir avec les jambes l’une contre l’autre.
Si l’on observe l’espace médiatique, la domination des hommes est encore plus flagrante : ce sont surtout des hommes que l’on voit dans les journaux, à la télévision, parce que ce sont eux qui ont les postes les plus élevés dans la société : qu’ils soient des élus politiques, des chefs d’entreprise, des experts scientifiques, des artistes, etc. Les femmes sont présentes aussi naturellement, mais en moindre importance. Par contre, on verra plutôt des images de femmes pour illustrer des métiers féminins ou pour illustrer des phénomènes jugés plutôt féminins (le souci de la minceur, la dépression, la famille…)
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Ce que l’on a observé et commenté en examinant ces 3 thèmes indique un déséquilibre dans la société par rapport aux hommes et aux femmes, aux garçons et aux filles. Si les garçons peuvent aussi souffrir de stéréotypes et de limitation des possibilités, c’est plus souvent le cas des filles. Et cela est dommage et injuste, parce que nous devrions tous être égaux et avoir les mêmes possibilités.
1. En réalité, il existe des clubs dont les équipes «enfants» sont mixtes. Mais cela ne va pas de soi… Quand il y a une demande de filles pour faire du foot, on va chercher à mettre en place une équipe féminine… qui se montera seulement s’il y a assez de candidates. L’intégration d’une fille dans une équipe de garçons est possible, mais rare.