Extrait du dossier pédagogique
réalisé par Les Grignoux et consacré à
Dark Waters
un film de Todd Haynes
États-Unis, 2019, 2h08
avec Mark Ruffalo, Anne Hathaway, Tim Robbins
Ce dossier pédagogique consacré à Dark Waters propose plusieurs pistes d’animation à mener en classe après la projection du film. Il s’adresse aux enseignants qui verront ce film avec leurs élèves des dernières années de l’enseignement secondaire. Il s’agira entre autres d’amener les participants à bien maîtriser le contexte général du film, à en établir une courbe dramatique fondée sur les avancées de l’enquête, ou encore à dégager quelques caractéristiques de mise en scène cinématographique. La perspective sera d’évaluer le sens global qu’on peut attribuer au film, qui s’écarte résolument du documentaire moins sur le plan des faits relatés que par le rendu d’une atmosphère psychologiquement très chargée.
L'extrait ci-dessous s'attache plus précisément à la difficile protection de l'environnement, telle qu'elle est évoquée notamment dans le fim.
À travers une affaire particulière, Dark Waters permet de prendre la mesure des difficultés générales auxquelles se heurte la société civile quand elle tente de faire valoir ses droits ou tout simplement son point de vue concernant les menaces qui pèsent sur l’environnement et la santé humaine. Les enjeux économiques et financiers de certaines pratiques industrielles criminelles ou simplement douteuses sont tels que tout semble ainsi mis en place pour étouffer et empêcher toute réaction susceptible d’enrayer leur développement.
Nous proposons aux élèves d’utiliser le film de Todd Haynes pour identifier les principaux facteurs qui permettent aux industriels de mener en toute impunité certaines activités aux effets nocifs sur les populations humaines et l’environnement.
L’activité se déroulera en petits groupes d’élèves, avec l’objectif d’identifier les facteurs qui, dans le film, rendent l’enquête de Rob particulièrement difficile et ses chances d’aboutir à une condamnation de DuPont pratiquement nulles.
Il y a, bien sûr, tout ce que l’industriel met en place pour maintenir ses activités, mais il y d’autres facteurs qui ont aussi leur poids. On invitera par conséquent d’emblée les participants à élargir leur réflexion au-delà de la stratégie adoptée par l’entreprise.
Le fruit des réflexions sera ensuite partagé en grand groupe et étendu à d’autres cas similaires tirés de l’actualité récente, si les élèves y font toutefois spontanément référence.
Sinon, l’on pourra proposer aux élèves de réaliser le prolongement présenté en fin d’animation.
Ces commentaires pourront éventuellement nourrir l’échange en grand groupe qui clôturera l’activité. Ils comprennent entre autres des informations complémentaires concernant le PFOA et la question des substances toxiques, ou encore la réglementation qui encadre la production et l’utilisation des produits chimiques en Europe.
De manière générale, on observe que DuPont agit à tous les niveaux de la société afin de préserver ses propres intérêts au détriment de l’intérêt collectif. Mais d’autres facteurs susceptibles d’expliquer la difficulté de protéger l’environnement et la santé humaine sont également mis en évidence dans le film de Todd Haynes, comme l’existence d’un très grand nombre de produits chimiques — qui rend le contrôle de leur utilisation difficile, surtout lorsqu’ils sont mis au point puis lancés sur le marché plus ou moins clandestinement par des industriels peu scrupuleux — ou encore l’impact financier d’une mise à l’arrêt des activités de ces entreprises sur les revenus des ménages dont elles emploient un ou plusieurs membres. Si elles ne résultent pas d’une intention attribuable à DuPont, ces réalités apportent évidemment de l’eau à son moulin puisqu’il s’attire ainsi la sympathie et le soutien spontané d’une population en situation de grande précarité économique.
Il est tout d’abord remarquable que des entreprises comme DuPont ou 3M mènent leurs propres études concernant l’éventuelle nocivité des produits qu’elles utilisent sans en référer à l’une ou l’autre instance de contrôle scientifique. Cette méthode leur assure d’obtenir des résultats qu’ils sont ensuite totalement libres de divulguer ou non. On se demande alors pourquoi mener de telles études si ce n’est pas pour tenir compte ensuite des résultats obtenus. On peut imaginer qu’il s’agit d’anticiper la découverte de tels effets nocifs par un tiers et de tout mettre en place afin de parer à d’éventuelles attaques: s’entourer d’experts corrompus et de brillants avocats, infiltrer le monde politique et le monde judiciaire, réduire au silence toute personne qui représenterait une menace pour leurs activités, dissimuler la nocivité du produit par un matraquage publicitaire vantant ses qualités…
DuPont se présente comme l’entreprise qui a su révolutionner le quotidien de la ménagère, libérée entre autres de la tâche ingrate de récurer les ustensiles de cuisine grâce au Teflon® qui en recouvre la surface intérieure. C’est d’ailleurs en rappelant les bienfaits de cette invention presque miraculeuse que l’avocat de l’entreprise prend la parole au tribunal lors du procès qui l’oppose à Joe Kiger et al. Ce discours fait ainsi écho à celui de Phil Donnelly, qui avait présenté de la même manière l’objectif de DuPont — faciliter la vie des gens — lors de son exposé sur l’histoire de l’entreprise au cabinet d’avocats. On se souvient encore de la publicité pour les poêles en Teflon® que Rob découvre dans les archives de DuPont, où l’on voit une femme afficher un large sourire qui découvre une dentition d’un blanc éclatant à l’opposé des effets réellement provoqués par le produit, comme le réalise alors brusquement l’avocat en se souvenant des dents noircies des fillettes croisées à Parkesburg. En faisant du bien-être de la ménagère sa priorité officielle, DuPont parvient à dissimuler non seulement ses véritables motivations, mais aussi et surtout les effets toxiques du produit, s’assurant par là le soutien d’une partie de la population, totalement illusionnée et encline à la reconnaissance.
L’EPA est une agence indépendante du gouvernement des États-Unis dont la mission est de protéger la santé humaine et de faire respecter la réglementation sur l’environnement. Or le film montre bien que l’indépendance de cette agence est toute théorique puisque ses rapports font à plusieurs reprises état de lacunes ou de mensonges dans les résultats des analyses susceptibles de mettre en cause les activités de DuPont. Nous en avons un exemple dès le début de Dark Waters, lorsque Rob découvre le document établi au sujet du décès inexplicable des vaches de Wilbur Tennant et qui conclut à un manque de nourriture et de soins. Alors que Wilbur soupçonne dès le départ une pollution des eaux liée au site d’enfouissement des déchets Dry Run, aucune investigation n’est menée concernant le PFOA, dont la présence dans l’eau est pourtant constatée et mentionnée dans le rapport. De plus, les résultats de ce rapport établi à la demande même du fermier ne lui seront pas transmis, ce qui laisse supposer une crainte réelle que la vérité soit dévoilée et donc une parfaite connaissance préalable de la situation. Animé de sérieux doutes quant à la neutralité supposée de l’EPA, Rob décide d’ailleurs d’ouvrir l’affaire en envoyant copie de son courrier au Département de la Justice et au Département de la Santé et des Services sociaux. Enfin, on se souviendra de l’intervention de la Docteure Kimball, ancien membre de l’EPA et témoin cité par l’avocat de DuPont, qui défend un seuil toxicité de l’eau contenant du C-8 largement supérieur à ce qu’il est réellement en se référant à une expertise menée par des scientifiques à la solde de l’industriel.
Dans le film, DuPont n’hésite pas à tenter de faire bloquer l’action en justice intentée contre lui par les plaignants victimes du C-8. C’est cette nouvelle que Rob apprend au téléphone le soir où il fête la fin des analyses sanguines au restaurant avec sa famille. Son confrère Larry Winter lui apprend que DuPont récuse le panel d’experts indépendants et les résultats de leurs analyses. «Nous sommes seuls pour nous protéger, on ne peut compter ni sur DuPont, ni sur les experts, ni sur le gouvernement! C’est un fermier qui avait à peine son diplôme de primaire qui me l’a appris!», s’écrie alors Rob au sommet du désespoir.
Par ailleurs, certains auront peut-être été interpellés par l’échange qui a lieu au siège de DuPont entre Rob et Charles Holliday. Venu seul, Rob fait face au Président de l’entreprise entouré de plusieurs personnes, dont ses avocats. Nous sommes d’emblée surpris d’entendre l’une de ces personnes demander à Holliday de dire toute la vérité et de prêter serment. Nous sommes en effet dans un lieu privé et non au tribunal, où cette pratique fait partie de la procédure lors des audiences. Ce fait inhabituel nous amène alors à penser que des affaires judiciaires peuvent être en partie traitées au sein même de l’entreprise via le déplacement d’un juge ou d’une personne habilitée à enregistrer la prestation de serment, une manœuvre contraire au principe d’indépendance de la justice.
Dark Waters n’évoque ce type de pressions exercées par les grosses entreprises industrielles qu’indirectement, à travers une conversation entre Tom et Rob. En 2011, soit six ans après la collecte des échantillons sanguins effectués dans la région de Parkesburg, Tom interpelle Rob sur l’avancée des analyses. Rob répond alors que le gouvernement est prisonnier de DuPont, qui tente de tout retarder pour le forcer à abandonner cette affaire. Nous verrons qu’il se trompe et que l’analyse des résultats, très complexe, a affectivement demandé beaucoup de temps, mais nous ne pouvons nous empêcher de partager les doutes de l’avocat en repensant aux positions partisanes de l’EPA, une agence gouvernementale censée être indépendante. Il faut savoir ici que l’administrateur de l’agence est directement nommé par le Président des États-Unis et que l’orientation donnée à ses missions dépend largement de la couleur politique et des convictions du Président élu. Dernièrement, par exemple, Donald Trump a placé successivement à la tête de l’EPA le climatosceptique Scott Pruitt puis Andrew Wheeler, un ancien lobbyiste des énergies fossiles, tous deux privilégiant les intérêts économiques au détriment de la santé et de l’environnement: démantèlement des mesures prises pour réduire les gaz à effet de serre, refus de fournir une protection contre les pesticides cancérigènes et d’autres produits chimiques toxiques… Selon le New York Times, ce sont ainsi 84 mesures de protection de l’environnement que l’administration Trump tente de supprimer.
Le film de Todd Haynes montre bien comment tout individu opposé aux pratiques de DuPont et déterminé à agir pour y mettre fin s’expose à des tentatives d’intimidation et/ou à des représailles. C’est en effet le cas pour chacun des trois protagonistes de l’histoire, qu’il s’agisse de l’avocat Rob Bilott ou des deux personnes qu’il représente: Wilbur Tennant et Joe Kiger. Une première manœuvre d’intimidation s’observe ainsi au début du film, lorsque, lors du dîner annuel de l’Alliance chimique de l’Ohio, Phil Donnelly refuse de donner à Rob des informations sur le PFOA et clôt la conversation en l’invitant publiquement à aller se faire foutre. Autant décontenancé et humilié que les convives ne sont interloqués, Rob se trouve alors contraint de quitter la réception sans mot dire. Un second moyen utilisé pour décourager l’avocat consistera à ne pas lui donner les informations qu’il réclame, mais à lui faire parvenir en lieu et place des tonnes d’archives non triées, avec lesquelles il va devoir se débrouiller seul. Enfin, dans le contexte de grande tension qui entoure cette affaire, l’envoi de Rob au dernier étage, complètement vide, du parking souterrain de l’immeuble DuPont alors que des emplacements sont disponibles aux étages supérieurs, est particulièrement anxiogène pour l’avocat, qui craint alors légitimement pour sa vie.
Si les tentatives d’intimidation vis-à-vis de Rob restent inscrites dans les limites de la légalité, elles ont en revanche tout des méthodes de voyou lorsqu’il s’agit d’intimider de simples individus comme Wilbur Tennant ou Joe Kiger: violation de domicile, vol de preuves et avertissement sous forme du survol à basse altitude d’un hélicoptère au-dessus de la propriété du fermier; incendie de la maison appartenant au père de Joe, un vieil homme heureusement absent…
Lorsque Rob étudie le rapport de l’EPA au sujet de la mort suspecte des vaches de Wilbur, nous découvrons avec lui que le PFOAest une substance non répertoriée sur la liste des produits toxiques et qu’il s’agit de plus d’une substance totalement inconnue. Quant au texte du générique de fin, il nous apprend qu’à ce jour, 60 000 produits chimiques ne sont toujours pas réglementés. Ce grand nombre de produits «invisibles» représente un autre facteur qui rend difficiles leur réglementation et leur contrôle.
Depuis la Révolution industrielle, la quantité de produits chimiques a considérablement augmenté et aujourd’hui, on estime à plus de 100.000 le nombre de molécules de synthèse mises sur le marché, dont moins d’un tiers font l’objet d’études sérieuses quant à leur impact sanitaire et environnemental. Nombre de ces produits ont été massivement diffusés dans l’environnement et les organismes vivants qui les ingèrent. Ils se retrouvent notamment dans l’eau (eau de pluie, cours d’eau, nappe phréatique…) et dans les sols puis se transmettent aux organismes vivants via le circuit de la chaîne alimentaire, devenant alors susceptibles de contaminer certains aliments de consommation courante.
En raison des effets nocifs d’un grand nombre de produits chimiques, une réglementation a été mise en place pour encadrer leur production et leur utilisation (commercialisation, importations, exportations, recyclage et traitement des déchets…). En Europe, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) veille à ce que les États membres respectent un certain nombre de réglementations, dont les principales sont le règlement POP et le règlement REACH.
Les «POP» ou polluants organiques persistants désignent un ensemble de substances chimiques dont font aussi partie les pesticides (herbicides, insecticides, fongicides…) et les dioxines. Les 23 substances aujourd’hui reconnues se caractérisent par quatre grandes propriétés. Ce sont des substances toxiques dont l’impact est nuisible sur la santé humaine et sur l’environnement; ce sont des molécules persistantes, qui résistent aux dégradations biologiques naturelles; une fois dans l’organisme, ces molécules s’accumulent dans les tissus vivants et peuvent se transmettre de la mère aux petits par le lait ou les œufs; enfin, en vertu de ces propriétés, elles sont susceptibles de se déplacer sur de très longues distances, ce qui explique notamment que l’on trouve du PFOA dans les eaux de l’Arctique, où il n’a jamais été utilisé.
La limitation du rejet de ces substances a fait l’objet de deux textes internationaux majeurs, dont l’objectif commun est de contrôler, réduire ou éliminer les émissions de ces substances dans l’environnement. Il s’agit du protocole POP (ou convention d’Aarhus), entré en vigueur en octobre 2001, et de la convention POP (ou convention de Stockholm), adoptée en mai 2001 par 92 pays, entrée en vigueur en mai 2004 et ratifiée depuis lors par une soixantaine d’États supplémentaires. En Europe, ces accords s’appliquent via le règlement POP, qui interdit la production, la mise sur le marché et l’utilisation des substances figurant à l’annexe A de la convention.
En 2007, soit 3 ans après l’entrée en vigueur du règlement POP, l’Europe met au point le règlement REACH (Registration, Evaluation, Authorization and restriction of CHemicals ou, «enregistrement, autorisation des substances chimiques et restrictions applicables à ces substances») afin d’encadrer, dans une même perspective de réduction des risques sanitaires et environnementaux, la fabrication et l’utilisation des produits chimiques. Ce règlement confie aux industriels eux-mêmes le soin d’identifier et de gérer des risques entraînés par les produits chimiques qu’ils utilisent. Toute substance produite ou importée en quantités égales ou supérieures à une tonne par an doit faire l’objet d’un enregistrement préalable auprès de l’ECHA. Le dossier d’enregistrement doit faire état de cette analyse des risques ainsi que des mesures à prendre pour une utilisation sécurisée de la substance. Après évaluation du dossier, l’ECHA donne son feu vert. Pour les substances suscitant des inquiétudes, l’institution conditionne l’autorisation d’exploitation à une exigence particulière de maîtrise des risques et de remplacement progressif par des produits plus sûrs. Enfin, lorsque les risques sanitaires et/ou environnementaux sont jugés inacceptables, l’ECHA peut soumettre la substance à restriction, en en limitant ou en interdisant la production, la commercialisation et l’utilisation.
Le problème, c’est que nombre d’industriels enfreignent le règlement REACH en omettant de signaler dans leur dossier d’enregistrement le caractère cancérigène, neurotoxique, mutagène, bioaccumulable ou nocif pour le développement des enfants et la fertilité humaine des substances qu’ils emploient. Selon une enquête menée en 2018 par l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques et l’Agence allemande de l’environnement, 32% des produits chimiques fabriqués ou importés en Europe depuis 2010 se révèlent non conformes au règlement REACH et 37% n’ont pu être correctement analysées faute de données suffisantes. Des millions de tonnes de ces substances non conformes ou simplement douteuses ont ainsi été utilisées frauduleusement dans la production de biens de consommation courante.
Le PFOA fait partie des substances perfluoroalkyliques, un groupe important de substances produites par l’homme qui, en raison de leur grande résistance, connaissent de nombreuses applications (tapis anti-taches, produits nettoyants pour moquettes, ustensiles de cuisine anti-adhésifs, produits cosmétiques, mousses anti-incendie….) Il s’agit d’une grosse molécule composée artificiellement d’une chaîne de 8 atomes de carbone («C8») dont les 7 premiers sont «perfluorés» (combinés avec du fluor). Cette molécule mise au point aux États-Unis dans le cadre des recherches sur la bombe atomique connaîtra un premier usage intensif lors de la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’il sera utilisé pour rendre étanches les chars américains. À partir de là, son usage se répandra dans bien des domaines de la vie quotidienne via de grosses entreprises comme DuPont ou 3M, cela en dépit des résultats alarmants de leurs propres études tenues secrètes. La contamination au PFOA dépassera alors rapidement les frontières en raison de l’exportation de nombreux produits, des activités déployées par ces multinationales un peu partout dans le monde, surtout en Europe et en Asie, mais aussi de la capacité de la substance elle-même à se déplacer sur de longues distances.
Depuis 2019, le PFOA est inscrit sur la liste des polluants organiques persistants et est par conséquent interdit de production, de mise sur le marché et d’utilisation sur le sol européen.
Quant au REACH, il a classé le PFOA comme «substance extrêmement préoccupante» et son utilisation est donc soumise à autorisation. En 2017, la Commission européenne a conclu une procédure de restriction à l’encontre de cette substance, qui sera désormais interdite de fabrication et de commercialisation sur le territoire européen dès juillet 2020.
Nous le constatons dans le film, les habitants de la région contaminée par les rejets de l’usine DuPont sont pour une grande part hostiles aux actions judiciaires engagées contre l’industriel: les Tennant ne sont désormais plus les bienvenus à leur snack habituel, où Wilbur et Jim sont reçus avec froideur sinon hostilité, ni même à l’église paroissiale où, comme l’indiquent les regards réprobateurs jetés en leur direction lors de l’office dominical, la famille dérange manifestement les fidèles. Comment expliquer de tels comportements?
En réalité, la Virginie Occidentale compte parmi les États les plus pauvres des États-Unis. Située au cœur des Appalaches, elle est le second producteur de charbon du pays après le Wyoming. Ayant vécu pendant plusieurs décennies de l’exploitation de ce minerai, l’une des rares ressources de l’État, la Virginie Occidentale connaît depuis un certain temps une chute des revenus du charbon, qui atteint 40% en 2015. Il s’agit aujourd’hui d’une zone économiquement sinistrée et dans un tel contexte, l’usine DuPont implantée dans la banlieue proche de Parkesburg permet à l’économie locale de trouver un nouveau souffle. Premier pourvoyeur d’emploi dans la région, DuPont a ainsi permis à de nombreux habitants de trouver ou retrouver du travail tout en développant à proximité du site de nombreuses infrastructures dans divers secteurs d’activités (enseignement, éducation, sport, loisirs, services à la population…). Heureux d’avoir un statut qui leur permet de vivre désormais décemment, ces travailleurs et leurs familles ne sont pas prêts à perdre ce statut, fût-ce-t-il au prix de leur propre santé. De plus, bon nombre d’entre eux ne font pas le lien entre les maladies qui les frappent et leurs activités professionnelles, ce lien n’étant qu’indirect et difficilement identifiable, comme le démontre l’enquête de Rob. Nombreux sont ceux qui présentent ainsi DuPont comme « quelqu’un de bien», comme le souligne une participante aux tests sanguins, sceptique quant aux résultats attendus des analyses.
Enfin, à l’occasion de l’enterrement de Wilbur, Rob traverse Parkesburg en voiture et remarque une file interminable devant le bureau de chômage. Le visage triste et grave, les gens lancent dans sa direction un regard noir, particulièrement révélateur de la responsabilité qu’ils attribuent à l’avocat dans ce qui leur arrive.
[Ce prolongement est disponible dans le dossier imprimé.]