Extrait dossier pédagogique
réalisé par Les Grignoux et consacré au film
La Vie scolaire
de Grand Corps Malade et Mehdi Idir
France, 2019, 1h56
Ce dossier pédagogique consacré à la Vie scolaire propose d'abord quelques informations sur le système scolaire qui devraient être consultées avant la projection pour bien comprendre les enjeux du film.
Dans une seconde animation, l'on propose de revenir avec les jeunes spectateurs sur le film lui-même et un de ses aspects les plus originaux : la construction filmique repose en effet sur une série de parallèles mais également de contrastes entre deux univers qui se côtoient sans nécessairement se rencontrer, celui des élèves et celui des enseignants. L'extrait présenté ci-dessous est repris de cette seconde partie.
On suggère ensuite une réflexion plus large sur l'école et sa place dans la société comme dans la vie de chacun. On partira d'abord des impressions personnelles des jeunes participants qui seront invités à comparer la situation scolaire montrée dans le film et celle qu'ils connaissent eux-mêmes. On terminera par quelques réflexions générales sur l'école et la société basées sur les travaux sociologiques en ce domaine et les recherches en sciences de l'éducation (sans prétendre cependant à l'exhaustivité).
Un film, c'est une construction complexe. Des personnages, plus ou moins nombreux, parlent, se déplacent, vivent des événements, ressentent des émotions, au fil d'un scénario qui a, comme on le dit souvent, un début, un milieu et une fin. C'est-à-dire qu'il raconte une histoire.
Un moyen fréquemment utilisé pour faire « fonctionner » une histoire consiste à mettre en scène des personnages qui s'opposent mais qui partagent aussi des points communs. On voit tout de suite qu'entre des personnages qui s'opposent peuvent naître des conflits… et ces conflits vont se révéler plus « intéressants » si les personnages ont aussi des points communs, des choses qui les rapprochent.
Dans la Vie scolaire, deux groupes s'opposent très naturellement : les collégiens d'un côté, et de l'autre le personnel de l'école : enseignants, éducateurs… On pourrait aussi dire : les adolescents vs les adultes.
Invitons les participants à décrire les oppositions et les ressemblances entre les personnages du film. Il peut s'agir de groupes mais aussi d'individus.
Prenons note des éléments de réponse au tableau.
Cette discussion mettra certainement en évidence que, si les oppositions entre adultes et adolescents (ou élèves et personnel scolaire) sont classiques, sinon attendues, les points de ressemblance sont plus nombreux qu'on aurait pu l'imaginer. En voici quelques exemples.
C'est peut-être cet aspect du film (en réalité, les profs sont bien plus semblables aux élèves que ce qu'on a l'habitude d'imaginer) qui le distingue des autres fictions qui se déroulent dans le contexte de l'école[1].
Particulièrement, cette scène des deux soirées montées en parallèle, avec ses raccords inhabituels, rend très évidente la proximité entre les adolescents et les adultes. On peut donc supposer qu'il y a une véritable intention dans ce sens de la part des réalisateurs.
À votre avis, pourquoi les réalisateurs ont-ils choisi de rapprocher adultes et adolescents de cette manière ? Que veulent-ils « dire » avec ce choix de mise en scène ?
Invitons les participants à formuler des hypothèses.
Ces hypothèses permettent-elles d'élaborer quelque chose ? un discours ? des idées ? Peut-on « faire quelque chose » avec ces hypothèses ?
Qu'est-ce qui, dans le film, va dans le sens de cette hypothèse ? Peut-on argumenter « contre » cette hypothèse ?
Il est important dans un premier temps que les jeunes participants émettent leurs propres hypothèses — aussi sommaires soient-elles — sur les choix de scénario et de mise en scène consistant à rapprocher dans le film les élèves et le personnel scolaire. Les premières idées éventuellement rassemblées au tableau pourront ensuite faire l'objet d'une élaboration plus approfondie au cours d'une discussion collective.
Néanmoins, si les participants rencontrent de grandes difficultés à proposer leurs propres interprétations, on pourra leur soumettre quelques commentaires relatifs à l'une ou l'autre hypothèse, en guise d'exemple pour stimuler leur propre réflexion, ou encore pour commenter eux-mêmes ces hypothèses. Voici donc trois exemples d'hypothèses que l'on pourrait formuler sur base de cette observation que les réalisateurs ont choisi de rapprocher par la mise en scène et le scénario les élèves et le personnel scolaire dans la Vie scolaire. Chacune peut être plus ou moins validée.
Avec des élèves peu familiers avec la lecture, il est certainement utile d'expliciter autant que possible la démarche à suivre pour bien comprendre un texte d'idées. On peut ainsi leur suggérer de souligner ou de surligner avec des couleurs différentes :
Il vaut sans doute mieux que ce soit l'enseignant qui explique ces expressions mal comprises car l'usage d'un dictionnaire - recommandé bien sûr - ne sera pas nécessairement suffisant dans le cadre du texte lu.
On demandera enfin aux élèves de dégager l'idée de départ du texte puis les idées nouvelles qui apparaissent au fur et à mesure dans le texte, et de les noter sur un bout de papier. Ils seront ensuite invités (ou du moins certains d'entre eux) à reformuler oralement ces idées. On veillera à ce qu'ils dépassent les exemples concrets (personnages ou situations du film) et qu'ils parviennent à une formulation plus abstraite.
1. « En réalité, on est tous les mêmes »La scène où sont montées en parallèle les images de Mme Zibra et de certains élèves avant qu'ils se rendent à l'école indique que tous sont … des êtres humains ! Avec des besoins élémentaires (dormir, manger…), des contraintes (aller au travail, aller au cours…), des désirs (avoir une apparence qui plaît, ou qui correspond au rôle qu'on va jouer…) D'autres scènes, notamment celles des deux soirées, montrent aussi les désirs qui réunissent tous les êtres humains : se détendre, plaire, draguer, profiter de moments où l'on a le droit de se relâcher, ou le loisir de consommer des produits plus ou moins interdits… Au-delà des différences entre les individus, leur humanité commune les relie tous. On pourra toutefois mettre une réserve à cet argument en soulignant que les personnages du film ne sont pas, au départ, si éloignés les uns des autres. Par exemple, les membres du personnel de l'école auxquels le film s'attache sont tous relativement jeunes : Mme Zibra, Monsieur Boufara, Dylan et Moussa ne semblent pas avoir déjà fondé une famille, par exemple. D'autre part, on pourrait imaginer qu'ils sont eux-mêmes issus du quartier. Si Mme Zibra vient d'Ardèche, son nom indique une origine maghrébine. (Une mère d'élève lui parle d'ailleurs en arabe.) Plus généralement, beaucoup sont issus de l'immigration chez les profs et les éducateurs, comme chez les élèves. Sociologiquement, les membres du personnel et les élèves ne semblent pas provenir d'horizons très différents. Monsieur Bouchard, le prof d'histoire, est peut-être celui qui semble le plus étranger au quartier et c'est précisément avec lui que les relations avec les élèves sont les moins bonnes… Ensuite, on pourrait dire que cette proposition, « on est tous les mêmes » est un peu trop générale, qu'elle ne suscite pas vraiment une réflexion originale. |
2. « On joue des rôles différents en passant d'un âge à un autre, mais au fond, on reste toujours le/la même »Le contexte des deux soirées « dépouillent » les personnages de leur rôle social dans l'école. Il n'y a plus de profs ou d'éducateurs, il n'y a plus d'élèves, il y a seulement des personnes, des individus. Si l'on observe les vêtements, par exemple, on remarque bien que les personnages endossent des rôles sociaux. Par exemple, Mme Zibra ne s'habille pas de la même manière quand elle prend son poste à l'école ou quand elle est à la soirée : à l'école, elle porte souvent les cheveux attachés, un tailleur élégant, un maquillage discret… À la soirée, sa tenue est plus décontractée, ses cheveux sont détachés et elle porte du rouge à lèvres. Pour les élèves aussi, l'école impose un (léger) changement de tenue : les casquettes ne sont pas tolérées. Ces indications vestimentaires qui peuvent paraître des détails montrent que les uns et les autres endossent un rôle à l'école. Parmi les éducateurs, on voit par exemple par ses vêtements que Dylan ne s'approprie pas ce rôle : il arbore des t-shirt avec des messages ou des images rigolos, pas sérieux, qui le rattachent à l'adolescence. Il contraste en cela avec Moussa qui privilégie les polos ou les chemises. Moussa veut clairement marquer une distance avec les élèves et d'ailleurs, ça le dérange qu'un gamin l'interpelle toujours par « Moussa, le mec de mon bâtiment ! ». Dylan ne met pas de distance entre lui et les élèves, il n'endosse pas la tenue de l'éducateur et il n'en a pas le comportement. Cette hypothèse a le mérite de mettre en avant la notion de rôle : on peut avoir à chaque moment de la vie, un ou plusieurs rôles à incarner : élève, fils ou fille, frère ou sœur, aîné ou cadet ; prof, père ou mère, compagnon ou compagne, patron, cadre, employé, ouvrier… etc. Notre rôle social nous définit, mais seulement dans certains contextes. |
3. « Le milieu dont on vient est plus déterminant que l'âge qu'on a »On l'a dit, la plupart des personnages auxquels le film s'attache sont issus de l'immigration et sont tous adolescents ou adultes encore jeunes. Il y a donc peu de mixité sociale dans l'école. On pourrait dire que le milieu dont on vient, l'environnement dans lequel on a grandi et qui contribue à former la personnalité, sont plus déterminants que l'âge, la maturité et l' « avancement » dans la vie. On pourrait dire aussi que l'école ne joue pas un grand rôle émancipateur : les « malins » (ou les mieux adaptés au système scolaire) s'en sortent et peuvent devenir profs ou CPE… et les moins malins (ou les moins adaptés au système scolaire) s'en sortent moins bien… Le discours de Yanis, à la fin du film, lors du conseil de classe, va dans le même sens : il dénonce le manque de mixité sociale : une classe de cailleras, dans une école de cailleras, dans un quartier de cailleras. (Pourrait-on ajouter avec des profs qui ont été des cailleras ?) Avec ce discours, Yanis interpelle le personnel scolaire : « C'est ça, votre projet, pour nous ? » demande-t-il. Et ces paroles agissent comme un révélateur : l'école a organisé les classes par facilité et non pas par souci de ce qui est le mieux pour les collégiens… Pire encore : l'école reproduit et accentue les phénomènes de discrimination qui existent plus largement dans la société, au lieu de faire le contraire, c'est-à-dire « élever », tirer vers le haut, tous les enfants, et surtout ceux qui sont le moins favorisés. (Comme il y a des quartiers pauvres et des quartiers riches, il y a des classes d'enfants qui réussissent et des classes de relégation : les « sans options » et les SEGPA). On sait pourtant, les études le disent, que la mixité sociale est bénéfique aux résultats scolaires, particulièrement des enfants les moins favorisés… Et le film montre aussi qu'une autre voie est possible : en s'intéressant à Lamine, Mme Zibra le convainc de participer à l'atelier de composition musicale. Là, Lamine « réussit », il fait un travail remarqué, il peut envisager d'intégrer la classe à option musique… De la même manière, en informant Yanis de l'existence d'un BTS audiovisuel et en le convaincant que ces études sont à sa portée, Mme Zibra montre à Yanis une perspective d'avenir qu'il n'aurait pas envisagée lui-même… (Même si la relégation de Yanis en classe SEGPA à la fin du film compromet la suite de son parcours, l'échange de regards, plein de sympathie, entre lui et la CPE, laisse supposer qu'elle continuera à l'accompagner et le soutenir.) |