Extrait dossier pédagogique
réalisé par Les Grignoux et consacré au film
Une affaire de famille
de Kore-eda Hirokazu
Japon, 2018, 2 h 01
Ce dossier pédagogique consacré à Une affaire de famille s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront ce film avec leurs élèves (à partir de quatorze ans environ). Il propose plusieurs pistes d'animation à mettre en œuvre en classe rapidement après la projection.
Il s'agira dans un premier temps de revenir sur la compréhension du film par les différents spectateurs et spectatrices : les multiples sous-entendus mais également la barrière de la langue et de la culture peuvent en effet avoir suscité des difficultés de compréhension. L'extrait reproduit ci-dessous revient en particulier sur un certain nombre de séquences significatives qui méritent un travail d'interprétation plus approfondi.
Une affaire de famille est en apparence facile à suivre mais le film comporte de multiples rebondissements d'importance variable qui révèlent au final une réalité tout à fait différente de celle qu'on pouvait imaginer au début. En outre, si certains faits sont bien explicités, d'autres sont évoqués de façon rapide et lacunaire et il faut être bien attentif pour comprendre de quoi il retourne exactement.
Le film mérite donc une réflexion et une discussion entre spectateurs, jeunes ou moins jeunes, pour mesurer d'éventuelles différences d'interprétation ou pour lever certaines incompréhensions.
Mais, au-delà de l'intrigue, nombre de scènes, nombre de détails, nombre d'éléments parfois fort ténus méritent que l'on s'interroge sur leur signification qui n'est pas réellement explicitée mais contribue au sens général du film.
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Si le film Une affaire de famille a une apparence cyclique, les événements mis en scène changent profondément de sens de son début à sa fin. Il convient dès lors de s'interroger de façon plus approfondie sur les différentes séquences du film.
L'on suggère de donner aux spectateurs une liste de scènes ou d'éléments filmiques plus circonscrits qui méritent sans doute un travail d'interprétation: certaines interprétations seront sans doute évidentes, d'autres le seront moins. Mais on attirera l'attention des participants et participantes sur le fait que chaque détail, chaque séquence doit s'inscrire dans le contexte global du film.
La liste donnée ci-dessous n'est pas exhaustive et il s'agit essentiellement d'une aide à la remémoration. On pourra bien sûr s'appuyer sur d'autres éléments dont on se souviendra et qui seront jugés pertinents. Les différents items pourront être donnés à des petits groupes pour susciter d'abord leur réflexion puis les échanges avec l'ensemble des participantes et participants. Ces items sont rassemblés ici dans l'ordre chronologique, mais, comme on l'a vu, l'ordre précis n'a sans doute pas grande importance à l'exception des grandes inflexions du récit signalées précédemment: la discussion pourra donc se faire de manière désordonnée, et l'on pourra ne retenir d'abord que les éléments qui paraissent particulièrement significatifs.
On trouvera également ci-dessous des commentaires qui pourront être soumis aux spectateurs et spectatrices si les premières réflexions se révèlent trop pauvres ou trop lacunaires.
Des éléments à interpréterVoici une série d'événements ou détails du film Une affaire de famille qui sont sans doute significatifs: quel sens pouvez-vous leur donner? Pourquoi, à votre avis, le cinéaste Kore-eda les a-t-il mis en scène?
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On ne commentera pas ici les 50 séquences citées précédemment, et l'on reviendra seulement sur un certain nombre d'éléments qui nous ont paru plus particulièrement intéressants (les numéros des titres d'encadrés sont ceux des séquences reprises aux pages précédentes).
Osamu et Shota se sont organisés pour que l'un distraie les vendeurs tandis que l'autre vole l'une ou l'autre marchandise. Ils se font des signes de la main comme des «experts» — policiers, militaires, braqueurs… — menant une opération silencieuse. Mais Shota fera un mouvement avec ses doigts tournant en rond sans qu'on puisse en deviner le sens. Est-ce un petit rituel pour se prémunir du mauvais sort? Peut-être. Mais ce qui est significatif, c'est que plus tard Yuri la petite fille adoptera le même geste: elle sera alors passée de l'innocence de l'enfance au monde des voleurs avec ses codes et son langage propres.
Le geste d'Osamu proposant une croquette à la petite fille semble tout naturel. Mais on remarque que la nourriture joue un rôle significatif dans le film. On se souvient qu'un peu plus tard, les femmes donneront à Yuri un beignet au seitan dont elle avait l'air d'avoir très envie. Peu de temps après, en rue, Shota lui dira avoir volé un paquet de gâteaux pour elle. Plus tard encore, un marchand proposera à Nobuyo (qu'il qualifie de «jeune maman») des croquettes pour son enfant, Shota: tous deux boiront ensemble une bouteille de soda et roteront ensemble! La nourriture partagée, les boissons prises en commun créent du lien, créent des relations en particulier entre les adultes, les «parents nourriciers», et les enfants, notamment les plus jeunes, qui sont incapables de subvenir à leurs propres besoins.
C'est Osamu et Shota qui ont ramené Yuri à la maison, mais c'est le couple Osamu-Nobuyo qui veut la reconduire chez elle. Mais à l'extérieur, ils entendent des cris: la mère de Yuri dit en particulier qu'elle ne voulait pas d'enfant. Nobuyo hésite alors et garde Yuri dans ses bras. C'est ensemble donc et à ce moment que Nobuyo et Osamu deviennent symboliquement les parents adoptifs de Yuri. Cette séquence résonne avec l'interrogatoire de police au cours duquel Nobuyo questionnera: «Donner la vie suffit-il à faire de vous une mère?»
Cela arrive souvent à de jeunes enfants, mais l'on peut aussi comprendre que c'est la conséquence involontaire des violences dont Yuri a été victime (ou bien que ce genre d'accidents nocturnes lui a valu des violences). Ici, les femmes ne semblent pas dramatiser l'affaire (alors que Yuri craint certainement de se faire gronder). Plus tard, la grand-mère recourra à un «remède de bonne femme» (du sel à lécher dans la main avant d'aller dormir). Ce qui importe, c'est que tout est ici dédramatisé et que cet accident n'entraîne ni pleurs ni récriminations.
L'incident est révélateur de l'ambiance générale dans cette famille artificielle: il n'y a pas de disputes, pas de cris, pas de querelles. Cela peut sembler «naturel», mais c'est l'inverse dans la famille de Yuri.
Shota renverse l'ordre normal des choses: les enfants qui vont à l'école seraient des exceptions, car ils n'auraient pas la chance d'étudier comme lui à la maison. Mais s'il renverse les choses, c'est parce qu'il vit dans un monde inversé comme il le découvrira à la fin du film quand il ira enfin à l'école pour apprendre des choses qu'il ne connaît pas… Devant la police, le «père» Osamu déclarera plus tard qu'il lui a appris à voler parce qu'il ne pouvait rien lui apprendre d'autre.
Ce monde inversé est aussi un monde où l'on vole (même si ce ne sont que de petits larcins) et où il semble normal d'adopter des enfants dont on n'est pas les parents. C'est Shota certainement qui, à la fin du film, changera le plus complètement de perspective même s'il ne reniera pas complètement sa famille d'adoption.
Il est certain qu'Aki n'est pas la belle-sœur d'Osamu. Et il n'y a pratiquement aucun lien de parenté réelle entre les personnages. Mais dans tous ces mensonges, la «grand-mère» Hatsue fait allusion à un fait réel même s'il est légèrement travesti: son ex-mari s'est remarié et a eu (au moins) un fils dont Aki est une des deux filles. «Pas de la même mère», donc. La vérité transparaît donc par instants, mais pour un observateur extérieur, elle reste impénétrable. Et pour le spectateur, il faudra attendre pratiquement la fin du film pour comprendre la vérité de tous ces personnages.
C'est pratiquement la seule allusion que Yuri fait à sa famille naturelle, et elle associe la figure de sa grand-mère à une friandise qu'elle aime. La mort de la grand-mère signifie donc pour elle la disparition de la seule source d'affection dont elle bénéficiait. Et l'on comprend aussi qu'elle se prenne aussi facilement d'affection pour Hatsue qui lui donne les mêmes friandises et qui soigne ses blessures.
Il faut évidemment comprendre le sens de cette scène muette: profitant d'un moment d'inattention, Hatsue la grand-mère subtilise tout un casier de billes pour continuer à jouer gratuitement, et elle adresse un sourire complice à son voisin pour qu'il se taise. Mais au-delà de ce geste précis, on devine dans cette scène un écart entre l'apparence inoffensive de cette vieille femme et sa véritable nature qu'on qualifierait volontiers de «roublarde». On retrouve le même écart quand elle se rend chez le fils de son ex-mari: non seulement elle fait semblant de prendre des nouvelles d'Aki (qui loge avec elle) mais elle se rend dans cette famille sous prétexte de rendre hommage au petit autel de son ex-mari (alors qu'un autel similaire se trouve chez elle) et elle lui soutire de l'argent, tout en déplorant, quand elle est seule, que la somme n'a pas augmenté! Bien entendu, il s'agit là de petits méfaits, sinon de simples mensonges. Mais comme les autres membres de la «famille», Hatsue n'hésite pas devant des infractions mineures à la moralité. Néanmoins, le film questionne les limites de cette immoralité: à partir de quand bascule-t-on dans des faits graves? N'oublions pas par exemple qu'elle ne s'est pas opposée au kidnapping de la petite Yuri (même si aucune rançon n'a été demandée…).
[Les autres commentaires sont disponibles dans le dossier imprimé.]