Extrait du dossier pédagogique
réalisé par Les Grignoux et consacré au film
Les Filles du soleil
d'Eva Husson
France/Belgique, 2018, 2 h 00
Ce dossier pédagogique consacré au film Les Filles du soleil d'Eva Husson s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront ce film avec leurs élèves à partir de treize ans ans environ. Il propose plusieurs animations à mettre en œuvre rapidement après la projection.
Les Filles du soleil d'Eva Husson, même s'il s'agit d'une reconstitution comprenant évidemment des éléments fictionnels, fait référence à des événements tragiques qui ont eu lieu en Irak en 2014. Ces faits sont explicitement cités dans un texte au début du film qui évoque le massacre des Yézidis par les troupes de l'État Islamique dans la région de Sinjar ainsi que l'enlèvement de femmes et d'enfants réduits en esclavage notamment sexuel. Sans la connaissance de ce contexte, la compréhension du film restera évidemment partielle sinon superficielle.
Tous les jeunes spectateurs n'ont cependant pas la même connaissance de ces événements qui s'inscrivent par ailleurs dans le contexte politique beaucoup plus large d'une région plongée dans des troubles graves et durables. Il est donc indispensable de revenir de façon plus détaillée avec les élèves sur l'ensemble de ce contexte pour comprendre Les Filles du soleil. On remarquera d'ailleurs immédiatement que ces événements font l'objet de nombreuses polémiques qui aujourd'hui encore ne sont pas éteintes[1].
Le monde de l'information avec l'arrivée d'Internet a cependant été profondément modifié, et une part essentielle de nos connaissances se trouve désormais à disposition sur le World Wide Web. Mais ces informations sont, on le sait, de qualité extrêmement diverse, certaines étant tout à fait fiables, d'autres fausses ou erronées, certaines étant fondées sur des faits objectifs, d'autres traduisant des prises de positions partisanes. Il est donc indispensable pour les enseignants de ne pas seulement transmettre des savoirs (selon leur rôle traditionnel) mais de faire acquérir aux élèves des capacités en matière de médias, que ce soit en «lecture» de documents ou en «navigation» à travers une multitude de documents.
C'est à une telle démarche de recherche active d'informations que l'on souhaite donc initier ici les jeunes participants en partant de l'exemple concret du film Les Filles du soleil.
L'on suggère de partir avec les jeunes participants et participantes de l'événement authentique clairement évoqué dans le film notamment dans son texte liminaire, à savoir les exactions commises à l'égard des populations yézidies en Irak en 2014. La démarche suggérée consiste à partir de cet événement précis pour aborder des faits, des événements qui lui sont liés de façon plus ou moins directe, ainsi que des réalités politiques, sociales, historiques dans lesquelles cet événement a pris place. On pourrait décrire cette démarche comme un mouvement de spirale qui s'éloigne constamment de son centre mais qui tourne néanmoins constamment autour de lui.
Si l'on procède à une simple recherche via Google ou un autre moteur de recherche sur le mot Yézidis, une des premières ressources est celle de l'encyclopédie collaborative en ligne Wikipedia. La fiabilité de cette encyclopédie s'est améliorée au fil du temps grâce à l'intervention de modérateurs qui contrôlent a posteriori les informations publiées par les contributeurs: la liste des sources est de ce point de vue un outil essentiel pour le lecteur qui veut vérifier la fiabilité des informations. Toutes les informations publiées sur Wikipedia ne sont pas «vraies», mais leur origine est vérifiée et les divergences concernant les faits (par exemple le nombre de victimes des massacres) sont relevées. Bien entendu, d'autres encyclopédies en ligne ou sur papier peuvent être utilisées comme l'encyclopédie Universalis ou Larousse, mais elles sont souvent plus limitées que Wikipedia et payantes.
Wikipedia par le jeu des hyperliens conduit à des articles (internes ou externes) qui permettent soit d'approfondir une information, soit de conduire à d'autres informations sur des sujets connexes. C'est plutôt cette seconde voie qui sera privilégiée ici, même s'il sera également important d'approfondir certains sujets, de vérifier certains faits ou de retourner aux sources originales. Il n'est évidemment pas possible de prédire le parcours que les participants et participantes pourront faire sur Internet. On peut néanmoins lister une série d'étapes qui constituent autant de thématiques à développer:
Ces différentes questions peuvent prendre place dans le schéma suivant:
Ce schéma n'a bien sûr qu'une valeur illustrative. Il montre cependant comment des faits ou des événements apparemment éloignés peuvent avoir des relations significatives. Ainsi, les massacres de Sinjar ont été largement répercutés dans la presse occidentale et ont suscité une forte émotion chez les lecteurs informés. Le sort de la communauté yézidie a même été évoqué au Conseil de sécurité de l'ONU en décembre 2015 par Nadia Mourad, une des victimes de Daesh qui recevra plus tard le prix Nobel de la paix. C'est un des événements qui précipiteront l'intervention militaire occidentale (essentiellement sous forme aérienne) en Irak et en Syrie.
À partir d'un fait précis, l'on peut donc reconstruire un ensemble d'événements de plus en plus éloignés (dans le temps ou dans l'espace) mais liés entre eux. Dans une telle perspective de recherche et de compréhension des événements, des moteurs de recherche comme Google permettent, au-delà de Wikipedia, de trouver de multiples informations sur des sites extrêmement divers. Dans ce cas, il est sans doute nécessaire de connaître quels sont ces sites et quelles sont ces sources d'information. Aucun site journalistique ne peut prétendre à une information parfaitement objective: la simple sélection des informations jugées pertinentes suffit à traduire un point de vue. Et un site politiquement ou idéologiquement orienté peut apporter des informations exactes même si celles-ci s'inscrivent dans un propos plus ou moins partial et subjectif. Mais il faut évidemment être conscient de ces biais et lire les informations données avec un regard critique (ce qui ne veut pas dire systématiquement suspicieux). L'on sait qu'en France, Libération et Le Figaro par exemple ont des points de vue politiquement opposés. Mais il y a beaucoup d'autres sites dont on ne connaît sans doute pas clairement l'origine. Press TV par exemple, au nom neutre, est une chaîne d'information iranienne, bien qu'elle soit en français et en anglais; le sigle RT France désigne la branche francophone du groupe RT qui s'appelait auparavant Russia Today dont on comprend plus facilement l'origine; l'agence de presse Sputnik a un nom plus explicite et désigne une agence de presse du gouvernement russe; Info Alahed, situé à Beyrouth, est un site du Hezbollah libanais en français… L'on ne doit certainement pas s'interdire de consulter ces sites mais il faut tenir compte du point de vue spécifique qu'ils défendent.
Bien entendu, il faut également tenir compte de la date de publication des différents articles. Comme les moteurs de recherche classent très généralement les ressources par ordre chronologique descendant, il faut parfois remonter loin pour trouver certaines informations qui semblent dépassées. Par ailleurs, les informations de l'actualité récente peuvent être approximatives, partielles et dans certains cas fausses[2]. Ainsi, le déplacement des populations yézidies sous la menace de l'État Islamique est un fait authentique, immédiatement rapporté par les journalistes occidentaux en août 2014 avec des images vidéos spectaculaires, mais les premières estimations ont beaucoup varié dans la mesure notamment où il était difficile d'avoir une vue d'ensemble de la situation. Aujourd'hui encore, les estimations du nombre de réfugiés yézidis oscillent entre 40.000 personnes (mais ce chiffre ne concerne semble-t-il que les Yézidis qui se sont réfugiés en août 2014 dans les montagnes du Sinjar) et 360.000 selon le gouvernement du Kurdistan irakien (qui compte sans doute l'ensemble des personnes déplacées).
Enfin, on relèvera que les journalistes utilisent souvent les mêmes sources — par exemple des spécialistes d'un domaine ou de dépêches d'agence —, ce qui limite la validité de certaines affirmations.
[Ces commentaires sont disponibles dans le dossier imprimé.]
1. L'on pense notamment au conflit persistant entre les autorités turques et les différents mouvements autonomistes kurdes.
2. On cite ainsi fréquemment l'exemple du charnier de Timisoara dont les cadavres ont été faussement présentés en décembre 1989 comme des victimes de la répression sanglante de la dictature communiste de Nicolae Ceausescu (alors qu'il s'agissait de corps d'indigents naturellement décédés avant l'insurrection qui allait conduire à la chute du régime). La presse occidentale a parlé de plus de 4500 morts, victimes de la répression, alors que ce nombre s'élevait vraisemblablement à moins de 700 pour l'ensemble du pays (dont une centaine à Timisoara). Les grands médias français (et sans doute internationaux) se sont trompés ou ont été trompés, étant à la fois victimes et complices d'un phénomène d'emballement les amenant à surenchérir sur le nombre de morts et la cruauté supposée du régime (cf. l'analyse d'Ignacio Ramonet, «Télévision nécrophile» dans Le Monde diplomatique, mars 1990, p. 3). Néanmoins, la manipulation a été dévoilée dès la fin du mois suivant par le journal Le Figaro (pourtant très anticommuniste) et reconnue par l'ensemble des médias. Si l'emballement médiatique était évidemment condamnable, la fausseté des faits n'a pas pu résister au contrôle général que les grands organes de presse ou de télévision exercent les uns sur les autres. Il est certainement abusif de parler de «médias menteurs» comme le font certains, même si des biais notamment idéologiques sont bien présents: les faits rapportés font l'objet d'un contrôle réciproque qui permet de lever un doute raisonnable (cf. Michel Condé, La Croyance aux médias, entre vérité et fiction. Liège, Les Grignoux, 2018).