Extrait du dossier pédagogique
réalisé par Les Grignoux et consacré au film d'animation
Un conte peut en cacher un autre
de Jacob Schuh, Jan Lachauer & Bin-Han To
France, 2017, 1 h 01
Adapté du roman éponyme de l'écrivain britannique Roald Dahl, Un conte peut en cacher un autre se présente comme une macédoine de contes qui fait se croiser et se lier leurs différents héros : grandes amies depuis l'enfance, Blanche-Neige et le Petit Chaperon rouge avancent dans la vie en se soutenant mutuellement; Jack, quant à lui, est secrètement amoureux de sa voisine Cendrillon et bientôt, grâce à son haricot magique, il va pouvoir lui offrir une vie de famille dans l'agréable maisonnette qu'il a rachetée à la bonne fée… Ces histoires, c'est l'oncle de Rolfy, le loup qui a dévoré la grand-mère du Petit Chaperon rouge, qui nous les raconte…
Le dossier pédagogique s'adresse aux enseignants du fondamental qui verront Un conte peut en cacher un autre avec des enfants âgés de 5 à 8 ans environ. Il propose plusieurs animations simples et ludiques à mener en classe après la projection. L'extrait proposé ci-dessous propose de s'interroger sur la subversion des morales traditionnelles des contes repris et transformés dans le film de Jacob Schuh, Jan Lachauer et Bin-Han To.
Le mélange de contes traditionnels, qui se traduit par les croisements et échanges entre des personnages issus d'histoires différentes, n'est pas l'unique spécificité du film de Jakob Schuh et Jan Lachauer. Ces personnages ont en effet subi aussi d'importantes modifications de caractère et de personnalité qui donnent à Un conte peut en cacher un autre une dimension parodique. Les morales traditionnelles de ces contes sont ainsi détournées, inattendues et, de ce fait, beaucoup plus subversives.
Selon Charles Perrault lui-même, les contes oraux qu'il recueille au 17esiècle contiennent une morale claire qu'il a à cœur de transmettre en en faisant le principe fondateur de ses récits. Selon lui, ces contes populaires inventés pour les enfants contiendraient «une moralité louable et instructive. Partout la vertu y est récompensée, et partout le vice y est puni». La morale de ces contes montrerait ainsi sans ambiguïté «l'avantage qu'il y a d'être honnête, patient, avisé, laborieux, obéissant, et le mal qui arrive à ceux qui ne le sont pas».
C'est cet aspect que nous souhaitons maintenant aborder avec les enfants en les invitant à s'intéresser à ces nouveaux traits de caractère et de personnalité.
Engageons une discussion en grand groupe en demandant aux enfants ce qu'ils pensent du caractère des personnages principaux du film :
Aidons-les avec des questions comme:
• Comment agit le Chaperon rouge? Qu'y a-t-il de bien dans ce qu'elle fait? Et qu'y a-t-il de mal? Est-ce qu'elle agit de cette façon-là dans l'histoire que vous connaissez? Que pensez-vous de son comportement? À votre avis, quelle est la leçon de cette histoire ? Et que pensez-vous de cette leçon?
• Est-ce que les 7 jockeys ressemblent aux 7 nains de l'histoire que vous connaissez? À quoi passent-ils leur temps? Que pensez-vous de leur conduite? Que fait Blanche-Neige pour aider les 7 jockeys? Trouvez-vous que c'est une bonne idée? À votre avis, quelle est la leçon de cette histoire ? Et que pensez-vous de cette leçon?
• Est-ce que Cendrillon se comporte de la même manière que dans l'histoire que vous connaissez? A-t-elle un bon caractère? Comment traite-t-elle la fée qui veut justement l'aider? Est-ce une attitude qui vous paraît correcte? Et le Prince, qu'en pensez-vous? Qu'est-ce qui est important pour lui dans la vie? De quelle façon agit-il quand il est contrarié? Comment finit l'histoire pour Cendrillon ? À votre avis, quelle est la leçon de cette histoire ? Et que pensez-vous de cette leçon?
• Le cochon banquier ressemble-t-il au troisième cochon – celui qui construit une maison en briques – de l'histoire que vous connaissez bien? Que fait le banquier avec les économies du Chaperon rouge? A-t-il le droit de faire ça? Pourquoi? Que lui arrive-t-il à la fin? À votre avis, quelle est la leçon de cette histoire ? Et que pensez-vous de cette leçon?
• Enfin, de manière générale, le loup qui raconte les histoires est très différent des loups terrifiants qu'on rencontre dans les histoires comme celle du Chaperon rouge, par exemple. Pourquoi veut-il prendre la place de Madame Hunt pour garder les enfants du Chaperon Rouge? Que veut-il faire au départ? Comment les choses vont-elles finalement se passeravec eux? Selon vous, pourquoi le loup change-t-il d'avis? Quelle est la leçon de cette histoire? Et que pensez-vous de cette leçon?
Les commentaires qui suivent, livrés à titre illustratif, pourront éventuellement nourrir la discussion.
Dans le conte traditionnel, le Chaperon est une petite fille naïve mais aussi désobéissante. Elle n'écoute pas sa mère, qui lui avait recommandé de ne pas traîner en chemin et de prendre le chemin le plus court pour se rendre chez sa grand-mère. C'est ainsi qu'elle s'était aventurée dans la forêt et était tombée sur le loup, qui les avait avalées toutes les deux. Ayant mené à un châtiment des plus sévères pour avoir désobéi et ne s'être pas méfiée du loup, la conduite de la fillette rappelle ainsi aux enfants qu'il est important d'obéir aux adultes et en particulier à ses parents mais aussi de se méfier des inconnus.
Une telle morale, sans doute contestable en ce qu'elle bride la liberté de mouvement et encourage la peur de l'autre sinon la terreur, contraste avec celle du film, où le Chaperon, aussi intrépide que lucide, n'hésite pas à s'emparer du pistolet perdu par le chasseur chargé de tuer Blanche-Neige pour venger la mort de sa grand-mère en en tuant le responsable (Rolfy), mais aussi en abattant froidement Rex, prêt à faire sauter la banque du cochon banquier puis le cochon lui-même quand elle s'aperçoit qu'il l'a dépouillée de son argent malgré ses propres richesses. C'est donc ici la vengeance mais aussi le sens de la justice qui guident les agissements du Chaperon, déterminée et prête au pire vis-à-vis de ses ennemis mais généreuse avec son amie Blanche-Neige et les sept jockeys, à qui elle donne tout l'argent récupéré à la banque après le meurtre de son directeur!
Dans l'histoire bien connue des enfants, Blanche-Neige est une princesse «à la peau blanche comme la neige, aux joues rouges comme le sang et aux cheveux noirs comme l'ébène». Humble et vertueuse, elle est victime de la jalousie de la nouvelle épouse de son père, qui remplace sa mère décédée à sa naissance. Condamnée à mourir lorsque sa belle-mère apprend de son miroir magique que la jeune fille est devenue bien plus belle qu'elle, Blanche-Neige est épargnée par le chasseur chargé de la tuer et recueillie par sept nains, des travailleurs qui, chaque jour dès l'aube, se rendent à la mine en chantant. En échange de leur hospitalité, elle s'occupe de la cuisine et des tâches ménagères, jusqu'au jour où le miroir révèle à la Reine qu'elle est toujours vivante, cachée au cœur de la forêt. Déguisée en vieille dame, la Reine la retrouve et lui tend une pomme empoisonnée. Exposée dans un cercueil de verre façonné par les nains, elle sera finalement sortie de sa léthargie par un Prince charmant qui l'épousera.
Sur le plan de la morale, l'histoire de Blanche-Neige indique qu'il ne faut pas s'attacher à des choses éphémères comme la beauté ou la jeunesse, qui représentent bien peu de choses par rapport au vrai bonheur, à chercher dans une vie simple, laborieuse et sans artifices. Par ailleurs, le conte invite à rester vigilant vis-à-vis des inconnus et à se méfier des apparences avenantes et généreuses, quelquefois susceptibles de dissimuler des intentions malveillantes.
Dans Un conte peut en cacher un autre, les sept nains sont devenus d'anciens jockeys rongés par la passion du jeu, ce qui pousse Blanche-Neige à voler le miroir magique de sa belle-mère, qui leur donnera désormais chaque jour le nom du cheval gagnant et les conduira sur le chemin de la fortune. Les qualités font donc place aux défauts, le conte revisité par Jakob Schuh et Jan Lachauer débouchant sur une morale parfaitement contraire aux valeurs: chacun des sept nains devient millionnaire, «ce qui prouve que parier n'est pas un péché… pourvu que chaque jour vous puissiez gagner!», conclut le loup. À l'inverse de la leçon contenue dans le conte traditionnel – pour être heureux, vivons cachés, dans le dépouillement, une vie simple et laborieuse –, c'est, dans le film, l'argent facilement gagné aux courses qui fait le bonheur des nains et de Blanche-Neige! La «morale» a ici une valeur comique.
Dans ce célèbre conte aux origines lointaines, le loup incarne une fois encore le danger auquel doivent successivement faire face trois petits cochons. Si le loup a facilement raison des deux premiers dont il souffle sans peine la maison, respectivement fabriquée en paille et en bois, il ne parvient pas à vaincre le troisième, qui a construit la sienne en briques. Finalement, ce sont les trois cochons réfugiés à l'intérieur qui réussissent à piéger le loup!
Sur le plan de l'interprétation, on peut dire que ce conte met en valeur la capacité d'anticipation: en choisissant un matériau beaucoup plus solide que ses deux compères, le troisième cochon adopte une attitude prévoyante qui montre qu'il a conscience du danger susceptible de survenir et de la nécessité de prendre en compte les aléas de la vie dans la mise en place de ses projets, même si pour cela, il faut déployer beaucoup d'efforts.
Dans le film de Jakob Schuh et Jan Lachauer, cette sentence morale est évidemment absente: on y retrouve le même fondement – le projet d'une maison en paille et celui d'une maison en bois, imaginées par les deux premiers cochons et financées par le troisième, bien à l'abri dans sa banque en briques –, les deux premiers sont bel et bien victimes du loup qui les avale l'un et l'autre, mais le banquier, en revanche, est totalement dépourvu des qualités attribuées au troisième cochon dans le conte traditionnel(prévoyance, travail, effort…). Pétri de défauts – cupide, trompant et volant ses clients les plus faibles pour investir dans des projets qui tomberont finalement à l'eau… –, il sera froidement abattu par le Chaperon rouge quand elle s'apercevra qu'il a cassé sa propre tirelire en dépit de ses richesses immenses. Et si l'on peut déceler une morale dans cette histoire revisitée, elle est cette fois à mettre en rapport avec la droiture, le respect et le désintéressement bien plus qu'avec la prévoyance et l'effort. L'humour est ici aussi très présent dans cette «morale».
Dans le conte traditionnel, Cendrillon est une jeune fille effacée, soumise à la cruauté de sa belle-mère et de ses deux demi-sœurs. Invisible aux yeux de tous, vêtue comme une souillon, contrainte d'effectuer de l'aube à la nuit de lourds travaux ménagers, elle vit dans l'isolement et le dénuement le plus total jusqu'au jour où elle va recevoir l'aide d'une fée pour assister au bal donné par le prince du royaume. Sa grâce et sa beauté, ignorées jusque-là, éclatent alors aux yeux de tous et le prince en tombe éperdument amoureux. Comme dans les autres contes, le bien finit donc par triompher du mal, la vertu de Cendrillon se trouvant finalement récompensée par un mariage avec un prince riche et beau.
Dans Un conte peut en cacher un autre, Cendrillon adopte une tout autre attitude: moins résignée, plus hardie, elle n'hésite pas à se pencher sur l'invitation au bal reçue par ses sœurs ni même à leur dérober un pot de confiture. Enfermée à la cave, elle se rebelle et la fée qui passait justement par là est alertée par ses cris. Intrépide, elle fait preuve par ailleurs d'un caractère bien trempé voire insolent, notamment quand elle s'énerve sur la fée qui est pourtant prête à l'aider. Elle n'hésite pas non plus à avouer avec arrogance la jalousie qu'elle ressent vis-à-vis de ses deux sœurs. Mais le prince, qui tombe de la même façon sous son charme, n'est pas lui non plus un modèle de vertu: attachant une grande valeur aux apparences, il est irritable, cruel, et n'hésite pas à trancher (ou faire trancher) la tête des sœurs de Cendrillon. Elle-même, d'ailleurs, manque de subir le même sort lorsqu'elle vient lui demander des comptes après avoir vu rouler la tête de sa sœur devant chez elle. Admiratif devant la jeune fille lorsqu'elle était parée de ses atours, il l'insulte alors en demandant «qui est cette ignoble souillon». De son côté, Cendrillon comprend que la richesse et la prestance ne sont pas de vraies qualités dès lors que l'on est coupeur de têtes; elle renonce à ses ambitions («je ne veux plus de prince… je ne veux plus d'argent…») et fait le vœu tout simple de rencontrer «un homme gentil»: ce sera Jack. Grâce à cette aventure malencontreuse, la jeune fille aura donc appris l'humilité, une certaine sagesse et surtout la primauté de l'être sur le paraître tandis que le prince, puni de sa vanité et de sa cruauté, sera quant à lui transformé en crapaud par la fée.
À côté des quatre histoires détournées dans le film, il faut encore compter celle qui les «chapeaute» en quelque sorte: l'histoire du loup qui rencontre Madame Hunt et attend avec elle le départ du Chaperon rouge en lui racontant la véritable histoire de la jeune fille tueuse de loups, puis qui la ligote, la bâillonne et l'enferme dans les toilettes réservées au personnel du bar où ils sont installés tous les deux, avant de revêtir ses habits et de prendre sa place pour garder les enfants du Chaperon rouge. Sans qu'il l'exprime clairement, on devine qu'il a l'intention de venger la mort de ses neveux Rex et Rolfy, abattus tous les deux d'un coup de revolver par la mère des enfants. Son comportement une fois entré dans la maison laisse entendre en effet qu'il s'apprête à en faire son repas, ce qui n'effraye pas pour autant le petit garçon qui l'a reconnu malgré son déguisement. Terrifiée et beaucoup plus méfiante que son frère, la fillette comprend ce qui va se passer et décide de détourner l'attention du loup des fourneaux où il s'active en lui rappelant que c'est l'heure de l'histoire, ou plutôt des histoires puisqu'ils sont deux! Soucieux de capter leur attention, le loup commence alors à leur raconter l'histoire de Cendrillon et de Jack, guettant surtout les réactions de la fillette, beaucoup moins encline à se détendre et à baisser la garde. Au terme de l'épisode, les deux enfants s'endorment et, satisfait de son effet, le loup les couvre puis termine de préparer le repas. Au retour du Chaperon rouge, ébahie, le loup s'en va et retourne à l'état sauvage, pénétrant dans la forêt, après s'être débarrassé de ses vêtements et repris son apparence naturelle de quadrupède.
Ce loup policé, sensible et conscient du bien et du mal, capable d'éprouver de la pitié et du remords et d'ainsi lutter contre son instinct de prédateur, est donc bien éloigné de l'image sanguinaire et terrifiante dont il jouit dans bien des contes pour enfants.