Extrait du dossier pédagogique
réalisé par Les Grignoux et consacré au film
L'Atelier
de Laurent Cantet
France, 2017, 1h53
L'Atelier de Laurent Cantet raconte la confrontation entre un jeune adolescent et l'animatrice d'un atelier d'écriture à La Ciotat. Quelle place l'adolescent peut-il trouver dans cet environnement marqué notamment par la disparition de la culture ouvrière ?
Le dossier pédagogique consacré à L'Atelier s'adresse aux enseignants du dernier cycle du secondaire ainsi qu'aux animateurs en éducation permanente. Il propose de revenir sur les souvenirs que les spectateurs auront conservés du film mais également sur des observations précises, basées sur des consignes reçues avant la vision.
Dans l'animation reprise ci-dessous, les spectateurs et spectatrices sont notamment invités à dresser un premier portrait du personnage principal.
À travers le personnage d'Antoine, les auteurs du film, Laurent Cantet, le cinéaste, et Robin Campillo, son coscénariste, distillent tout un propos et une réflexion sur la jeunesse française, sur les rapports entre les classes sociales mais aussi sur la littérature. Avant d'aborder le « sens », ou les sens, du film, il nous semble donc opportun dans un premier temps de donner l'occasion aux élèves de construire un portrait du jeune Antoine.
Ces premières réflexions sur le personnage d'Antoine et sur le film permettront de préparer l'activité suivante consacrée plus spécifiquement à l'interprétation des intentions des auteurs du film.
Formons deux groupes dans la classe et distribuons à chacun un exemplaire photocopié de l'encadré ci-dessous.
Demandons aux élèves de consulter ce répertoire de scènes et de sélectionner les scènes qui leur semblent les plus pertinentes pour construire, selon le groupe de travail auquel ils sont assignés, le portrait psychologique ou le portrait sociologique d'Antoine.
Invitons-les enfin à élaborer ces portraits en quelques phrases de manière à pouvoir communiquer ses réflexions à l'ensemble de la classe en fin d'activité.
Des scènes parlantesGroupe A : esquisser un portrait psychologique d'AntoineD'après les scènes mentionnées ci-dessous, quel portrait psychologique pourrait-on dresser d'Antoine ? Quels sont ses traits de caractère principaux, ses goûts ou au contraire ce qu'il n'aime pas faire ? Groupe B : esquisser un portrait sociologique d'AntoineParmi ces scènes, lesquelles vous semblent révélatrices de la situation sociale d'Antoine ? |
Les scènesAntoine... • joue aux jeux vidéos dans sa chambre, parfois seul, parfois en réseau; |
Les scènes qui montrent Antoine au domicile familial sont assez éloquentes : elles se passent toutes, à une exception près, dans sa chambre. On ne voit Antoine parler à sa mère qu'une seule fois, lorsqu'il rentre de sa première journée à l'atelier et encore, c'est elle qui engage la conversation. Antoine lui répond laconiquement. On notera également qu'ils ne sont pas dans la même pièce lors de cet unique scène d'échange : sa mère est sur le balcon, Antoine dans le salon, son sac sur le dos, prêt à foncer dans sa chambre.
Les scènes tournées dans la chambre d'Antoine énumèrent ses différentes occupations : jouer aux jeux vidéos; regarder des vidéos sur internet, comme le clip de recrutement de l'armée de terre, des vidéos de « Luc Borel » – une allusion à Alain Soral –, un programme payant d'entraînement pour muscler ses abdos ou encore l'enregistrement d'une interview d'Olivia dans une émission littéraire télévisuelle; écouter de la musique au casque en dansant et en grommelant les paroles; se regarder dans le miroir, lire, dessiner…
Personne ne semble jamais entrer dans sa chambre à l'exception de sa petite sœur qui a même l'autorisation de monter sur le lit et de lui prendre des mains le livre qu'il est en train de lire. Pour Antoine, comme pour la plupart des adolescents et des jeunes adultes qui vivent en famille, la chambre est le lieu de repli idéal, où l'on peut se permettre d'être soi-même, où l'on ne doit rendre de compte à personne, où l'on peut parfaitement s'isoler du reste du monde. Un tel endroit est souvent « sacré » et les parents, le monde adulte donc, n'y ont pas droit de cité : le père d'Antoine, tout aussi costaud qu'il soit, respecte cette distance sans doute demandée par son fils et frappe à sa porte quand il veut le prévenir de la présence d'Olivia.
À l'extérieur, en dehors des scènes d'atelier, Antoine apparait également souvent seul. C'est ainsi le cas le premier jour d'atelier, lorsqu'il rentre seul à pied au lieu de prendre le bus comme et avec tous les autres; plus tard, il se rend seul dans les calanques pour se baigner, s'entraîner et bronzer; il se filme en train de plonger…
Par ailleurs, Antoine a un très bon rapport avec les jeunes enfants, comme il l'explique lui-même à Olivia pendant leur « interrogatoire-interview ». Son attitude avec les enfants contraste fortement avec celle qu'il a vis-à-vis de ses pairs et vis-à-vis des adultes : son visage s'illumine et se réchauffe à leur contact, il se met à sourire. Alors qu'il est d'habitude froid et distant, il réclame un baiser à sa petite sœur pour souhaiter la bonne nuit. Son corps se détend lorsqu'il prend dans ses bras Théo, le fils de son cousin ou qu'il danse avec lui au milieu du salon.
Enfin, la dernière séquence résonne différemment du reste du film : embarqué sur un gros porteur qui navigue vers le large, Antoine écoute attentivement et avec plaisir les commentaires de son nouveau collègue, noir et anglophone.
Les scènes évoquées ci-dessus permettent de dresser un double portrait d'Antoine, psychologique et sociologique. Les commentaires développés ci-dessous pourront éventuellement servir à nourrir la discussion avec (et entre) les élèves et ne sont bien entendu pas à considérer comme des « bonnes » réponses.
Toutes ces scènes et informations que le film distille sur Antoine dressent en creux un portait psychologique du jeune homme : solitaire (selon ses propres mots, il n'est « pas du genre à avoir un tas de gens sur le dos »), taiseux (« Parfois, mon père m'engueule parce que je ne parle pas beaucoup à table. C'est vrai que je ne parle pas beaucoup. »), proche des enfants, sportif, attentif à son apparence physique, il s'intéresse aussi au dessin, à la musique et à la littérature. Comme beaucoup de jeunes, il joue aux jeux vidéos et, « comme tout le monde », il surfe sur internet. Il ne semble pas avoir d'amis véritablement « à lui » mais partage plutôt la bande de potes de son cousin Freddy qu'il suit, au moins une fois, dans ses délires nocturnes violents. Introverti et solitaire, le jeune homme apparaît ici beaucoup plus comme un suiveur que comme un personnage potentiellement dangereux, contrairement à Freddy qui semble lui réellement impliqué dans la mouvance d'extrême droite, cela en dépit d'une parfaite intégration sociale (extraversion, grande sociabilité, famille, bande d'amis, etc.)
L'on peut également comprendre à de nombreuses reprises le désir d'évasion d'Antoine qu'il manifeste très souvent et dans différents aspects de sa vie : il ne souhaite pas que l'action du roman noir se déroule dans « sa » ville, cette ville qu'il connaît trop bien, mais loin, très loin de La Ciotat, aux États-Unis par exemple. La dernière scène est à ce titre, particulièrement édifiante : embarqué sur un bateau qui s'éloigne de la côte, Antoine a l'air franchement heureux. Cette scène est également très symbolique : Antoine prend le chemin du « reste de sa vie », de sa vie d'adulte.
Les scènes décrites précédemment peuvent être également lues sous un axe sociologique. Antoine, âgé d'environ 18 ou 20 ans environ vit avec ses parents et sa jeune sœur dans un logement social2 de La Ciotat, dans le sud de la France, à côté de Marseille. Il n'a apparemment pas entrepris d'études supérieures ou les a terminées et cherche du travail. Son précédent emploi, éducateur en centre aéré, s'est soldé par un échec. C'est dans ce contexte de recherche d'emploi qu'il a été « choisi » pour participer à cet atelier d'écriture. Antoine se trouve dans une période de transition qui peut être vécue douloureusement. Ainsi, la distance qu'il met entre lui et ses parents (ou le monde adulte en général) et, à l'inverse, la grande affection et le respect qu'il porte aux enfants peuvent être symptomatiques de cette période de transition : encore étranger au monde des adultes par son manque d'activité professionnelle, il reste en revanche proche des enfants et donc aussi de sa propre enfance. L'attention qu'il leur porte semble témoigner de l'attention qui lui fait défaut et signifier que la jeunesse actuelle aurait bien besoin elle aussi de plus de soin et d'attention qu'elle n'en a aujourd'hui. Les « petits », donc également les personnes précarisées sont elles aussi très exposées de par leur isolement social et auraient besoin elles aussi de plus d'attention de la part de la société. Selon Émile Durkheim, sociologue du début du 20e siècle, le suicide dit « anomique » représente un risque plus important pour ces personnes isolées que pour le reste de la population.
Le caractère solitaire du personnage d'Antoine peut ainsi être mis en parallèle avec l'isolement, non volontaire, des personnes précarisées. Le côté taiseux d'Antoine peut évoquer quant à lui le fait que la voix des personnes précarisées a du mal à se faire entendre du reste de la société. Par ailleurs, en raison des stéréotypes négatifs qui circulent à leur égard, ces personnes ont plutôt tendance à se faire toute petites et à ne pas se faire remarquer.
Enfin, le fait qu'Antoine soit montré jouant à plusieurs reprises aux jeux vidéo peut aussi s'interpréter comme un comportement échappatoire et plus encore une forme de remplissage d'un temps qu'il faudrait « tuer ». Ses séances d'entraînement prennent des airs de lutte permanente comme si sa vie était un combat, ses plongeons en mer deviennent autant de tentatives plus ou moins périlleuses de « se jeter à l'eau » et les dessins de momies qu'il réalise une illustration métaphorique de sa condition inactive et immobile.
En quelque sorte, toutes les attitudes d'Antoine mettent en évidence le vide qui le cerne et l'empêche de se projeter dans l'avenir.