Extrait du dossier pédagogique
réalisé par Les Grignoux et consacré au film
Les Grands Esprits
un film d'Olivier Ayache-Vidal
France, 2017, 1h46
Ce dossier pédagogique consacré aux Grand Esprits propose d'abord de revenir sur le film et sa thématique principale: les inégalités scolaires qui se manifestent entre élèves mais aussi entre établissements. Dans une seconde partie, l'on élargira le propos en menant une réflexion d'ensemble sur le système scolaire compris comme une institution sociale qu'on retrouve dans tous les pays développés avec des caractéristiques communes mais également des différences. Enfin, la troisième partie du dossier sera consacrée aux différences de pédagogies que l'on observe entre enseignants, entre écoles ou entre pays.
Ce dossier s'adresse à l'ensemble des enseignants du secondaire qui verront le film avec leurs élèves et qui souhaitent mener une réflexion sur ses grandes thématiques. La réflexion pourra être plus ou moins approfondie en fonction de l'âge et du niveau des élèves.
Les Grands Esprits d'Olivier Ayache-Vidal pose sans doute peu de problèmes de compréhension. Certaines allusions peuvent néanmoins échapper à de jeunes spectateurs et méritent donc qu'on y revienne de façon plus détaillée. Par ailleurs, certaines paroles, certaines situations, même si elles semblent compréhensibles de prime abord, sont sans doute porteuses d'un sens second qui peut rester incompris sans un travail d'interprétation explicite.
L'on propose donc ici de revenir avec les spectateurs, jeunes ou moins jeunes, sur une série de scènes du film, qui seront brièvement résumées dans l'encadré des pages suivantes. Chacun de ces courts résumés sera accompagné de l'une ou l'autre question, auxquelles les participants seront invités à répondre de façon aussi complète que possible.
On remarquera qu'il n'y a pas en général de réponse simple et univoque aux différentes questions: il s'agit surtout de susciter la réflexion dans différentes directions, peut-être inattendues, grâce à un rappel d'éléments significatifs du film.
Dans l'encadré qui suit, toutes les scènes ou situations envisagées sont reprises dans l'ordre du déroulement du film. Pour que l'exercice ne soit pas trop fastidieux, l'on suggère de les répartir à plusieurs petits groupes de spectateurs à raison de cinq ou six scènes par groupe. Après quelques moments de réflexion (entre 25 et 30 minutes sans doute), chaque groupe pourra exposer à l'ensemble des participants l'interprétation des différentes situations envisagées.
Pour la plupart des éléments du film évoqués, il y a sans doute plusieurs interprétations possibles ou, en tout cas, une marge d'interprétation. On laissera donc la discussion ouverte sans vouloir imposer une seule vision des choses.
En prolongement à ce questionnaire, l'on trouvera dans les encadrés suivants quelques réflexions complémentaires qui pourront être utiles à l'enseignant ou à l'animateur pour nourrir la discussion. Elles pourront éventuellement être soumises directement aux spectateurs si leurs réflexions se révèlent trop pauvres.
Questionnaire
[Les autres séquences de 11 à 35 du film reprises dans ce questionnaire sont disponibles dans le dossier imprimé.] |
Il est pratiquement certain qu'aucun élève, même parmi les meilleurs, n'est capable de comprendre à l'audition ce texte. Pour eux, c'est du latin… ou du chinois! Et François Foucault en est très certainement conscient puisqu'il s'agit d'un exercice de version qui devra être fait à la maison avec l'aide d'un dictionnaire. S'il veut peut-être faire entendre la sonorité de la langue latine (qui n'est plus pratiquée par personne), il entend plus certainement montrer à ses élèves un idéal — parler latin — qu'ils sont encore très loin d'atteindre. Il y a dans cette manière de faire une forme de condescendance à l'égard des élèves sinon une volonté de les rabaisser.
François est «normalien», c'est-à-dire qu'il a fait des études dans une école normale supérieure (certainement à Paris, rue d'Ulm), une institution prestigieuse et très sélective qui forme des enseignants et des chercheurs de haut niveau. On peut dire qu'il appartient à l'élite scolaire, celle qui a fait les études les plus longues et les plus difficiles. C'est donc un «bon élève» et même un «très bon élève» qui doit sa réussite à l'école. Et il a des difficultés à comprendre les gens «normaux» qui n'appartiennent pas à cette élite.
Sa remarque suivante à propos des élèves et de leurs parents qui auraient tous les droits ne correspond manifestement pas à ce qu'il vit au Lycée Henri IV, le plus prestigieux de France. Comme il a intériorisé le modèle du «bon élève» studieux et obéissant, il a beaucoup de mal à comprendre ceux qui ne le sont pas, et il explique les difficultés de l'enseignement (dont parlent notamment les médias) à une supposée perte d'autorité mais aussi de prestige des enseignants qui n'ont plus «tous les droits» (comme celui de punir, d'exclure ou de refuser un passage de classe). On peut dire qu'il s'agit là d'un lieu commun qui n'est pas capable d'expliquer pourquoi les enseignants auraient subi cette perte de prestige et d'autorité, ni pourquoi lui, François Foucault, n'est manifestement pas confronté à une telle situation.
Le constat est en partie vrai, mais l'on voit quand même dans le film qu'il y a des enseignants qui travaillent depuis plusieurs années dans ce collège et qui ont donc vraisemblablement de l'expérience. La question mérite cependant d'être posée autrement: pourquoi y a-t-il des écoles «difficiles»? Pourquoi les écoles en banlieue sont-elles réputées difficiles? Pourquoi le système scolaire en France admet-il de telles différences et inégalités entre établissements?
Cette manière de poser le problème éclaire la réaction de François: pour lui, l'excellent élève qu'il est (ou qu'il fut) est naturellement destiné à enseigner aux meilleurs élèves dans l'établissement le plus excellent, et il n'envisage pas que son propos puisse s'appliquer à lui-même. Prof d'élite, il est destiné à enseigner à l'élite.
Mais il est incapable de poser la question de l'inégalité du système scolaire. Au contraire, il a complètement intériorisé l'inégalité du système (qui lui paraît «normale») dans sa manière de penser les choses, et il estime que le «problème» vient d'abord du manque d'expérience des enseignants en banlieue. La suite du film lui montrera que les choses ne sont pas aussi simples.
Ce sont des sociologues comme Pierre Bourdieu qui ont mis en avant la notion de handicap socioculturel pour expliquer les différences de réussite scolaire des enfants en fonction de l'appartenance des parents à des catégories socioéconomiques différentes: dit de façon sommaire, les enfants issus des milieux populaires réussissent en moyenne moins bien à l'école que ceux issus des classes moyennes et supérieures. Cela s'expliquerait moins par des questions de moyens financiers que par des différences socioculturelles: les enfants de milieux favorisés seraient initiés plus tôt à la lecture, à la maîtrise de la langue orale et écrite, à toute une culture (littérature, arts, musique, histoire…) qui serait moins présente dans les milieux populaires. Le fait que ce soit les enfants d'enseignants qui réussissent généralement le mieux à l'école illustre de manière significative cette notion de «handicap» ou à l'inverse d'«héritage» socioculturel: les enseignants disposent de revenus (salaires) moyens mais transmettent de façon spontanée et implicite toute une partie de leur culture et de leurs manières d'être à leurs enfants tout au long de leur scolarité.
La sociologie s'appuie sur des études statistiques, notamment en faisant des moyennes, et il y a évidemment des exceptions à ces moyennes: une minorité d'enfants des milieux populaires réussit brillamment à l'école, et, à l'inverse, une minorité d'enfants des milieux privilégiés ont une scolarité médiocre (mais souvent prolongée grâce aux moyens financiers dont disposent les parents).
Les paroles des musiques entendues sont évidemment significatives: «Who knows what tomorrow will bring» traduit bien l'incertitude d'esprit de François lors de son premier jour en banlieue; «Perhaps, perhaps, perhaps» signale une histoire d'amour qui est peut-être en train de se dessiner entre François et Chloé; «100 Days, 100 Nights» évoque bien la lenteur du temps qui passe au cours de journées identiques…
On remarque qu'il s'agit là de chansons relativement anciennes et d'un style de musique (soul, R&B) qui n'est pas celui majoritairement apprécié par les adolescents qui privilégient aujourd'hui le rap. Ce choix musical du réalisateur est sans doute significatif du point de vue qui est privilégié par le film, à savoir celui de François.
On se rappellera également la chanson de Michel Berger entonnée par une classe à la fin de l'année: «Si Maman si…». Le choix musical, lui aussi significatif, est bien sûr, ici aussi, celui de la professeure de musique.
La voiture brûlée est sans aucun doute un cliché sur la banlieue (même si ce genre d'incidents arrive effectivement). Le fait que François doive se garer à côté de cette carcasse semble traduire une menace (sa voiture pourrait subir le même sort) comme le personnage un peu étrange sinon inquiétant qu'il croise sur sa route.
Le début du film est légèrement caricatural et accentue le contraste entre le milieu privilégié de Henri IV et la banlieue réduite à ses aspects les plus sombres.
Il n'est pas sûr que tous les enseignants fassent l'effort de retenir le nom de leurs élèves. Le plus souvent, ils retiennent ces noms (ou pas…) en les fréquentant quotidiennement. L'intention du réalisateur est de prime abord un peu ironique: ce sont des noms d'origine «étrangère» même si ces adolescents sont certainement français, ce qui témoigne bien sûr d'une origine sociale très différente de celle des élèves de Henri IV!
Mais la démarche de François révèle aussi un état d'esprit que l'on peut comprendre de différentes façons: soit il veut contrôler sévèrement ses élèves (et notamment la place qu'ils doivent occuper dans sa classe), soit il veut savoir précisément à qui il s'adresse. Dans ce cas, on peut y voir une forme de respect pour ses élèves qu'il ne considère pas comme une masse anonyme mais comme des personnes singulières, différentes les unes des autres.
Les inspecteurs et les autorités scolaires du plus haut niveau maintiennent une exigence d'égalité entre les différentes écoles au niveau national: tous les élèves doivent recevoir un enseignement de même qualité et acquérir des compétences similaires, notamment au niveau du collège qu'on appelle unique en France (jusqu'à 14 ans). Ce principe d'égalité des chances (qui est une question de principe et de droit) se heurte néanmoins à une inégalité de fait entre établissements scolaires, due notamment aux inégalités socioculturelles entre élèves (voir le point 4), certains établissements regroupant, le plus souvent de manière involontaire, les élèves défavorisés (ou au contraire favorisés). L'inspectrice fait donc appel au droit, tandis que l'enseignant constate les faits, c'est-à-dire la difficulté à faire progresser ses élèves.
Pourquoi, dans les «bonnes» écoles, y a-t-il peu de conseils de discipline? Et beaucoup dans les «mauvaises»? Un «mauvais» élève, c'est-à-dire un élève dont les apprentissages sont médiocres, est-il nécessairement indiscipliné? Et pourquoi la discipline est-elle le problème principal dans les collèges «difficiles»? Cette situation semble évidente, mais elle mérite sans doute un peu de réflexion. Ainsi, on peut se demander quelle est la relation de cause à effet: est-ce l'indiscipline qui entraîne des résultats scolaires médiocres (en termes d'apprentissage)? Ou est-ce les résultats médiocres qui entraînent par réaction l'indiscipline?
Peut-on à ce propos tirer une leçon du film lui-même et du personnage de Seydou? La réponse proposée par le film est manifeste: quand les résultats de Seydou s'améliorent (même en trichant), son comportement devient moins indiscipliné. Mais est-ce toujours le cas?
Enfin, la remarque d'un professeur à propos de la période hivernale suggère également que les conseils de discipline dépendent aussi de la fatigue et du stress accumulés des enseignants.
François utilise le mot «moral» dans un sens relativement ancien: on parlerait plutôt aujourd'hui d'un effet psychologique. Dans ce sens ancien, un accent est mis cependant sur la nature «morale» de l'individu, sur sa capacité à se conduire correctement selon des règles morales. Le langage est sans doute un peu désuet (et fait donc sourire les spectateurs), mais le propos est-il faux ou absurde? Analysons la situation.
Deux élèves se disputent et en viennent aux mains. En soi, la situation est peu grave puisque les enseignants y mettent rapidement fin, mais ces gestes violents peuvent-ils avoir un impact psychologique plus profond comme le suggère François? Il est en effet possible que le recours à la violence dans des querelles sans grande importance se transforme en une forme d'habitude et soit perçu par les uns et les autres comme un mode «normal» de résolution des conflits ou de réponse à la frustration. Les autres enseignants veulent seulement que cesse la querelle; François insiste quant à lui sur les conséquences possibles en terme d'attitude générale à l'égard de la violence de ce comportement précis.
Les autres analyses des séquences de 11 à 35 du film sont disponibles dans le dossier imprimé.