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Extrait du dossier pédagogique
réalisé par Les Grignoux et consacré au film
I Am Not Your Negro
de Raoul Peck
États-Unis/Suisse/France/Belgique, 2017, 1h34

Dans ce documentaire intitulé significativement I Am Not Your Negro, Raoul Peck retrace, à travers notamment des archives rarement vues le combat des Noirs américains et de ses grands leaders, Martin Luther King, bien sûr, Malcolm X, Medgar Evers, tous les trois assassinés, mais également de milliers d'autres militants pour les droits civiques.

Ce dossier pédagogique consacré à I Am Not Your Negro souhaite revenir sur les événements, les personnages, le système politique évoqués dans ce documentaire. On interrogera également l'actualité de ce film dont certaines images sont tirées d'une actualité récente et dramatique. Enfin, on s'interrogera sur les intentions de James Baldwin, l'auteur du texte récité en voix off, ainsi que sur celles du réalisateur, Raoul Peck, qui a choisi de lui redonner la parole trente ans après sa mort.

Après la projection

La vision du film I Am Not Your Negro suscitera sans doute certaines questions chez la majorité des spectateurs, questions qui dépendront des connaissances notamment historiques de chacun1. L'on suggère donc de lancer la discussion à partir de personnages et événements cités dans le film mais qui ne sont peut-être pas connus de certains spectateurs. Par exemple:

  • Qui est James Baldwin? Est-il encore vivant? [1]
  • Qu'est-ce que la ségrégation raciale aux États-Unis? Quand s'est-elle mise en place? Quand a-t-elle été abolie? [2]
  • Qui soutenait la ségrégation raciale? Qui y était opposé? Existait-elle partout aux États-Unis? [3]
  • Les mêmes personnes seront-elles considérées comme Noires aux États-Unis et en Europe? Comment comprenez-vous la scène du film Images de la vie (Imitation of life, John Stahl, 1934) où une jeune fille en classe se cache derrière un livre pour que sa mère noire ne la voie pas? [4]
  • Y a-t-il encore une ségrégation raciale aux États-Unis? [5]
  • Qui sont Martin Luther King, Malcolm X, Medgar Evers? [6]
  • Qui est Bobby Kennedy? [7]
  • Qui sont les Black Muslims? [8]
  • Qui est Lorraine Hansberry? [9]
  • Qui est Dorothy Counts, cette jeune fille de quinze ans à peine, «que la foule injuriait et sur laquelle elle crachait »? Et pourquoi lui crachait-on dessus? [10]
  • Qui est Joan Crawford? Doris Day? Gary Cooper? John Wayne? [11]
  • De quel film est tiré l'extrait où l'on voit des cow-boys sur une diligence tirer sur des Indiens qui les pourchassent? [12]
  • Qui est J. Edgar Hoover qui a rédigé un rapport du FBI sur James Baldwin? [13]
  • Qui est Raoul Peck, le réalisateur du documentaire I Am Not Your Negro ? [14]

Les participants pourront rechercher les réponses à ces questions sur Internet, mais il ne s'agira pas de répondre de façon complète aux questions posées mais surtout de comprendre pourquoi ces personnages ou ces événements sont évoqués dans le film de Raoul Peck: que dit par exemple James Baldwin de John Wayne? Que représente-t-il pour lui? Comment le perçoit-il et pourquoi le perçoit-il différemment des Blancs américains? La biographie complète de John Wayne, telle qu'on la trouve par exemple sur Wikipedia, importe évidemment assez peu, et ce qui est en cause c'est ce que cet acteur a représenté pour l'Amérique blanche.

Dans cette perspective d'analyse, on trouvera dans les encadrés qui suivent des éléments de réponse aux questions posées: le numéro entre crochets après chaque question renvoie au numéro de l'encadré correspondant. Ces textes pourront être utilisés par l'enseignant ou l'animateur ou bien être soumis directement aux jeunes spectateurs si la recherche sur Internet se révèle trop fastidieuse.

1. James Baldwin (1924-1987)

Né en 1924 à Harlem (à New York aux États-Unis), James Baldwin est un écrivain afro-américain issu d'un milieu social très défavorisé. Il commence très tôt à 17 ans son apprentissage littéraire en écrivant notamment pour des revues, mais il quitte bientôt les États-Unis à cause notamment des discriminations raciales, et il s'établit en Europe. C'est en Suisse qu'il terminera son premier roman, La Conversion (Go Tell It on the Mountain), partiellement autobiographique qui paraîtra en 1953 et qui le fera connaître. Il vivra ensuite la plus grande partie de son existence en France, en particulier à Saint-Paul-de-Vence. Il écrira de nombreux textes littéraires, pièces de théâtre, romans, nouvelles et essais. Ceux-ci traitent notamment de la condition des Afro-Américains au 20e siècle, décrivant les multiples discriminations dont ils sont victimes mais également la dimension psychologique de ce racisme institutionnalisé, notamment l'intériorisation de ces préjugés aussi bien par les Noirs que par les Blancs. James Baldwin était homosexuel, et cet aspect est également évoqué dans son œuvre qui aborde les effets de cette double discrimination.

I Am Not Your Negro est au départ un texte inédit de James Baldwin mort en France en 1987. Comme il le dit au début de ce texte, il s'agissait pour lui de revenir «chez moi», tout en sachant que, durant son exil,«rien d'américain» ne lui avait manqué… On peut donc dire que le regard de James Baldwin est distant — il a parcouru le monde, il connaît notamment la littérature et la philosophie européennes, il a fréquenté des personnalités comme l'écrivaine Marguerite Yourcenar (qui traduira une de ses pièces) ou le chanteur Yves Montand… — mais également engagé:ce fut bien sûr un défenseur de la cause des Afro-Américains, un critique acerbe du racisme régnant aux États-Unis et un analyste très fin des préjugés dont les Blancs étaient pétris.

2. La ségrégation raciale aux États-Unis

Dans les années 1950 et 1960, la ségrégation raciale avait aux États-Unis un sens très précis. Un peu d'histoire est nécessaire.

La guerre de Sécession (1861-1865) a mis fin à l'esclavage dans les États du Sud. Les esclaves étaient libérés, ils accédaient à la citoyenneté américaine: en 1876, pour la première fois, un Noir était élu à la Chambre des Représentants du Congrès. Mais cette émancipation allait être de courte durée. D'abord parce que les anciens esclaves ne possédaient rien: ils furent ainsi obligés le plus souvent de se mettre au service des Blancs (qu'il s'agisse de leurs anciens maîtres ou des nouveaux propriétaires qui avaient profité des troubles de la guerre pour acheter de grandes plantations) comme domestiques ou comme métayers (c'est-à-dire qu'ils louaient de petits lopins de terre à un prix variant selon l'importance de la récolte). Économiquement, les Noirs étaient ainsi retombés sous le pouvoir des Blancs.

Mais surtout, il y eut dans le Sud un violent mouvement de réaction visant à déposséder les Noirs de leurs droits civiques. Par la force, par l'intimidation, on empêcha les Noirs d'exercer leur droit de vote: le Ku-Klux-Klan en particulier, une organisation raciste fondée juste après la fin de la guerre de Sécession, se chargea, par ses violences (lynchages, maisons incendiées) d'intimider ou de terroriser les Noirs. C'est ainsi que le nombre d'électeurs noirs tomba par exemple en Louisiane en quinze ans de 130.000 à 50.000.

D'autre part, chaque État pouvait mettre certaines conditions à l'exercice du droit de vote comme des conditions de résidence, ou une taxe électorale (ou «poll-tax» qui excluait les plus pauvres) ou encore des examens de «qualification» (destinés à juger si l'individu avait les capacités intellectuelles de remplir son devoir d'électeur). Il s'agissait chaque fois d'un artifice destiné à déposséder légalement les Noirs du droit de vote. En 1900, les électeurs noirs ne se comptaient plus que par quelques milliers dans chaque État du Sud, alors qu'ils étaient des centaines de milliers au lendemain de la guerre de Sécession.

Enfin, à l'exclusion politique et à la domination économique, s'ajouta la ségrégation raciale: dans la plupart des États du Sud, on appliqua des mesures destinées à empêcher tout contact entre les Noirs et les Blancs. «À l'imitation du Tennessee, tout mariage entre gens de races différentes fut interdit dans les États du Sud et les relations sexuelles relevèrent de peines diverses. Noirs et Blancs furent séparés dans les gares, les embarcadères, les chemins de fer et tous moyens de transport public. Suivit bientôt l'interdiction de toute cohabitation dans les lieux publics: hôtels, restaurants, théâtres, salons de coiffure, églises ou lieux de culte, cabines téléphoniques. Certains États allèrent jusqu'à interdire l'enterrement des morts de races différentes dans un même cimetière. Dans les villes, les Noirs ne purent se faire admettre dans des quartiers déjà habités par des Blancs et furent obligés de se loger loin de leur lieu de travail, dans des conditions très misérables. Enfin, partout, des lois d'États prescrivirent la séparation obligatoire des écoliers et rendirent nécessaire la construction d'un double système scolaire» (Claude Fohlen, Les Noirs aux États-Unis. P.U.F., 1975, p. 21-22).

Ces lois furent adoptées progressivement à la fin du 19e siècle. Elles reçurent en outre l'approbation de la Cour suprême des États-Unis qui a le pouvoir de juger de la conformité des lois de chaque État avec la Constitution: dans un arrêt de 1896 (appelé «Plessy contre Ferguson»), la Cour admit que ces lois visant à établir la ségrégation raciale n'étaient pas en contradiction avec le principe d'égalité dans la mesure où elles offraient à chaque groupe un développement «séparé mais égal». Il s'agissait là évidemment d'une fiction juridique destinée à masquer l'exclusion et l'injustice dont la communauté noire était l'objet. Cette doctrine de «l'égalité dans la séparation» qui donnait une base légale à la ségrégation ne fut revue (après de longs combats) qu'en 1954.

Les années 1950 et 60 furent marquées par la lutte des mouvements noirs contre la ségrégation raciale et pour la récupération des droits civiques (le droit de vote en particulier). Des activistes noirs, généralement venus du Nord, sillonnèrent les États du Sud, souvent au péril de leur vie, pour mobiliser les populations noires dans des mouvements de boycott et de résistance passive, entraînant des réactions brutales des partisans de la ségrégation. Mais plusieurs décisions de la Cour suprême des États-Unis ont mis fin progressivement, de 1954 à 1967, à la ségrégation raciale dans les États du Sud. Ce combat, auquel James Baldwin a participé notamment à travers ses écrits, n'a pas mis fin à toutes les discriminations, en particulier sociales et économiques, dont les Noirs sont victimes aux États-Unis.

3. Le combat contre la ségrégation

Les partisans de la ségrégation se trouvaient évidemment dans leur grande majorité parmi les Blancs des anciens États esclavagistes qui avaient mis en place cette politique de ségrégation. Beaucoup d'activistes noirs (mais également blancs) venaient des États du Nord où la ségrégation n'existait pas et où ils jouissaient d'une plus grande liberté de parole et d'action. Il faut savoir en effet que dans les années 1920 (juste après la Première Guerre mondiale à laquelle beaucoup de Noirs avaient participé comme soldats dans une armée américaine encore soumise à la ségrégation), les Blancs du Sud avaient fait régner la terreur parmi la population noire, provoquant le départ de centaines de milliers de Noirs vers le Nord: les lynchages de Noirs accusés d'avoir enfreint les lois de la ségrégation (ne serait-ce que d'aborder une jeune fille blanche) étaient alors fréquents et largement admis. On voit ainsi dans I Am Not Your Negro un extrait de film où un concierge noir est terrorisé à l'idée d'être accusé du meurtre d'une femme blanche.

Dans les années 1950 et 60, les Noirs du Sud avec leurs leaders vont néanmoins porter plainte de multiples façons contre les lois de la ségrégation notamment dans l'enseignement et pousser ainsi la Cour suprême des États-Unis à y mettre fin. Les arrêts de la Cour suprême à partir de 1954 vont contraindre les États du Sud à accepter des élèves noirs dans les écoles «blanches», ce qui suscitera les réactions indignées d'élèves blancs racistes, comme on le voit dans le film. C'est sous la protection de l'armée fédérale (de l'ensemble des États-Unis) que certains élèves noirs pourront entrer dans ces écoles. Mais le mouvement contre la ségrégation ne se limita pas à l'éducation et visa l'ensemble de ces lois. Une protestation célèbre intervint à Montgomery en Alabama. La ségrégation imposait aux Noirs de s'installer au fond des bus et même de céder leur place si un Blanc l'exigeait, ce que refusa de faire Rosa Parks en décembre 1955. Elle sera inculpée et condamnée à une amende. Mais un jeune pasteur alors inconnu, Martin Luther King, avec l'aide d'autres dirigeants de la communauté noire lance alors un mouvement de boycott des bus de Montgomery: les Noirs refuseront de prendre ces bus pendant 381 jours malgré les violences à l'égard notamment de Martin Luther King dont le domicile fut plastiqué. L'ampleur et le retentissement de ce mouvement amena la Cour suprême à décréter en novembre 1956 le caractère anticonstitutionnel de la ségrégation dans les transports.

Face aux activistes noirs, l'opinion publique «blanche» était elle-même divisée: si beaucoup de personnes dans le Sud soutenaient la ségrégation raciale, ce n'était pas le cas dans le Nord, généralement hostile à ces lois. Mais beaucoup — notamment parmi les hommes politiques — craignaient une confrontation et plaidaient pour une abolition progressive. C'est ce qui arriva effectivement avec les différentes décisions de la Cour suprême qui mirent fin en plusieurs étapes à la ségrégation. Mais ce sont les mouvements noirs qui, par leur activisme, révélèrent l'iniquité de ces lois et firent certainement basculer la majorité de l'opinion publique (dont celle des juges de la Cour) en faveur de leur abolition.

4. Être noir aux États-Unis

La manière dont les Noirs sont perçus aux États-Unis est sans doute légèrement différente de celle qui prévaut en Europe. Ici, la couleur de la peau est sans doute le critère essentiel pour désigner une personne comme noire ou au contraire comme blanche avec un large éventail de personnes dites métis entre ces deux catégories qui ne sont donc pas tranchées: nous sommes incapables de décider à partir de quel moment une personne à la peau foncée doit être considérée comme noire ou au contraire comme blanche, et cela n'a sans doute pour la plupart des Européens pas d'importance.

La situation est différente aux États-Unis à cause de l'histoire de l'esclavage: les enfants d'esclaves (en particulier des femmes esclaves enceintes du fait de leur maître blanc) étaient en effet considérés comme Noirs et esclaves. La règle dite «d'une seule goutte de sang» (One Drop Rule) signifiait que toute personne ayant un Noir parmi ses ancêtres était lui-même noir («nègre» selon la terminologie raciste de l'époque). Cette règle, qui fut même transformée en loi dans certains États au début du 20e siècle, a perduré pendant toute la période de la ségrégation dans le sud des États-Unis. Aujourd'hui, cette règle a évidemment été abolie mais elle est encore présente sous diverses formes dans les mentalités des uns et des autres: ainsi, certains militants antiracistes à la peau claire (qu'on considérerait en Europe comme blancs) se déclarent noirs parce qu'ils ont un ancêtre noir. Pour eux, il s'agit évidemment de transformer la «souillure», le stigmate, l'héritage de l'esclavage, en fierté, en revendication.

Dans le documentaire I Am Not Your Negro, on voit d'ailleurs un extrait du film Images de la vie (Imitation of life, John Stahl, 1934) où le regard des élèves blanches change complètement lorsqu'elles découvrent que leur condisciple à la peau claire a une mère noire: à leurs yeux, la petite fille n'est pas métisse ni même «blanche», elle est «noire»!

5. Une nouvelle ségrégation raciale?

Les principales lois fondant la ségrégation raciale aux États-Unis ont été jugées anticonstitutionnelles. Si les Noirs occupaient le bas de l'échelle sociale, on a vu progressivement se former à partir des années 1950 une classe moyenne noire. Et Barack Obama a été élu président en 2008 et réélu en 2012.

S'il serait absurde de dénier toute avancée de la communauté noire aux États-Unis, l'on sait aussi que l'égalité avec les Blancs est loin d'être parfaite, et que les Noirs sont victimes aujourd'hui encore de nombreuses discriminations. Sans prétendre à l'exhaustivité, on peut passer en revue quelques aspects de la situation des Noirs américains.

La première concerne leur position socioéconomique. De façon générale, leur position est inférieure à celle de la population blanche, et en 2015, on estime que les Afro-Américains constituaient 27% des Américains vivant en dessous du seuil de pauvreté alors qu'ils ne représentent que 13% de l'ensemble de la population. En 2011, plus de 13% des Noirs étaient au chômage contre 6,7% des Blancs. C'est une des conséquences de la désindustrialisation du nord des États-Unis où un grand nombre de Noirs (venus du Sud) avaient trouvé après la Seconde Guerre mondiale des emplois faiblement qualifiés notamment dans le secteur automobile ou de la construction. De nombreux autres indicateurs révèlent par ailleurs l'écart persistant au niveau social et économique entre les Noirs et les Blancs.

Ces différences entre les communautés se manifestent en particulier par une ségrégation dans l'espace : beaucoup de Noirs vivent dans des quartiers spécifiques, dans des ghettos, où les conditions de logement sont généralement médiocres sinon mauvaises. Les sociologues ont néanmoins constaté depuis le début des années 1990 une baisse de cette ségrégation géographique au profit d'une plus grande diversité ethnique (il faut d'ailleurs à ce propos prendre en considération les autres communautés notamment hispaniques et asiatiques de plus en plus importantes aux États-Unis). Mais lorsqu'on observe notamment les plus grandes villes, les ghettos noirs restent bien présents, et la ségrégation raciale y est encore forte, sinon en augmentation, comme à Los Angeles, Atlanta, Miami, Washington ou encore San Francisco.

Enfin, les Noirs restent victimes de nombreux préjugés qui se traduisent notamment par un accès à l'emploi plus difficile que pour les Blancs. Comme le dit de façon frappante l'universitaire William A. Darity Jr., les Noirs sont «les derniers à être embauchés dans une économie en bonne santé, et lorsqu'il y a un ralentissement, ils sont les premiers licenciés.» Mais c'est surtout dans les rapports avec la police et les autorités judiciaires que ces préjugés prennent une tournure dramatique. De nombreux faits divers ont ainsi révélé les multiples violences à l'égard des Noirs et les nombreux meurtres impunis de Noirs désarmés commis par des policiers. Cela a suscité des mouvements de protestation comme Black Lives Matter («Les Vies noires sont importantes») dont le film I Am Not Your Negro se fait l'écho, mais également plusieurs émeutes (notamment à Los Angeles en 1992 après l'acquittement des policiers qui avaient passé à tabac un automobiliste noir, Rodney King). De manière générale, les Noirs sont considérés, de façon consciente ou inconsciente, par les autorités judiciaires comme une population «dangereuse», ce qui explique pour une part, la sur-représentation des Noirs dans les prisons (où 40% des détenus sont noirs alors que les Noirs ne représentent que 13% de la population globale).

6. Martin Luther King, Malcolm X et Medgar Evers

Comme c'est dit dans le film I Am Not Your Negro, il s'agit de trois militants des Droits civiques et plus largement de la cause des Noirs aux États-Unis. Tous les trois sont morts assassinés dans des circonstances différentes.

Medgar Evers (1925-1963) est sans doute moins connu en Europe. Il était membre de la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People), une association de défense des droits civiques fondée en 1909. Il militera notamment contre la ségrégation à l'Université du Mississippi (l'État où il est né). Il luttera également pour le droit de vote des Noirs et leur inscription sur les listes électorales (qui leur était refusée par de multiples stratagèmes). Il sera assassiné par un militant raciste d'extrême droite qui sera d'abord libéré à l'issue de deux procès où les jurys seront composés uniquement de Blancs. Ce n'est qu'en 1994 qu'un nouveau procès condamnera le meurtrier à la prison à vie.

Martin Luther King Jr. (1929-1968) est une figure essentielle du mouvement pour les droits civiques, célèbre d'abord pour avoir lancé le boycott des bus de Montgomery en 1956 (voir le point 3 ci-dessus), récompensé plus tard par le prix Nobel de la paix en 1964 pour l'ensemble de ses actions non-violentes contre la ségrégation. C'était par ailleurs un très grand orateur prononçant entre autres un fameux discours en 1963 devant le Lincoln Memorial à Washington ponctué par les mots : «I have a dream» (à savoir «la promesse que chacun — oui, les Noirs tout autant que les Blancs — serait assuré de son droit inaliénable à la vie, à la liberté et à la quête du bonheur»). Il est assassiné à Memphis au Tennessee en avril 1968 par un militant raciste. Sa mort provoquera une vague d'émeutes raciales, même si le président Johnson déclare un jour de deuil national en son honneur, le premier pour un Noir américain.

Malcolm X (1925-1965) est une autre grande figure du mouvement afro-américain, même si sa figure est plus controversée comme on le perçoit bien à travers le film I Am Not Your Negro. Né sous le nom de Malcolm Little, il adopte le pseudonyme de Malcolm X pour souligner que son nom est celui d'un esclave, le X désignant l'absence de son véritable nom africain. Au début des années 1950, il se convertit à l'Islam et adhère à une organisation peu connue alors Nation of Islam. Orateur brillant, il développe un discours prônant la séparation physique et morale des Noirs, et il refuse l'idée d'une intégration, telle qu'elle est défendue par Martin Luther King, n'y voyant qu'une astuce des Blancs pour «endormir» les Noirs. Il tient également des propos très violents, voyant dans la stratégie non-violente une impasse et refusant de condamner la violence des opprimés, ce qui lui assure un large popularité auprès des jeunes Noirs des ghettos en révolte. Des tensions diverses apparaîtront cependant avec les autres responsables de Nation of Islam qu'il quittera en 1964 pour fonder sa propre organisation. Dès le début des années 1960, Malcolm X est sensible au mouvement des droits civiques qui est devenu un mouvement de masse: s'il ne partage pas ses méthodes, il estime que ce mouvement partage les mêmes objectifs fondamentaux que le nationalisme noir qu'il défend. Comme le souligne James Baldwin, les positions de Malcolm X et de Martin Luther King, au départ opposées, se sont progressivement rapprochées. Mais en février 1965, Malcolm X est assassiné dans des circonstances obscures par trois militants de Nation of Islam.

Les deux figures de Malcolm X et de Martin Luther King incarnent sans doute les principales contradictions dans lesquelles se trouvent les militants noirs aux États-Unis, à savoir: soit l'intégration en égalité avec les Blancs, soit une séparation défensive de la communauté noire; soit une action essentiellement pacifique susceptible d'obtenir le soutien de l'opinion publique blanche, soit des actions éventuellement violentes qui ne sont qu'une réponse à l'oppression et la violence des Blancs et qui révèlent l'hypocrisie de la société blanche qui n'accepte les Noirs que comme de dociles «Oncle Tom».

7. Bobby Kennedy

Il ne faut pas confondre Robert Kennedy (1925-1968) avec son frère John Kennedy, le président assassiné à Dallas en 1963. Lors de la présidence de son frère, il fut nommé Attorney General, c'est-à-dire ministre de la Justice. À ce moment, il a commencé à se montrer favorable à la reconnaissance des droits civiques des Noirs. Après l'assassinat de son frère, il quitte le gouvernement du président Lyndon Johnson, et il prend progressivement des positions plus à gauche («libérales» au sens américain du terme) en faveur des pauvres, de l'égalité, de la justice sociale, des droits civiques. Il critique également l'intervention américaine au Viêt-nam, commandée par le président Johnson. En 1968, il se lance dans la course présidentielle et essaie d'obtenir l'investiture du parti démocrate, mais le soir même de sa victoire aux primaires démocrates de Californie, il est assassiné par un Palestinien aux motifs obscurs, Sirhan Sirhan.

Le film I Am Not Your Negro fait allusion à la période où Bobby Kennedy était Attorney General, à peine âgé alors de 38 ans. James Baldwin et d'autres militants furent invités en mars 1963 à une rencontre avec Robert Kennedy: «Nous voulions qu'il demande à son frère, le président, d'escorter une petite fille noire le jour de son entrée dans une école du Sud profond». Il s'agissait évidemment de dénoncer la ségrégation raciale dans les États du sud qui empêchaient les élèves noirs d'accéder aux écoles «blanches». Mais Bobby Kennedy refusa d'accéder à cette demande et donna à l'ensemble de la délégation noire l'impression de ne pas comprendre la gravité du racisme aux États-Unis. La réunion fut donc perçue comme un échec même si plusieurs observateurs pensent qu'elle a provoqué un changement ultérieur d'attitudes chez Bobby Kennedy, devenu plus sensible à la cause des droits civiques. Un mois plus tard, son frère le président John Kennedy prononça un discours sur les droits civiques (Civil Rights Address) où il exposait les différents aspects économiques, sociaux, moraux, scolaires de la ségrégation raciale, et annonçait son intention de soumettre au Congrès une législation devant assurer un accès égal pour tous à la vie publique et à l'éducation (ce qui deviendra le Civil Rights Act de 1964).

8. Les Black Muslims

[Les commentaires sur ce point ne sont pas repris sur cette page web mais sont disponibles dans le dossier imprimé.]

9. Lorraine Hansberry

[Les commentaires sur ce point ne sont pas repris sur cette page web mais sont disponibles dans le dossier imprimé.]

10. Dorothy Counts

[Les commentaires sur ce point ne sont pas repris sur cette page web mais sont disponibles dans le dossier imprimé.]

11. Joan Crawford, Doris Day, Gary Cooper, John Wayne

[Les commentaires sur ce point ne sont pas repris sur cette page web mais sont disponibles dans le dossier imprimé.]

12. La Chevauchée fantastique

[Les commentaires sur ce point ne sont pas repris sur cette page web mais sont disponibles dans le dossier imprimé.]

13. J. Edgar Hoover

[Les commentaires sur ce point ne sont pas repris sur cette page web mais sont disponibles dans le dossier imprimé.]

14. Raoul Peck

Raoul Peck, le réalisateur de I Am Not Your Negro est un cinéaste, producteur et scénariste d'origine haïtienne. Né en 1953 à Port-au-Prince, il quitte le pays avec ses parents qui veulent fuir la dictature des Duvalier et s'installe au Congo avant d'étudier en Europe, en Allemagne notamment. Il a réalisé notamment en 1994 l'Homme sur les quais, une évocation de la dictature haïtienne des Duvalier, puis en 2000 Lumumba, une reconstitution de la brève carrière du leader indépendantiste congolais assassiné en 1960, et enfin le Jeune Karl Marx en 2017. Il a également été brièvement Ministre de la culture à Haïti de 1996 à 1997 pendant la transition démocratique, mais démissionnera (avec d'autres ministres) à cause de la dérive autoritaire de la présidence. On voit que son cinéma aborde des sujets multiples, tout en traduisant un fort engagement politique en faveur notamment de l'égalité raciale, de la démocratie et d'une plus grande justice sociale. En cela, le regard de Raoul Peck rejoint certainement celui de James Baldwin.


Raoul Peck à la Berlinale 2017
(photo de Maximilian Bühn).

 


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