Commande du dossier consacré au film : Chez nous - 4.80€
Le dossier pédagogique consacré au film Chez nous de Lucas Belvaux s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront ce film avec des élèves entre 15 et 18 ans ainsi qu'aux éducateurs en animation permanente. Il propose plusieurs animations à mettre en œuvre après la projection. Ces animations permettront entre autres aux participants de dégager le sens du film et d'affiner le point de vue du réalisateur sur la réalité qu'il décrit. Une analyse du scénario, et plus particulièrement de la manière dont il met en scène les mécanismes de la manipulation orchestrée par les représentants politiques d'extrême droite, et un exercice d'interprétation de détails – plans, éléments de mise en scène cinématographique, indices visuels, choix des appellations… – devraient permettre d'atteindre ces objectifs.
L'extrait reproduit ci-dessous s'intéresse plus particulièrement aux mécanismes de manipulation utliisés par le parti identitaire et que met en évidence Lucas Belvaux dans son film.
Une stratégie du leurre
Au centre de la fiction, le parcours de Pauline donne à Lucas Belvaux l'occasion d'exposer les mécanismes de manipulation mis en œuvre par le RNP, le parti identitaire d'Agnès Dorgelle, pour recruter de nouveaux électeurs. Dans l'animation qui suit, c'est cette thématique importante que nous souhaitons développer en invitant les participants à réfléchir à deux questions relatives, d'une part, à la manière dont le docteur Berthier s'y prend pour convaincre Pauline de rejoindre le RNP et aux raisons qui le poussent à la choisir elle plutôt qu'une autre personne, et d'autre part aux motivations qui poussent le parti à lisser son image et aux moyens qu'il déploie pour y arriver.
Concrètement
Divisons la classe ou le groupe en quatre petits groupes et confions à chacun d'entre eux un seul de ces deux aspects à traiter à partir de deux questions générales. Deux groupes réfléchiront ainsi à la même dimension du processus de manipulation, ce qui devrait permettre un échange ultérieur plus riche et constructif. Pour les deux dimensions questionnées, il s'agira d'activer tous souvenirs gardés du film afin de détailler le plus possible les mécanismes mis en œuvre par le RNP pour gagner du terrain à Hénart.
Le choix d'une candidate idéale
- Pourquoi le docteur Berthier choisit-il Pauline pour mener la liste du RNP aux élections municipales ?
- Comment s'y prend-il pour la convaincre d'accepter sa proposition ?
La fabrication d'une nouvelle image
- Pourquoi le RPN tient-il à lisser son image ?
- Comment s'y prend-il pour y arriver ?
Ouvrons ensuite une discussion en grand groupe pour permettre aux participants de confronter et éventuellement compléter les éléments identifiés en petits groupes et listons-les au tableau de façon structurée.
Commentaires
L'animation aura permis, on l'espère, de mettre en évidence une formidable imposture : celle d'un parti identitaire qui pare ses visées totalitaires d'atours démocratiques et détourne les valeurs républicaines au profit de son idéologie xénophobe.
Les commentaires développés ici sont présentés à titre illustratif et, en cela, ils ne constituent en rien un corrigé de l'exercice. L'enseignant/animateur pourra s'y référer pour aiguiller les participants en difficulté au cours de la phase de réflexion en petits groupes ou encore pour alimenter la phase suivante de partage des éléments identifiés. Enfin, ces commentaires pourront éventuellement être directement confrontés aux réponses apportées par les participants une fois que celles-ci auront été listées et structurées au tableau.
Les raisons et la stratégie du docteur Berthier
- Pauline est infirmière à domicile : à ce titre, elle est proche des gens et elle connaît bien leurs problèmes ; son rôle est de les aider dans leur quotidien et ses visites sont attendues ; d'emblée, elle bénéficie par conséquent d'un grand capital sympathie. La solitude et la pauvreté sont le lot de bien de ses patients.
- Pauline est une mère-courage : séparée depuis cinq ans, elle est seule à s'occuper de ses enfants et, en plus, de son père malade ; ses journées de travail sont longues et elle n'a plus de vie privée. De nombreuses scènes du film sont à cet égard très révélatrices, dont la plus significative arrive dès le début du film, quand elle découvre le cadavre de Madame Vermersch. Les nombreux coups de téléphone qu'elle donne alors au cours de cette scène révèlent en effet d'emblée une jeune femme très seule, prise dans de nombreuses contraintes d'ordre professionnel mais aussi privé (ainsi conduire les enfants à l'école). Plus tard, nous la verrons prendre son repas dans la voiture, entre deux visites, s'occuper de son père en fin de journée (préparer ses repas, faire son linge…), accompagner ses enfants dans leurs activités du week-end… Son grand dévouement et sa propension au sacrifice suscitent ainsi facilement l'empathie chez des gens qui se trouvent eux-mêmes confrontés à des difficultés d'ordre divers.
- Pauline est une fille du cru : comme les habitants de Hénart, elle souffre du déclin socioéconomique de sa région et sait de quoi elle parle. Plus précisément, son père est malade de l'amiante et victime de la désindustrialisation de la région. Elle-même vit chichement et est obligée de travailler dur pour subvenir aux besoins de ses deux enfants…
- Pauline est pleine de désillusions : elle ne croit plus ni au changement ni aux promesses des partis politiques, comme elle le confie au docteur Berthier lors de la soirée qu'ils passent ensemble chez lui.
- Pauline est une jeune femme imprégnée d'idées toutes faites : sans conviction politique, elle est facilement perméable aux arguments populistes. Ainsi, par exemple, lorsqu'elle discute avec Stanko après leur soirée passée au restaurant, elle souligne que la plupart des commerces ont fermé « à part les Arabes du coin », terminant sur un « Y a plus que ça partout ! ».
- Pauline est une jeune femme conciliante et malléable : Elle a ainsi tendance à rester « à sa place », à faire ce que l'on attend d'elle, comme se teindre les cheveux en blond par exemple. Elle n'oppose en effet aucune résistance alors que manifestement, ça ne lui plaît pas. Comme le souligne le docteur Berthier lorsqu'il soumet le choix de la candidate à Agnès Dorgelle, Pauline « écoute », induisant l'idée qu'elle n'opposera pas de résistance.
- Pauline est une jeune femme qui se sent redevable : accepter la proposition du docteur Berthier revient en quelque sorte à apurer la dette morale qu'elle estime avoir envers lui, qui a beaucoup soutenu sa famille lorsque sa mère était en fin de vie.
La stratégie que le médecin met en place pour convaincre cette candidate idéale repose ensuite sur la création d'une forte empathie fondée sur une identité supposée de point de vue, sur la flagornerie et la promesse d'une vie meilleure :
- Le docteur Berthier renforce toutes les désillusions politiques de Pauline en les faisant siennes : elle et lui sont pareils et bien d'accord : les choses doivent changer ! Fini de s'en mettre plein les poches…
- Il flatte la manière dont elle s'en est sortie malgré une situation familiale difficile : elle s'est faite toute seule et ce qu'elle est, elle ne le doit qu'à elle-même : c'est une self made woman, déterminée et courageuse.
- Il souligne et met en valeur ce qui la différencie des autres hommes et femmes politiques : elle connaît les gens et leurs problèmes. Elle, au moins, a une vraie expertise et une bonne expérience de terrain. En plus, elle est honnête et idéaliste. La France a besoin de gens comme elle !
- Il lui fait miroiter l'espoir d'une nouvelle vie pour elle-même et ses enfants, meilleure, moins éreintante, plus confortable…
Dédiaboliser pour conquérir un nouvel électorat
Dans Chez nous, le personnage du père d'Agnès Dorgelle, qu'on ne voit pas dans le film, incarne le Bloc et, à travers lui, l'ancienne image de l'extrême droite française, celle qui prévalait encore quelques années plus tôt, du temps où elle était ouvertement liée au néonazisme et à tout ce que ce mouvement représente en termes de haine raciale, de violences de toutes sortes et en particulier physiques, de criminalité diverse, de négationnisme ou de banalisation de la Shoah.
Afin d'élargir son électorat, il est devenu nécessaire à un moment donné pour l'extrême droite politique de prendre ses distances avec tous ces milieux radicaux aux propos et aux actes extrêmement choquants. S'est alors enclenché un processus de «?dédiabolisation?» qui s'est construit progressivement autour d'une image lissée beaucoup plus fédératrice et désormais incarnée dans le film par sa fille, Agnès Dorgelle.
Il n'est pas difficile de reconnaître dans ces personnages fictifs les deux grandes figures du Front National français : Jean-Marie Le Pen, écarté du Parti en raison de ses nombreux propos ouvertement racistes, haineux, révisionnistes…, et sa fille Marine, qui séduit aujourd'hui un nombre croissant d'électeurs en prétendant défendre les grandes valeurs républicaines.
Dans Chez nous, le processus de fabrication d'une nouvelle image, plus lisse, plus acceptable, plus consensuelle, est rendu visible à travers la relation triangulaire qui s'établit entre Pauline, Stanko et le docteur Berthier :
- Lors du repas organisé en l'honneur de Pauline par le docteur Berthier, l'une des premières choses que celui-ci avance pour la rassurer et la convaincre de figurer sur la liste menée par Agnès Dorgelle est que celle-ci a pris ses distances vis-à-vis du Bloc en fondant un nouveau parti : le Rassemblement National Populaire qui, comme son nom l'indique, se veut proche du peuple.
- La relation amoureuse entre Pauline et Stanko, militant du Bloc et membre de « Solidarité flamande » – mouvement néonazi agissant dans la clandestinité – est par ailleurs l'occasion d'observer la volonté chez Agnès Dorgelle et ses acolytes de maintenir à tout prix cette distance par l'exclusion des figures violentes et la rupture définitive entre les deux partis, n'hésitant pas pour cela à recourir à des méthodes illégales telles que la surveillance étroite de ses membres, le chantage, l'intimidation, la menace… comme l'indiquent les nombreuses pressions exercées sur Stanko afin qu'il mette un terme à sa relation avec Pauline.
- Parallèlement à ce souci de rendre hermétique la frontière entre les deux tendances, on remarque d'autre part que les candidats du RNP n'hésitent pas à s'approprier les valeurs démocratiques au nom de la « révolution nationale ». C'est clairement cette revendication qu'exprime Agnès lorsqu'elle propose à Pauline de mener la liste du RNP à sa place : « Toi et moi, on a les mêmes idéaux : la liberté, la justice sociale… Il faut tout reconstruire ! », lui dit-elle.
- On retiendra encore le soin accordé à l'apparence physique des candidats – contraints au sourire en permanence et parfois amenés, comme Pauline, à transformer leur look pour correspondre à des critères de séduction purement « aryens » (par exemple, se teindre les cheveux en blond) – ainsi qu'au vocabulaire employé dans leur discours de campagne : surtout ne pas utiliser de termes racistes comme « bougnoule », « ratons », « bamboulas »… et lui préférer, par exemple, un mot comme « racaille », dépourvu de coloration raciste mais qui fait que néanmoins « tout le monde sait de qui on parle ! » , ne pas commenter les propos racistes tenus par les sympathisants (« on n'est pas là pour faire de la morale ! »)…