Extrait du dossier pédagogique
réalisé par Les Grignoux et consacré au film
Le Voyage de Fanny
de Lola Doillon
France, 2015, 1h35
Ce dossier pédagogique consacré au film Le Voyage de Fanny s'adresse aux enseignants du primaire qui verront ce film avec leurs élèves entre 9 et 12 ans environ. Il propose plusieurs pistes de réflexion autour de ses thèmes principaux.
L'extrait ci-dessous revient plus particulièrement sur les motivations des personnages qui méritent certainement une éclaircissement auprès des jeunes spectateurs.
Essayer de comprendre les motivations qui poussent l'autre à agir revient à développer des capacités d'empathie, autrement dit à se décentrer de soi-même pour se mettre à la place d'un tiers, que celui-ci soit une personne réelle ou un personnage de fiction comme c'est le cas ici. En ce qu'elle suppose une attention à l'autre, il s'agit en réalité d'une compétence essentielle susceptible d'enrichir la vie sociale en permettant entre autres d'atténuer les jugements de valeur hâtifs au profit d'une attitude de tolérance et de respect. Bien que l'enfant développe de l'empathie dès son plus jeune âge, celle-ci doit être testée, encouragée et travaillée régulièrement tout au long du parcours scolaire. Réfléchir ici aux motivations souvent non verbalisées des personnages du Voyage de Fanny nous paraît dès lors être un bon exercice pour amener les enfants à développer cette compétence.
D'un point de vue pratique, il s'agira pour les enfants de répondre en petits groupes aux questions présentées dans l'encadré pages 14 et 15. Afin d'élargir au maximum le champ de leur réflexion, chacune de ces questions est assortie de deux ou trois réponses plausibles, même si toutes n'ont évidemment pas la même pertinence.
En fonction du niveau de la classe et de l'intérêt manifesté par les élèves pour l'activité, l'enseignant y consacrera plus ou moins de temps, répartira les questions selon le nombre de groupes constitués, ou en sélectionnera seulement un nombre limité.
Quelques questions autour des motivations des personnagesRéfléchissez aux questions suivantes.
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Les commentaires développés ci-dessous pourront servir à alimenter la discussion qui suivra la réflexion menée en petits groupes. Ils proposent des interprétations qui comportent forcément une part de subjectivité plus ou moins importante même si, en fonction des éléments du film à l'appui de l'une ou l'autre hypothèse, il s'en trouve bien entendu certaines objectivement plus pertinentes que d'autres. Ces commentaires sont par conséquent proposés à titre purement illustratif et, en aucun cas, ils ne constituent un corrigé de l'exercice. On évitera donc de les livrer tels quels aux élèves.
De manière générale, on aura peut-être observé que certaines questions demandent de leur part un effort cognitif plus important, ceci dans la mesure où leur courte expérience de la vie ne leur a sans doute pas encore permis d'être confrontés à des événements aussi dramatiques, où l'instinct de survie peut pousser l'individu à adopter des comportements qu'il n'aurait pas en temps ordinaire, que ce soit pour se protéger lui-même (Élie, qui abandonne les enfants et s'enfuit à la vue des soldats allemands, ou encore la maman du bébé arrêtée en même temps qu'eux et qui les dénonce) ou protéger des tiers (Madame Forman, qui se montre en apparence très dure à l'égard de Georgette et puis de Fanny). Dans ces cas en effet, il est naturel que l'empathie des élèves aille spontanément vers les enfants qui en sont - ou estiment en être - victimes et qui leur sont proches par l'âge.
Un appareil photo sert évidemment à prendre des photos. Or, dans le contexte du film, cet objet devenu inutilisable - il n'y a plus de film à l'intérieur - joue un tout autre rôle. On observe que c'est toujours le soir, après le coucher, qu'elle s'en empare pour regarder à travers l'objectif. Ce sont alors d'autres images que celles qui devraient apparaître dans le viseur que nous, spectateurs du film, voyons à l'écran. Toutes ces images concernent l'époque où Fanny et ses sœurs vivaient encore avec leurs parents. Ces souvenirs heureux, extrêmement importants pour elle, sont sans doute en train de s'estomper en partie et les « fixer » de cette façon dans sa mémoire à un moment où il est possible pour elle de s'isoler du monde extérieur représente symboliquement un moyen de pérenniser ou de revivre ces instants de bonheur comme le feraient de véritables photographies. C'est ainsi par l'intermédiaire de cet objet que nous accédons à la vie intérieure de la jeune adolescente, aux émotions qu'elle éprouve comme la nostalgie d'une période heureuse, la douleur de la séparation d'avec ses parents, sa solitude d'enfant
Avec Georgette, Jacques est le plus petit du groupe d'enfants. À ce titre, il comprend mal pourquoi le jeune homme qui les accompagne leur demande d'ignorer le prêtre. Même si les deux réponses peuvent trouver une justification, la seconde a probablement plus de pertinence : étant donné qu'ils vivent à la campagne, les enfants connaissent immanquablement cet homme d'Église respectable qu'ils côtoient sans doute et, si les plus grands comprennent certainement que c'est à lui qu'ils doivent leur départ précipité, Jacques, lui, ne peut en arriver à une telle déduction. On peut donc estimer que, de manière très indirecte, la réalisatrice met ici l'accent sur le caractère lâche des collaborateurs tels que ce prêtre au-dessus de tous soupçons qui, sous des apparences bienveillantes et hypocrites, n'a pas hésité à mettre en danger la vie d'enfants en dénonçant leur présence au château.
À première vue, il est vrai que Madame Forman est un personnage dur, qui ne se laisse pas facilement émouvoir. Or, si elle agit avec beaucoup de poigne et une grande froideur apparente, cela ne signifie pas pour autant qu'elle soit une mauvaise femme, bien au contraire. En effet, c'est fondamentalement cette capacité à agir et réagir sans donner prise aux affects qui lui permettra de rester lucide, de faire les bons choix et de prendre les bonnes décisions pour les enfants. Le fait que l'on puisse se méprendre sur ses intentions provient précisément du fait que les situations sont montrées à travers le regard de Fanny, une jeune adolescente qui ne comprend pas de telles motivations (la nécessité d'endurcir les enfants et de les amener à être autonomes, l'importance de la décharger elle-même de responsabilités qui ne sont pas de son âge) et interprète les décisions de Madame Forman comme autant de punitions.
Récemment arrivé au château, Victor compte parmi les enfants les plus âgés du groupe. Souvent en retrait, il semble avoir un caractère plutôt renfermé et solitaire, mais ce simple trait de personnalité ne permet pas d'expliquer son attitude à table lors de la prière. Issu d'une riche famille, comme nous l'apprendra plus tard la grosse somme d'argent qu'il met à la disposition du groupe pour payer un passeur, il se démarque donc plus par une origine sociale aisée que par une éventuelle dissidence politique de ses parents, d'autant plus qu'il est pris en charge par un réseau de l'OSE (uvre de Secours aux Enfants), une association destinée à venir en aide aux enfants juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans ce contexte, la troisième interprétation paraît donc la plus valide. Un détail du film vient d'ailleurs à l'appui de cette hypothèse : lors d'une soirée passée à la ferme de Jean, qui a recueilli les enfants après que les plus jeunes se sont rendus malades en mangeant des baies rouges non comestibles, Victor s'empare en douce de l'appareil photographique de Fanny et se met lui aussi à revivre des souvenirs. La courte scène que nous voyons alors se passe manifestement dans une Église et on peut imaginer que les adultes en train de faire leurs adieux à un tout jeune enfant qu'ils s'apprêtent à laisser là-bas sont en réalité ses parents. Vu la récente arrivée de Victor au château, on peut encore imaginer que, pendant plusieurs années, il a grandi dans un environnement catholique très pratiquant qui l'aura irrémédiablement éloigné de sa religion.
D'emblée, lorsque Diane et Rachel rejoignent le petit groupe en route pour la Suisse, Rachel déclare que Diane est sa sœur et qu'elle est muette. De fait, la jeune fille ne dira pas un mot pendant tout le voyage, mais lorsque le train s'arrête en gare d'Annecy suite au dynamitage d'un pont et que Fanny décide de ne pas rejoindre Lyon avec les autres, Diane manifeste la volonté de rester avec elle, ce que Fanny ne souhaite pas. Afin d'expliquer les raisons de son choix, elle n'a d'autre possibilité que de se mettre à parler. Elle lui confie alors son histoire : en réalité, elle n'est pas muette et Rachel n'est pas sa sœur : c'est une fillette qu'elle a prise en charge suite à l'arrestation de ses parents, qui a précisément eu lieu à Lyon. À ce moment, nous, spectateurs du film, remarquons qu'elle parle le français avec un fort accent, ce qui ne passerait évidemment pas inaperçu aux policiers français collaborant avec les Allemands. Dès qu'elle s'exprime, Diane représente donc un danger pour tous les enfants, à qui Madame Forman recommande d'ailleurs de ne jamais s'exprimer autrement qu'en français. Il faut en effet savoir ici qu'en raison de la persécution des Juifs en Allemagne, entamée bien avant la guerre, de nombreuses familles s'étaient réfugiées en France et y vivaient depuis plus ou moins longtemps. Parler français avec un accent étranger a fortiori un accent allemand, représentait donc à l'époque le signe d'une probable identité juive. C'est pour cette raison que, finalement, Fanny accepte que Diane et Rachel les accompagnent, à la condition expresse que Diane garde le silence et continue de se comporter comme une muette.
La mission confiée à Élie consiste précisément à accompagner les enfants en Suisse. En se débinant à la vue des soldats allemands sur le quai de la gare, il fait donc preuve d'un manque de courage qui l'amène à trahir ses engagements et à adopter une conduite égoïste : sauver sa peau à tout prix sans se préoccuper du sort évident qui attend les enfants. Lâcheté et instinct de survie semblent donc ici prendre le pas sur le devoir moral, ce qui indique bien que le jeune homme n'est pas prêt à rejoindre le maquis comme il en avait exprimé le souhait quelque temps plus tôt. À peine plus âgé que Fanny, c'est encore un adolescent fragile et sans beaucoup d'expérience. Son comportement, même s'il paraît ignoble à première vue, est en réalité profondément humain. Et d'ailleurs, lorsque Madame Forman rejoint les enfants sur le train et apprend qu'il s'est sauvé, elle n'a à son égard aucune parole dure ou de reproche, s'inquiétant seulement du destin qui l'attend et qu'elle devine immédiatement : une arrestation, qui surviendra à peine quelques heures plus tard.
Élie sait combien le voyage que Fanny s'apprête à faire seule avec les enfants est périlleux. Sans doute se sent-il coupable de les avoir ainsi abandonnés et livrés à leur sort, qui plus est dans des circonstances aussi dramatiques et dangereuses. Tous risquent en effet leur vie et les obstacles qu'ils rencontreront, alliés à la difficulté d'avancer incognito, en se cachant en permanence, pourraient très bien avoir raison de leur courage et de leur ténacité. En remettant à Fanny une lettre à porter à un destinataire dont l'adresse se trouve soi-disant à l'intérieur du courrier, Élie sait que la jeune adolescente considérera la promesse qu'elle lui a faite comme un devoir moral, engagement qui devrait l'aider à tout faire pour atteindre la Suisse quoi qu'il arrive. En quelque sorte c'est, à travers ce courrier vide, sa manière à lui, maintenant prisonnier et incapable de revenir en arrière, d'accomplir la mission d'accompagnement des enfants qui lui avait été confiée.
L'interprétation selon laquelle Victor - qui en veut terriblement à Élie de les avoir abandonnés - aurait pu subtiliser la véritable lettre pour la remplacer par une feuille blanche et éviter ainsi au groupe de faire un détour, est par contre peu valide dans la mesure où, à la toute fin du film, le pouvoir octroyé à ce bout de papier de tirer les enfants vers l'avant se concrétise magiquement dans le no man's land, lorsque la feuille blanche commence à se déplacer seule devant le petit groupe, comme l'aurait fait une véritable personne chargée d'encourager et de guider les enfants, puis disparaît dans le ciel une fois ceux-ci à l'abri.
L'explication que Madame Forman donne elle-même à Fanny, un peu interloquée par cette recommandation, est qu'elle doit à tout prix éviter de communiquer sa peur aux autres enfants. En tant que leader du groupe, elle se doit de les protéger et d'adopter un comportement rassurant, et cela en dépit de ses propres émotions. C'est de sa conduite en effet que dépendent les réactions des autres et donc la réussite de leur expédition clandestine. Quant à la seconde explication, elle prolonge en quelque sorte la première tout en mettant l'accent moins sur la nécessité de protéger les enfants que sur les effets d'une posture. Dans le contexte de la traque des Juifs et le climat de terreur que cette traque instaure au sein de la population concernée, il est en effet indispensable pour survivre de contrôler sa peur en affichant l'attitude la plus décontractée possible. Afficher cette peur en adoptant une posture qui en est révélatrice - raser les murs, courber le dos, afficher un regard terrifié, presser le pas ou se mettre à courir, à pleurer - ne peut qu'attirer l'attention et revient en quelque sorte, dans un tel contexte, à trahir son identité.
Au premier abord, la mère du bébé arrêtée avec sa famille en même temps que Fanny et ses compagnons de fortune présente toutes les apparences d'une dame gentille et bienveillante. L'on apprend en effet au moment où les enfants montent dans le camion du passeur que c'est elle qui a donné la poupée à Georgette quelque temps plus tôt, lorsque la petite fille, perdue dans la gare d'Annecy, cherchait à retrouver le groupe. Lorsque les policiers demandent à Victor de baisser son pantalon afin de vérifier s'il est ou non circoncis, on a donc tout lieu de penser à ce moment-là qu'elle intervient pour implorer un peu de compassion à l'égard des enfants, mais l'on se rend rapidement compte que, contrairement à toute attente, elle les a dénoncés. Comme Georgette, qui cherche une raison pour expliquer cette attitude inattendue et se demande si c'est parce que Fanny a décidé de jeter la poupée qu'elle lui avait offerte - alors que, précisément, elle n'est même pas au courant -, nous avons bien du mal à comprendre pourquoi cette personne agit de cette manière alors qu'elle-même est juive, comme eux. On ne peut par conséquent interpréter ce comportement individualiste que comme une manière de chercher auprès des policiers un traitement de faveur qui leur permettrait, à elle-même et à sa famille, d'échapper au pire. Il faut donc une bonne dose d'empathie pour comprendre les motivations profondes d'une telle conduite, qu'elle n'aurait très certainement jamais adoptée en temps normal.
Les trois réponses sont ici valides et se recoupent en partie. Fanny a bien sûr envie de gagner la Suisse le plus rapidement possible et l'on peut estimer que le couvent se trouve en plein « terrain ennemi », ce qui renforce sa volonté de quitter au plus vite le village. Néanmoins, l'on peut s'étonner de tant de précipitation étant donné que le groupe d'enfants a maintenant trouvé un refuge sûr, où ils sont cachés, nourris et logés. Il faut en réalité remonter au début du film pour pouvoir justifier la troisième explication, plus précisément au moment où tous les enfants doivent quitter précipitamment le château qui les héberge clandestinement, suite à la dénonciation d'un prêtre. Il serait en effet normal que Fanny se méfie maintenant des gens d'Église, comme ici des sœurs qui les ont accueillis au couvent, et il est tout à fait plausible que sa fuite précipitée s'explique au moins en partie par cette perte de confiance.
À première vue, il peut paraître surprenant que Fanny incite les enfants à chanter à tue-tête dans les rues du village où ils ont été arrêtés alors qu'on attendrait plutôt d'eux, en pareilles circonstances, un comportement effacé et discret, moins susceptible d'attirer les regards. Il faut encore revenir légèrement en arrière pour comprendre le comportement de Fanny. Quelques instants plus tôt en effet, ils avaient croisé un groupe d'enfants qui traversaient le village d'un pas décidé et en chantant à l'unisson. Cette attitude n'avait alors attiré l'attention de personne, ce qui laissait apparaître qu'il s'agissait d'une pratique plutôt normale et habituelle. Les imiter semblait donc un bon moyen de passer inaperçus tout en se donnant une contenance et de masquer leur peur à l'approche des villageois qu'ils s'apprêtent à croiser. Dans un tel contexte, le choix de la chanson a évidemment aussi son importance : mieux vaut entonner « Frère Jacques », une comptine issue de la tradition catholique particulièrement connue - le mot « Frère » désigne une personne appartenant à un ordre religieux et, dans la liturgie, les « matines » sont la première partie de l'office qui se dit au point du jour - que Tumbalalaïka, chanson emblématique tirée du folklore juif et transmise de génération en génération, que l'on entendra à plusieurs reprises dans le film[2].
1. Plus tard, lorsque les enfants sont arrêtés et enfermés dans une salle de classe, Victor se met à réciter en latin l'Ave Maria - une prière catholique adressée à la Vierge Marie -, ce qui le fait passer pour un traître et provoque la colère de Fanny. Pendant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux enfants juifs ont été effectivement placés dans des institutions ou familles catholiques qui se sont employées à les convertir. Une telle situation posera d'ailleurs problème à la fin du conflit, lorsqu'il s'agira de rendre ces enfants à leurs familles. En effet même si, en raison de réactions individuelles spontanées, une partie des enfants convertis retrouvent leur place au sein de leur milieu d'origine, d'autres, en revanche, sont retenus par leurs familles d'accueil, encouragées en cela par l'Église catholique elle-même, qui prend officiellement position dans une note de nonciature datée du 23 octobre 1946 recommandant de ne pas restituer ces enfants convertis et baptisés, même à leurs propres parents.
2. Les enfants commencent à en fredonner l'air un peu plus tard, lorsqu'ils sont loin du village et perdus dans la campagne, en proie à la faim, à la fatigue et au découragement, et c'est encore cette chanson emblématique qui accompagnera significativement le générique de fin.