Extrait du dossier pédagogique
réalisé par Les Grignoux et consacré au film
Mustang
de Deniz Gamze Ergüven
Turquie, 2015, 1h34
On trouvera ici un extrait du dossier pédagogique consacré au film Mustang. Ce dossier pédagogique propose aux enseignants d'exploiter la vision du film à travers plusieurs animations à mener en classe avec leurs élèves du deuxième cycle de l'enseignement secondaire, dans le cadre des cours de morale, d'éducation à la citoyenneté ou de sciences humaines.
L'intrigue mise en scène dans Mustang repose sur un scénario particulièrement bien ficelé : les relations conflictuelles opposant les cinq adolescentes à leur oncle Erol évoluent en effet dans un climat d'oppression décrit comme de plus en plus étouffant par les procédés de la répétition et de la gradation. Par ailleurs, la tension dramatique accompagnant une telle détérioration des rapports suit une même courbe ascendante mais se trouve régulièrement désamorcée par l'introduction, lors de situations cruciales, de l'un ou l'autre épisode comique qui ramène le spectateur sur le terrain de la fiction, agissant en quelque sorte comme un procédé de distanciation.
Ce creusement irréversible de l'écart entre Erol et ses nièces ainsi qu'un tel jeu sur la tension trouvent leur point culminant au même moment — lors du climax — lorsque la famille de Bülent s'apprête à rentrer dans la maison où les adolescentes vivent recluses pour fêter son mariage avec Nur. Il se produit en effet à ce moment-là un double renversement symbolique source d'une tension dramatique extrême — si Erol, profondément humilié de se trouver enfermé à l'extérieur de chez lui avec les invités, parvient à rentrer dans la maison, il va de toute évidence se montrer violent envers Nur et Lale — et d'effets comiques dus précisément au fait qu'il se trouve pris à son propre piège, incapable de trouver la moindre faille dans les fortifications qu'il a lui-même érigées pour empêcher les filles de sortir.
C'est donc cet aspect que nous proposons maintenant d'exploiter avec les participants.
Répartissons les participants en petits groupes de travail et demandons-leur de réfléchir à la construction du scénario de Mustang selon l'angle du film qui les a le plus interpellés : ?
Ces différents angles devraient en effet permettre de mettre en évidence la structure générale du film — étapes de l'évolution de l'intrigue, identification du climax, jeux d'alliance et d'opposition, choix de tonalité... — ainsi que le sens global qui se dégage de cette histoire.
D'un point de vue pratique, il s'agira dans un premier temps pour les participants d'inventorier :
Selon l'angle choisi pour analyser le film, les participants seront ensuite amenés à donner une forme graphique à leurs observations, puis à mettre ces schémas en relation les uns avec les autres de façon à identifier les particularités scénaristiques du film. Enfin, il s'agira de dégager les premiers éléments de sens qui émergent de cette approche structurale.
En s'intéressant en profondeur à chaque personnage du film, l'on observe que tous sont représentatifs d'une catégorie particulière. Ce caractère emblématique permet par conséquent d'extraire leur histoire du cadre strictement réaliste dans laquelle elle s'inscrit pour lui donner une dimension beaucoup plus large. Tout d'abord, même si l'union indéfectible des cinq sœurs amène à les considérer comme une entité unique, leurs réactions individuelles par rapport au mariage — ou à la perspective du mariage — décidé par leurs grand-mère et oncle reflètent un panel assez exhaustif des attitudes possibles en pareilles circonstances.
Si c'est Lale, la plus jeune, qui porte le plus haut l'étendard de la liberté et est l'instigatrice de la révolte, ses sœurs réagissent de diverses manières, parfois contrastées, face au destin qui leur est imposé. Alors que Sonay brave sa grand-mère en refusant le mariage arrangé et est la seule à imposer son choix en épousant Ekin, l'homme qu'elle aime — elle vit au bon moment une relation amoureuse sincère et réciproque, qui sera acceptée par la famille à la seule condition qu'elle se solde par un mariage immédiat —, Selma incarne, elle, une attitude de résignation caractéristique d'un grand nombre de femmes amenées, dans les sociétés patriarcales, à subir comme une fatalité un mariage non désiré.
Amputé de deux de ses membres, le corps sororal survit dans la souffrance et l'angoisse des mariages à venir, ce qui va déterminer Lale à chercher inlassablement une issue. Juste après le départ de Sonay et de Selma, elle essaye en vain de faire démarrer la voiture de son oncle, puis, quand arrivent le prétendant d'Ece et sa famille, elle n'hésite pas à se lancer à pied sur la route d'Istanbul. Quant à Ece, qui dissimule sa détresse derrière une abnégation apparente, elle devient soudain boulimique et finit par se suicider brutalement, incapable de traduire autrement son refus de se soumettre à la loi familiale. Survenu dans la foulée de fous rires partagés à table par les trois sœurs, le suicide d'Ece marque un tournant décisif pour les deux plus jeunes, déterminées à mettre au point un plan d'évasion d'autant plus solide que le mariage de Nur est déjà en vue.
Et ce sont précisément les circonstances de ce mariage qui vont leur fournir une occasion inespérée de réaliser le plan de Lale, préparé avec beaucoup de hardiesse et de courage. Nur, coopérante malgré les velléités de révolte qu'elle avait manifestées au début du film en mettant le feu à une chaise, se rend compte qu'il y a une issue et se rallie à sa sœur, exprimant alors toute sa rébellion : hurlant qu'elle ne veut pas de ce mariage, elle déchire sa robe, en jette les lambeaux par la fenêtre et s'enfuit avec Lale.
[La suite des commentaires est disponible dans le dossier imprimé.]