Extrait du dossier pédagogique
réalisé par Les Grignoux et consacré au film
Booster
de Daniel Lambo
Belgique, 2014, 1h20
Ce dossier pédagogique consacré au film Booster s'adresse notamment aux enseignants du secondaire qui souhaitent aborder ce film avec un public de jeunes adolescents à partir de douze ans environ. Il propose plusieurs animations qui portent sur différents aspects du film et qui pourront être mises en œuvre en classe rapidement après la projection. L'animation reprise ci-dessous porte plus particulièrement sur l'aspect énigmatique de certains événements.
Le film s'ouvre sur une séquence où plusieurs personnages se déplacent, à bord de divers véhicules, avec une certaine urgence: on note la nervosité de chacun. L'on ne sait pas si ces personnages se poursuivent et, en l'occurrence, qui se trouve devant, ou s'ils convergent vers un point Le montage qui fait alterner les plans les uns avec les autres donne au moins l'impression qu'il y a un lien entre ces personnages.
Cette séquence d'ouverture constitue une énigme, dans le sens où l'on ne sait pas les événements qui ont conduit à cette situation et où l'on ne connaît pas non plus son issue.
Ce n'est que vers la fin du film que l'on aura connaissance de tous les événements qui ont conduit à cette situation d'urgence.
Cette première scène, avec toutes les questions qu'elle pose, est assez représentative de la construction du film que l'on pourrait qualifier de «puzzle». En effet, les différentes scènes du film constituent, pourrait-on dire, autant de pièces, dont le sens complet n'apparaît qu'à la fin, quand on peut avoir une vue d'ensemble du film.
Invitons les participants à citer les scènes où quelque chose échappe au spectateur.
Comment ont-ils interprété ces scènes au moment-même où elles apparaissent? Ces interprétations se sont-elles révélées justes ou fausses?
Invitons-les ensuite à expliquer ces scènes telles qu'on peut les comprendre à la fin du film.
Par exemple, on pourra se demander:
À la fin du film, tout s'éclaire: le spectateur a tous les éléments pour reconstruire ce qui s'est passé. Le frère jumeau de Brent, Brecht, a été renversé par une voiture, un an auparavant. Il est mort, c'était un accident, l'automobiliste écrivait un texto
Pour toute la famille de Brent, la vie est bouleversée et il est bien difficile de vivre comme avant. Cette situation explique le chagrin des parents et de Brent, leur difficulté à communiquer, leur désir d'explication voire de vengeance.
Mais dans les détails, il peut être intéressant de revenir sur certaines scènes pour développer les intentions des personnages, qui ne sont jamais vraiment explicitées.
Par exemple, pourquoi Marleen, la mère de Brent, ne cuisine-t-elle pas, prétextant qu'elle est en plein déménagement, alors que les cartons sont intacts dans la maison? Par ailleurs, elle semble triste; elle reste au lit; elle s'emporte d'une manière un peu excessive quand Brent rentre tard de l'école. Enfin, pourquoi veut-elle accrocher au mur une photo (qui semble à ce moment être celle de Brent) prélevée sur un compte Facebook?
C'est évidemment la perte de son fils qui peut expliquer ces comportements; on pourrait penser qu'elle est en dépression suite à ce deuil (fatigue, manque de goût et d'énergie, passivité). Mais l'on pourrait dire aussi que ce deuil est particulièrement «chargé»de sentiments contradictoires et parfois inavouables. La mort de Brecht est insupportable, inadmissible, dans la mesure où la personne responsable n'a pas été sanctionnée. Aussi, Marleen voudrait se venger, comme si la mort de l'automobiliste était le seul moyen possible de «faire son deuil».
D'autre part, Marleen rend peut-être Brent responsable également de la mort de son frère:Brecht n'était pas un aussi bon cycliste que Brent et il était toujours un peu en arrière. Si Brent l'avait attendu, peut-être l'accident ne serait-il pas arrivé? Marleen a une attitude ambivalente vis-à-vis de Brent: elle imprime la partie de la photo qui montre Brecht seulement alors que la photo originale représente les deux frères. Elle s'emporte excessivement quand Brent rentre tard de l'école.
À la fin du film, quand l'on voit Herman et Marleen vider des cartons, retrouver des objets et finalement exposer la photo des deux frères, l'on comprend que la tentative de vengeance avortée a agi comme un déclencheur, qui leur permet maintenant de recommencer à vivre: investir la maison, communiquer à nouveau, faire leur deuil de Brecht.
Le personnage du père, Herman, pose lui aussi beaucoup de questions: quel est ce travail qui a fait déménager la famille à Bruxelles? Pourquoi observe-t-il et suit-il cette femme qui fait du jogging? Pourquoi ment-il à sa femme, à propos du compte bancaire qui n'est plus approvisionné?
Herman est lui aussi perturbé par la mort de Brecht, mais d'une manière un peu différente de Marleen. Il ne conçoit pas de rancœur vis-à-vis de Brent et il s'offusque que Marleen imprime la photo tronquée (puisqu'on n'y voit que Brecht). Il essaie de donner le change et semble mener une vie normale, mais en fait, il a démissionné de son travail (ce qui explique que le compte bancaire n'est plus approvisionné). Probablement parce qu'il n'est plus capable de travailler, obsédé qu'il est par toutes les questions qu'il se pose concernant l'accident.
On comprendra finalement qu'il cherche à entrer en contact avec la femme qui a accidentellement tué son fils: il l'observe et la suit, mais il ne l'affronte pas franchement, comme s'il hésitait ou ne savait pas comment s'y prendre. Il déclare à Marleen qu'il voudrait lui parler pour savoir comment l'accident s'est passé, quels ont été les derniers mots de Brecht mais en réalité, il ne fait rien. Herman ne parle plus à sa femme; il est en particulier incapable de lui dire qu'il a démissionné. Tout se passe comme si chacun était enfermé dans son silence.
Brent, d'ailleurs, se tait lui aussi. Il souffre bien évidemment de la mort de son frère, mais aussi de la tension entre ses parents. Comme il l'explique très bien à Ilse, il garde le secret sur la mort de Brecht, parce que les gens ne savent pas comment réagir. Il ne peut confier cette douleur qu'à des personnes proches, or, depuis le déménagement, Brent est éloigné de ses amis et du reste de sa famille, notamment de son grand-père.
Victime du harcèlement de Jimmy et ses copains, Brent refuse de le dénoncer, sans doute parce que les explications reviendraient à révéler la situation particulière dans laquelle il se trouve et il ne veut pas de «déballage»: la douleur est une chose intime qu'on ne veut pas partager avec n'importe qui.