Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Pride
de Matthew Warchus
Grande-Bretagne, 2014, 1 h 57
Ce dossier pédagogique s'adresse aux enseignants et animateurs qui souhaitent aborder le film Pride avec un large public d'adultes ou d'adolescents (à partir de quinze ans environ). Il propose plusieurs pistes d'animation notamment sur les principaux thèmes du film ainsi que sur le travail de reconstitution historique.
La discussion informelle autour des personnages [proposée lors de l'animation précédente, non reproduite sur cette page WEB mais disponible dans le dossier imprimé] aura sans doute permis d'amorcer une réflexion sur la manière dont se tissent et évoluent les liens entre les deux communautés mais aussi à l'intérieur de chacune d'entre elles. C'est ce à quoi nous souhaitons maintenant nous intéresser à travers une activité centrée sur les représentations des uns et des autres et les stéréotypes à l'œuvre dans les relations qui se développent.
L'objectif est d'amener les participants à cerner dans le film de Matthew Warchus la manière dont ces stéréotypes agissent (ou pas) sur les relations qui s'établissent progressivement, d'abord d'individu à individu et jusqu'à former ensuite un nouveau tissu social fondé sur la solidarité, la reconnaissance et le respect mutuel, et même de véritables liens d'amitié. Pour certains protagonistes, l'expérience sera d'ailleurs à l'origine d'une évolution personnelle qui leur permettra de s'affirmer sans craindre désormais le regard des autres et les réactions de leurs proches.
Pour réaliser cette animation, demandons aux participants de se grouper par deux et attribuons à chaque binôme un personnage du film. Invitons-les par ailleurs à conserver sous les yeux la grille annotée lors de l'activité précédente [non reproduite sur cette page WEB mais disponible dans le dossier imprimé] ainsi que le mémo fourni pour faciliter l'émergence des souvenirs relatifs à ces personnages.
Amenons ensuite les participants à établir le profil du personnage qui leur a été attribué et demandons-leur de décrire son parcours dans le film:
Le travail d'analyse se poursuivra par une mise en commun de toutes les observations et une discussion en grand groupe autour du message et des valeurs véhiculés par le film.
Les commentaires qui suivent sont présentés à titre d'illustration. S'il le souhaite, l'enseignant ou l'animateur pourra s'y référer pour suivre ou alimenter les échanges qui suivront le travail d'analyse réalisé en petits groupes.
De manière générale, on remarque qu'avant la rencontre organisée entre les homosexuels et les mineurs, les deux communautés vivent relativement repliées sur elles-mêmes, mais sans doute pour des raisons différentes. Alors que le petit village de Onllwyn, situé dans une région du Pays de Galles économiquement pauvre et très dépendante du charbon, apparaît géographiquement isolé du reste du monde et composé essentiellement de mineurs et de leurs familles, le groupe que forment les gays et les lesbiennes au sein d'une grande ville comme Londres est quant à lui révélateur d'un isolement qui témoigne bien de leur manque d'intégration au sein de la société.
Cette caractéristique apparaît d'ailleurs clairement au début du film lorsque la Gay Pride défile dans les rues de la capitale sous le regard de spectateurs parfois hostiles, comme l'expriment certains messages inscrits sur l'une ou l'autre pancarte «brulez en enfer!», peut-on ainsi lire sur l'une d'entre elles et les insultes homophobes lancées en direction des participants au défilé. C'est donc très timidement et en cachette de son entourage que le jeune Joe rejoint la manifestation, craignant, comme l'indique la scène durant laquelle il est invité à porter une banderole, d'attirer tous les regards sur lui. C'est, pour le jeune homme, un nouvel univers qui s'ouvre avec ses plaisirs, ses difficultés mais aussi les nombreuses discriminations dont les gays et les lesbiennes font l'objet au quotidien. Par exemple, comme le lui fait remarquer Stephanie après le défilé, les boîtes de nuit sont seulement accessibles aux homosexuels à partir de vingt-et-un ans alors qu'elles le sont dès l'âge de seize ans pour le reste de la population.
Mais ce sont le projet de soutien aux mineurs puis l'organisation de la rencontre qui vont révéler la plupart des stéréotypes ancrés dans la société.
Après la Gay Pride, Mark, le leader de LGSM, cherche avec son compagnon Mike à trouver un interlocuteur pour remettre au Syndicat des mineurs les fonds récoltés lors du défilé. Or chaque coup de fil passé laisse transparaître un profond malaise lorsqu'il décline l'identité du groupe nouvellement formé LGSM ou «Lesbians and Gays Support the Miners» et les communications se soldent toutes par un échec. Manifestement, accepter l'aide d'un groupe auquel sont attachées autant de connotations négatives représente un problème pour les organisations syndicales, majoritairement composées d'hommes eux-mêmes sensibles aux stéréotypes de genre au point que leurs préjugés et la crainte du regard des autres priment sur l'aide financière qui leur est offerte de manière totalement désintéressée.
Dès lors, LGSM n'a plus d'autre choix que de s'adresser directement aux Comités de villages miniers du Sud du Pays de Galles, particulièrement concernés par la grève. C'est ainsi qu'ils en arrivent à contacter le Comité de Onllwyn par l'intermédiaire de Gwen, qui décroche le téléphone. De manière assez significative, c'est donc à l'origine une femme qui va rendre possibles les premiers contacts entre les deux communautés. Le film met d'ailleurs l'accent sur le caractère quelque peu fortuit et inespéré de ce premier échange en dévoilant la vaste salle vide où retentit longuement la sonnerie du téléphone, lui-même filmé en gros plan, avant que Gwen ne soit en mesure de décrocher le combiné.
C'est aussi le regard des autres qui poussera les membres de LGSM à gommer les signes visibles de leur identité et à s'habiller de la manière la plus neutre possible pour aller au devant de Dai, le représentant local du Syndicat des mineurs venu de Onllwyn pour les rencontrer. Or Dai sera précisément la première personne à déjouer les préjugés supposés de l'ensemble de sa communauté en se montrant particulièrement reconnaissant vis-à-vis des homosexuels impliqués dans l'action de solidarité, acceptant de se rendre en personne dans un bar gay afin de les remercier de vive voix.
Lorsqu'il expose la manière positive dont les choses se sont passées à Londres devant les membres du Comité du village, les premières réticences apparaissent inévitablement et il faudra toute l'audace, la générosité et l'ouverture d'esprit de Sian, la nouvelle venue, pour que soit finalement votée la décision d'inviter les représentants de LGSM. L'arrachage récurrent de l'affichette qu'elle place alors sur un mur de la salle des fêtes pour annoncer leur visite est bien sûr le signe avant-coureur des tensions et de l'hostilité qui se manifesteront à leur arrivée, ce que redoute Carl, l'époux de Sian, qui n'en revient pas qu'elle ait suggéré d'inviter des gays et des lesbiennes à Onllwyn, au moment où eux-mêmes cherchent à s'intégrer. S'il n'est pas lui-même homophobe, Carl montre par cette attitude de reproche qu'il est malgré tout sensible aux stéréotypes et qu'il préfère s'y conformer par crainte et par facilité plutôt qu'adopter une position minoritaire et plus militante, qui risquerait de ternir sa propre image aux yeux de la majorité des habitants d'Onllwyn.
Il est d'abord à noter que Joe fait partie de la délégation qui se rend à Onllwyn. Il s'est donc rapidement intégré à la communauté homosexuelle, même s'il a dû pour cela mentir à ses parents en prétextant un stage de pâtisserie. Les premiers contacts ont lieu dans la cuisine attenante à la salle des fêtes, où les femmes sont en train de faire la vaisselle. Averti de l'arrivée des Londoniens, Dai les rejoint pour les accueillir et les présenter. Leur entrée dans la salle, alors en pleine effervescence, jette un froid et un climat hostile s'installe d'emblée. L'orchestre s'arrête de jouer et Mark est invité à faire une petite allocution, qui laisse toutefois la salle de marbre. Hormis Dai et Cliff, seules les femmes du Comité semblent pour la plupart ouvertes à cette visite, qui apparaît totalement incongrue à la plupart des habitants du village.
Deux événements vont ensuite permettre de briser la glace et se trouver à l'origine d'une timide transformation du regard vis-à-vis du groupe. Dès le lendemain, les homosexuels font une visite guidée dans les alentours avec, entre autres, Dai, Cliff, Hefina, Sian et Gwen. En contre-bas d'un château, le groupe aperçoit passer plusieurs combis de police. En fait, ceux-ci emmènent des mineurs. C'est Jonathan qui fait alors remarquer le caractère illégal d'une telle arrestation, décidant Sian à se rendre au commissariat pour les faire libérer séance tenante. Or en soirée, quand ils apprennent le rôle qu'a joué Jonathan dans leur libération, les hommes concernés refusent de lui témoigner de la reconnaissance à l'exception de Martin, qui traverse la salle pour aller vers lui et lui serrer la main, ouvrant ainsi la voie à un possible dialogue. De portée moins «politique», le second événement, beaucoup plus festif, va également contribuer à faire évoluer l'attitude des habitants vis-à-vis de leurs invités. Une nouvelle fois, c'est Jonathan qui se trouve au cœur de l'événement, entamant un show endiablé sur de la musique disco. Tandis que les hommes, interloqués, gardent toute leur réserve, les femmes quant à elles se laissent entraîner allègrement dans la danse et la démonstration recueillera finalement un tonnerre d'applaudissements dans les rangs féminins, signant là un véritable rapprochement avec la communauté gay.
Toutefois si les premières tensions commencent à s'amenuiser, la position des opposants à ces échanges va se durcir. C'est ainsi le cas de Maureen, une veuve qui refuse d'accueillir l'un des invités à son domicile sous prétexte qu'elle craint le sida. La discussion qu'elle a ensuite avec ses deux fils adolescents révèle qu'elle est en réalité profondément homophobe, convaincue que l'homosexualité relève d'un comportement pervers. C'est ce qu'elle transmet à ses enfants au départ plutôt indécis quant à l'attitude à adopter vis-à-vis de la situation , achevant de les convaincre en piquant leur égo masculin: «Votre père n'aurait jamais toléré ça!», s'exclame-t-elle en coupant cours à la conversation.
Enfin, au-delà de cette visite des membres de LGSM à Onllwyn, on observe que des liens commencent à s'installer dans la durée entre individus des deux communautés. Ainsi Jonathan et Gethin, qui ont envoyé une carte de vœux à Hefina et à son époux, reçoivent en retour un coup de téléphone à l'occasion de la fête de Noël. C'est Gethin qui prend l'appel et parle donc pour la première fois à Hefina puisqu'il n'avait pas accompagné le groupe au Pays de Galles en raison de ses propres a priori concernant la capacité des Gallois à accueillir chez eux un groupe de lesbiennes et de gays. La conversation qu'il a alors avec elle montre bien qu'il se trompe lorsqu'il généralise le caractère homophobe de ses compatriotes. Les quelques mots qu'elle lui adresse dans sa langue maternelle à la fin de la communication provoquent chez lui une grande émotion et c'est ce contact retrouvé qui sera à l'origine de sa décision d'accompagner Jonathan lors du second voyage à Onllwyn, puis de rétablir avec sa mère une relation rompue depuis seize ans.
La seconde visite à Onllwyn sera pour le groupe LGSM l'occasion de resserrer les liens avec certaines familles mais aussi d'être directement confrontés à la violence grandissante des réfractaires à leur présence. Joe, qui s'enfonce dans le mensonge vis-à-vis de ses proches à la fin de ce second séjour, il parviendra même à leur cacher son renvoi de l'école , retrouve le foyer de Sian et de Carl tandis que Jonathan est à nouveau accueilli chez Hefina. La présence de Gethin à ses côtés donne d'abord lieu à une bonne blague qui aura pour effet de détendre l'atmosphère en mettant le nouveau venu à l'aise: «Que tu nous amènes un homosexuel, soit mais un Gallois du Nord!», lance Hefina avant d'éclater de rire avec son mari.
L'un des moments particulièrement forts de ce second séjour est la soirée au cours de laquelle une jeune fille entame en gallois le chant «Bread and Roses» (en français, «Du pain et des Roses»), que les autres habitants reprennent en chœur, les uns après les autres. Cette scène remplie de ferveur et d'émotion fait suite à l'intervention de Mark, qui vient d'exprimer toute sa désolation de ne pas avoir récolté suffisamment de fonds pour parer aux besoins élémentaires des villageois. L'effet produit par cette succession de scènes peut ainsi donner l'impression que le chant prend racine dans les paroles de Mark, un peu comme si la communauté entière s'ouvrait enfin au groupe des gays et des lesbiennes et que c'était pour les villageois une manière de manifester une vraie empathie à leur égard.
C'est précisément dans ce climat de communion intense que les fils de Maureen font tout-à-coup irruption, réclamant avec beaucoup d'agressivité le droit de boire un verre dans «leur» bar. Cette scène a toute son importance dans la mesure où elle traduit une véritable évolution des mentalités au niveau de l'ensemble de la communauté puisqu'à ce moment-là, ces deux adolescents sont les seuls à s'opposer encore à la présence des membres de LGSM à Onllwyn. Ils sont d'ailleurs rapidement jetés dehors et priés de laisser les invités tranquilles sous peine de sévères représailles.
Mais à mesure que la communauté transforme ses représentations et intègre les homosexuels londoniens, Maureen, minorisée, se replie de plus en plus sur ses convictions et prend la décision d'avertir la presse, ce qui va nuire non seulement aux membres de LGSM et à leur action mais aussi à la communauté tout entière. Les effets de la publication d'un article intitulé «Des Pervers en soutien aux Mineurs» ne tardent pas à se faire sentir à Onllwyn, où les policiers présents au piquet de grève discréditent les habitants en lançant quolibets et plaisanteries, et à Londres, où le siège de l'association subit une attaque au cocktail Molotov. Or les réactions des uns et des autres sont totalement opposées. Alors qu'à Onllwyn, les liens privilégiés entre les deux communautés sont remis en cause, Mark a une idée: profiter du battage médiatique pour revendiquer l'insulte homophobe et organiser une grosse action: «Pits and Perverts». Effectivement, dans le journal, un grand article agrémenté de photos relaie l'action organisée par LGSM.
L'action s'annonce en effet comme un véritable succès et une délégation des habitants de Onllwyn décide de se rendre à Londres pour la circonstance. Pendant cette soirée du 10 décembre, Dai en profite pour faire une courte allocution. «On écrit l'histoire» conclut-il, soulignant le caractère exceptionnel et surtout inédit du rapprochement entre les mineurs et les gays.
On observe que cette fois, ce sont les Gallois qui se déplacent à Londres et accomplissent la démarche d'aller vers les homosexuels. Les femmes, en particulier, découvrent pour la première fois leur cadre de vie leur domicile, où elles sont accueillies pour la nuit, les lieux qu'ils fréquentent, comme les boîtes gays et expriment spontanément beaucoup d'enthousiasme, sans que n'apparaissent les moindres appréhensions, réticences ou jugements moraux quels qu'ils soient. Mais alors que l'heure est à la fête suite au succès de l'opération «Pits and Perverts», il en va tout autrement à Bromley, où la famille de Joe vient de découvrir les photos et les coupures de presse relatives à sa vie cachée. Cet événement provoque un véritable bouleversement de leurs valeurs et de leurs représentations et ils vont tout mettre en œuvre pour faire rentrer leur fils dans le «droit chemin» en lui faisant la morale, en le cloîtrant à la maison, en contrôlant ses contacts et ses fréquentations en somme, en agissant comme si l'homosexualité relevait d'un comportement délinquant ou pervers susceptible d'être «corrigé».
Pendant ces événements londoniens, le Comité du village gallois, privé de la plupart de ses membres en raison de l'avancement de l'heure prévue pour la réunion, profite de leur absence pour voter en faveur d'une rupture des liens avec LGSM, et ce contre l'avis de Cliff, qui ne parvient pas à faire entendre sa voix, et en dépit de l'intervention de Carl qui, pour une fois, réussit à hausser le ton pour déclarer le vote illégitime, la majorité des participants n'étant pas du village, et l'avancement de la réunion frauduleuse.
À Londres comme à Onllwyn, chacun reprend alors sa vie, plus ou moins marqué par l'expérience vécue: profondément atteint à la fois par l'échec de son mouvement et la mort prochaine de son ancien amant Tim atteint du sida, Mark laisse tout tomber son compagnon Mike, l'action militante en demandant qu'on le laisse vivre; Gethin, quant à lui, ne se résout pas à abandonner la collecte de fonds destinés à ses compatriotes, avec qui il vient de reprendre contact après seize ans d'absence ; bafouant la règle numéro un, il part collecter seul et se fait violemment agresser; enfin, Cliff confie à Hefina son homosexualité, qu'il avait toujours dissimulée jusque-là.
En mars 1985, la fin de la grève semble mettre un terme définitif aux échanges et seuls Joe et Mark se rendent individuellement et totalement incognito pour Mark sur place à l'annonce de l'événement. Là-bas, leur rencontre fortuite est l'occasion pour Mark de rappeler à son camarade que la vie est courte et qu'il est grand temps qu'il commence à vivre la sienne. C'est le déclic qu'il fallait à Joe pour parvenir à surmonter ses craintes et son sentiment de culpabilité, finissant par assumer ouvertement son homosexualité lorsque Hefina le ramène devant chez lui avec le minibus offert par LGSM. Il quitte alors le domicile familial et trouve refuge chez Stephanie, la fille du groupe avec qui il pourra passer la nuit.
L'un après l'autre, Joe et Mark réintègrent le groupe d'amis qu'ils formaient au début du film et c'est tous ensemble qu'ils se rendent sur le site de la Gay Pride.
La quatrième rencontre lors de la Gay Pride organisée l'année suivante, en juin 1985, revêt une forte dimension symbolique. Venus en nombre pour soutenir ceux qui les avaient aidés lors de la grève, les habitants de Onllwyn défilent avec eux en tête du cortège, consacrant et même officialisant en quelque sorte les liens indéfectibles d'amitié et de solidarité qui existent désormais entre les mineurs gallois et la communauté des homosexuels. C'est d'ailleurs cette notion large de communauté que le film met alors en avant, laissant tous les individus qui la composent à une même place, identique et anonyme.