Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
L'Attentat
de Ziad Doueiri
Belgique-France-Liban, 2013, 1h45
Le dossier pédagogique consacré à L'Attentat s'adresse aux s'adressent aux professeurs de l'enseignement secondaire supérieur et aux animateurs qui verront ce film avec leurs élèves ou un public d'adultes dans le cadre de l'éducation permanente.
Même si, dans ses interviews, le réalisateur de l'Attentat dit reléguer la question politique au second plan d'une histoire d'amour, le cadre choisi pour inscrire cette histoire Tel Aviv et Naplouse ainsi que l'événement principal du film l'attentat suicide-perpétré par Siham , qui sont aussi ceux du récit initial de Yasmina Khadra, révèlent pourtant une sensibilité particulière au conflit israélo-palestinien.
L'originalité de l'approche, qui tient d'une part à la singularité du couple que forment les Jaafari, consiste d'autre part à présenter ce conflit sous un angle inhabituel en filmant sur les lieux mêmes (en Israël, dans les territoires occupés) et avec des acteurs issus des deux communautés. Or cette démarche se trouvera précisément à l'origine de nombreuses critiques de part et d'autre, les pays de la Ligue arabe allant jusqu'à interdire la diffusion du film sur leur territoire, les Israéliens reprochant quant à eux au réalisateur d'être partial dans sa façon de dépeindre la situation politique.
Pour aborder cette question, nous proposons par conséquent de partir de la polémique dont l'Attentat a fait l'objet à sa sortie, en invitant les participants à s'exprimer à leur tour sur le point de vue du réalisateur tel qu'il apparaît à travers l'évolution morale de son personnage principal, le Docteur Amine Jaafari.
Commençons par annoncer aux participants que le film de Ziad Doueiri a suscité dès sa sortie une vague de mécontentement aussi bien en Israël que dans les pays arabes. Bien avant cette date, le producteur américain qui avait à l'origine suggéré à Ziad Doueiri d'adapter le roman de Yasmina Khadra, s'était retiré du projet dès l'étape du scénario, arguant du fait que le film serait perçu comme trop pro-israélien par le spectateur européen et trop pro-palestinien par le spectateur américain. Quant au producteur qatari, il a tout simplement proposé une somme d'argent pour voir retirer son nom du générique. Enfin, à l'initiative du «Bureau de boycottage d'Israël», comité créé en 1951 par les pays fondateurs de la Ligue arabe, les vingt-deux États qui en font partie parmi lesquels le Liban, pays d'origine du réalisateur ont censuré l'Attentat, alors que les autorités de la plupart de ces États n'avaient pas vu le film.
Ouvrons ensuite un débat en demandant aux participants s'ils comprennent ces positions et ce qu'elles révèlent des rapports entre Israël et le monde arabe dans son ensemble. Invitons-les ensuite à identifier le point de vue de Ziad Doueiri tel qu'il apparaît dans le film même, à travers l'évolution morale du Docteur Jaafari.
À cette fin, répartissons les participants en petits groupes et demandons-leur ce qu'Amine découvre à travers les épisodes décrits ci-dessous. Quelle valeur, quel sens plus général ont ces épisodes? Dans cette perspective, l'on peut également soumettre aux participants quelques images extraites du film qui paraissent révélatrices du point de vue de Ziad Doueiri.
En guise d'exemple, l'enseignant pourra examiner avec eux le premier épisode et y apporter une réponse: ce que découvre Amine en entrant en Cisjordanie, c'est le contrôle militaire et policier de la Palestine par les Israéliens.
Pendant le trajet vers Naplouse, un long travelling latéral sur le mur de séparation accompagne la course de la voiture qui emmène Amine. Au check point, il assiste à une scène de contrôle particulièrement violente.
En arrivant à Naplouse, Amine découvre une ville différente de Tel Aviv, beaucoup plus pauvre; les murs sont couverts du portrait de Siham; des enfants survivent en vendant aux passants des icônes de militants palestiniens
Chez sa sœur Leila, Amine retrouve ses souvenirs d'enfance. Ils ne se sont plus vus depuis la mort de leur père en 1991, soit plus de dix ans auparavant. En aparté, sa nièce lui confie que sa mère n'a que lui et qu'elle a souffert de se sentir ainsi abandonnée. «J'étais absorbé par moi-même, sans doute beaucoup trop», avoue Amine.
Amine apostrophe le Sheikh Marwan de nuit alors qu'il quitte la mosquée en compagnie de deux gardes du corps. Le Sheikh congédie rapidement Amine. Il l'enjoint de quitter Naplouse en ajoutant: «Le bâtard n'est pas celui qui ne connaît pas son père C'est celui qui ne connaît pas ses racines.»
Lors d'une entrevue secrète organisée par Adel, le prêtre répond à Amine, qui veut connaître la vérité: «Quelle vérité? la sienne ou la tienne? la vérité d'une femme qui sait où est son devoir, ou celle d'un Arabe qui croit s'en tirer parce qu'il a un passeport israélien? un Arabe exemplaire et intégré, invité dans des endroits chics, couvert de cadeaux et de prix par des gens qui veulent montrer combien ils sont tolérants? C'est la vérité que tu cherches ou celle que tu fuis? Sur quelle planète tu vis? Notre pays est constamment violé, nos villes sont enterrées par les tanks, nos enfants ne savent plus ce que «école» veut dire. Et toi, simplement parce que tu es bien au chaud à Tel Aviv, tu penses que tu peux venir ici et nous dire ce qui est bon et ce qui ne l'est pas? Ta femme est morte pour ta rédemption, Docteur.»
Le prêtre clôture ainsi son entrevue avec Amine: «Nous ne sommes pas des islamistes, ni des chrétiens fanatiques Nous sommes un peuple ravagé qui se bat par tous les moyens pour retrouver sa dignité. C'est tout.»
Après cette entrevue à l'église, Adel dit à Amine que Siham a basculé le jour où elle a mis les pieds à Jénine «Quelque chose s'est passé dans sa tête. Le massacre qu'elle a vu était indescriptible. Elle n'avait jamais vu une chose pareille Je pense que c'est ce qui l'a fait basculer.» Au petit matin, sur les hauteurs de la ville, le docteur découvre «Ground zero», un quartier excentré rasé par l'armée israélienne. La caméra balaie lentement les décombres, parmi lesquels il ramasse un portrait de Siham.
Le Docteur Jaafari refuse de collaborer avec la police, comme l'indique la conversation qu'il a alors avec Kim, sa collègue de l'hôpital:
«Je ne comprends pas, Amine, vraiment pas. Dix-sept personnes sont mortes. Huit seront paralysées à vie Certains ont été sur ta table d'opération
Que me veux-tu?
Si tu sais quelque chose, tu dois le dire à la police. T'as une obligation morale envers les victimes. Elles ont le droit de savoir
C'est pas mon rôle , OK?!
Ils ont réussi à te convaincre?
Je ne vais dénoncer personne, ni à la police, ni à quiconque!
Pourquoi?
Je refuse de contribuer à des mesures de répression, OK?! Ça nous dépasse
Tu protèges ces gens.
Pas du tout!
Nous t'avons reçu à bras ouverts. T'avais une bonne vie ici
On m'a rien donné! Je l'ai mérité.
Parce qu'on t'a offert la possibilité. Je ne sais pas, Amine J'ai l'impression que tout ce que tu disais avant
était faux?
Ça t'arrangeait. Je pense pas qu'on puisse vivre dans un pays, profiter de ce qu'il a à offrir et refuser de le défendre.
De quoi tu parles?!
La prochaine fois que tu seras dans un bloc opératoire à cause d'un attentat-suicide, demande-toi qui tu essaies vraiment de sauver.»
Si le passage du Docteur Jaafari en Cisjordanie lui permet de prendre conscience du contrôle militaire et policier qu'exerce Israël sur les territoires occupés, son arrivée à Naplouse est pour lui l'occasion de découvrir de grandes inégalités socioéconomiques entre la population des villes des Territoires et celle des villes israéliennes. Alors que Tel Aviv apparaît comme une ville moderne (gratte-ciel, bâtiments entretenus, infrastructure routières développées, larges avenues) et riche (grosses voitures récentes, maisons spacieuses et confortables), Naplouse se caractérise par des habitations plus anciennes (pas de gratte-ciel, ruelles ou rues moins larges qu'à Tel Aviv) et dégradées, des anciens modèles de voitures à la carrosserie rouillée et abîmée Alors que les enfants survivent en vendant des icônes dans la rue, certains adultes se déplacent à dos d'âne, les piétons se mêlent aux voitures
Les retrouvailles entre Amine et sa sœur Leila, qui ont lieu après une séparation longue de plus de dix ans, témoignent quant à elles de la déstructuration familiale, conséquence des nombreuses entraves à la liberté de circulation des Palestiniens. Plusieurs témoignages font ainsi état de familles dont les membres se sont perdus de vue pendant de nombreuses années. Cette destruction du tissu familial, qui avait commencé avec l'exode et les expulsions massives (la Nakba) qu'avait entraînés la création de l'État d'Israël, s'est donc poursuivie avec la fermeture complète de la bande de Gaza et le morcellement de la Cisjordanie, où se sont implantées de nouvelles colonies juives. Dans certaines villes traversées par le mur de séparation, les quartiers palestiniens sont sectionnés et de nombreuses familles se trouvent ainsi séparées à l'intérieur même de la Cisjordanie, certaines étant emprisonnées du mauvais côté du mur, d'autres enclavées, d'autres encore se trouvant définitivement coupées de leurs proches vivant dans les villages situés en territoire israélien.
La brève rencontre entre le Docteur Jaafari et le Sheikh Marwan met par ailleurs en évidence la question de la connaissance du passé, qui crée une identité collective notamment fondée sur la mémoire familiale, la mémoire des injustices passées, transmise de génération en génération. On renverra ici à l'animation suivante, plus particulièrement au tableau reprenant, en dix dates-clés, l'histoire israélo-arabe selon la mémoire différente dont les uns et les autres sont porteurs.
Quant à l'entrevue entre le Docteur et le prêtre, elle permet de s'interroger plus largement sur le destin individuel lorsque celui-ci se heurte au destin collectif. À travers la scène qui se passe à l'intérieur de la petite église, l'Attentat pose ainsi une question essentielle: peut-on s'en sortir individuellement, quitte à renier ses origines, ou doit-on rester solidaire des épreuves que traverse son peuple? La manière dont le prêtre clôture l'entrevue indique clairement qu'il est du côté de la solidarité et d'une forme de combat national, d'une lutte vitale qu'il estime étrangère aux motivations religieuses extrémistes1 habituellement reprochées aux activistes palestiniens.
Enfin, alors que la description des événements qui ont eu lieu à Jénine et la découverte par Amine des décombres d'un quartier rasé par l'armée israélienne évoquent le trauma de la guerre, la conversation que le Docteur Jaafari a avec Kim à son retour de Naplouse met l'accent sur le dilemme individuel auquel se trouvent exposés les Arabes israéliens, obligés de choisir entre deux mondes qu'un certain nombre d'entre eux pensait jusque-là conciliables.
En conclusion, on peut dire que la quête du Docteur Jaafari s'est rapidement doublée d'un certain nombre de découvertes qui l'obligent à changer son regard sur ce qui se passe dans les Territoires, en prenant notamment en compte les injustices subies par la population qui y vit.
C'est principalement à travers cette évolution que l'on peut lire le point de vue du réalisateur Ziad Doueiri, dont l'un des objectifs est sans doute de sensibiliser le spectateur occidental à cette dimension du conflit israélo-palestinien, même si c'est avec beaucoup de nuance et de modération.