Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au dessin animé
La Lettre à Momo
de Hiroyuki Okiura
Japon, 2013, 2h
Le dossier pédagogique consacré à Lettre à Momo s'adresse aux enseignants de la fin de l'enseignement primaire et à leurs élèves, entre dix et douze ans environ. À travers des activités simples à mener en classe après la projection, il propose de revenir sur le parcours de cette jeune adolescente en deuil mais aussi sur les caractéristiques géographiques et culturelles du Japon, le pays où se déroule l'action du film. L'extrait proposé ci-dessous revient sur le sens du filmet d'un certain nombre d'éléments qui y apparaissent.
Même si l'histoire de Momo, en proie à un deuil difficile suite au décès de son père, présente une dimension universelle, cette histoire s'inscrit toutefois dans un contexte socioculturel très différent du nôtre. En effet, qu'il s'agisse des croyances, des rites ou du rapport entretenu avec les défunts, la mort n'est pas vécue au Japon de la même façon qu'elle ne l'est dans notre culture occidentale. De même, la présence permanente des Yokaîs monstres japonais typiques dont le nom désigne, au sens large, tout ce qui semble présent sans appartenir à notre monde , la manière dont ils apparaissent et disparaissent ainsi que la fonction qu'ils exercent dans l'histoire peuvent se trouver à l'origine de difficultés de compréhension pour de jeunes spectateurs qui ne maîtrisent pas la culture nippone. Il s'agit donc maintenant d'éclaircir certaines dimensions du film, comme la présence ou le rôle des Yokaîs dans l'environnement immédiat de Momo par exemple.
Cette animation, réalisée de préférence en petits groupes d'élèves, prend la forme d'un questionnaire à choix multiples, qui propose pour chaque question trois réponses dont il s'agit d'évaluer la pertinence, avant de sélectionner celle qui semble la plus judicieuse au sein du petit groupe d'élèves.
Notons que les questions n'appellent pas toutes de réponse exclusive. Certaines font appel à l'inférence logique ou créative mais d'autres requièrent plutôt une interprétation fondée sur une perception des choses qui peut se révéler toute personnelle. L'enseignant veillera donc à préciser au préalable cette particularité du questionnaire ainsi que l'importance qui sera accordée à l'argumentation des choix opérés par les enfants.
L'activité se terminera par un échange en grand groupe, qui permettra aux jeunes participants de confronter leurs réponses mais également de partager arguments et réflexions personnelles autour de la dimension magique du film.
Quelques questions à propos de Lettre à Momo
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Au Japon, les Yokaîs désignent des créatures qui semblent présentes dans l'environnement des hommes sans toutefois appartenir au monde réel. Chaque Yokaî, en principe invisible, est représenté sous une forme particulière, parfois proche (comme dans le film), parfois très éloignée de l'apparence humaine. En cela, ils peuvent faire penser aux monstres qu'on rencontre souvent dans les histoires, en particulier aux Pokémons, qui appartiennent aussi à la culture nippone mais que nous connaissons beaucoup mieux en Occident que les Yokaîs.
Dans Lettre à Momo, les Yokaîs n'apparaissent qu'à Momo et, de manière plus anecdotique, à Umi. Le caractère invisible qu'ils revêtent pour tous les autres personnages du film fait ainsi penser aux créatures imaginaires que sont les fantômes dans notre culture: certains affirment en avoir vu mais la très grande majorité des gens n'y croient pas. On parle de fantôme aussi lorsque l'on croit reconnaître la silhouette d'une personne décédée. Enfin, le fait qu'ils soient associés aux proches des personnes disparues peut faire également penser aux anges gardiens, censés veiller sur la destinée humaine dans notre civilisation judéo-chrétienne.
Les trois réponses a, b et c à la première question étaient donc correctes; le choix opéré au sein de chaque petit groupe, légitime quel qu'il soit, reflétera par conséquent plus une réception du film de type émotionnel qu'une véritable compréhension de type cognitif.
La réponse à la deuxième question est la réponse c. Alors que Momo et sa mère se trouvent sur la bateau qui doit les conduire à l'île de Shio, trois grosses gouttes d'eau tombent sur la tête de la jeune fille, qui ne comprend pas ce qui lui arrive; en effet, les trois gouttes disparaissent aussitôt en ne laissant aucune trace. On les retrouve plus tard, après que Momo a quitté le grenier de sa grand-tante où elle vient d'ouvrir puis de refermer un livre contenant des illustrations de Yokaîs. Les enfants se seront peut-être souvenus que son regard s'est alors longuement attardé sur la page représentant Iwa, Kawa et Mame1. Une fois la porte du grenier refermée, les gouttes d'eau réapparaissent, semblant monter du sol et se glissent dans le livre. Le lendemain, c'est sous forme d'ombres mouvantes à silhouette vaguement humaine que les Yokaîs apparaissent à une Momo terrifiée.
Apparemment, elle seule peut voir ces formes étranges qui, dès le soir même, prennent l'apparence concrète qu'ils garderont jusqu'à leur départ organisé dans ce même grenier. Entre-temps, Momo se rend compte que les illustrations correspondant aux créatures qui semblent la poursuivre ont disparu, laissant dans le livre un espace blanc à la place qui était la leur. À la fin du film, Momo assiste au départ des Yokaîs pour l'autre monde. Ceux-ci se transforment en une sorte de nuage blanchâtre qui se glisse entre les pages du livre avant d'en ressortir aussitôt sous leur forme initiale de trois gouttes d'eau. Il faut enfin attendre la fin du générique pour s'apercevoir que les illustrations de Iwa, Kawa et Mame ont retrouvé leur place, sur la page d'où ils s'étaient effacés.
Une telle discussion autour de l'apparence des Yokaîs aura sans doute permis aux enfants d'effectuer des liens qu'ils n'auraient peut-être pas fait spontanément, ce qui aurait pu entraver leur bonne compréhension du film ou de certains de ses aspects. En effet, au début du film, le lien qui unit les gouttes d'eau et les Yokaîs peut être passé inaperçu, même si le réalisateur l'a bien mis en évidence par le truchement du livre trouvé au grenier par Momo.
Dans le film, les Yokaîs disent à Momo qu'ils ont été condamnés à errer sur terre par le grand maître Sugawara pour avoir désobéi aux règles. Or cette explication n'est que le prétexte qu'ils utilisent pour cacher à Momo le véritable motif de leur présence: veiller sur elle et sur sa mère en attendant que leur père ou époux parvienne au ciel et puisse effectuer cette tâche lui-même. Concernant la troisième question, c'est donc la réponse a qui est la bonne. Les Yokaîs doivent exercer cette mission secrètement, ce pour quoi ils s'inventent un «patron» et restent évasifs à propos du rapport qu'ils ont à écrire. C'est donc bien un rôle d'«ange gardien» qui leur est dévolu.
La manque de compréhension des enfants à ce sujet pourrait éventuellement provenir d'une confusion entre motif avoué (de l'ordre du prétexte) et motif réel (qui est de l'ordre du secret).
Si les Yokaîs apparaissent seulement à Momo, l'on pourrait croire de prime abord que c'est en raison du décès de son père, puisque la réflexion précédente a permis de mettre en évidence le rôle de gardiens qu'ils exercent vis-à-vis des personnes qui ont perdu un proche. La réponse b n'est donc pas tout à fait fausse. Mais si l'on approfondit un peu la réflexion, on se rend compte que sa maman, également en deuil, ne voit pas ces créatures, qui pourtant veillent également sur elle. En effet, chaque fois qu'elle quitte l'île pour aller en formation, l'un des trois Yokaîs l'accompagne tandis que les deux autres restent à terre pour veiller sur sa fille. Le fait que Momo côtoie les Yokaîs est par conséquent bien lié à sa situation de deuil mais le fait qu'elle soit la seule à les voir n'y est, en revanche, aucunement lié.
Les Yokaîs expliquent d'ailleurs cette «erreur» par une légère déviation de leur trajectoire, lorsqu'ils l'ont touchée par accident en descendant du ciel sous forme de gouttes d'eau. La réponse la plus adéquate est donc ici la réponse c. Enfin, si les enfants ont choisi la réponse a, qui rend Momo directement responsable de la situation par l'ouverture intempestive du livre trouvé au grenier, cela indique qu'ils ont confondu le prétexte invoqué par les Yokaîs et le motif réel de leur présence, qui est de l'ordre du secret.
Aucune des réponses à la cinquième question n'est totalement fausse: on voit en effet apparaître les Yokaîs un peu partout, en fonction des déplacements de Momo, qui est la seule à les distinguer (dans la maison, dans la rue, sur le port, à proximité du pont, dans la montagne, au cimetière). Le grenier représente l'endroit où ils se retrouvent tous les trois la nuit, lorsque mère et fille sont endormies. C'est, pour eux, une sorte de quartier général et peut-être les enfants auront-ils retenu cet endroit comme lieu privilégié de rencontre. Or cette situation est directement liée à la mission particulière de ces trois Yokaîs et nous n'y voyons jamais d'autres créatures semblables.
Par contre, le cimetière du village et sans doute même de l'île semble-t-il être un lieu privilégié pour eux. Ainsi y observe-t-on notamment Mame en train de réfléchir au rapport à envoyer au père de Momo, épisode durant lequel il est entouré de toutes sortes de créatures fantastiques. Plus tard ces créatures, que les Yokaîs considèrent comme «leurs amis», se rassembleront pour protéger Momo des vents violents lorsqu'elle tente de se rendre sur l'île voisine pour alerter le docteur.
En choisissant la réponse b, les enfants montrent donc qu'ils ont bien perçu cette prédilection des Yokaîs pour les cimetières et perçu le lien qu'ils entretiennent avec la mort et les personnes disparues.
Lorsque Momo vient leur demander de l'aide pour traverser le pont qui relie l'île de Shio à l'île où se trouve le docteur dont sa mère a besoin, les Yokaîs commencent par refuser en arguant du fait qu'ils n'ont pas le droit de s'occuper de la vie et de la mort des gens.
Contrevenir aux règles peut leur valoir une lourde punition, et ils tiennent d'autant moins à courir ce risque qu'ils ont presque terminé et réussi! leur mission. Dès le lendemain en effet, ils doivent quitter le monde des vivants pour rentrer chez eux et expriment donc le souhait de passer leur dernière soirée tranquillement. Les réponses a et b sont par conséquent correctes.
Cependant, une fois que Momo les a quittés, ils entament une réflexion plus approfondie à propos des règles auxquelles ils sont soumis; ils réalisent ainsi qu'ils ne peuvent pas s'occuper de la vie et de la mort des gens sauf s'ils y sont mêlés d'une quelconque façon.
Dans le même temps, Iwa se rend compte qu'il est indirectement responsable de ce qui arrive: c'est lui qui a dérobé le miroir de la maman de Momo, un objet auquel elle tenait particulièrement puisqu'elle l'avait reçu en cadeau de son époux disparu; cette situation a provoqué la colère de Momo, qui a tenté de le récupérer.
Au cours de l'altercation, le miroir s'est brisé; le bruit a attiré la maman au grenier et celle-ci a constaté les dégâts: miroir brisé et sol jonché de légumes volés; il s'en est suivi une dispute entre la mère et la fille, au terme de laquelle Momo s'est sauvée; alors que le typhon se préparait, la maman s'est inquiétée de ne pas la voir revenir ; partie à sa recherche dans le vent et la pluie, elle s'est tout à coup effondrée en pleine rue, en proie à une violente crise d'asthme dont seul le docteur aurait pu la tirer. Iwa est donc bien mêlé à la situation désespérée dans laquelle elle se trouve. En plus, si elle venait à mourir, les Yokaîs auraient bel et bien failli à leur mission de protection qui, de toute façon, prévaut sur toutes les règles. Forts de ce raisonnement, les trois compères mettent finalement au point un plan pour aider Momo.
Parmi les trois réponses suggérées, c'est donc plutôt la réponse b qui est la bonne, même si les deux autres sont également valables. En effet, le choix de cette proposition révèle que les enfants ont bien suivi le raisonnement logique des Yokaîs à l'origine de leur changement d'attitude.
En termes d'action, le rôle de l'horloge dans le film est inexistant. À ce titre, peut-être sa présence n'aura-t-elle pas retenu l'attention des enfants. En arrivant chez ses tante et oncle, Ikuko remarque très vite que cette ancienne horloge, située dans leur pièce de vie, ne fonctionne plus. La vieille dame explique alors qu'elle s'est arrêtée au début du printemps et qu'elle n'a plus fonctionné depuis ce moment-là. Les enfants qui ont choisi la proposition b pour répondre à la question 8 ont donc tout à fait raison.
Ils montrent en effet qu'ils ont manifesté beaucoup d'attention à de tout petits détails et qu'ils ont aussi une très bonne mémoire. Certains, cependant, auront peut-être remarqué que les paroles de la tante l'horloge s'est arrêtée au printemps rendent tout d'un coup Ikuko pensive et mélancolique, comme si cette révélation déclenchait chez elle le souvenir d'un événement triste ou douloureux. On pense alors au décès de son époux, qui a peut-être bien eu lieu au printemps. Cette hypothèse nous est confirmée un peu plus tard dans le film, lors du flash-back expliquant dans quelles circonstances le papa de Momo est mort.
Un plan montre alors l'extérieur du funérarium où sa dépouille est exposée avec, à l'avant-plan, un magnifique cerisier en fleurs. L'accent est d'ailleurs directement porté sur cet arbre puisque la séquence s'ouvre par un gros plan d'une branche fleurie posée sur le sol. Grâce au lien de concomitance que l'on peut établir entre les deux situations l'horloge s'est arrêtée au début du printemps; le papa de Momo est mort également au début du printemps, comme l'indique la floraison du cerisier , les enfants auront peut-être procédé à une inférence et établi un lien implicite de cause à effet entre la panne de l'horloge à Shio et l'événement dramatique survenu à Tokyo. Les enfants qui ont choisi la réponse 3 indiquent ainsi qu'ils ont été capables de dépasser le niveau littéral de l'histoire en exploitant l'implicite du film par la création d'une relation entre des situations narrativement éloignées l'une de l'autre.
Les réponses suggérées pour la neuvième question sont toutes les trois correctes d'un point de vue temporel puisque les moments évoqués dans les propositions sont chronologiquement très proches. Par contre, si les enfants ont été attentifs, ils se seront peut-être souvenus que les coups de six heures sonnés par l'horloge coïncident exactement avec la disparition des trois gouttes d'eau dans le ciel et donc, avec le départ des Yokaîs et la fin de leur mission. Ainsi la plupart auront-ils probablement choisi la réponse a, qui est la plus «littérale».
Mais le choix de la réponse c, qui lie directement la fin de la panne au décès du père de Momo et plus spécialement à son arrivée au ciel, montre quant à lui que les enfants ont prêté attention aux propos des Yokaîs lorsque, un peu plus tôt, ils ont expliqué à Momo le véritable sens de leur présence sur terre: veiller sur elle et sa mère jusqu'à l'arrivée de son père au ciel, moment où il pourra à nouveau accomplir lui-même cette mission de protection. Le fait que les Yokaîs disparaissent définitivement signifie donc que cet homme est parvenu à destination et que son errance entre ciel et terre est bel et bien terminée. Il a retrouvé une place et un rôle par rapport aux siens, même s'il n'appartient désormais plus au monde réel.
La panne de l'horloge couvre en réalité une période de trois ou quatre mois du début du printemps à la «fête de l'été» et la mise à l'eau des bateaux de paille, qui succèdent immédiatement à la disparition des Yokaîs , période durant laquelle le temps s'est en quelque sorte «figé» pour la famille de Momo en proie à la tristesse et à la souffrance. Et lorsque la course des aiguilles recommence soudainement, c'est un peu comme si la vie reprenait le dessus, portée par un nouveau souffle et un regain d'espoir. Dans un tel contexte symbolique, la situation de la maman de Momo, sauvée de justesse d'une crise d'asthme, n'a par contre rien à voir avec le fonctionnement de l'horloge, même si la réponse b est correcte d'un point de vue strictement temporel.