Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Il était une forêt
de Luc Jacquet
France, 2013, 1h19
Plongée exceptionnelle dans un univers vierge de toute empreinte humaine et dont l'évolution séculaire apparaît notamment grâce à une utilisation judicieuse d'incrustations numériques, Il était une forêt devrait séduire les enfants de l'enseignement primaire dès l'âge de huit ou neuf ans environ. Les animations proposées dans le dossier pédagogique consacré au film de Luc Jacquet se donnent par conséquent pour objectifs principaux d'amener les jeunes spectateurs à fixer et à structurer tous les nouvelles connaissances reçues au cours de la vision du film mais aussi de verbaliser ou d'exprimer par d'autres moyens ce qu'ils ont perçu de ses dimensions poétique, esthétique, philosophique…
Objectif et compétences mises en œuvreCette activité a pour objectif principal d'amener les jeunes élèves à se souvenir de tous ces micro événements qui caractérisent la vie quotidienne en forêt tropicale et à reconstituer les liens de cause à effet qui expliquent la nature et le but de chacun d'entre eux. Elle sera par ailleurs l'occasion d'exercer les compétences suivantes:
Les indications ci-dessus s'adressent plus particulièrement aux enseignants de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui souhaitent se référer aux socles de compétences actuellement en vigueur. |
Grâce à une mise en images originale intégrant des incrustations numériques aux prises de vue réelles, grâce aussi au commentaire très accessible du botaniste Francis Hallé, le film de Luc Jacquet révèle un monde fascinant dont on se demande à certains moments s'il correspond à une véritable réalité scientifique. Ainsi des arbres communiquant entre eux mais aussi avec d'autres plantes et des animaux dans le but d'assurer leur propre survie et celle de leur espèce semblent relever d'une vision, sinon animiste, du moins poétique de la forêt, tant ceux-ci nous paraissent éloignés de l'état végétatif censé caractériser le monde des plantes.
Cet aspect captivant de Il était une forêt mérite donc que l'on y revienne à travers une activité qui permettra d'exploiter en petits groupes tous ces micro événements, le plus souvent imperceptibles à l'œil humain, qui mettent en jeu un grand nombre de stratégies étonnantes, toutes dictées par la nécessité pour chaque arbre d'assurer ses besoins en eau et en lumière, sa reproduction ou encore sa défense contre les prédateurs.
Commençons par expliquer aux enfants que le film de Luc Jacquet raconte la formation de la forêtet qu'à l'intérieur de cette histoire se déroulent quantité de petits événements pour la plupart invisibles mais tous indispensables à la survie des uns et des autres. Demandons-leur ensuite s'ils se souviennent de ces événements, expliqués dans le commentaire du botaniste Francis Hallé. Au besoin, rappelons quelques exemplesdécrits dans le film, ainsi:
Invitons alors les enfants à se remémorer d'autres histoires de la forêt: quelles sont les autres relations de compétition montrées dans le film? Quelles autres stratégies les arbres développent-ils pour assurer leur croissance? pour se défendre? pour se reproduire?
Afin de raviver les souvenirs, proposons éventuellement quelques mots-clés qui pourront jouer ici le rôle de déclencheurs:
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Poursuivons en constituant quelques groupes d'enfants, à qui l'on demandera de raconter chacun une histoire: celle du moabi et de l'éléphant, celle de la passiflore et du papillon Heliconius, celle des racines et des champignons, celle du Cecropia et des fourmis, ou celle encore des arbres qui avertissent leurs voisins de la présence d'un agresseur, celle des petits animaux (la grenouille, le phasme…) qui se fondent dans leur environnement…
De façon à structurer l'activité, distribuons un support identique à chaque groupe — par exemple, une feuille cartonnée de format A5 —, dont le recto sera réservé à une illustration trouvée sur Internet (une photographie, un petit collage de plusieurs images, un dessin, un schéma…) ainsi qu'au titre choisi pour désigner l'interaction expliquée au verso. Le rôle de l'enseignant consistera à passer d'équipe en équipe pour aider à la formulation, vérifier la pertinence des liens logiques établis dans la reconstitution des processus, en réexpliquer l'une ou l'autre étape… L'on favorisera enfin la coopération entre les enfants en les invitant à faire voyager les fiches de groupe en groupe afin de compléter éventuellement les histoires retranscrites.
La dernière étape consistera enfin à classer les fiches complétées en grand groupe, selon que les interactions mises en évidence ont trait à l'une ou l'autre fonction vitale: se reproduire, se défendre ou s'alimenter.
Quelques commentairesLes commentaires présentés ci-dessous reprennent dans les grandes lignes les informations que donne Francis Hallé au fil des images de Il était une forêt. Ces commentaires sont destinés à l'enseignant,qui pourra s'en servir pour orienter les enfants dans la conception des fiches relatives aux différentes interactions observées dans le film. Ils apportent par ailleurs quelques précisions terminologiques, que le botaniste laisse volontairement dans l'ombre au profit d'expressions imagées plus parlantes pour les enfants, et que l'enseignant pourra ou non livrer aux élèves en fonction de leur âge et de leur intérêt pour le sujet. Ces termes sont signalés en gras dans le texte. 1. Le Cecropia: un contrat avec les fourmisLe Cecropia est un arbre typique de la forêt pionnière, dont le rôle est d'assurer un processus de cicatrisation après la mort spontanée d'un grand arbre ou une déforestation. Sa courte durée de vie et sa croissance rapide ne lui donnent pas le temps de fabriquer des défenses contre ses agresseurs. Comme ses feuilles sont très appréciées des herbivores, et en particulier des chenilles, comme on le voit dans le film, il n'a d'autre choix que d'appeler à l'aide. Il attire ainsi les fourmis en fabriquant de faux œufs d'insectes qu'il dépose sur ses feuilles à leur intention. En plus de cette nourriture, il prépare de nombreuses loges qui leur permettront de se mettre à l'abri. En retour, les fourmis lui assurent une protection en débarrassant l'arbre des chenilles friandes de ses feuilles. Cette relation d'échange qui rend le Cecropia et les fourmis interdépendants s'appelle la symbiose. 2. Les arbres de la forêt secondaire: un contrat avec les champignonsPour grandir, les arbres tropicaux ont besoin de grandes quantités d'eau. Grâce au réseau de filaments (le mycélium) qu'ils déploient dans le sol au pied de ces arbres, certains champignons (les mycorhizes) s'associent à leurs racines pour capter l'eau et les sels minéraux nécessaires à leur croissance. Les champignons ont par conséquent un rôle très important dans le développement des arbres qui, en retour, partagent avec eux l'énergie captée par ses parties aériennes grâce à la photosynthèse, un processus que les champignons sont incapables d'accomplir parce qu'ils ne contiennent pas de chlorophylle, c'est-à-dire le pigment vert qui sert à absorber la lumière du soleil dans ce processus spécifique. Il s'agit donc également ici aussi d'une relation «donnant-donnant», autrement dit d'une symbiose. 3. Les arbres de la forêt secondaire: un contrat avec les animaux de la canopéeL'immobilité des arbres les a poussés à développer des stratégies pour se reproduire. Grâce à la séduction qu'ils exercent sur eux, ce sont ainsi les animaux de la canopée — les insectes, les oiseaux, les petits mammifères comme les singes… — qui vont se charger de transporter le pollen. Pour attirer ceux-ci, les arbres produisent des fleurs parfumées qui contiennent du nectar dont tous ces petits animaux se délectent. C'est ensuite en se déplaçant d'arbre en arbre, que ces derniers transportent le pollen accroché à leurs poils, à leurs plumes, à leurs ailes, à leurs pattes… Ces animaux de la canopée portent le nom de «pollinisateurs». 4. Les émergents: un contrat avec les grands herbivoresLe moabi, par exemple, est un arbre émergent caractéristique de la forêt tropicale humide d'Afrique. Les émergents ont pour particularité de pousser assez loin les uns des autres, ce qui représente une difficulté pour assurer leur reproduction. Pour éviter que les graines tombant à ses pieds ne soient irrémédiablement condamnées par manque de lumière, le moabi a mis au point un stratagème pour les faire voyager: il attire les éléphants, qui se trouvent parfois à plusieurs dizaines de kilomètres, en transmettant jusque dans ses pattes des micro-ondes produites par le martèlement des fruits mûrs tombant sur le sol. Particulièrement friands de ces fruits gorgés de sucre, les éléphants ainsi appâtés se dirigent immédiatement en direction du moabi pour se repaître, après quoi ils s'en éloignent à nouveau. C'est donc au hasard des déplacements du pachyderme qu'un nouvel arbre prendra racine, là où l'animal déposera ses excréments chargés des graines qui ont eu le temps de germer dans son intestin. Vis-à-vis du gorille, qui apprécie également ses fruits, le moabi a développé une autre stratégie,qui vise de la même façon à assurer sa reproduction: afin de prolonger le voyage de l'animal avant la dispersion de ses graines, il fait adhérer la chair au noyau du fruit. Le gorille est par conséquent amené à sucer ce noyau plus longtemps avant de le recracher plus loin. Ces deux animaux font ainsi partie d'un groupe que l'on appelle «les disperseurs». 5. Le figuier étrangleur: combattre pour la lumièreAprès trois ou quatre siècles, les grands arbres de la forêt tropicale entrent en compétition pour conserver leur part de lumière. Comme le précise Francis Hallé dans le commentaire qui accompagne les images du film, certains d'entre eux en viennent même à lutter au corps à corps. C'est le cas du figuier étrangleur dont les graines, la plupart du temps transportées par les oiseaux, germent dans leur fiente, sur le toit de la canopée. Le figuier étrangleur développe alors des racines aériennes qu'il projette vers le sol. Au fur et à mesure de leur développement, ces racines se regroupent et se soudent jusqu'à former un nouveau tronc qui empêche l'arbre hôte — autrement dit l'arbre qui le supporte — de poursuivre sa croissance. Etouffé, ce dernier commence à dépérir et finit par mourir. Le bois mort est alors récupéré par un arbre «profiteur»: le palmier panier. Grâce à sa forme, cet arbre piège tous les débris et les ramène vers ses racines afin d'accélérer l'action des décomposeurs et remettre le bois mort transformé à la disposition du figuier, qui en fabrique ses propres branches. 6. La liane du rhododendron: se camoufler pour survivreLa forêt tropicale secondaire voit s'épanouir un grand nombre de lianes, qui remontent le long des troncs d'arbres. Certaines de ces lianes développent des mécanismes astucieux pour se protéger des prédateurs. C'est le cas de la liane du rhododendron qui, jusqu'à se trouver hors d'atteinte des grands herbivores prend la texture et la couleur du tronc de l'arbre pour devenir «invisible» à leurs yeux. Une fois la liane hors de danger, elle reprend son apparence normale et commence à se déployer. C'est ce qu'on appelle le «camouflage», une forme de mimétisme qui permet aux végétaux mais aussi aux animaux de se fondre dans leur environnement afin de se protéger. C'est, par exemple, le cas d'insectes comme le phasme, qui se confond avec une brindille, ou de petits animaux vivant au sol comme la grenouille, qui prend l'apparence de la végétation des sous-bois. 7. La passiflore et le papillon Heliconius: repousser l'ennemi par tous les moyensLa passiflore est une liane dont les feuilles sont appréciées des chenilles du papillon Heliconius, qui représente par conséquent une menace pour sa survie. Afin de se protéger, celle-ci va tenter de repousser son agresseur grâce à une mutation génétique qui va la rendre vénéneuse. Pendant un certain temps, la passiflore va donc prospérer à nouveau, jusqu'à ce que les chenilles du papillon développent une résistance au produit toxique contenu dans ses feuilles et se métamorphosent en papillons eux-mêmes toxiques. La passiflore développe alors en retour une autre stratégie de défense: fabriquant de faux œufs de papillons Heliconius censés duper son ennemi, elle lui fait croire que la place est déjà occupée. Mais après un temps, le papillon se rend compte de la supercherie et reprend ses habitudes, obligeant la liane à trouver d'autres moyens pour se protéger. Grâce à de nouvelles mutations génétiques, celle-ci se met alors à multiplier ses formes. Mais le papillon, trompé dans un premier temps, finit toujours par la retrouver. Cet exemple de relation, qu'on appelle «co-évolution», se trouve à l'origine d'une grande diversification des deux espèces. On compte en effet aujourd'hui quarante-cinq espèces de papillons Heliconius et cent cinquante espèces de passiflores. 8. La solidarité des arbres: avertir les autres du dangerLorsque certains arbres se sentent «attaqués» par un herbivore, ils imbibent leurs feuilles d'un produit toxique dont le rôle est de rendre l'agresseur malade, voire même de l'empoisonner. Mais le plus étonnant est que l'arbre agressé parvient à avertir les arbres voisins du danger qu'ils courent grâce aux Composés Organiques Volatiles — les COV ou VOC en anglais —, autrement dit des particules odorantes qui contiennent le message: «Attention, présence d'un ennemi!». Alertés par les signaux d'alarme qui leur sont ainsi transmis, les arbres voisins produisent à leur tour des feuilles toxiques, amères ou repoussantes qui éloignent les animaux. 9. Appeler la pluie pour satisfaire ses besoins en eauCertaines plantes agrippées aux arbres (celles qu'on appelle «épiphytes») sont incapables de stocker l'eau de pluie. Ces arbres hôtes vont donc une nouvelle fois recourir aux VOC en dégageant vers le ciel des molécules munies de capteurs, qui vont piéger la vapeur d'eau contenue dans l'air. Des nuages vont dès lors se former et s'accumuler au-dessus de la forêt, constituant une réserve d'eau permanente pour eux-mêmes et les plantes qu'ils supportent. |