Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Marina
de Stijn Coninx
Belgique, 2013, 2 h 02
Le dossier consacré à Marina aborde les différents thèmes du film en suggérant plusieurs pistes pour mener des animations avec des groupes de spectateurs (jeunes ou moins jeunes) après la projection. L'animation proposée sur cette page web vise à analyser le racisme et la discrimination à l'encontre de la communauté italienne à l'époque où se situe le film et dont ont été victimes les principaux protagonistes.
On pourrait dire que le racisme trouve son origine dans une peur irrationnelle de la différence et le rejet impulsif de l'autre, celui qui ne vit pas comme nous, celui qui vient d'ailleurs. Dépourvu de tout fondement objectif, le racisme a pourtant besoin pour fonctionner de «bonnes raisons» qu'il va inventer, répandre et ancrer dans l'imaginaire collectif. Ces raisons inventées, qui justifient le rejet plus ou moins violent de la population immigrée, vont ainsi devenir des vérités admises comme telles, que le raciste remettra rarement en cause. C'est ce qu'on appelle les préjugés — les immigrés seraient responsables de la crise, du chômage, de la délinquance… — qui peuvent entraîner différents types de comportements agressifs. Les victimes ressentent bien sûr ces attitudes comme étant profondément injustes, mais elles ne disposent guère de moyens pour le démontrer et s'en prémunir. Parfois relayé ou alimenté par les institutions, le racisme se retrouve donc à tous les niveaux de la société et a pour effet la marginalisation de la population d'origine étrangère, contrainte la plupart du temps de subir passivement nombre de paroles et d'actes humiliants.
Marina met en scène un certain nombre de situations où la population belge de souche manifeste une conduite franchement raciste à l'égard des immigrés italiens, que ce soit à travers des propos insultants ou encore des comportements hostiles, agressifs et motivés par l'un ou l'autre préjugé. Le film met aussi l'accent sur une forme de racisme institutionnel, identifiable aux mesures discriminatoires mises en place à l'égard de cette communauté. Le but de cette animation, qui sera réalisée en petits groupes, est par conséquent de sensibiliser les élèves à cette dimension importante en les invitant tout d'abord à se souvenir des situations du film où les immigrés italiens sont victimes d'un traitement différent en raison de leur origine, puis à analyser en profondeur chacune de ces situations avec l'objectif de bien comprendre le fonctionnement arbitraire du racisme d'une part, et dans la perspective de former des adolescents ouverts à l'autre et actifs dans la lutte contre les préjugés d'autre part.
On consacrera une vingtaine de minutes à la première étape de l'activité. L'enseignant précisera qu'il s'agit pour chaque groupe de se remémorer une dizaine de situations montrant que les immigrés italiens de Belgique ne sont pas traités comme l'ensemble de la population belge de souche. Après une phase d'échanges qui devrait permettre d'établir une liste plus ou moins exhaustive de ces situations (voir, à titre d'exemple les situations recensées dans l'encadré n°1), l'enseignant invitera les élèves, toujours répartis en petits groupes, à réfléchir à chacune d'entre elles en utilisant une grille d'analyse (présentée dans l'encadré n°2) et en se référant au besoin aux définitions apparaissant dans l'encadré n°3.
Aux élèves du secondaire supérieur (lycée en France), l'enseignant confiera l'analyse de l'ensemble des situations identifiées, de façon à ce qu'ils puissent mener ensuite une approche comparative, procéder éventuellement à des regroupements en fonction de composantes semblables et proposer éventuellement une courte analyse de type sociologique.
Pour les élèves du secondaire inférieur (collège en France), nous recommandons par contre de limiter l'analyse à une ou deux situations et d'effectuer ensuite l'étude comparative en grand groupe.
Encadré n°1: Relevé des situations où se manifeste une attitude racistePremière partie du film: Rocco enfant
Deuxième partie du film: Rocco adolescent
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Encadré n°2: Grille d'analyse des situations |
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Qui est l'auteur(e) (personne physique ou morale) de la conduite raciste? | |
Quelle est la nature de la conduite raciste (qu'est-ce que l'auteur dit ou fait?) | |
Dans quel contexte, dans quel espace la conduite raciste se manifeste-t-elle? | |
Y a-t-il un (ou des) préjugé(s) ou stéréotype(s) à la base de la conduite raciste? Si oui, quel(s) est(sont)-il(s)? | |
La conduite raciste trouve-t-elle son origine dans la xénophobie? | |
La conduite raciste s'accompagne-t-elle d'un traitement discriminatoire, d'une mesure concrète d'exclusion? |
Encadré n°3: Quelques mots de vocabulaire
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Les comportements individuels observés dans le film révèlent pour la plupart des sentiments xénophobes alimentés par un certain nombre de préjugés. Dans Marina, Monsieur Somers, l'épicier qui s'en prend à Rocco à plusieurs reprises, incarne le type même de la personne raciste. Alors que Rocco n'est encore qu'un enfant d'une dizaine d'années, Monsieur Somers lui demande de quitter immédiatement le magasin tout en épiant ses gestes, comme si l'enfant s'apprêtait à dérober quelque chose en douce. Il fait d'ailleurs clairement comprendre à sa fille que Rocco n'a rien à faire dans son épicerie et qu'il le prend pour un voleur potentiel. C'est donc bien une méconnaissance de la culture tout récemment implantée dans son voisinage qui induit chez Monsieur Somers de la méfiance vis-à-vis des immigrés Italiens que représentent ici Rocco et sa famille.
Quelques années plus tard, alors que l'enfant est devenu adolescent et qu'il cherche à établir une relation amoureuse avec sa fille Helena, Monsieur Somers va se sentir plus menacé encore par l'irruption de «l'étranger» non plus cette fois sur son terrain professionnel, mais bien dans son univers directement personnel et familial. Sa réaction sera d'ailleurs à hauteur de son angoisse puisqu'il adopte alors à l'égard du jeune homme un comportement gestuel et verbal très violent, le sommant de couper définitivement tout contact avec sa fille. Au cours de sa tirade, il recourt à des termes insultants et dégradants — ainsi désigne-t-il les mains de Rocco en employant l'expression «sales pattes», propre au monde animal —, tout en faisant référence à des préjugés très courants comme, par exemple, celui selon lequel les Italiens sont venus en Belgique pour se la couler douce et profiter des avantages sociaux. Or il est évident que les contingents de mineurs italiens sont arrivés dans les pays d'Europe du Nord à la demande du propre gouvernement de ces pays, afin d'occuper des emplois nécessaires à la relance économique mais délaissés par les travailleurs nationaux, précisément pour le côté ardu du métier de mineur, les mauvaises conditions de travail dans lequel ce métier s'exerce et des conditions salariales moins attrayantes que celles proposées dans le secteur industriel. C'est donc bien ces pays, dont la Belgique, qui ont profité des immigrés italiens et non l'inverse.
Enfin, c'est encore Monsieur Somers qui se trouve à l'origine de l'arrestation de Rocco lorsqu'il découvre que sa fille a été violée. En dépit de la moindre preuve et, sans doute, contre le témoignage même d'Helena, il porte plainte contre le jeune homme, arguant du fait qu'il empoisonne la vie de sa fille depuis toujours. L'épicier n'hésite donc pas à mentir délibérément aux autorités, voyant là une occasion de se débarrasser définitivement de Rocco, sans aucun égard pour les conséquences qu'une telle accusation aura pour lui mais aussi pour sa propre fille. Bien que la mauvaise foi de Monsieur Somers ne soit pas particulièrement mise en évidence dans le film de Stijn Coninx, il n'en reste pas moins qu'une fois encore, il a adopté vis-à-vis de Rocco une conduite extrêmement agressive motivée par ses seuls sentiments xénophobes.
Dans la première partie du film, qui relate les premiers mois de Rocco en Belgique, on remarque d'autre part que les enfants immigrés ne sont pas épargnés par leurs nouveaux camarades, qui s'en moquent volontiers et mettent du temps à les appeler par leur prénom. En classe, Rocco est appelé «l'Italien», comme s'il n'avait d'autre identité que son identité nationale et n'existait pas lui-même en tant qu'individu. Un peu plus tard, un élève le traitera de «macaroni», colportant un stéréotype voulant que les Italiens se nourrissent exclusivement de pâtes. Enfin, devant l'épicerie, un gamin l'apostrophe en l'appelant «le Tsigane», révélant à la fois un amalgame — tous les étrangers sont des Tsiganes et donc, les Italiens sont des Tsiganes — et un préjugé tenace qui veut que les gens du voyage représentent un danger pour la population locale, qui les considère comme des vagabonds, des «voleurs de poules» ou même des «voleurs d'enfants», des profiteurs incapables de s'installer pour travailler… autrement dit comme l'ennemi numéro un.
La première situation du film montrant que les Italiens subissent une discrimination relève du décor dans lequel ils évoluent: des baraquements entourés de boue, sommairement aménagés en habitations exiguës, insalubres, dépourvues de gaz, d'électricité et de sanitaires. Ces baraquements sont en réalité d'anciens camps de prisonniers construits autour des charbonnages par les Allemands, qui y hébergeaient des soldats russes occupés aux travaux de la mine. À la fin du conflit, les prisonniers allemands y ont remplacé les prisonniers russes, jusqu'à ce qu'ils soient eux-mêmes progressivement libérés. C'est ensuite à l'initiative du gouvernement belge que les immigrés italiens occuperont à leur tour les camps de prisonniers. En effet, le gouvernement a alors obligé les charbonnages à racheter les baraquements pour y installer temporairement les mineurs récemment immigrés. Dans le même temps, les autorités établissent un plan de construction de vingt-cinq mille logements, qui sera toutefois abandonné en 1948 pour des raisons d'ordre économique. Bien qu'aucun Belge de souche ne vive dans cette sorte de bidonville et qu'il existe une réelle ségrégation entre les deux populations, il faut cependant souligner que la séparation résulte moins d'une volonté d'isoler les populations d'origine étrangère que d'un manque de prévoyance et de véritable politique d'accueil en termes de logement, un domaine qui connaît par ailleurs à l'époque une crise sans précédent.
Par contre, les autres situations du film attestent de vraies pratiques discriminatoires à l'égard de la population immigrée. Un premier constat peut être dressé lorsque Rocco, à peine arrivé en Belgique, demande à son père s'il est vrai que son contrat de travail prévoit que lui aussi travaillera à la mine lorsqu'il en aura l'âge. Salvatore ne répond pas directement à la question mais nous aurons confirmation de cette information au moins à deux reprises. Ainsi la première scène qui se déroule juste après la longue ellipse qui coupe le film en deux, séparant l'enfance et l'adolescence de Rocco, montre le jeune homme jouer de l'accordéon dans la cuisine de la maison que la famille occupe désormais, alors qu'il devrait précisément se trouver à l'école. La conversation entre ses parents indique à ce moment-là qu'il y est indésirable puisqu'il est censé travailler à la mine. Plus tard, c'est encore pour cette raison que lui sera refusé le permis de travail qui l'autoriserait à chanter dans les bars.
Dans ces deux cas, tant les autorités scolaires que les autorités administratives appliquent très clairement un traitement discriminatoire à l'égard de Rocco en raison de son statut social, traitement qui prouve qu'il ne bénéficie pas des mêmes droits que les jeunes de son âge, et cela en dépit de la Déclaration de Genève. Plus tard, lorsque Rocco est désigné coupable du viol d'Helena par Monsieur Somers, les policiers préfèrent s'en tenir aux déclarations de l'épicier qui, pourtant, ne tiennent pas la route et en dépit des protestations de l'accusé, qui a un solide alibi. Subissant de nombreuses pressions, Rocco est finalement assommé à coups de bottin sur la tête avant d'être placé en cellule. Tout au long de cette séquence, les policiers, qui sont pourtant soumis à un devoir d'objectivité et incarnent une autre figure importante de l'autorité, expriment un parti pris évident en évitant de mener l'enquête qui s'impose, puis en renonçant à entendre le vrai coupable, un Belge de bonne famille. Enfin, lors de la visite d'un représentant de la mine après l'accident de Salvatore, on ne peut que déplorer le manque de respect et de considération dont ce dernier est victime, contraint de libérer dans les six mois le logement qu'il occupe et qui appartient à son patron. Alors que Salvatore souffre de problèmes auditifs graves suite à cet accident mais aussi de silicose en raison de dix années passées au fond du puits, lui et sa famille se retrouvent du jour au lendemain sans logement et sans aucune reconnaissance.