Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au dessin animé
Pinocchio
d'Enzo d'Alò
Italie, 2013, 1h18
Pinocchio est une histoire imaginée par Carlo Lorenzini, mieux connu sous
le pseudonyme de Carlo Collodi. Cet auteur italien a vécu à Florence au 19e
siècle, entre 1826 et 1890. Il a publié au cours des années 1881 et 1882, dans le
Journal pour Enfants de l'époque, les trente-six épisodes du feuilleton enfantin
que nous connaissons aujourd'hui, Les Aventures de Pinocchio. Depuis 1883,
date de l'édition originale, cette histoire a connu de multiples adaptations sous
forme d'albums illustrés, de feuilletons télévisés, de dessins animés ou même
de films en prises de vue réelles. Avec La Divine Comédie de Dante, elle représente
l'oeuvre la plus lue en Italie au cours du 20e siècle.
L'adaptation que propose de cette histoire le réalisateur italien Enzo
d'Alò se distingue d'abord par son graphisme, confié à l'illustrateur de renom
Lorenzo Mattotti, ainsi que par un retour à une version assez proche de la version originale.
Le dossier pédagogique consacré au Pinocchio d'Enzo d'Alò a été conçu pour les élèves des premières années
de l'enseignement primaire. Il propose des animations simples à mener en
classe avant et après la projection, dont l'objectif principal est de motiver un
intérêt pour les particularités scénaristiques et artistiques inhérentes au travail
d'adaptation.
L'extrait proposé ici s'attache plus particulièrement aux valeurs véhiculées par le film.
À l'évidence, Pinocchio relève du conte moral traditionnel. L'obéissance, la sagesse, le courage, l'honnêteté et le respect comptent ainsi parmi les valeurs essentielles défendues tant par le récit original que par ses nombreuses adaptations. Avec de jeunes enfants, il convient d'aborder cette dimension d'une manière aussi concrète que possible. Nous proposons par conséquent qu'ils réfléchissent à partir des comportements adoptés par le pantin au fil des épisodes, en classant ceux-ci selon la valeur positive ou négative qu'on peut leur attribuer.
On reviendra ensuite sur quelques situations incongrues sinon absurdes du film, qui auront très certainement interloqué les enfants : l'arrestation de Geppetto au début de l'histoire, l'emprisonnement de Pinocchio au cachot des Imbéciles et enfin sa libération due à son statut de grand criminel. En effet, le fait qu'ils aient sans doute été interpellés par ces trois situations indiquent qu'ils ont eux-mêmes intégré un sens moral puisqu'ils comprennent d'emblée toute l'injustice qu'il y a à arrêter Geppetto sur base du « cinéma » de son fils, puis à jeter en prison Pinocchio venu dénoncer au Juge le Chat et la Renarde, qui l'ont dupé pour mieux le voler, ou encore à libérer les grands criminels tout en gardant les innocents en prison !
Cette activité sera réalisée de préférence en grand groupe avec les plus jeunes, et en petits groupes avec les enfants qui maîtrisent la lecture. Pour ces derniers, une première approche individuelle est également possible. Dans tous les cas, elle se déroulera sur base d'une liste des comportements principaux de Pinocchio, à commenter sous forme d'une gommette de couleur verte (« Pinocchio agit bien »), rouge (« Pinocchio agit mal ») ou orange (« Pinocchio agit mal mais sans le savoir, en croyant faire quelque chose de bien »). Au terme de l'exercice, on devrait pouvoir mesurer facilement l'évolution morale du pantin, qui sera alors discutée en grand groupe
.Lors de cette discussion seront aussi abordées les trois situations incongrues. L'enseignant commencera par demander aux enfants s'ils se souviennent de situations où les choses ne se passent pas comme elles devraient se passer, où ce qui se passe paraît injuste ou incompréhensible. Au besoin, l'on aidera les enfants à identifier ces situations : l'arrestation de Geppetto au début du film ; l'enfermement de Pinocchio au Cachot des imbéciles ; et enfin sa libération due à son statut de « dangereux criminel ».
Une fois ces situations identifiées, la réflexion sera structurée autour de questions comme :
Les comportements de Pinocchio au fil de l'histoire | + | +/- | - |
---|---|---|---|
À peine terminé, Pinocchio s'enfuit et provoque le désordre partout où il passe ; interpellé par la police, il se jette par terre et joue à l'enfant martyr. | |||
Pinocchio refuse d'écouter les conseils du Grillon qui parle : il casse la vaisselle en essayant de l'assommer ; plus tard, il s'enfonce dans la forêt pour retrouver le Chat et la Renarde au lieu de rentrer chez son père. | |||
Pinocchio invente qu'il est malade pour ne pas aller à l'école ; ensuite, il fait l'école buissonnière : il va au théâtre, à la plage, accompagne la Chignole au Pays des jouets …< | |||
Il achète une barbe à papa avec l'argent de son goûter et va au théâtre de marionnettes en payant sa place avec l'abécédaire que son papa vient de lui acheter. | |||
Pinocchio demande à être conduit au bûcher pour épargner Arlequin. | |||
Pinocchio plante ses pièces d'or dans le Champ des Miracles. | |||
Tombé à l'eau en cherchant à fuir les policiers, Pinocchio sauve de la noyade Allidoro, le chien que ceux-ci avaient lancé à sa poursuite. | |||
Avalé par le Requin géant, Pinocchio retrouve son père et décide de le sortir de là ; il nage jusqu'au rivage en portant le vieil homme sur son dos. | |||
+ « Pinocchio agit bien » : colle une gommette verte. +/- « Pinocchio agit mal mais il ne le sait pas » : colle une gommette orange. - « Pinocchio agit mal et sait qu'il agit mal » : colle une gommette rouge. |
Le tableau ainsi complété montre que le pantin évolue au fil de l'histoire, ses mauvais comportements cédant petit à petit la place à de bonnes actions. On pourrait dire que son parcours est en quelque sorte celui de tous les enfants, qui passent par différents stades avant de devenir, grâce à l'éducation qu'ils reçoivent mais aussi aux situations qu'ils rencontrent, des êtres conscients de ce qui est bien et de ce qui est mal.
Les bêtises que Pinocchio accumule au début du film, son manque d'enthousiasme à fréquenter l'école et le fait qu'il cède volontiers à la tentation (manger des sucreries, assister au spectacle de marionnettes…) font de lui un petit écervelé plus enclin à rechercher une vie de plaisir qu'à respecter les contraintes. D'après Lawrence Kohlberg, spécialiste du développement moral qui, à la fin des années cinquante, a identifié trois niveaux (comportant chacun deux étapes) de maturation morale, une telle attitude orientée par des intérêts égocentriques correspond au premier stade dit «préconventionnel», qui se développe chez les enfants entre cinq et sept ans. À cet âge de la vie en effet, le jeune enfant se préoccupe très peu des autres et agit essentiellement en fonction de son intérêt personnel.
Mais grâce aux personnages positifs qu'il côtoie — son père Geppetto, mais aussi et surtout le Grillon qui parle et la petite fille aux Cheveux Bleus — et qui lui inculquent le sens du devoir (prendre soin de ses parents, aller à l'école, rester dans le droit chemin en ne cédant pas à la tentation d'une vie facile…) et des valeurs (l'obéissance, le respect, le courage, l'honnêteté, le travail, l'altruisme…), Pinocchio développe progressivement une conscience de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas pour devenir, à la fin de l'histoire, un « vrai » petit garçon.
Dans le développement du jugement moral, une telle évolution correspond, toujours selon Lawrence Kohlberg, au deuxième stade, qui survient généralement entre sept et douze ans, celui de la moralité conventionnelle. Caractérisée par le début de relations d'empathie, cette étape se distingue de la précédente par l'apparition du souci des autres. Ce que l'enfant recherche d'abord, c'est moins la satisfaction de désirs immédiats que l'approbation d'autrui. Mu par le souhait de plaire à son entourage, il se conforme aux attentes de ses proches par l'accomplissement de « bonnes » actions, autrement dit d'actions séduisantes ou secourables. Il comprend les conséquences de ses actes et se montre capable d'en déterminer le degré de moralité.
En ce sens, les récompenses que le pantin reçoit lorsqu'il accomplit spontanément une bonne action — Mangefeu lui donne cinq pièces d'or parce qu'il a refusé qu'Arlequin soit jeté dans les flammes à sa place ; Allidoro, le chien des policiers qu'il avait sauvé de la noyade, le sauve à son tour des griffes du Géant vert prêt à le manger ; la petite fille aux Cheveux bleus le transforme en véritable garçon après qu'il est allé au bout de ses forces pour ramener son père sur le rivage — ainsi que les punitions qui sanctionnent ses mauvaises conduites — ses pieds se consument entièrement après qu'il a agressé le Grillon qui parle ; il manque d'être jeté au feu pour s'être rendu au théâtre de marionnettes plutôt qu'à l'école ; il est agressé par deux « brigands » et pendu à un arbre pour avoir refusé d'écouter le fantôme du Grillon ; il finit transformé en âne pour avoir suivi la Chignole au Pays des Jouets… — jouent également un rôle dans cette évolution au même titre que la transmission de valeurs ou encore les expériences négatives vécues au fil de son parcours : le fait d'avoir été dupé et dépouillé par deux compères qui prétendaient être ses amis lui permet d'éprouver un profond sentiment d'injustice, encore renforcé lorsqu'il est lui-même conduit en prison à la place du Chat et de la Renarde et de découvrir, grâce à ces situations inédites, la valeur de la loyauté et le sens de la justice.
Ces brefs commentaires indiquent que les jeunes spectateurs à qui est destiné le film peuvent s'identifier très facilement à Pinocchio qui, comme eux, est précisément en train de vivre le passage du premier au deuxième stade de maturation morale. C'est donc ici une belle occasion de revenir de façon détournée sur leurs propres conduites, la manière dont ils vivent les contraintes, le rôle que jouent la punition et la récompense dans la façon dont ils se comportent à l'école ou à la maison, ou encore, grâce aux situations choquantes qui mettent en relief un renversement de l'ordre moral, les expériences négatives qu'ils ont pu connaître. En effet, être puni à la place d'un autre ou laisser punir un innocent à sa propre place comptent parmi les situations injustes que les enfants ont peut-être déjà vécues. Mis en scène de façon extrême avec l'emprisonnement de Geppetto et, plus tard, celui de Pinocchio, ces deux cas de figure pourraient avoir comme effet la réactivation de sentiments déjà ressentis comme la culpabilité et la honte (laisser — ou chercher à faire — punir quelqu'un alors que l'on est soi-même coupable) ou un profond sentiment d'injustice (être puni à la place de quelqu'un d'autre).