Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Comme un lion
de Samuel Collardey
France, 2012, 1h42
avec Mytri Attal (Mitri Diop), Marc Barbé (Serge), Anne Coesens (Françoise), Marc Berman (Jean-Marie), Jean-François Stévenin (l'intermédiaire à l'aéroport)
Le dossier pédagogique consacré à Comme un lion propose plusieurs pistes d'exploitation et d'animation à mettre en œuvre avec les spectateurs, jeunes ou moins jeunes, rapidement après la projection. Il comprend :
• une réflexion sur la notion de documentaire et de fiction à lancer avant même la projection;
• un retour sur le film, sur l'histoire mise en scène, son sens et les intentions probables du cinéaste;
• une comparaison entre Nord et Sud à travers notamment l'image que le film donne du Sénégal;
• une réflexion sur la célébrité et l'attrait qu'elle peut susciter sur chacun d'entre nous, notamment à l'entame d'une carrière;
• et enfin un débat sur les valeurs — positives ou négatives — que l'on peut associer au football, comme sport et comme spectacle.
L'extrait proposé ci-dessous porte sur l'attrait que les carrières impliquant une forme de célébrité peuvent exercer sur le public.
Mitri veut devenir footballeur… Ce désir nous semble évident, mais l'on peut se poser un peu naïvement la question: pourquoi ce métier-là et pas un autre? Arrivé en France, il suit ainsi une formation en hôtellerie qui manifestement ne l'enthousiasme pas. Qu'est-ce qui l'attire en revanche particulièrement dans le football? Et de façon plus générale, qu'est-ce qui détermine le choix d'un métier ou d'un autre?
On voit que, dans la cas de Mitri, sa motivation principale résulte de la célébrité des grands footballeurs: il voit des matchs à la télévision, il parle des Lions du Cameroun, il cache dans son exemplaire du Coran la photo d'un joueur… Autrement dit, il veut devenir footballeur parce qu'il connaît des footballeurs célèbres et que le football est un sport populaire, largement relayé par les médias, télévision, radio, journaux et aujourd'hui Internet. Il sait notamment que les grands joueurs de football touchent des salaires importants, parfois faramineux, et il est persuadé — comme sa grand-mère d'ailleurs — que, s'il parvient à être engagé par un club français, il pourra faire fortune en deux ou trois années. L'argent n'est certainement pas la seule motivation de Mitri (contrairement à d'autres qui espèrent «faire fortune» ailleurs), et il est d'abord attiré par la gloire, la célébrité, le prestige qui accompagnent les carrières des grands footballeurs.
Par ailleurs, un peu de réflexion révèle aussi combien de telles carrières sont rares sinon exceptionnelles: comme le signale le juge à Mitri, à peine deux mille joueurs professionnels peuvent vivre du football en France alors que les pratiquants réguliers ou occasionnels sont sans doute des centaines de milliers. Ce type de carrières prestigieuses s'inscrit donc dans un système que l'on peut qualifier d'entonnoir et que résume le célèbre proverbe: «beaucoup d'appelés et peu d'élus!»[1]. Cette sélection impitoyable, qui ne retient en principe que les meilleurs (ou les plus chanceux? ou ceux qui ont les meilleures relations?), n'empêche cependant pas que de telles carrières suscitent une large fascination, notamment chez les jeunes.
Il est donc intéressant de mener avec ceux-ci une réflexion sur cette question et plus largement sur le choix d'un métier: si certaines carrières prestigieuses attirent ainsi largement l'attention, la plupart des adultes occupent cependant des fonctions sans doute moins célébrées mais qui méritent sans doute d'être mieux connues.
Nous proposons de soumettre aux jeunes participants, de façon anonyme, un questionnaire sur leur connaissance de différentes professions ou carrières: connaissent-ils par exemple les noms de footballeurs, de professionnels d'autres sports mais aussi de médecins, d'ouvriers ou d'employés de différentes sortes? Sans préjuger des réponses, il est vraisemblable que la plupart pourront citer le nom de sportifs célèbres, éventuellement d'acteurs mais sans doute plus difficilement de médecins ou d'employés. On fera également la distinction entre le fait de connaître personnellement quelqu'un et le fait d'entendre le nom de quelqu'un dans les médias.
Connaissez-vous…? |
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Voici une liste de professions ou de carrières: connaissez-vous le nom d'une ou de plusieurs personnes ayant une telle profession? Précisez ensuite s'il s'agit d'une relation personnelle (un ami, un parent, une connaissance…) ou plutôt d'une célébrité apparaissant à travers les médias (télévision, presse, Internet…). Et cette profession ou cette carrière vous intéresse-t-elle éventuellement? | |||||||
Pouvez-vous citer le nom d'une ou plusieurs personnes (homme ou femme) exerçant (ou ayant exercé) la profession de… | La ou les connaissez-vous personnellement ou par les médias? (précisez éventuellement le nombre) | Ce métier vous intéresse-t-il? | |||||
au moins une | plusieurs | aucune | personnellement | à travers les médias | oui | non | |
Joueur de football | |||||||
Ingénieur | |||||||
Réalisateur de cinéma | |||||||
Fonctionnaire | |||||||
Mécanicien | |||||||
Acteur de cinéma, comédien | |||||||
Avocat | |||||||
Coureur cycliste | |||||||
Informaticien | |||||||
Homme ou femme politique | |||||||
Artisan | |||||||
Comptable | |||||||
Présentateur de télévision | |||||||
Juge | |||||||
Projectionniste | |||||||
Infirmier | |||||||
Artiste peintre | |||||||
Architecte | |||||||
Écrivain | |||||||
«Top model», mannequin | |||||||
Joueur de badminton | |||||||
Journaliste | |||||||
Boulanger | |||||||
Conducteur routier ou de train | |||||||
Homme ou femme d'affaires | |||||||
Chercheur scientifique | |||||||
Chanteur | |||||||
Ouvrier | |||||||
Photographe | |||||||
Humoriste | |||||||
Météorologue | |||||||
Géologue |
Un tel questionnaire peut faire l'objet d'un dépouillement avec un tableur (type Excel® ou OpenOffice) qui permettra de calculer notamment les scores des différentes réponses. À partir de ce dépouillement, on pourra lancer une discussion avec les participants en se basant éventuellement sur les suggestions suivantes.
Tout le monde connaît certainement le nom de l'un ou l'autre footballeur, national ou international. C'est certainement le cas aussi pour les coureurs cyclistes. En revanche, d'autres sports comme le badminton sont beaucoup moins populaires (sauf dans certains pays) et trouvent peu d'échos dans les médias. Dans ces conditions, ces sports moins célébrés bénéficient de moins d'audience, de moins de publicité et de moins de recettes. Et très rares sont alors les joueurs qui peuvent prétendre vivre de ces sports méconnus.
Ingénieur est un métier relativement prestigieux dans nos sociétés, qui nécessite des études longues et difficiles. Les salaires dans cette profession sont en général élevés. Mais si leur travail est indispensable dans un très grand nombre de domaines (qu'il s'agisse de la conception de moteurs, d'autos, de bâtiments ou de processus industriels, et de pratiquement tous les objets de notre quotidien), ce n'est que de façon exceptionnelle que le nom de l'un ou l'autre ingénieur sera célébré dans les médias. La fonction est prestigieuse, mais les personnes restent peu connues, sinon de leurs proches.
Les ingénieurs ne travaillent cependant pas tout seuls, et les ouvriers et ouvrières sont également indispensables aux processus de fabrication. Leur rôle est cependant peu valorisé, parfois méprisé (notamment dans le travail à la chaîne), et les ouvriers n'apparaissent pratiquement jamais en tant que tels dans les médias: le personnage de Serge dans Comme un lion, que l'on voit travailler à l'usine de Sochaux, est de ce point de vue une exception. À la télévision par exemple, les ouvriers ne sont évoqués que lorsqu'une usine ferme ou qu'une entreprise est en grève: on comprend qu'avec une image aussi négative (qu'on ne doit pas nécessairement partager), une telle carrière soit peu attractive.
Le cinéma est un loisir très populaire, et tous, nous voyons ou nous avons déjà vu des films en salle, à la télévision ou sur Internet. Souvent, les noms des acteurs qui apparaissent à l'écran nous sont connus, et c'est souvent un des critères du choix des films que nous souhaitons voir: nous choisissons tel ou tel film parce qu'il s'agit d'un film avec un acteur ou une actrice que nous admirons.
En revanche, seule une minorité de spectateurs connaissent le nom des réalisateurs des films qu'ils voient, et le nombre de cinéastes célèbres est certainement moins important que celui des acteurs que l'on peut voir sur les plateaux de télévision ou les couvertures de magazine (notamment lorsqu'il s'agit d'évoquer leurs aventures amoureuses…).
Sans dénier l'importance des acteurs dans la réussite d'un film, il faut cependant reconnaître que le travail le plus important (notamment en termes de temps de travail) revient aux réalisateurs qui prennent en charge l'ensemble du film depuis sa conception jusqu'au montage final. Mais ce travail reste invisible (ou plus exactement la personne du cinéaste n'apparaît qu'exceptionnellement à l'écran) alors que la présence des acteurs et actrices s'impose nécessairement au regard des spectateurs.
Les artistes sont sans doute moins célèbres que les sportifs, mais qui n'a jamais entendu le nom de Léonard de Vinci, de Van Gogh ou de Picasso? Une différence saute cependant aux yeux entre les deux types de personnalité, puisque Picasso, Van Gogh et Léonard de Vinci sont morts alors que la plupart des sportifs célébrés aujourd'hui sont bien vivants et généralement en pleine carrière. En revanche, les plus jeunes auront sans doute plus de difficultés à citer des sportifs plus âgés ou décédés. Qui parmi eux pourrait citer le nom de Maurice Garrin, pourtant le vainqueur du premier tour de France, ou encore de Pelé, longtemps considéré comme le meilleur joueur de football du monde (actif de 1956 à 1977)?
La célébrité varie donc grandement selon le type de carrière et peut être éphémère comme c'est le cas notamment des sportifs. En revanche, les artistes acquièrent en général la célébrité tardivement, parfois même après leur mort, mais cette gloire peut perdurer des siècles durant
.Tout le monde reconnaît l'utilité d'un métier comme celui d'infirmier (mais aussi d'ouvrier, d'artisan ou de mécanicien…), mais aucune personne exerçant cette profession n'est sans doute célébrée dans les médias, ni conviée à exposer sa vie privée ou à donner son opinion sur l'état du monde au cours d'un talk show télévisé… En revanche, des top models souvent très jeunes apparaissent régulièrement dans les défilés de mode mais également sur les plateaux de télévision à l'une ou l'autre occasion ou sous l'un ou l'autre prétexte. Et l'on ne manque pas de leur donner la parole pour exprimer leur opinion sur les faits les plus importants ou les plus futiles… On relèvera également que ce genre de personnalités — riches et célèbres — voient leur vie privée plus ou moins exposée dans les magazines à sensation.
On constate ainsi facilement que les médias accordent une valeur très différente à des qualités comme la beauté, toujours célébrée, et l'utilité sociale, souvent ignorée.
Un présentateur de télévision a en principe une fonction subordonnée et secondaire: il présente une information supposée importante au journal télévisé, il donne la parole à un expert en principe qualifié, il interroge un homme ou une femme politique censé diriger un pays… Pourtant, il nous est sans doute plus facile de citer le nom d'un présentateur ou d'un animateur de télévision qu'un politicien vu seulement quelques fois ou qu'un «invité» dont la spécialité ne nous est pas familière…
Autrement dit, le seul fait d'être régulièrement présent à la télévision fait acquérir aux personnes une célébrité souvent rapide et qui n'est sans doute pas justifiée par des qualités extraordinaires. Ainsi, le visage et le nom des personnes qui présentent la météo à la télévision nous deviennent rapidement familiers alors même que nous avons l'impression qu'ils ne sont là que pour nous annoncer le temps du lendemain.
On remarquera encore à propos de ce dernier exemple que beaucoup de personnes désigneront ces présentateurs comme des «météorologues», alors qu'ils n'ont pas cette qualité scientifique, même s'ils s'appuient bien sûr sur des informations recueillies par de véritables météorologues. Ceux-ci travaillent évidemment dans des instituts de recherche et non pas à la télévision.
Indirectement cependant, le métier de météorologue nous paraît beaucoup plus familier que celui de géologue par exemple, une spécialité scientifique très largement absente des médias.
Dans notre entourage, dans notre quartier, nous connaissons tous un boulanger, un boucher ou un épicier à qui nous achetons plus ou moins régulièrement du pain, de la viande ou d'autres marchandises. Ce sont donc des métiers visibles puisque ces commerces se retrouvent pratiquement dans chaque ville ou dans chaque quartier. En revanche, nous n'avons pas souvent l'occasion de croiser un fonctionnaire, du moins dans l'exercice de ses fonctions, ou même un artisan qui travaille à l'abri des regards (on remarquera que souvent nous appelons boulanger la personne qui vend du pain dans la boutique, mais en fait l'artisan boulanger[2] travaille généralement à l'écart de la boutique).
Certains métiers, certaines carrières sont ainsi bien connus de tous alors que d'autres, moins visibles, sont plus difficilement identifiés à moins de connaître personnellement l'une ou l'autre personne exerçant l'une de ces professions.
Connaissons-nous des scientifiques célèbres? des hommes ou des femmes d'affaires faisant la Une des journaux? Certains noms peuvent émerger: Einstein est sans doute un chercheur scientifique dont la renommée est exceptionnelle (même s'il est décédé). Et beaucoup d'entre nous ont entendu parler de Steve Jobs, le fondateur de la firme informatique Apple®, ou Bill Gates, longtemps patron de Microsoft® et l'un des hommes les plus riches du monde. Mais il s'agit de personnalités exceptionnelles dans leur domaine, alors que les sportifs célèbres se comptent par dizaines, par centaines sinon par milliers.
Pourquoi certains métiers sont-ils ainsi particulièrement célébrés par les médias et d'autres non? Et qu'est-ce qui provoque et entretient cette célébrité? Et enfin cette célébrité est-elle nécessaire sinon indispensable pour certaines carrières?
Il est clair que le public s'intéresse plus aux sportifs qu'aux chercheurs scientifiques ou aux hommes d'affaires. Beaucoup d'amateurs sont même prêts à payer pour voir certains matchs ou certaines compétitions (dans un stade ou à la télévision). Sans cet argent, les sportifs ne pourraient d'ailleurs pas devenir professionnels et devraient rester des amateurs non rétribués. Ce n'est évidemment pas le cas des chercheurs scientifiques ou des hommes d'affaires qui ont d'autres sources de revenus…
On remarquera en outre que les médias contribuent de façon très importante à la professionnalisation des différentes activités sportives en assurant leur diffusion et leurs retransmissions. Pour pouvoir retransmettre un match de football par exemple, une chaîne de télévision doit rétribuer les clubs qui eux-mêmes peuvent payer les salaires plus ou moins importants des joueurs (mais aussi la construction et l'entretien des stades ainsi que tous leurs autres employés). Les agences de publicité rétribuent également les clubs, les télévisions, les différents médias pour faire figurer leurs annonces lors de ces transmissions ou diffusions. Les médias audiovisuels ou écrits sont donc intéressés par les compétitions sportives les plus populaires qui leur attirent du public (parfois prêt à payer comme pour les chaînes de télévision payante) mais également des rentrées publicitaires.
On peut donc parler d'un cercle qui relie les sportifs, les médias et le public, et qui produit un effet de boule de neige: plus les médias parlent des rencontres sportives, plus le public s'intéresse à ces activités; plus le public s'y intéresse, et plus les rentrées financières sont importantes pour les sportifs mais également pour tous les professionnels des médias; enfin, plus les rentrées financières sont importantes, et plus il y a des sportifs qui peuvent en vivre et devenir professionnels. Mais plus le sport est célébré par le public et les médias, plus des jeunes sont attirés par ces carrières et plus la compétition entre les sportifs devient importante: le nombre d'amateurs augmente mais le nombre de professionnels n'augmente pas nécessairement dans la même proportion.
Ce «cercle» reliant les joueurs professionnels mais aussi amateurs[3] (ainsi que les clubs auxquels ils appartiennent), les médias et le public constitue ce qu'on appelle un système ou une structure sociale dont les éléments sont interdépendants et ne pourraient pas exister l'un sans l'autre. Ce système s'est bien sûr construit progressivement avec un renouvellement constant des joueurs, des spectateurs et des commentateurs sportifs mais aussi avec une augmentation progressive du nombre global de ces différents «acteurs»: cela explique que certains sports soient devenus très populaires dans certains pays — le football en Europe en Afrique ou en Amérique du Sud — mais beaucoup moins dans d'autres — par exemple aux États-Unis, où le base-ball ou le football dit américain sont bien plus populaires que le «soccer»—. Une fois un tel système mis en place, il devient sinon indestructible, du moins très difficile à transformer: on sait par exemple que les scandales liés au dopage n'ont que faiblement affecté la popularité d'un sport comme le cyclisme.
Sans verser dans le moralisme, on soulignera notamment tout ce que masque la célébrité de quelques-uns (sans doute talentueux), qu'il s'agisse du rôle de médias, d'autres carrières tout aussi honorables mais méconnues, de métiers invisibles qui concourent cependant à la gloire des autres, du public enfin qui, par sa ferveur, procure des revenus parfois disproportionnés à ces personnalités plus ou moins remarquables. Et de façon essentielle, on rappellera que, si tous nous subissons de façon plus ou moins accentuée l'attrait de la célébrité, seuls quelques-uns, une toute petite minorité, parviennent réellement à réussir de telles carrières. Le parcours de Mitri, dans Comme un lion, reste tout à fait exceptionnel.
1. Pour rappel, cette formule se trouve dans l'Évangile selon Matthieu, qui rapporte la parabole des noces énoncée par Jésus. Dans ce contexte, on peut la paraphraser sommairement de la façon suivante: «beaucoup d'hommes sont appelés par Dieu, sont invités à le rejoindre, mais peu entendent réellement cet appel et mériteront d'accéder au royaume des cieux.»
2. Lorsqu'on parle d'artisan, nous pensons généralement à d'autres professions (ébéniste, joaillier, horloger…) que celle de boulanger. La profession de boulanger a une identité très forte, ce qui fait qu'on l'associe moins facilement à la catégorie plus large d'artisan.
3. On n'a pas évoqué le rôle des amateurs, mais le sport comme spectacle séduit beaucoup de jeunes qui s'inscrivent en grand nombre dans les clubs sportifs, paient des cotisations, attirent leurs parents aux matchs et «alimentent» ainsi tout le système, même s'ils ne deviennent pas tous des professionnels.