Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Les Invisibles
de Sébastien Lifshitz
France, 2012, 1h55
Le dossier pédagogique dont on trouvera un extrait ci-dessous s'adresse notamment aux enseignants et aux animateurs en éducation permanente qui, après la vision du documentaire de Sébastien Lifshitz, Les Invisibles, souhaitent aborder les principaux thèmes de ce film avec des groupes de spectateurs, jeunes ou moins jeunes.
Le dossier comprend plusieurs parties qui correspondent à autant de pistes d'exploitation possibles : en fonction de ses intérêts et de ceux du public auquel il s'adresse, l'animateur ou l'enseignant retiendra sans doute l'une ou l'autre de ces pistes, même s'il est tout à fait possible de parcourir l'ensemble des animations proposées. Celle proposée ci-dessous porte plus particulièrement sur les première réactions après la vision.
On procédera de manière intuitive en demandant aux participants leurs réactions spontanées par rapport au film. Les premières questions seront relativement générales, puis les suivantes solliciteront des réactions plus personnelles.
Pour éviter la stigmatisation éventuelle de certains participants (face à des réactions plus ou moins ouvertement homophobes), on peut conseiller à l'animateur ou l'enseignant de ne pas hésiter à donner (dans le cours de la discussion) une appréciation personnelle sur l'une ou l'autre intervention ou sur l'un ou l'autre épisode évoqué par le film, qui l'aurait particulièrement marqué, ému ou touché: il ne s'agit en aucun cas de faire des confidences personnelles mais seulement de montrer que les témoignages du film sont dignes d'intérêt et d'attention, et qu'ils peuvent interpeller n'importe qui, homosexuel(le) ou hétérosexuel(le). Pour lutter contre l'homophobie, la première réaction consiste sans doute à considérer les homosexuel(le)s comme n'importe quel homme ou n'importe quelle femme, dont les propos méritent d'être entendus, dont l'histoire peut nous émouvoir ou nous captiver pour de multiples raisons.
Ainsi, l'on pourrait poser les questions suivantes après la projection: Avez-vous apprécié le film?
Un film ni une discussion ne suffisent à changer des mentalités. L'objectif de cette première animation sera essentiellement de parler du film, des personnes mises en scène et des expériences relatées par les unes et les autres, en évitant des débats trop généraux avec des opinons trop catégoriques. Il s'agira plutôt de faire prendre conscience aux participants (ou à certains d'entre eux) que l'homosexualité n'est pas d'abord une question d'opinion mais une réalité concrète, vécue par des êtres humains qui sont foncièrement semblables aux autres, avec les mêmes passions, les mêmes sentiments, les mêmes joies et les mêmes problèmes, tout en mettant l'accent sur la diversité des expériences rapportées. Cette diversité — le film le montre bien — est grande, quelle que soit l'orientation sexuelle.
Un argumentaireDeux grands arguments sont fréquemment utilisés pour justifier l'homophobie: le premier en appelle à la nature, le second à l'une ou l'autre tradition religieuse. Il est donc préférable que l'enseignant ou l'animateur ait eu une réflexion préalable à ce propos. Voici quelques arguments qu'il pourrait avancer. Que dit la nature?L'argument naturel est très souvent évoqué pour justifier l'hétérosexualité (et condamner explicitement ou implicitement l'homosexualité ou la bisexualité) et s'appuie sur des faits d'évidence qui sont cependant interprétés de manière tendancieuse. La reproduction sexuée résulte de l'évolution biologique et suppose la présence de deux individus de sexe différent; chez les espèces sexuées, la sélection naturelle va de façon générale privilégier les comportements reproductifs, que ce soit la recherche d'un partenaire de l'autre sexe ou une activité sexuelle relativement importante (une espèce qui n'aurait aucun attrait pour la sexualité serait évidemment amenée à disparaître). Mais il ne s'agit que de tendances très générales qui peuvent être contrecarrées par beaucoup d'autres facteurs (on peut ainsi supposer qu'une activité sexuelle trop fréquente pourrait exposer l'animal à des prédateurs). Mais ces faits très généraux ne permettent pas de conclure à la moindre obligation naturelle: la nature ne nous dit pas comment nous devons nous comporter, ni comment nous devons utiliser notre corps ou certaines parties de notre corps. Nos jambes sont évidemment faites pour marcher ou pour courir, mais rien ne nous empêche de les utiliser pour conduire une auto ou pour pédaler sur un vélo! Ce sont là des pratiques qui n'ont strictement rien de naturel mais auxquelles nous ne serions certainement pas prêts à renoncer! Si l'on considère maintenant la plupart de nos activités, très peu d'entre elles peuvent être dites naturelles et pourtant nous n'avons aucune raison de ne pas les pratiquer: notre cerveau est destiné à nous procurer de la nourriture et à échapper à des prédateurs, pas à jouer à des jeux vidéos, ni à regarder la télévision, ni à étudier ou à lire des livres… Il n'y a donc pas de loi naturelle qui nous imposerait d'utiliser notre sexe ou notre corps ou notre cerveau de façon unique ou uniforme. On remarquera encore à ce propos que, si la supposée Nature est invoquée pour condamner l'homosexualité ou la bisexualité, la plupart des hétérosexuels ont eux-mêmes des pratiques sexuelles qui ne sont évidemment pas commandées par la nécessité de la reproduction, qu'il s'agisse de masturbation, de pratiques orales ou anales ou encore de toutes sortes de fétichismes (comme aimer les sous-vêtements en dentelle, évidemment inconnus des autres espèces animales…). Comment ne pas relever le fait également que la contraception— qui vise évidemment à contrecarrer la fécondité naturelle — est considérée par la plupart de nos contemporains comme un progrès essentiel? Que dit la religion?Les grandes religions pratiquées en Occident s'appuient sur des Livres sacrés (la Torah juive, la Bible chrétienne, le Coran musulman), mais ceux-ci font l'objet de multiples interprétations qui varient selon les individus, les époques et les lieux, même si certaines autorités (comme le pape dans la tradition catholique) sont éventuellement reconnues par un grand nombre de croyants. On constate de fait sur de nombreux sujets des différences d'interprétation et dans certains cas des conflits: catholiques et protestants, qui se réfèrent au même Livre, la Bible, divergent cependant sur des questions importantes comme le rôle des Sacrements ou le culte des Saints. À l'intérieur d'une même croyance, on relève également des divergences d'opinion plus ou moins importantes. C'est le cas notamment de l'Islam qui admet le débat entre savants, même si des règles essentielles (comme les cinq piliers) ne prêtent pas à discussion. Invoquer la religion pour condamner l'homosexualité suppose donc que l'on se considère comme détenteur de la Vérité en matière religieuse (contrairement aux autres) ou que l'on croie sans esprit critique quelqu'un qui prétend détenir cette Vérité. On remarque d'ailleurs des évolutions parfois importantes dans les convictions essentielles des croyants: ainsi, le divorce et la contraception, qui sont aujourd'hui encore condamnés par l'Église, sont cependant acceptés comme des faits normaux (même s'ils peuvent les déplorer) par la majorité des catholiques. De manière plus générale, les interprétations des textes sacrés oscillent ainsi entre des attitudes rigoristes et d'autres plus libérales qui s'attachent plus au sens général des textes et des croyances qu'à leurs prescriptions précises: beaucoup de catholiques aujourd'hui ne respectent plus le Carême, mais ils se considèrent néanmoins comme des croyants sincères et authentiques; de la même manière, beaucoup de jeunes musulmanes ne portent pas le voile (hijab) ou ne le portent qu'en certaines circonstances sans que cela ne mette en cause leur foi. Ainsi, l'éventuelle condamnation de l'homosexualité par l'une ou l'autre religion est soumise à des interprétations divergentes et souvent contradictoires, qui dépendent sans doute plus de la mentalité — plus ou moins conservatrice ou libérale en matière de mœurs — des commentateurs que de véritables considérations religieuses. Par ailleurs, l'homosexualité est présente dans toutes les sociétés et à toutes les époques, même si la tolérance à son égard ainsi que les manières de la vivre (par exemple de façon cachée ou ouverte) varient grandement selon les lieux et les moments. Il ne s'agit pas de pratiques liées spécifiquement à certaines cultures ou à certaines civilisations, qu'on qualifierait de «libérées», de «progressistes» ou au contraire de décadentes ou de «dégénérées». On trouve donc des homosexuel(le)s parmi les croyants de toutes les religions. Face à l'hostilité de certains de leurs coreligionnaires ou de certaines autorités, ils cherchent donc à affirmer leurs droits en expliquant notamment qu'il n'y a pas d'incompatibilité entre leur foi sincère et l'homosexualité. Il existe ainsi des associations gay et lesbiennes qui réunissent des croyants d'une même religion (en France, on peut citer l'association David et Jonathan pour le christianisme, Beit Haverim pour le judaïsme, Homosexuels musulmans 2 France pour l'Islam, dont les audiences sont très variables) et visent à concilier leur foi et l'homosexualité. |