Le dossier pédagogique dont on trouvera un extrait ci-dessous s'adresse notamment aux enseignants du secondaire qui verront le film Le fils de l'Autre avec des spectateurs à partir de treize ans environ. Il retiendra également l'attention des animateurs en éducation permanente qui souhaitent mener une réflexion autour de ce film avec un large public intéressé par ses différents thèmes.
Le conflit israélo-palestinien sous l'œil du cinéma
Tout le monde a entendu parler du conflit israélo-palestinien, que ce soit à travers les médias audio-visuels, la presse écrite, Internet ou même grâce à des conversations (parfois enflammées!) avec des amis ou camarades. Néanmoins, les connaissances des uns et des autres sont généralement fragmentaires et le plus souvent partisanes. Il ne s'agira évidemment pas pour l'enseignant ou l'animateur de prétendre à une stricte neutralité (qui est sans doute impossible à tenir) mais plutôt d'apporter des compléments d'information, de structurer dans la mesure du possible les savoirs souvent incomplets et enfin de faire mieux prendre conscience aux participants des différents points de vue en présence. Alors que ce conflit tend à figer les positions en deux camps antagoniques, on essaiera ici de rendre compte notamment de la diversité des positions défendues dans chaque camp.
Objectifs
L'animation proposée ici poursuit deux grands objectifs successifs:
- Les participants seront d'abord invités à compléter leurs connaissances fragmentaires par une recherche d'informations historiques et politiques.
- On s'intéressera ensuite au point de vue des uns et des autres en se basant notamment sur la mémoire différente dont ils sont porteurs. Il s'agira notamment de mieux comprendre les motivations ou les raisons de ceux qui appartiennent au «camp adverse», même s'il n'est pas question ici de vouloir modifier dans un sens ou un autre les opinions des spectateurs.
Déroulement
L'on propose de s'appuyer sur le film de Lorraine Lévy, Le fils de l'Autre pour débuter la recherche d'informations historiques et politiques. Le film montre en effet des lieux, évoque des faits, cite des événements, de façon plus ou moins directe ou au contraire fragmentaire et incidente… et, pour les spectateurs un peu informés, ces détails sont perçus comme immédiatement significatifs et «fonctionnent» comme des allusions à une réalité plus large, caractéristique de la situation israélo-palestinienne.
Commençons donc par demander aux spectateurs de citer tous les éléments du film — faits, lieux, événements, caractéristiques diverses… — qu'ils ont déjà entendu évoquer ailleurs, notamment à travers d'autres médias. Ces éléments peuvent paraître anecdotiques ou rester fort vagues, mais ils seront néanmoins notés de façon sommaire et en vrac au tableau par l'enseignant ou l'animateur. Si les observations se révèlent vraiment trop peu nombreuses, l'enseignant ou l'animateur pourra suggérer quelques éléments comme ceux cités dans l'encadré qui suit.
Quelques éléments significatifs
- Joseph est appelé à faire son service militaire; son père lui-même est un officier de l'armée israélienne.
- Orith et Leïla ont accouché au même hôpital Rothschild à Haïfa.
- Les deux mamans ont accouché pendant la Guerre du Golfe en 1991; à ce moment, des Scuds sont tombés sur Haïfa.
- Les parents de Yacine sont des Palestiniens de Cisjordanie: «elle n'aurait jamais dû accoucher à Haïfa, elle était en visite chez sa sœur».
- Le médecin qui annonce aux familles l'échange de bébés commence par demander aux parents Al-Bezaaz s'il peut parler en hébreu; comme ils ne répondent pas, il décide de parler en anglais.
- À Haïfa, Orith porte une robe blanche légère, Leïla une robe longue avec un voile.
- Lorsque Yacine revient de France, il doit passer par un point de contrôle surveillé par des militaires israéliens.
- L'auto qui ramène Yacine chez lui longe un mur de grande hauteur surmonté de barbelés.
- Orith est née en France et ses parents sont français.
- Quand on découvre que Joseph n'est pas le fils biologique d'Orith et Alon, il est dispensé du service militaire, mais le rabbin considère qu'il n'est plus juif et qu'il doit donc se convertir.
- Joseph demande (de façon à la fois ironique et désespérée): «je vais devoir troquer ma kippa contre une ceinture d'explosifs?»
- Alon et Saïd s'affrontent verbalement «N'envoyez pas vos enfants à la guerre, dit Alon — Ce n'est pas une guerre, c'est la destruction d'un peuple, répond Saïd. — Ce n'est pas nous, ce sont vos dirigeants. — Il s'agit d'occupation, de la souffrance sous l'occupation depuis longtemps. C'est un apartheid.»
- Joseph et sa famille vivent à Tel Aviv, Yacine et sa famille à Ramallah; on perçoit une différence importante dans le niveau de vie des deux familles.
- Yacine et Bilal longent une espèce de bidonville: on aperçoit deux dromadaires qu'un habitant essaie d'éloigner.
- Joseph se rend dans la famille de Yacine chez qui il prend le repas. Alors que l'ambiance semble très tendue, il entonne une chanson que les autres membres de la famille vont accompagner de la voix ou d'un instrument de musique.
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Certains des faits cités peuvent paraître banals ou évidents: ils vont néanmoins permettre à l'enseignant ou à l'animateur de mesurer le niveau des connaissances des spectateurs, notamment les plus jeunes. Par ailleurs, des questions complémentaires susciteront rapidement de nouvelles recherches, que ce soit dans la presse, sur Internet ou dans des ouvrages spécialisés.
Voici (dans l'encadré) quelques pistes pour prolonger ainsi la recherche spontanée d'informations. Les numéros correspondent aux faits cités ci-dessus.
Quelques questions à creuser…
- Le premier fait cité semble évident mais permet de soulever assez facilement de nouvelles interrogations: y a-t-il une armée palestinienne équivalente à l'armée israélienne? Yacine pourrait-il être appelé à faire son service militaire dans cette armée? En Israël, tous les jeunes hommes doivent-ils faire leur service militaire (si l'on excepte les «réformés» pour de bonnes ou mauvaises raisons)?
- Où se situe Haïfa? Juifs et Palestiniens vivent-ils ensemble à Haïfa? La population d'Israël est-elle composée uniquement de Juifs? Le nom donné à l'hôpital, «Rothschild», est-il significatif?
- De quelle guerre du Golfe s'agit-il? Quels belligérants mettait-elle en présence? Comment s'est-elle terminée? Qui a envoyé des « Scuds» sur Haïfa? dans quel but? Combien y a-t-il eu de victimes?
- Leïla et Saïd sont des Palestiniens de Cisjordanie, mais la sœur de Leïla, Palestinienne également, vit à Haïfa en Israël: quelle est la différence? Quelle est la situation des Palestiniens en Israël? Y a-t-il d'autres minorités en Israël? Les Palestiniens forment-ils deux peuples différents ou un seul? Hier et aujourd'hui?
- Quelle langue parlent donc les parents Al-Bezaaz? Est-ce qu'ils ne parlent pas hébreu ou est-ce qu'ils refusent de parler cette langue? Qui parle hébreu? Et pourquoi autant de personnes semblent-elles parler anglais ou français en Israël ou en Palestine?
- Orith apparaît comme une Juive «laïque» (ne manifestant pas de signe de confession religieuse): tous les Juifs en Israël sont-ils «laïques» ou y a-t-il des communautés religieuses affirmées et visibles? Leïla quant à elle est sans doute de confession musulmane: tous les Palestiniens sont-ils musulmans? Y a-t-il d'autres confessions religieuses présentes chez certains Palestiniens? De quand datent ces différentes confessions?
- Quelle «frontière» contrôlent ces militaires? Est-ce réellement une frontière? Où sont disposés ces «check-points»? Qui y est soumis à des contrôles? De quand datent ces points de contrôle?
- Où se trouve ce mur? Quand a-t-il été construit? Pourquoi a-t-il été construit? Quels problèmes ce mur pose-t-il aux populations palestiniennes? Qui est-il censé protéger? Est-il légal au regard du droit international?
- Beaucoup de Juifs d'Israël sont-ils originaires de France? ou d'Europe? Quand sont-ils arrivés? Y a-t-il eu plusieurs vagues d'immigration?
- Comment définit-on le fait d'être juif? Quelles conséquences cela a-t-il pour les habitants d'Israël? et d'autres pays?
- Qu'est-ce qu'une kippa? À quoi Joseph fait-il allusion quand il parle de ceintures d'explosifs? Qu'est-ce que l'Intifada? La première puis la seconde?
- Quels sont les territoires que Saïd considère comme occupés? Qu'entend-il par apartheid? De quelle(s)s guerre(s) parle Alon? Quelles sont les différentes guerres qui ont marqué la région?
- Où se situent Tel Aviv et Ramallah? Ces villes ont-elles des caractéristiques particulières? Y a-t-il d'autres villes importantes ou caractéristiques dans la région (Israël/Palestine)? Les différences de niveau de vie sont-elles importantes entre Israël et la Palestine?
- La Palestine et Israël sont-ils des régions désertiques? Y a-t-il des populations spécifiques à ces régions?
- Israéliens et Palestiniens partagent-ils d'autres choses que la musique? Ont-ils une culture commune? une langue? une histoire commune qui ne soit pas uniquement celle de leur conflit?
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Mener une recherche
Le réseau Internet a grandement modifié la recherche de ressources documentaires et a notamment facilité l'accès à des informations en très grand nombre. Il est donc possible de trouver sur Internet de multiples réponses aux questions posées ci-contre. Mais ces informations, on le sait, sont de qualité très diverse, souvent sommaires et de seconde main, marquées également par les prises de position plus ou moins partisanes de leurs auteurs[1]. Ainsi, chacun trouvera facilement des arguments en faveur de ses propres opinions préconçues, négligeant généralement d'autres points de vue, contradictoires ou simplement différents. C'est le cas en particulier du conflit israélo-palestinien qui est largement relayé sur Internet par une multitude de sites aux prises de position mais également aux informations très diverses et très contrastées.
Face à cette diversité, le premier objectif sera sans doute de déterminer quels sont les points d'accord, quels sont en particulier les faits sur lesquels il n'y a pas de dissension. On abordera ensuite les éléments plus problématiques qui nécessiteront une recherche d'information: certaines réalités peuvent en effet être mal connues, et il faudra dès lors recourir à différentes sources dont il faudra mesurer la crédibilité.
Une telle vérification des sources n'est pas aisée, notamment parce que peu de personnes — notamment parmi les participants — ont un accès direct aux réalités en cause, n'étant ni Palestinien, ni Israélien, ni même journaliste. L'on est donc obligé de se fier à des critères généraux de vraisemblance qui sont évidemment faillibles et ne donnent aucune certitude absolue. Parmi ces critères, on peut néanmoins relever ceux-ci:
- Les faits bruts («il y a eu un déplacement de population») prêtent généralement moins à discussion que leur interprétation («qui est responsable de ce déplacement?»).
- Un fait isolé est moins significatif qu'un ensemble de faits, organisés de manière cohérente. S'il y a un principe de cohérence, l'on peut plus facilement remarquer les faits manquants et compléter le tableau proposé. De tels tableaux peuvent se présenter sous forme de cartes géographiques, de chronologies historiques, de données statistiques, de listes de toutes sortes mais homogènes.
- Une source d'information abondamment lue et commentée est en général plus fiable qu'un informateur isolé qui n'est pas un témoin direct des faits et qui s'appuie donc sur des sources de seconde main. Un journal largement diffusé doit vérifier les informations qu'il diffuse, sous peine d'être l'objet de multiples critiques. Ce qui n'empêche pas, dans certains cas, erreurs, méprises ou, plus rarement, mensonges.
- Parmi les grands médias d'information, certains sont réputés pour le sérieux de leurs investigations — on peut penser à des journaux comme Le Monde, Le Monde diplomatique en France, Le Soir ou La Libre Belgique en Belgique —, même s'ils expriment aussi des partis pris idéologiques.
- De nombreuses instances officielles, étatiques ou internationales, sont chargées de récolter et de diffuser de l'information: de telles instances, qui disposent souvent de moyens importants, publient en général des informations de qualité, notamment en matière de statistiques, même si elles ne sont pas toujours exemptes de certains partis pris et plus rarement d'erreurs. (Dans le cas du conflit israélo-palestinien, l'UNRWA, the United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East, ou l'OCHA, the United Nations Office for the Coordination of the Humanitarian Affairs, constituent de telles sources d'information fiables.)
- Parmi ces instances étatiques ou para-étatiques, les universités fournissent des travaux de grande qualité dont le sérieux est en principe garanti par le contrôle des pairs. Ces travaux sont généralement publiés dans des revues scientifiques (au sens large) qui sont soumises à des comités de lecture d'experts. Ces articles et publications sont cependant souvent d'un abord aride et ne sont pas nécessairement exempts de partis pris (comme d'ailleurs toutes les autres sources d'information, aussi fiables soient-elles). Ici aussi, il faut souvent distinguer entre les faits qui sont établis par la recherche (par exemple historique, géographique, sociale, démographique…), et l'interprétation qui en est donnée et qui comprend nécessairement une part d'hypothèses plus ou moins fondées.
- Des organisations non gouvernementales, attachées à des principes d'impartialité et de neutralité comme Amnesty International ou Human Rights Watch, récoltent également de nombreuses observations et essaient d'établir des rapports sur des situations jugées problématiques. Leurs principes d'action garantissent très généralement la qualité de ces informations. Certaines de ces organisations peuvent d'ailleurs, au nom de leurs principes, s'opposer à leurs gouvernements et à leurs prétentions. C'est le cas par exemple en Israël d'une organisation comme Peace Now, qui milite pour la création de deux États (Israël et Palestine) comme solution au conflit israélo-palestinien; on trouve sur son site une carte dynamique et régulièrement actualisée des différentes implantations israéliennes (colonies, points de contrôle, etc.) en Cisjordanie (ou Palestine).
- Les études (livres ou articles) qui citent des sources primaires, c'est-à-dire des documents de première main non retravaillés par l'historien ou le chercheur en sciences humaines (les sources primaires sont en principe contemporaines de l'événement décrit), sont en général plus fiables que celles qui citent essentiellement d'autres études ou celles qui ne citent aucune source.
Aucun de ces critères n'est absolument décisif, ni aucune de ces sources totalement fiable: des journaux réputés ont pu colporter de fausses rumeurs, des universitaires sérieux publier des résultats falsifiés, des institutions prestigieuses accréditer des mensonges d'État, des organisations non gouvernementales se taire devant des situations inacceptables… Ces critères permettent néanmoins d'orienter une recherche comme celle proposée ici. Les questions posées précédemment (page 6), qui portent essentiellement sur des faits de nature politique, géographique ou historique, devraient en outre permettre un relatif accord entre les participants, tout en brossant une première description assez complète de la situation israélo-palestinienne.
Géographie politique
[Cette partie du texte est disponible dans le dossier imprimé.]
Histoire
[Cette partie du texte est disponible dans le dossier imprimé.]
L'on propose donc de construire avec les participants une représentation schématique de l'histoire israélo-palestinienne en ne retenant d'abord qu'un minimum d'événements et en distinguant nettement le point de vue israélien et le point de vue palestinien (qu'on représentera par exemple dans deux colonnes opposées): on essaiera ainsi de déterminer pour les uns et les autres quatre ou cinq événements-clés qu'on pourra considérer comme autant de têtes de chapitre à compléter ensuite avec les autres informations historiques éventuellement recueillies. Cette manière de faire, sans aucun doute simplificatrice, permettra cependant aux participants d'avoir une vue synthétique de cette histoire complexe, tout en percevant facilement les différences de points de vue.
Si l'exercice se révèle trop difficile, on pourra proposer aux membres du groupe la synthèse ci-dessous en leur demandant de rechercher le détail ou l'historique des événements en cause puis de situer dans ce cadre général les autres événements dont ils auraient éventuellement connaissance.
Des moments-clés… |
pour Israël |
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pour la Palestine |
1896: publication de L'État juif (Der Judenstaat) par Theodor Herzl, Juif austro-hongrois; l'année suivante, convocation du premier Congrès sioniste mondial en Suisse |
période ottomane du XVIe siècle à 1918 | |
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mandat britannique de 1921 au 14 mai 1948 |
1936-1939: la grande Révolte arabe en Palestine mandataire |
1939-1945: la destruction des Juifs d'Europe par les nazis |
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Novembre 1947 - fin 1949: la Nakba, c'est-à-dire le départ et l'expulsion de plus de 700.000 Arabes de Palestine hors de ce qui deviendra l'État d'Israël |
14 mai 1948: proclamation de l'État d'Israël et première guerre israélo-arabe |
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Juin 1967: la guerre des Six Jours |
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1969: Yasser Arafat devient le leader de l'OLP (Organisation de Libération de la Palestine) qui mène une lutte militaire contre Israël (à partir du Liban notamment) |
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Décembre 1987 - septembre 1993: première Intifada |
Septembre 1993: accords d'Oslo entre Israël et l'OLP, qui prévoient qu'une autorité palestinienne s'exercera de façon limitée sur la Cisjordanie et la bande de Gaza |
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Septembre 2000-2005: seconde Intifada |
Le choix des moments-clés peut être discuté, mais il ne s'agit que d'un cadre qui doit être ensuite complété. Il faut cependant d'abord bien comprendre les dix événements retenus (5 du point de vue israélien, 5 du point de vue palestinien) en recherchant éventuellement des informations complémentaires à leur propos.
Ainsi, la tenue du premier Congrès Sioniste mondial en 1897 permet de dater le début de l'immigration juive d'origine européenne en Palestine (même si la première colonie agricole sioniste date de 1878). La grande Révolte arabe en Palestine de 1936 est en revanche le point culminant de la résistance des Arabes de Palestine au mandat des Britanniques (considérés comme une puissance occupante) mais est également dirigée contre l'immigration juive de plus en plus importante dans la région: l'écrasement de cette révolte est pour les Palestiniens une première défaite face à un mouvement sioniste de plus en plus conquérant jusqu'à la première Intifada.
1. Le fait que de nombreuses sources soient devenues progressivement payantes (notamment les archives des journaux) constitue un problème supplémentaire: les lecteurs les moins fortunés (ou les moins disposés à payer) seront donc tentés de se rabattre sur des sites gratuits en général moins fiables (même s'il y a de nombreuses exceptions).