Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Hugo Cabret
de Martin Scorsese
États-Unis, 2011, 2h06
Adapté d'un roman graphique de Brian Selznick paru aux États-Unis en 2007, le film de Martin Scorsese Hugo Cabret fait l'objet d'une mise en scène brillante, caractérisée notamment par une attention particulière aux décors, aux costumes, au rendu des ambiances. Par tous ces aspects, le film devrait sans nul doute séduire les élèves de l'enseignement primaire entre neuf et douze ans. C'est par conséquent pour ce public qu'ont été conçues les animations présentées dans ce dossier : l'extrait ci-dessous revient en particulier sur la construction du récit qui fait intervenir flashes-back et courtes séquences rêvées, qui intègre des extraits de films datant des débuts du cinéma ou encore des reconstitutions minutieuses. L'ensemble du dossier devrait également retenir l'attention des animateurs en éducation permanente comme une initiation originale à l'histoire du cinéma dans le cadre notamment d'un dialogue inter-générationnel
Une des particularités du film de Martin Scorsese tient à la façon dont le réalisateur encadre l'intrigue principale d'épisodes plus ou moins autonomes, qui ne lui sont qu'artificiellement ou indirectement liés et qui ne se situent pas tous sur un même plan narratif. Extraits et reconstitutions minutieuses de films datant des débuts du cinéma, flashes-back, séquence rêvée reproduisant dans les moindres détails un accident de train réellement survenu quelque trente ans plus tôt, images d'archives, peinture... Hugo Cabret joue donc avec le temps et les différents niveaux de réalité. Cette multiplicité d'images, saynètes ou séquences appartenant à différents registres, si elle ne nuit pas à la compréhension générale du film, peut toutefois se révéler assez déconcertante pour des élèves de l'enseignement primaire, sans doute plus habitués aux intrigues linéaires et transparentes.
C'est par conséquent à cette dimension que nous souhaitons maintenant nous attacher en amenant les jeunes spectateurs à remarquer cette hétérogénéité. Les objectifs seront d'une part de les initier à l'emploi de signes indiquant que l'on passe d'un niveau de réalité à un autre, ou d'un registre temporel à un autre, et d'autre part de dégager la structure d'ensemble du film.
L'activité débutera par un échange en grand groupe, alimenté par les observations effectuées pendant la projection par les élèves ayant reçu les consignes suivantes avant la projection :
Le rôle de l'enseignant consistera à noter toutes les observations au fur et à mesure sur le tableau de la classe, en les classant d'emblée en trois colonnes : les souvenirs, les bruits et les images hétérogènes.
ObservationsVoici quelques remarques qui pourront être faites à partir des consignes d'observation proposées. Souvenirs (consigne 1)À plusieurs reprises, Hugo Cabret intègre des épisodes qui ont eu lieu avant le présent du film. Ainsi au tout début, après sa première rencontre avec Isabelle, Hugo se souvient de la vie qu'il menait avec son père avant qu'il ne décède dans l'incendie du musée où il travaillait ; il se souvient aussi de son installation dans les combles de la gare avec son oncle Claude, un poivrot chargé de remonter les horloges ; « Le temps, le temps, soixante secondes pour faire une minute, soixante minutes pour faire une heure, le temps, c'est tout, oui, tout ! », dit-il. La seconde séquence de souvenir intervient plus tard, lorsque René Tabard, rencontré par les enfants à la bibliothèque, évoque les moments magiques passés dans le studio de Georges Méliès quand il était enfant : « Si tu te demandes parfois d'où viennent tes rêves, regarde autour de toi. C'est ici qu'ils sont créés ! », lui dit-il. Enfin, vers la fin du film, après avoir assisté dans l'ombre à la projection de l'un de ses films organisée chez lui par René Tabard, c'est Georges Méliès lui-même qui se souvient de son propre passé, depuis ses débuts de magicien au théâtre jusqu'à la fin de ses activités cinématographiques (au commencement de la Première Guerre mondiale) et le rachat de la boutique de jouets à la gare Montparnasse. Bruits (consigne 2)Les premières circonstances où les bruits interviennent de façon marquante concernent le tout début du film, lorsque Hugo rentre « chez lui », dans les combles de la gare, après sa première rencontre avec Isabelle. Alors que la caméra se fixe sur le visage de Hugo — nous voyons donc ce visage en gros plan —, on entend le bruit d'un projecteur en marche, qui envahit la totalité de l'espace sonore. Le bruit est accompagné d'une lumière blanchâtre, diffusée en faisceau, de manière rapide et saccadée. Beaucoup plus tard, après la découverte du passé de Papa Georges chez René Tabard et une longue discussion philosophique avec Isabelle, Hugo se met au lit ; alors que le silence est total, on entend de manière fortement amplifiée le tic-tac d'une horloge, suivi par l'image de Hugo apercevant une clé sur les rails. Images (consigne 3)Hugo Cabret intègre un certain nombre d'extraits de films datant des débuts du cinéma. Le premier arrive assez tôt dans le film, peu de temps après que Papa Georges a engagé Hugo à la boutique. Il s'agit d'un extrait de Monte là-dessus, un film de Harold Lloyd datant de 1923, que Hugo et Isabelle vont voir en douce au cinéma. Plus tard, quand les enfants se rendent à la bibliothèque et consultent un livre intitulé Inventer le rêve : l'histoire des premiers films, on découvre encore d'autres courts extraits, dont L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat, l'un des premiers films des frères Lumière montré en 1895. Juste après, chez René Tabard, celui-ci se souvient de sa rencontre avec Georges Méliès ; lors de cette évocation, on assiste à la reconstitution fidèle de son studio de tournage et surtout de courtes séquences issues de son Royaume des fées. Un peu plus tard, René Tabard montre Le Voyage dans la lune à Maman Jeanne, Isabelle et Hugo mais aussi, à l'insu de tous, à Georges Méliès en personne. Nous en voyons donc de larges extraits. Les extraits suivants sont intégrés au flash-back accompagnant le récit en voix off de Georges Méliès, qui raconte son passé et notamment sa découverte du cinématographe lors d'une projection publique organisée par les frères Lumière. Nous voyons alors un extrait de La sortie des usines Lumière et, pour la seconde fois, de L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat. Ce flash-back contient encore une courte séquence d'images issues d'un document d'archives relatif à la Première Guerre mondiale, brièvement précédée d'un tableau montrant le cadavre d'un soldat englué dans la boue. Enfin, les derniers extraits apparaissent dans l'épilogue du film, à l'occasion du gala organisé en l'honneur de Méliès. Il s'agit bien sûr d'extraits de ses propres films. |
À partir des résultats obtenus grâce aux trois premières consignes d'observation, l'enseignant pourra éventuellement mentionner les détails qui n'auraient pas été relevés par les élèves et les amener à replacer ces détails dans le contexte général du film. Concernant les extraits observés dans Hugo Cabret, il apportera lui-même les informations relatives aux films desquels ces extraits sont tirés.
L'enseignant entamera ensuite avec eux une courte analyse qui soit à leur portée et qui sera opérée sur base de quelques questions simples.
Trois questions pour analyser les observations
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Cette étape pourra être menée en plénum ou en petits groupes, à la meilleure convenance de l'enseignant et en fonction de la disposition des enfants vis-à-vis de l'exercice demandé.
Pour nourrir les discussions, l'on pourra s'inspirer des quelques éléments d'analyse ci-dessous.
Les séquences de souvenirDans le domaine cinématographique, on désigne une séquence qui se déroule dans le passé par le terme « flash-back ». Dans Hugo Cabret, les trois séquences de souvenirs concernent le passé d'un personnage du film : passé récent pour Hugo, passé plus éloigné pour René Tabard et Georges Méliès. Dans le premier cas, nous ne distinguons pas bien la différence entre le passé et le présent : le personnage de Hugo est sensiblement le même dans le film et dans la séquence de souvenir ; de plus, c'est la première fois que nous découvrons son environnement, autrement dit, les coulisses de la gare où il a élu domicile. Cet endroit ressemble un peu à la petite chambre sous les combles qu'il occupait avec son père lorsque celui-ci était toujours vivant. D'ailleurs, à ce moment-là du film, nous ignorons que ce dernier est déjà décédé et, si nous ne sommes pas attentifs au décor, nous pourrions croire que la séquence s'inscrit directement à la suite de la précédente, d'un point de vue temporel. Un ensemble de signes indiquent pourtant dès le début que l'on change de registre. Alors que la caméra se fixe sur les traits pensifs du visage de Hugo et que l'image prend une teinte bleutée, on entend le bruit d'un projecteur en marche, accompagné d'une faisceau lumineux blanchâtre. Or il n'y a aucun projecteur de cinéma dans la pièce où se trouve l'enfant. Il s'agit donc bien d'un artifice employé par Martin Scorsese pour nous avertir que nous quittons le présent du film pour retourner dans le passé de Hugo, un peu comme s'il se repassait « le film » de son histoire. D'ailleurs cette rupture temporelle est à nouveau signifiée vers le milieu de la séquence, lorsque nous revenons un court instant au présent puis retournons en arrière avec les mêmes signes (visage pensif de Hugo, image bleutée, faisceau blanchâtre et bruit de projecteur en marche [1]) pour revenir définitivement à la situation actuelle, avec un gros plan sur l'automate. Le flash-back amené par René Tabard est quant à lui plus facile à identifier. En effet, la séquence de souvenir suit immédiatement l'évocation qu'il fait de sa rencontre avec Georges Méliès lorsqu'il était enfant; les images montrent alors un gamin plongé dans le décor d'un studio de cinéma, dirigé par un Georges Méliès aux traits rajeunis. Étant donné le degré d'avancement de l'intrigue, le fait que cette séquence s'inscrive dans le passé de René Tabard apparaît sans aucune ambiguïté. C'est aussi le cas concernant le dernier flash-back, qui intervient après la projection du Voyage dans la lune, lorsque Papa Georges entreprend de raconter son histoire aux enfants. La séquence, qui s'étend sur une période beaucoup plus longue que celle couverte par les deux précédentes (approximativement quelques mois pour la première et une seule journée pour la seconde), montre les étapes importantes de sa vie entre 1888 (rachat du théâtre du magicien français Robert Houdin) et 1925 (achat de la boutique de jouets gare Montparnasse). Les images sont muettes et toute la séquence est accompagnée par le récit de Papa Georges en voix off, qui en explique le contenu. Cette correspondance parfaite entre les images et le récit off de Méliès est certainement le signe qui indique le mieux que Martin Scorsese a ouvert une longue parenthèse dans le passé de son personnage. 1. Ce procédé est également repris plus tard dans le film, lorsque les enfants consultent l'ouvrage de René Tabard à la bibliothèque. Il apparaît en effet durant les quelques instants qui précèdent la succession de courts extraits de films mentionnés dans le livre. Cette nouvelle utilisation très brève du procédé sera probablement passée inaperçue auprès des jeunes spectateurs. Toutefois, si certains d'entre eux en avaient remarqué l'emploi à cet endroit du film, il conviendra d'en tenir compte en les amenant notamment à interpréter sa fonction, qui ne peut être dans ce cas déterminée que de façon hypothétique. Bien sûr, il peut s'agit d'un souvenir de Hugo, dont on peut supposer qu'il a vu ces films avec son père dans le passé, mais ce procédé peut par ailleurs également introduire de courtes séquences imaginaires qui correspondraient à ce que Hugo découvre dans l'ouvrage de René Tabard, ou encore représenter une simple marque formelle utilisée par Martin Scorsese pour introduire de nouveaux extraits de grands classiques du cinéma muet. |
Les séquences rêvéesDeux courtes séquences rêvées, succédant directement l'une à l'autre, viennent s'intercaler dans la dernière partie du film ; après la découverte du passé de Papa Georges chez René Tabard et une longue discussion avec Isabelle, Hugo se met au lit ; alors que le silence est total, on entend de manière fortement amplifiée le tic-tac de sa montre – suspendue à proximité de sa paillasse et montrée en gros plan -, suivi par l'image de Hugo se précipitant sur les rails afin d'y récupérer une clé en forme de coeur portant l'inscription « Cabret et Fils, Horlogers ». Même si, pendant un court instant, nous pouvons croire que Hugo a égaré la clef de l'automate et que cette séquence est bien réelle, séparée de la précédente par une simple ellipse , l'inscription gravée dessus nous indique très vite que nous ne sommes pas dans la réalité. En effet, nous savons bien que la clé de l'automate est propriété de la famille Méliès et non de la famille Cabret et que, par conséquent, il est impossible qu'elle porte une telle inscription. Les images suivantes montrent un train dérailler en tentant d'éviter Hugo. Il se produit alors un accident spectaculaire dont on n'observera pourtant aucune trace par la suite . Les élèves l'ignorent, mais Martin Scorsese a reconstitué avec une grande précision dans cette scène un accident qui a réellement eu lieu en gare Montparnasse[1] en 1895, soit quelque trente-cinq ans avant le présent du film. Cette reconstitution fidèle, qui fait de l'accident un événement contemporain de l'enfance de Hugo, est un nouveau signe indiquant que la séquence se déroule sur un autre niveau de réalité mais pour le percevoir en tant que tel, il faut connaître l'existence de l'accident ou avoir lu l'une ou l'autre interview de Martin Scorsese, ce qui n'est certainement pas le cas des jeunes spectateurs. L'enseignant pourra donc leur expliquer ici la référence. Ensuite, un plan de Hugo se réveillant brusquement sur sa paillasse (où nous l'avions vu s'endormir) vient confirmer qu'il était bel et bien en train de rêver ; quelques instants plus tard, le tic-tac de sa montre retentit une nouvelle fois de plus en plus fort, directement suivi par une autre séquence pendant laquelle Hugo se transforme en automate, entouré par plusieurs engrenages géants qui se rapprochent, comme pour l'étouffer. Dans ce cas, le contenu fantastique de la scène, suivie à nouveau d'un réveil en sursaut, indique à lui seul que l'on est passé de la réalité au rêve. Enfin, indépendamment du contenu des deux cauchemars successifs de Hugo, on remarquera surtout, en rapport avec la consigne d'observation relative aux bruits du film, que le tic-tac amplifié de la montre a une vraie fonction dans le film, qui est d'annoncer une transition entre deux mondes, un signe sonore remplaçant ici le signe visuel plus conventionnel qu'est, par exemple, le fondu enchaîné, très souvent employé pour signifier un changement de registre temporel ou de niveau de réalité. 1. Dans les notes de production relatives au film Hugo Cabret, on peut lire que la plupart des scènes ont été filmées en Angleterre dans les studios de Shepperton, où le chef décorateur a dirigé la construction de l'univers de Hugo et notamment de la gare, reproduite grandeur nature avec toutes ses boutiques : celle de la fleuriste, la librairie, le bistrot… Pièce maîtresse du film, la gare se présente en réalité comme un mélange de différents éléments architecturaux et de structures empruntés à plusieurs gares parisiennes de l'époque : essentiellement la gare du Nord (façade, colonnes, hall, verrière…), mais aussi celle d'Orsay (horloge du hall) et de Lyon (beffroi de la façade). Le seul lien avec l'ancienne gare Montparnasse — détruite puis reconstruite en 1969 et donc trop moderne pour être choisie comme cadre de l'action — reste cette scène de l'accident survenu en 1895, qui est reproduite à l'identique dans le film sous forme d'un cauchemar. |
Les images « hétérogènes »Dans la majorité des extraits que nous avons répertoriés – issus des premiers films ou encore d'archives documentaires -, l'image possède la double caractéristique d'être muette et en noir et blanc. Il est donc facile de distinguer ces images de celles du film de Martin Scorsese qui, comme dans la plupart des films tournés à l'heure actuelle, sont en couleur et accompagnées de dialogues. Dans le cas des films de Georges Méliès, qu'il s'agisse de véritables extraits comme dans l'épilogue de Hugo Cabret ou d'extraits reconstitués comme c'est le cas quand René Tabard ou Georges Méliès lui-même évoquent leur passé, on constate qu'il n'y a pas non plus de dialogues mais on observe par contre de la couleur, bien que celle-ci soit très différente de celle qui caractérise les images actuelles : les tons sont artificiels, fades et un peu « sucrés ». Comme l'explique Maman Jeanne pendant la projection qui a lieu chez elle, les films de Méliès étaient alors colorisés à la main, directement sur la pellicule, ce qui, évidemment, n'est plus le cas aujourd'hui. Les deux types d'images sont donc également faciles à distinguer. |