Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au dessin animé
Le Marchand de sable
de Jesper Møller et Sinem Sakaoglu
Allemagne, 2010, 1h24
Le dossier pédagogique dont on trouvera un extrait ci-dessous s'adresse notamment aux instituteurs et institutrices qui verront le dessin animé Le Marchand de sable avec des jeunes spectateurs entre cinq et neuf ans environ. Il retiendra également l'attention des animateurs en éducation permanente qui souhaitent mener une réflexion autour de ce film notamment dans le cadre d'un dialogue intergénérationnel.
Le dossier comprend plusieurs parties qui correspondent à autant de pistes d'exploitation possibles : en fonction de ses intérêts et de ceux du public auquel il s'adresse, l'enseignant ou l'animateur retiendra sans doute l'une ou l'autre de ces pistes, même s'il est tout à fait possible de parcourir l'ensemble des animations proposées. Celle proposée ci-dessous porte plus particulièrement sur la compréhension du film.
Après la vision d'un film en groupe, les spectateurs en discutent naturellement, échangent facilement leurs impressions et confrontent souvent leurs avis et appréciations. De jeunes enfants n'ont cependant pas encore la capacité de se décentrer et de prendre en compte des points de vue différents du leur, et ils risquent donc de ne retirer qu'un faible bénéfice de tels échanges, chacun restant enfermé dans sa propre «vision» sans véritable communication avec autrui. En revanche, pour l'enseignant ou l'animateur, ce genre de discussions peut être l'occasion de repérer d'éventuelles incompréhensions ou erreurs d'interprétation et d'amener ensuite les enfants sur la voie d'une première réflexion sur ce qu'ils ont vu et entendu.
On trouvera ci-dessous quelques pistes pour à la fois susciter le questionnement, repérer les éléments problématiques et améliorer autant que faire se peut la compréhension du film Le Marchand de sable par les jeunes enfants. On insistera notamment sur des distinctions qui sont encore fort floues chez les enfants: le film joue en effet sur différentes dimensions comme la réalité, le rêve (et les cauchemars!), l'imaginaire et la fiction qui méritent d'être précisées avec les jeunes spectateurs.
On commencera naturellement par recueillir les premières impressions des jeunes spectateurs:
Au cours de la discussion, certains participants évoqueront sans doute naturellement des éléments de l'intrigue. Pour l'enseignant ou l'animateur, ce sera l'occasion d'essayer d'amener les jeunes spectateurs à faire un résumé de l'intrigue principale.
Il s'agit là d'une tâche ardue pour des enfants qui ont tendance à se perdre dans des péripéties secondaires (parfois fort marquantes) et qui ne sont pas encore capables de distinguer l'essentiel et l'accessoire dans une histoire, notamment lorsqu'elle est aussi élaborée que celle du Marchand de sable. On essaiera donc de mener une première réflexion à ce sujet avec les jeunes participants.
Pour faciliter cette réflexion, l'on propose que l'enseignant ou l'animateur construise avec ceux-ci une représentation graphique simplifiée de l'histoire mise en images. Cette manière de faire a notamment l'avantage de permettre de visualiser — par exemple au tableau — des événements qui se sont succédé au cours de la projection et qui ne sont donc plus présents, si ce n'est dans la mémoire des spectateurs.
Beaucoup de représentations graphiques sont évidemment possibles, certaines étant sans doute plus «parlantes» que d'autres. L'on suggère ici d'utiliser d'abord le critère du lieu. Les spectateurs adultes auront en effet immédiatement repéré dans le Marchand de sable la présence de deux «univers» fondamentalement différents: d'une part, le monde réel où vit le jeune Théo avec sa grande sœur et ses parents, et, d'autre part, celui des rêves où l'on découvre entre autres le marchand de sable, le mouton Philibert et le méchant Tourni-Cauchemar.
Demandons d'abord aux jeunes spectateurs dans quel pays se passe l'histoire du Marchand de sable. La réponse sera sans doute évidente pour beaucoup d'enfants puisque le nom du «pays des rêves» est cité dans le film.
Demandons ensuite si Théo, sa sœur et ses parents vivent eux aussi dans le pays des rêves. La réponse est négative, même si certains feront peut-être remarquer que Théo se rend quant à lui dans le pays des rêves: on fera dans ce cas remarquer le changement d'apparence du personnage qui, de vrai petit garçon, se transforme en une espèce de poupée ou de marionnette.
On peut alors synthétiser cela au tableau par une grande ligne horizontale opposant le pays des rêves au monde réel. De façon conventionnelle, on placera le pays des rêves au-dessus de cette ligne, dans «les nuages», en se rappelant que Théo doit monter au sommet du phare pour passer du réel au rêve. On insistera également sur la transformation de l'apparence des personnages (mais aussi des décors) qui, de «réels», deviennent des poupées.
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Avec les enfants les plus jeunes, qui ne savent pas encore lire, on pourra soit utiliser des images du film, soit dessiner de façon schématique l'un ou l'autre personnage de chaque côté de cette grande ligne de partage.
Comme on l'aura peut-être remarqué, cette ligne est orientée par une flèche de gauche à droite: elle joue ainsi également le rôle d'une ligne qui va du début à la fin du film. Demandons alors aux participants s'ils se souviennent du début du film et du lieu où commence l'histoire: les plus attentifs se rappelleront que le film commence dans le pays des rêves où Philibert se fait voler le sac de sable par le méchant Tourni-Cauchemar
.Mais que se passe-t-il ensuite? Une petite discussion permettra sans doute de fixer les souvenirs et de préciser que l'on découvre ensuite le jeune Théo et sa sœur sur la plage qui se disputent avec d'autres enfants.
Traçons donc sur notre schéma une ligne courbe qui permettra de visualiser ce passage d'un monde à l'autre, du pays des rêves au monde réel. Il sera alors facile de prolonger cette courbe en notant approximativement les autres passages d'un côté à l'autre de cette frontière.
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On obtient donc une représentation très simplifiée (les textes écrits peuvent même être remplacés par des images ou des dessins schématiques) qui permet de visualiser d'un seul coup d'œil toute l'histoire du film. Si l'on veut «nourrir» un peu ce résumé, l'on peut encore ajouter au schéma différentes péripéties dont se souviendront les participants.
Ainsi, l'aventure au pays des rêves comporte plusieurs épisodes qu'il est cependant possible d'organiser de façon simple et cohérente. Demandons à ce propos aux participants le rôle que Théo est censé jouer dans cette aventure:
Que doit-il faire? Pourquoi le marchand de sable fait-il appel à lui? Que doit-il absolument récupérer? À qui doit-il reprendre cet objet et comment va-t-il s'y prendre pour le récupérer?
Ces questions sont évidemment «orientées» et visent à mettre en évidence la mission ou l'objectif que poursuit Théo lors de toute cette aventure: même les plus jeunes parviendront sans doute à dire que Théo doit récupérer le sac de sable volé par Tourni-Cauchemar à Philibert. Et il doit reprendre ce sac au voleur Tourni-Cauchemar.
Les enfants devraient se souvenir facilement des trois épisodes principaux où Théo est confronté au vilain Tourni-Cauchemar:
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On pourrait donc obtenir un schéma qui ressemblerait à celui proposé ci-dessus. L'enseignant ou l'animateur sera cependant attentif à ce que les enfants en comprennent bien le sens. Des symboles comme les flèches, qui sont évidents pour des adultes, ne seront pas nécessairement compris, et l'on expliquera ainsi en suivant de la main le mouvement de la flèche courbe que le début du film se déroule au pays des rêves, puis qu'on découvre Théo et sa sœur sur la plage, mais qu'ensuite Théo se rend au pays des rêves pour reprendre le sac de sable à Tourni-Cauchemar, et qu'enfin il se réveille dans sa chambre au phare et qu'il part en bateau avec son père.
De la même manière, on explicitera le sens des chiffres utilisés devant les épisodes au pays des rêves et qui ont ici un sens temporel correspondant en gros à «d'abord… ensuite … enfin».
Pour terminer, l'enseignant ou l'animateur, toujours en se basant sur les indications du schéma au tableau, pourra faire oralement un résumé du film qui pourrait ressembler à ceci:
Au pays des rêves, le méchant Tourni-Cauchemar vole le sac que le marchand de sable avait confié au mouton Philibert.
Philibert est chargé d'aller chercher un capitaine courageux dans le monde réel: il rencontre Théo, un jeune garçon qui vit avec toute sa famille dans un phare au bord de la mer. Il l'emmène avec lui au pays des rêves.
Théo affronte une première fois Tourni-Cauchemar dans un bar volant, mais le méchant s'enfuit avec le sac.
Le marchand de sable, Théo et Philibert essaient de retrouver Tourni-Cauchemar, mais, laissé seul pendant un moment dans la forêt, Théo est terrorisé par Tourni-Cauchemar et se fait dérober le dernier grain de sable.
Théo, Philibert et le marchand de sable repartent à la poursuite de Tourni-Cauchemar, mais, cette fois, Théo surmonte sa peur, et le vilain Tourni-Cauchemar perd son pouvoir, rapetisse et perd le sac de sable.
Théo quitte le pays des rêves et se réveille dans sa chambre. Il rejoint son père qui a mis le bateau à l'eau, et ils s'en vont en mer.
Un résumé permet de distinguer les événements principaux des péripéties secondaires, mais un film (ou plus généralement une histoire) ne se limite pas à quelques grands épisodes, même s'ils sont importants, et comporte de multiples éléments qui contribuent grandement à l'intérêt des spectateurs mais qui peuvent également poser des problèmes de compréhension: ainsi, dans la première séquence du Marchand de sable, l'on découvre des moutons qui sautent l'un après l'autre au-dessus d'une barrière sous l'autorité d'un chef qui leur demande de sauter beaucoup plus mollement! Un spectateur adulte comprend facilement qu'il s'agit d'une illustration ironique de l'expression «compter des moutons» (sous-entendu: pour s'endormir). En revanche, de jeunes spectateurs moins compétents risquent de voir cette séquence au «premier degré», soit parce qu'ils ne connaissent pas l'expression en cause, soit parce qu'ils ne perçoivent pas qu'une scène, un propos ou même une histoire entière peut avoir deux niveaux de signification.
Bien entendu, tous les événements ou éléments problématiques dans un film ne s'interprètent pas de la même manière, et il n'y a pas de règles générales qui permettraient de prévoir ni de résoudre toutes les difficultés de compréhension que les jeunes spectateurs rencontreront au cours de la vision d'un film. On passera donc ici en revue quelques-uns des éléments du Marchand de sable dont on peut s'attendre à ce qu'ils soient l'objet d'incompréhensions ou de mésinterprétations de la part de certains enfants.
L'enseignant ou l'animateur procédera par un simple jeu de questions et réponses avec les participants en faisant appel à leur mémoire et en soulignant les réponses les plus pertinentes. Pour chacun des éléments évoqués, il pourra également utiliser les petits commentaires proposés ci-dessous à la suite de chacune des questions suggérées sur le film. On commencera naturellement par la première séquence et ses moutons…
Ces moutons sont des moutons de «rêve», des moutons imaginaires: quand on a des difficultés à s'endormir, on dit qu'il faut «compter des moutons» parce que tous les moutons se ressemblent et que ça devient vite ennuyeux… et l'on s'endort sans s'en apercevoir. Ce sont donc des moutons qu'on compte «dans sa tête»… Ici, dans le film, ils paraissent beaucoup plus «vrais» même s'ils sont dans les nuages.
En plus, Philibert se comporte de façon espiègle en faisant un saut périlleux par-dessus la barrière: plutôt que de nous endormir, il nous réveille et attire notre attention! Il ne se comporte donc pas de façon «moutonneuse», c'est-à-dire très calme et très ennuyeuse.
En le regardant, nous comprenons que nous sommes au cinéma, pas dans un vrai rêve!
Le marchand de sable n'existe pas bien sûr. C'est une expression qu'on utilise pour dire aux enfants qu'il est temps d'aller dormir: «le marchand de sable va passer». (L'expression vient sans doute du fait que lorsqu'on a sommeil, les paupières piquent un peu comme si on avait du sable dans les yeux.) Bien entendu, personne n'a jamais vu le marchand de sable, et tout le monde l'imagine comme il veut!
Dans le film, le marchand de sable a une apparence très précise: il a l'aspect d'une poupée avec des vêtements rouges, des cheveux blancs et une barbiche! En outre, il prétend qu'il est indispensable au sommeil des enfants: sans son sable magique, les enfants seraient incapables de s'endormir! C'est ce qu'on raconte dans le film, mais c'est bien sûr une histoire inventée.
Dans le film, Philibert et le marchand de sable disent que le pays des rêves est formé de tous les rêves des enfants: un tel pays n'existe pas évidemment. C'est un pays imaginaire inventé pour raconter l'histoire du film.
Tout le monde ne rêve pas de la même façon. On ne peut pas savoir si les autres personnes rêvent des mêmes choses que nous, ni de la même façon que nous. Comme, dans le film, c'est Théo qui rêve — on le voit se réveiller après la nuit dans la chambre qu'il partage avec sa sœur — on peut dire que le pays des rêves est celui imaginé par Théo.
Au pays des rêves, il y a les «gentils» comme Philibert ou le marchand de sable, mais aussi quelques méchants dont Tourni-Cauchemar. Si le marchand de sable répand le sommeil et des rêves agréables, le vilain Tourni-Cauchemar voudrait lui répandre des cauchemars chez tous les enfants du monde!
Comme le marchand de sable, Tourni-Cauchemar est cependant un personnage imaginaire, qui est supposé provoquer les cauchemars chez les enfants. Mais en réalité, les cauchemars viennent tout seuls pendant notre sommeil de façon involontaire…
dans la réalité | dans le film |
---|---|
les rêves | le marchand de sable |
les cauchemars | Tourni-Cauchemar |
Le tableau ci-dessus, qui est évident pour un spectateur adulte, vise à bien faire percevoir aux enfants la différence entre la réalité — où nous connaissons tous des rêves et des cauchemars — et le film qui est une fiction, une histoire inventée par toute une équipe de cinéma. On reviendra plus loin sur cette distinction importante à maîtriser.
La queue de Tourni-Cauchemar se coupe un peu à la manière de celle d'un lézard, mais elle reste vivante et se comporte comme un «vrai»personnage. Quand Tourni-Cauchemar s'échappe du bar volant avec le sac volé, le marchand de sable va alors demander l'aide du professeur Limassol dont le laboratoire se trouve dans un sous-marin. Limassol doit «analyser» ce bout de queue et retrouver ainsi la trace de son «papa», Tourni-Cauchemar. Mais celui-ci en profite pour voler le dernier grain de sable à Théo resté seul…
Que veut faire Tourni-Cauchemar avec le sable du marchand? De quoi a-t-il besoin pour réaliser son vilain plan? À quoi doivent servir les deux grains de sable que Philibert a conservés entre ses sabots?
Tourni-Cauchemar veut provoquer des cauchemars chez tous les enfants endormis, mais, pour cela, il doit transformer le sable magique en une substance nocive: il essaie ainsi dans le bar volant de faire peur à ses acolytes, mais, comme ce sont des créatures du pays des rêves, leurs larmes provoquées par la peur n'ont aucun pouvoir. Tourni-Cauchemar a besoin des larmes d'un véritable enfant comme Théo! Il parvient ainsi à terroriser Théo resté seul dans la forêt, et une larme transforme le sable en une espèce de poison.
Philibert a cependant gardé deux grains de sable qui doivent permettre à Théo d'avoir des rêves où il affronte Tourni-Cauchemar sans que cela ne vire au cauchemar! C'est ce qui arrive dans le bar volant, mais le jeune garçon ne peut pas empêcher la fuite de Tourni-Cauchemar avec le sac. Un grain de sable a donc été utilisé. Puis Théo terrorisé se fait voler le dernier grain de sable lors de sa confrontation avec Tourni-Cauchemar.
Lorsque Théo s'endormira dans le bateau aux abords du phare, il affrontera le vilain Tourni-Cauchemar sans l'aide des grains magiques: il devra donc être capable de surmonter seul sa peur des cauchemars!
Au début de cette séquence, on a l'impression que Théo navigue vraiment parce que la caméra nous montre seulement un petit morceau du bateau et la mer à l'arrière plan, mais, quand elle recule, on constate que le bateau est sur le sable et que Théo fait seulement semblant de naviguer. C'est pour cela que les autres enfants — un peu plus grands — se moquent de lui car, en fait, Théo a peur de partir seul sur l'eau.
Or, ce que le petit garçon va apprendre au pays des rêves c'est précisément à surmonter sa peur. Il parviendra à affronter Tourni-Cauchemar, même sans l'aide des grains de sable magiques, et à le vaincre lors d'un «combat» final
.En se réveillant, le petit garçon découvrira que son père a mis le bateau à l'eau, et il le rejoindra pour partir en mer.
On fera donc remarquer aux enfants que le film contient une leçon générale: pour devenir marin mais aussi pour devenir grand, Théo doit apprendre à surmonter sa peur, que ce soit sa peur de l'eau ou sa peur des cauchemars. Autrement dit encore, l'histoire de Théo au pays des rêves, c'est l'histoire d'un petit garçon qui grandit et qui surmonte ses peurs d'enfant.
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