Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Les Géants
de Bouli Lanners
Belgique, 2011, 1 h 25
Le dossier pédagogique dont on trouvera un extrait ci-dessous s'adresse notamment aux enseignants du secondaire qui verront le film Les Géants avec des jeunes spectateurs entre quinze et dix-huit ans environ. Il retiendra également l'attention des animateurs en éducation permanente qui souhaitent mener une réflexion autour de ce film et de ses principaux thèmes avec un large public.
Le dossier comprend plusieurs parties qui correspondent à autant de pistes d'exploitation possibles : en fonction de ses intérêts et de ceux du public auquel il s'adresse, l'enseignant ou l'animateur retiendra sans doute l'une ou l'autre de ces pistes, même s'il est tout à fait possible de parcourir l'ensemble des animations proposées. Celle proposée ci-dessous porte plus particulièrement sur le «style» général du film qui se distingue par divers procédés de la production cinématographique courante.
Peut-être certains spectateurs auront-ils été un peu étonnés par le film Les Géants. En effet, celui-ci relève du cinéma d'auteur, qui se caractérise par la primauté du regard du cinéaste, par rapport aux intérêts économiques de la maison de production (cette définition très simple est peut-être réductrice, mais elle est sans doute suffisante pour l'activité proposée ici et le public auquel elle s'adresse). En effet, le cinéma étant une activité artistique mais aussi commerciale, elle comporte une part financière importante: fabriquer un film coûte de l'argent, il faut donc que le film en rapporte et le meilleur moyen pour cela est de correspondre au goût du public. Mais si l'on accorde une trop grande attention au goût (présumé) du public, l'on risque de faire beaucoup de concessions sur le plan artistique. Le cinéma d'auteur est un cinéma qui privilégie donc la dimension artistique et le regard personnel du cinéaste.
Comment peut-on qualifier le regard du cinéaste dans Les Géants? C'est l'objet de cette activité que l'on pourra introduire en reprenant les réponses des participants aux questions relatives à l'esthétique du film qui auront été distribuées avant la vision du film.
Des consignes d'observation
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En invitant les participants à reprendre leurs notes d'observation et en les soumettant à la question de l'originalité, l'on pourra certainement dégager quelques caractéristiques esthétiques du film.
Concrètement, l'on invitera les spectateurs à dire quels éléments originaux ou relativement inhabituels ils ont relevés en relation avec les consignes d'observation qui leur ont été confiées. En mettant ce travail en commun, par une discussion en grand groupe, peut-on dégager des caractéristiques de style?
Si l'exercice se révèle trop difficile ou improductif, on pourra soumettre aux spectateurs les hypothèses suivantes et leur demander d'y réagir.
Plusieurs éléments du film de Bouli Lanners évoquent «une certaine image de l'Amérique». Par exemple, sa manière de filmer les Ardennes donne un sentiment de grands espaces, d'une nature intacte, comme en offre certainement encore le territoire américain, mais que l'on peut aussi rattacher à une représentation fantasmatique provenant notamment des films d'aventures et des westerns. Autre emprunt aux westerns, les confrontations de personnages qui se trouvent en face-à-face de manière très frontale.
La musique du film, surtout jouée à la guitare sèche, accompagnée parfois par une batterie ou encore sifflée, peut être rapprochée de la musique folk qui est d'origine nord-américaine.
Ainsi, il se dégage du film une atmosphère qui évoque l'Amérique: les grands espaces, les déplacements dans des paysages naturels, où il n'y a pas de trace de présence humaine, l'exploration de terres inhabitées. À cette atmosphère contribuent la musique (guitare sèche et sifflement comme pouvaient en jouer les pionniers ou encore rock pour une version plus récente de l'épopée américaine) et quelques codes cinématographiques comme les face-à-face des westerns.
Déjà très présentes dans le précédent film de Bouli Lanners, Eldorado, les situations étranges sont nombreuses dans Les Géants. Elles mettent en scène des personnages étranges eux-mêmes, comme Bœuf ou sa compagne ou le vide-grenier ou le voisin ou encore Angel… qui se comportent de manière étrange: la compagne de Bœuf continue à remplir des petits sachets d'herbe devant les garçons, Bœuf sniffe une ligne de cocaïne devant eux, Angel frappe son petit frère sans raison…
Cette étrangeté est accentuée par certains choix de mise en scène, comme les nombreuses ellipses, qui permettent de passer sous silence des faits et des actions qui devraient avoir lieu dans la logique du récit, mais qui font que le spectateur ignore les motivations des personnages. Par exemple, on ne sait pas pourquoi Rosa recueille les garçons ni pourquoi elle les ramène ensuite chez eux, notamment parce qu'on n'assiste pas aux échanges verbaux qui auraient dû avoir lieu entre eux.
Ce goût de l'étrange (relativement fréquent dans le cinéma fantastique) est ici associé à un humour très présent, ce qui le rend particulièrement original.
Le réalisateur utilise la musique avec une certaine parcimonie: elle soutient l'atmosphère des images mais sans l'accentuer de manière forte. Dans Les Géants, la musique intervient plutôt à des moments de faible intensité (plans contemplatifs sur la nature, moments «creux»…), là où dans d'autres films, elle participe à des scènes d'émotions plus fortes, moins subtiles.
On l'a dit, le film comporte beaucoup d'ellipses: là encore, il s'agit de ne pas tout dire, tout expliquer au spectateur, mais bien de le laisser imaginer ou reconstruire les moments passés sous silence, ce qui laisse une plus grande place à l'interprétation.
L'auteur du film a également privilégié les personnages aux dépens de l'intrigue: la caméra reste «avec» les garçons même quand ils s'ennuient ou qu'ils attendent. Dans un film «commercial», on ne prend pas le risque de «perdre» le spectateur par des moments qui ne sont pas «intenses».
Dans le même ordre d'idée, on notera que le film ménage des moments de contemplation où la caméra s'attarde sur la nature et sur les paysages.
L'humour du cinéaste s'exprime souvent aux dépens de ses personnages, en particulier des trois adolescents. En effet, il les place dans des situations où ils ne sont pas vraiment à leur avantage: torse nu, sous la pluie, les cheveux teints en blond… Cette scène de la coloration des cheveux qui a lieu dans un contexte de totale liberté (les garçons sont persuadés que personne ne viendra les déranger dans la maison qu'ils ont fracturée) est suivie par la scène du réveil marquée par le retour des propriétaires. Il est particulièrement ironique de montrer les garçons obligés de fuir, alors que dans la scène précédente, ils étaient en quelque sorte les rois du monde…
D'autres scènes illustrent le regard ironique que porte le cinéaste sur les trois garçons: la cabane sur l'eau qui s'effondre (là aussi, une sortie d'urgence s'impose!); la confrontation avec Bœuf qui reste muet en attendant que Seth explique maladroitement pourquoi il est là; l'entrée de la voiture dans le champ de maïs…
Ainsi, le réalisateur se moque gentiment de ses personnages, mais son regard est aussi attendri, car, contrairement à la plupart des personnages adultes qui ne sont guère sympathiques, les adolescents, eux, touchent certainement les spectateurs par leur naïveté, leur innocence et leur amitié.