Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Le Gamin au vélo
de Jean-Pierre et Luc Dardenne
Belgique, 2011, 1 h 24 - Grand Prix du Jury au Festival de Cannes 2011
Le dossier pédagogique dont on trouvera un extrait ci-dessous s'adresse notamment aux enseignants du secondaire qui verront le film Le Gamin au vélo avec des jeunes spectateurs entre treize et dix-huit ans environ. Il retiendra également l'attention des animateurs en éducation permanente qui souhaitent mener une réflexion autour de ce film et de ses principaux thèmes avec un large public.
Le dossier comprend plusieurs parties qui correspondent à autant de pistes d'exploitation possibles : en fonction de ses intérêts et de ceux du public auquel il s'adresse, l'enseignant ou l'animateur retiendra sans doute l'une ou l'autre de ces pistes, même s'il est tout à fait possible de parcourir l'ensemble des animations proposées. Celle proposée ci-dessous porte plus particulièrement sur les personnages et leurs motivations plus ou moins explicites.
Le Gamin au vélo montre le parcours d’un tout jeune adolescent à partir du moment où il apprend que son père l’a abandonné; marqué par deux rencontres importantes — Samantha et Wes —, ce parcours se construit sur une série de comportements parfois difficiles à comprendre ou à interpréter. En effet, l’histoire et les motivations des personnages sont très peu développées, le propos du film étant davantage axé sur une réflexion morale autour de questions comme la responsabilité parentale, l’importance des repères familiaux dans la construction identitaire ou encore la portée des gestes qu’on pose.
Il convient donc dans un premier temps de s’intéresser à toutes ces motivations cachées ou simplement non explicitées qui se trouvent à la base du comportement des personnages principaux dans le film.
Pour permettre aux participants d’expliciter les motivations des différents personnages — Cyril, bien sûr, mais aussi Samantha, Wes, le père de Cyril ou encore le libraire et son fils — nous avons relevé dix-huit comportements qui peuvent être interprétés de plusieurs manières. Chacun d’entre eux est assorti de trois propositions suggérant des explications différentes qui, dans la plupart des cas, ne sont pas exclusives l’une de l’autre et peuvent donc être compatibles.
D’un point de vue pratique, nous suggérons de constituer des paires d’élèves et de confier une situation à chacune des paires ainsi formées. Si le groupe de participants est relativement petit, l’enseignant ou l’animateur pourra confier à chaque binôme deux situations à examiner, méthode qu’il préférera à l’attribution d’une situation par élève dans la mesure où un premier échange nous paraît, dans ce cas précis, être plus productif qu’une réflexion purement individuelle.
L’objectif sera moins ici de choisir l’une des trois propositions jugée plus correcte que les deux autres mais bien d’évaluer leur pertinence à chacune en fonction de ce que l’on sait des personnages fictionnels du film mais aussi des observations que l’on a pu soi-même effectuer au fil de son parcours personnel et de ses propres expériences de vie.
Ce premier échange devrait d’aboutir à une description approfondie et nuancée des personnages du film et de mieux comprendre leurs comportements au cours de l’histoire. C’est du moins l’objectif qui sera recherché au cours d’une deuxième étape de discussion en grand groupe, où les participants seront amenés à partager leurs interprétations pour construire des portraits aussi riches que possible.
Pourquoi agit-il ou agit-elle ainsi?
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Pour développer ces commentaires, nous avons choisi de les structurer selon les grands thèmes de réflexion que l’activité aura permis de faire apparaître. Présentés à titre d’illustration, ils nourriront éventuellement la discussion en grand groupe, et ils ne doivent pas être considérés comme un corrigé de l’exercice d’interprétation demandé.
Dans les pays industrialisés, beaucoup d’enfants se trouvent dans des situations de vulnérabilité induites par des facteurs comme la perte ou la séparation des parents, la maltraitance physique ou psychologique, les difficultés économiques, la négligence… En Europe, on estime ainsi à au moins un million le nombre d’enfants placés, dont une grande partie l’ont été par le biais d’une procédure judiciaire.
Le film de Luc et Jean-Pierre Dardenne présente l’avantage de replacer l’enfant au cœur de la question en mettant l’accent sur sa souffrance, sur ses difficultés à admettre et à surmonter l’épreuve de la rupture familiale. Largement banalisé, l’abandon — qui apparaît ici comme un acte froid et délibéré, non explicité, épuré de tout affect et donc profondément inhumain — retrouve dans Le Gamin au vélo toute sa dimension glaciale et choquante, comme en témoignent par ailleurs les réactions de Cyril lorsqu’il découvre brutalement (mais aussi indirectement) que son père ne veut plus de lui: déni et entêtement (s1), repli et mutisme (s2, s4), volonté de préserver le lien à tout prix (s6, s13), automutilation (s8)…
Par effet de contraste, l’apparition de Samantha dans la vie de Cyril permet de mettre en perspective l’absence de son père ainsi que toutes les carences éducatives et affectives énormes qui en découlent. On remarque ainsi que les attitudes de ces deux personnes qui jouent le rôle de référent sont à la fois symétriques, fortement opposées et extrêmes: alors que le père de Cyril a vendu le vélo de son fils sans l’en avertir (s4), Samantha, qui est pourtant pour lui une parfaite inconnue, le rachète et va le lui rendre (s3); ensuite, alors que le père de Cyril choisit d’abandonner son fils pour préserver son nouveau couple (s7), Samantha, quant à elle, décide de rompre avec son compagnon pour mieux s’en occuper (s10); après l’agression, Cyril est violemment chassé par son père, furieux d’être ainsi mêlé à une affaire de vol et susceptible pour ça d’avoir à faire à la police (s13); et à l’inverse, lorsque Cyril revient vers Samantha, celle-ci l’accueille avec compassion et tendresse, puis elle l’emmène au commissariat afin qu’il s’explique, lui indiquant par là un repère clair et indispensable au regard de l’acte qu’il a commis (s14); de cette manière, chaque attitude négative adoptée par le père de Cyril trouve son pendant positif dans le comportement de Samantha qui, en acceptant de payer les frais d’hôpitaux occasionnés par l’agression en plusieurs mensualités, s’engage en quelque sorte sur le long terme vis-à-vis de Cyril (s17).
Par ce transfert implicite de responsabilité, Samantha prend donc la place laissée définitivement vacante par le père, devenant la nouvelle figure parentale de référence pour le jeune adolescent qui, déçu à la fois par son père et par Wes, l’autre figure masculine du film, acceptera finalement la réalité, se montrant enfin prêt à construire son avenir sur les nouvelles bases et avec l’affection que lui propose Samantha (s18).
En synthèse :
Le père de Cyril | Samantha |
---|---|
vend le vélo de Cyril | rachète le vélo et le rend à Cyril |
refuse de voir son fils | accueille Cyril tous les week-ends |
Cyril = obstacle à son nouveau couple: abandon de l’enfant | compagnon = obstacle à sa relation avec Cyril: rupture du couple |
refuse l’argent du vol car il ne veut pas d’ennui avec la police | accompagne Cyril à la police pour qu’il s’explique |
chasse violemment son fils | aide financièrement Cyril à réparer son délit |
rupture définitive | engagement moral vis-à-vis de Cyril |
Pendant toute la durée du film, Cyril éprouve bien du mal à exprimer ses sentiments par des mots et très souvent, son mal-être se traduit de façon détournée par un geste ou une attitude plus ou moins énigmatique. Cette difficulté de verbalisation des émotions représente donc un autre thème important du film, qui concerne également le père de Cyril. Ainsi, bien que les situations 2 et 5 ne se ressemblent absolument pas, on peut néanmoins interpréter un peu de la même façon le geste de l’enfant (qui s’emballe entièrement dans son drap de lit) et l’attitude de l’adulte (qui travaille avec la musique à fond) comme une volonté identique de s’isoler, de couper la communication avec l’environnement immédiat, et ceci même si leurs motivations sont évidemment très différentes (la tristesse, la solitude affective pour Cyril, et l’envie de travailler sans être distrait par les ambiances extérieures pour son père).
La durée relativement longue de la scène montrant Cyril en train de regarder l’eau couler dans le lavabo au salon de coiffure et de rouvrir systématiquement le robinet que Samantha referme (s4) permet d’attirer l’attention sur un comportement relativement banal au départ, qui consiste pour l’enfant à chercher ses limites en se confrontant à l’autorité de ses parents. L’importance accordée à la situation dans Le Gamin au vélo donne en effet une tout autre portée au comportement de Cyril, qui survient juste après qu’il a vu l’affichette prouvant que son père a bel et bien vendu son vélo, une chose inimaginable pour lui jusque-là. En reliant les deux situations, il devient évident qu’il tente d’exprimer ainsi son immense déception et sa détresse (ou sa colère) d’enfant trahi par son propre père. Samantha comprend d’ailleurs assez vite que Cyril ne va pas bien et elle l’encourage à lui parler de ce qu’il est en train de vivre. Ainsi soutenu, il réussira finalement à verbaliser ce qu’il vient de découvrir, permettant à la jeune femme de mesurer toute l’ampleur du drame que cet événement a déclenché en lui.
Pour nous, spectateurs, qui adoptons le point de vue de Cyril depuis le début, nous savons que la vente du vélo représente un événement extrêmement important et douloureux pour lui. Aussi, lorsque son père lui demande de l’excuser et qu’il répond que «ce n’est pas grave» (s6), nous savons pertinemment bien qu’il s’agit d’un mensonge: pour lui, cet événement est au contraire très grave, sans doute le plus grave dans la mesure où il va révéler de manière très brutale l’écart énorme qui existe entre la représentation idéalisée que Cyril a de son père et ce que cet individu est réellement: un père pour qui il ne représente désormais plus rien. Pour Cyril, répondre que ce n’est pas grave peut être considéré comme un moyen de rester sur la même «longueur d’ondes» que son père en adhérant en apparence à sa vision banalisée de la situation, un moyen donc de réduire la distance qui s’est creusée et de tenter une ultime réconciliation.
Lorsque son père lui annonce qu’il ne veut plus avoir de contact avec lui, Cyril est anéanti. Trahi puis abandonné, il est une nouvelle fois secoué par des émotions très fortes — la douleur, la peine mais aussi la colère — qu’il n’arrive pas à verbaliser. De retour dans la voiture de Samantha, ne parvenant plus à contrôler tous ces sentiments violents, il entre soudainement dans un état de crise qui le pousse à se griffer et à se pincer le visage puis à se cogner la tête et le corps contre le pare-brise et la portière. On peut sans doute assimiler toute la violence que Cyril retourne contre lui à de l’automutilation, autrement dit à un comportement extrême traduisant de façon non verbale la douleur et la rage qui l’habitent intérieurement et qu’il ne parvient pas à traduire par des mots.
[Ces commentaires sont visibles dans le dossier imprimé.]
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