Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film d'animation
Drôle de grenier
de Jiří Barta
République tchèque, 2009, 1h14
Le dossier pédagogique dont on trouvera un extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants du primaire qui verront le film Drôle de grenier avec leurs élèves (entre six et neuf ans environ). Il intéressera également les animateurs en éducation permanente qui souhaiteraient notamment favoriser un dialogue inter-générationnel autour de ce film. La seconde partie du dossier, dont un extrait est reproduit ci-dessous, aborde le sens du film qui comprend différents niveaux dont certains peuvent poser des problèmes de compréhension aux jeunes spectateurs. On proposera plusieurs discussions et réflexions sur certains aspects problématiques que pose Drôle de grenier.
Les spectateurs adultes de Drôle de grenier seront certainement frappés par certaines allusions à des réalités méconnues des jeunes enfants auxquels s’adresse pourtant le film. En particulier, le comportement de la «statue» qui enlève la poupée Myosotis interpelle ainsi nombre d’adultes par son ambiguïté. Comment alors aborder ces thématiques «adultes» avec les jeunes spectateurs? Et faut-il les aborder? Voici quelques pistes de discussion qui pourront être adaptées en fonction de l’âge mais aussi de l’intérêt des enfants. On procédera chaque fois en deux étapes: d’abord une (petite) analyse à destination des adultes (enseignants ou animateurs), puis quelques réflexions qui pourront être soumises aux enfants et débattues avec eux.
Le personnage de la «Tête» évoque indéniablement la figure de nombreux dictateurs qui ont été (ou qui sont encore parfois) l’objet d’un véritable culte dans leur pays. Jií Barta, le réalisateur de Drôle de grenier, est d’ailleurs né en 1948 en Tchécoslovaquie, à l’époque sous régime communiste: ce pays, sous influence de l’URSS depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (suite en particulier au «coup de Prague» de février 48 qui mit le seul Parti Communiste au pouvoir), sera secoué notamment au printemps 1968 par un vaste mouvement de libéralisation qui sera brutalement réprimé en août par les troupes du Pacte de Varsovie (soviétiques en particulier); ce n’est qu’en 1989, après les «années de plomb», que la dictature communiste disparaîtra de ce pays (comme d’ailleurs des autres pays d’Europe centrale) suite à la «Révolution de velours» menée par des opposants comme le dramaturge Václav Havel (élu démocratiquement Président en 1990).
Même si la «Tête» ne renvoie sans doute pas à un homme politique précis, on perçoit facilement dans ce personnage une allusion à ces «années de plomb» ou de «normalisation» où des dirigeants omnipotents ont mené une répression de toute dissidence et exercé un contrôle étroit de toutes les activités sociales. Ce buste apparaît d’ailleurs comme un exemple flagrant de «culte de la personnalité» dont furent l’objet des dictateurs comme Staline (en URSS de 1929 à 1953) ou Mao Zedong (en Chine de 1949 à 1976) . Par ailleurs, l’espionnage de la vie quotidienne, symbolisé dans Drôle de grenier par l’œil de lézard, rappelle certainement les activités de la police politique à cette époque en Tchécoslovaquie comme dans d’autres pays de l’Est.
Dernier détail significatif: la «Tête», dont on ne découvre qu’à la fin du film qu’il s’agit d’un buste en plâtre ou en céramique, a été en fait remisé au grenier comme une vieillerie. On peut donc comprendre qu’il s’agit d’une relique de l’ancien régime communiste aujourd’hui disparu.
Demandons d’abord aux enfants s’ils ont reconnu que la «Tête» est une statue qui se brise à la fin du film. Bien entendu, c’est un film, car dans la réalité les statues ne parlent pas: c’est une histoire imaginaire, une fiction, qui n’est possible qu’au cinéma. Les jeunes enfants ne maîtrisent évidemment pas encore la notion de fiction, et l’on se contentera d’affirmer sans autre précision qu’il y a une différence entre la réalité où l’on vit et ce que l’on voit à l’écran dans un film comme Drôle de grenier… ce qui permettra d’ailleurs de rassurer ceux qui auront été éventuellement effrayés par certaines séquences du film.
Précisons ensuite le rôle, la «fonction» ou le «métier» de la «Tête»: on voit en effet que cette statue qui parle donne des ordres, a des espions et des soldats sous ses ordres et est applaudie par de nombreux autres personnages. Dira-t-on alors qu’il s’agit plutôt:
— d’un chef,
— d’un général,
— d’un roi,
— d’un président,
— d’un chef d’État,
— d’un Premier Ministre?
Sans définir de façon détaillée tous ces termes, on précisera aux enfants qu’on peut considérer que la «Tête» est un chef d’État, c’est-à-dire le plus important dirigeant d’un pays (ici «le royaume du Mal»), qu’il s’agisse selon les cas d’un président, d’un roi ou encore d’un premier ministre.
Demandons ensuite aux enfants s’ils jugent normal le comportement de la «Tête»en tant que chef d’État, même si bien sûr ils n’ont qu’une idée très vague d’une telle fonction. On introduira ainsi la notion de dictateur, un chef d’État qui abuse de son pouvoir en emprisonnant par exemple de manière arbitraire, sans raison valable des personnes innocentes comme Myosotis.
En outre, un dictateur recourt très largement à la violence (exercée par la police ou l’armée): la «Tête» va notamment déclencher une inondation pour noyer les amis de Myosotis. On se souviendra d’ailleurs que ce chef appelle les habitants du «royaume du Mal» à détruire véritablement ceux qui sont considérés comme des ennemis. La «Tête» proclamera par exemple: «Celui qui ne me protège pas ne se protège pas…», «Aux armes citoyens! Tirez sur tout ce qui bouge!». Il prétendra également que Nounours et Prince charmant sont de «dangereux terroristes», ce qui est évidemment un mensonge!
On signalera également aux enfants que les dictateurs font généralement de la propagande, c’est-à-dire qu’ils utilisent tous les moyens de communication (journaux, radio, télévision…) pour se faire applaudir et obtenir le soutien de la population (ou d’une partie de cette population). C’est ainsi que, dans les régimes dictatoriaux, on multiplie généralement dans les endroits publics les portraits et les statues du seul chef de l’État. Ainsi, la «Tête» est sans doute le buste d’un ancien dictateur, remisé dans un grenier où il a repris vie comme les jouets abandonnés.
Enfin, la chute de la«Tête» entraîne plus largement la chute de son «régime» et la fin de la dictature.
Pour concrétiser ces notions, on demandera aux enfants s’ils ont déjà entendu parler de certaines dictatures et s’ils connaissent le nom de certains dictateurs. On évoquera éventuellement en quelques mots l’histoire de la Tchécoslovaquie.
MORALITÉ
On voit ici que de jeunes enfants,
Surtout de jeunes filles
Belles, bien faites, et gentilles,
Font très mal d’écouter toutes sortes de gens,
Et que ce n’est pas chose étrange,
S’il en est tant que le Loup mange.
Je dis le Loup, car tous les Loups
Ne sont pas de la même sorte;
Il en est d’une humeur accorte,
Sans bruit, sans fiel et sans courroux,
Qui privés, complaisants et doux,
Suivent les jeunes Demoiselles
Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles;
Mais hélas! qui ne sait que ces Loups doucereux,
De tous les loups sont les plus dangereux.
Charles Perrault, Histoires ou contes du temps passé,
avec des moralités, 1697.
L’attitude et le comportement de la «Tête» à l’égard de Myosotis peuvent paraître particulièrement choquants aux yeux de nombreux adultes. Ce tyran séquestre la poupée, il veut qu’elle l’épouse, et il l’oblige (ou du moins un de ses clones) à le servir comme une servante. Même si ce n’est pas explicite, Myosotis, qui est une poupée, c’est-à-dire un jouet d’enfant, apparaît ainsi elle-même comme une enfant victime d’un adulte qui abuse de son pouvoir et qui a un comportement qu’on peut qualifier de pédophile même s’il n’y a sans doute aucun geste sexuellement explicite.
Bien entendu, cet abus (dans tous les sens du terme) apparaît dans le film comme une attitude condamnable, et la «Tête» subira le plus dur des châtiments en se brisant en mille morceaux sur le sol. Cependant, il est sans doute difficile d’expliquer à des enfants ce qu’est un comportement pédophile, et la plupart des enseignants (comme des adultes d’ailleurs) sont relativement mal à l’aise pour aborder cette question avec les jeunes spectateurs. Comment dès lors traiter avec eux de cet aspect de Drôle de grenier qui semble relativement significatif et important?
Remarquons d’abord que beaucoup de contes traditionnels évoquent de façon plus ou moins explicite les dangers que courent les enfants du fait de certains adultes malintentionnés. Ainsi, Charles Perrault décrit explicitement le loup dans sa version du Petit Chaperon rouge comme un séducteur qui veut que la petite fille se couche dans le lit avec lui et qui abuse ainsi de sa crédulité: «On voit ici que de jeunes enfants, Surtout de jeunes filles Belles, bien faites, et gentilles, Font très mal d’écouter toutes sortes de gens, Et que ce n’est pas chose étrange, S’il en est tant que le Loup mange.»
D’autres contes évoquent d’ailleurs explicitement des situations moralement condamnables comme Peau d’Âne où le Roi veuf souhaite épouser sa propre fille! On peut donc penser que Drôle de grenier s’inscrit dans cette tradition de contes moraux qui visent à mettre en garde les enfants par rapport aux dangers que peuvent représenter certains adultes.
Il n’est sans doute pas nécessaire avec les enfants de donner des explications adultes sur le comportement de la «Tête». Il suffira de se baser sur ce que montre explicitement le film et de préciser avec les jeunes spectateurs en quoi ce comportement est condamnable. Deux idées paraissent importantes à ce propos:
Une discussion ouverte avec les enfants devrait suffire à éclaircir ces deux points: ont-ils bien perçu le caractère tyrannique de la «Tête»? partagent-ils bien la révolte de Myosotis confrontée à ce tyran?
[…]