Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Les Mains en l'air
de Romain Goupil
France, 2010, 1h30
Le dossier pédagogique consacré au film Les Mains en l'air s'adresse aux enseignants qui verront ce film avec leurs élèves (entre dix et treize ans environ), et plus largement aux animateurs en éducation permanente qui souhaiteraient aborder les thèmes de ce film avec un large public. Un accent particulier est mis sur le film, son propos, sopn sens et sa construction.
L'animation proposée ci-dessous propose de revenir plus précisément sur le choix du réalisateur de situer son film dans le futur (en 2067…) et sur la signification qu'on peut y déceler relativement facilement, même si certains spectateurs n'y sont pas nécessairement sensibles.
Ce qui retient d'abord l'attention lorsqu'on entame la vision des Mains en l'air, c'est que l'histoire commence en 2067, une soixantaine d'années après les faits relatés par Milana. Le film se présente donc comme un long flash-back, encadré par un prologue et un épilogue situés tous les deux dans le futur.
Alors que les premières images montrent un décor futuriste comme on peut en voir dans d'autres films d'anticipation (blancheur éclatante, lignes droites, formes épurées, relative absence de vie humaine, animale, végétale…), celles de l'épisode final, qui se situent pourtant à la même époque (2067), évoquent plutôt le passé : Milana est filmée à travers une vitre ruisselante de pluie que rien ne distingue du carreau sur lequel, soixante ans plus tôt, elle suivait le tracé des gouttes d'eau avec son ami ; quant à Blaise, montré à son tour vieilli par les années, il se tient à côté de l'entrée d'une bâtisse en ruines, qui pourrait correspondre à la maison natale de Cendrine, où les enfants avaient passé ensemble quelques jours de vacances.
D'une certaine manière, le prologue du film, en mettant l'accent sur la différence d'époque, souligne l'évolution (culturelle, politique…) de la société — en 2067, il est devenu inconcevable de décrire ce qu'était l'école et la vie scolaire et impossible de comprendre l'expulsion de personnes en situation irrégulière —, tandis que l'épilogue met quant à lui l'accent sur la nostalgie d'une époque idéalisée : celle de l'enfance, de ses bonheurs, de ses jeux et de ses rêves, qui ne subsiste plus qu'à travers quelques vestiges. De cette confrontation entre prologue et épilogue naît ainsi l'idée que passé et futur restent toujours intimement liés, à la fois proches d'un point de vue émotionnel mais lointains dans la mémoire de celui qui se souvient d'un point de vue, social, politique, culturel…
Nous suggérons maintenant d'amener les jeunes spectateurs à examiner d'un peu plus près ce dispositif en s'attachant aux effets produits par la confrontation de deux époques, l'objectif final étant de dégager l'intention du réalisateur.
Entamons l'activité par une discussion informelle en grand groupe en invitant les participants à s'exprimer sur ce décalage temporel : qu'est-ce qui a changé entre 2009 — notre époque actuelle, qui est évoquée dans Les Mains en l'air — et 2067, une période qui nous est encore totalement inconnue et qui est pourtant évoquée au début et à la fin du film, alors que Blaise et Milana ont vieilli ?
Cette première approche sera ensuite approfondie en petits groupes ; au cours de cette seconde phase, il s'agira de s'interroger sur les motivations du réalisateur à utiliser ce dispositif. En d'autres termes, on demandera aux jeunes spectateurs pourquoi Romain Goupil a choisi de raconter l'histoire de Milana de son point de vue à elle, mais soixante ans plus tard.
Concrètement, l'enseignant ou l'animateur pourra introduire la réflexion de cette manière :
Le passé de Milana âgée correspond à notre présent et son présent à elle correspond à notre futur. À votre avis, pourquoi le réalisateur Romain Goupil a-t-il choisi ce dispositif pour raconter l'histoire de Milana, une fillette sans-papiers qui vit « aujourd'hui », à la même époque que nous ?
Quelques commentairesUn témoignage garant des faitsEn introduisant Les Mains en l'air par une interview de Milana en 2067, Romain Goupil met directement l'accent sur la dimension « documentaire » de son film. Surtout utilisée dans le reportage, la technique de l'interview permet en quelque sorte « d'authentifier » ce qui lui est arrivé soixante ans plus tôt. Le récit de Milana apporte ainsi un témoignage sur une réalité disparue en 2067 mais qui a bel et bien existé : celle des personnes sans-papiers qui vivent la même situation qu'elle, que Youssef, Madame Zou et leurs familles : traques policières, expulsions, violences… Et comme le passé de Milana, c'est notre présent, le réalisateur souhaite nous sensibiliser à leur cause, d'une manière à la fois originale et percutante. Un regard distancié et critiquePar ce procédé, le réalisateur nous oblige à prendre du recul, à nous extraire de l'époque actuelle pour envisager la situation des sans-papiers avec plus de distance et un regard plus critique. Ainsi détachées de leur contexte socioéconomique et politique — la situation de crise que nous traversons et qui favorise la banalisation de discours et de pratiques « extrémistes » à l'égard des minorités —, l'arrestation arbitraire et l'expulsion des sans-papiers apparaissent pour ce qu'elles sont vraiment : des pratiques condamnables, contraires aux droits de l'homme et notamment aux articles 3, 9, 13 et 14[1] de le déclaration universelle des droits de l'homme. En situant le prologue et l'épilogue du film dans le futur, le réalisateur entend donc jeter un éclairage nouveau sur le présent afin de secouer notre conscience. Dans une interview parue dans le dossier de presse consacré à son film, Romain Goupil, interrogé sur la nécessité d'un prologue et d'un épilogue dans le futur, s'exprime d'ailleurs en ces termes : « S'extraire de la gangue nauséabonde dans laquelle nous sommes plongés en ce moment, et qui fait que nous risquons de finir par réfléchir dans des termes inacceptables, d'entrer dans un débat dont il est évident que dans 50 ou 60 ans, il sera considéré comme une indignité totale, dans sa formulation même. » Les leçons du passéAu début du film, le témoignage de Milana ressemble beaucoup à celui d'autres personnes âgées lorsqu'elles sont amenées à s'exprimer à propos d'expériences et de faits vécus dans le passé ; on pense notamment aux rescapés de la Shoah, qui rapportent depuis un certain nombre d'années leurs témoignages dans les écoles ou à travers les médias (livres, périodiques, plateaux de télévision, documentaires…), devenant à ce titre les garants de la vérité historique, face notamment aux personnes qui nient la destruction des Juifs d'Europe par les nazis. Il y a d'ailleurs entre 2009 et 2067 à peu près le même écart temporel qu'entre notre époque et la Seconde Guerre mondiale. De façon implicite, le réalisateur souligne ainsi le parallèle qu'il établit tout au long du film entre les deux situations de discrimination, avec l'idée supplémentaire que demain, la politique répressive à l'égard des sans-papiers semblera tout aussi incompréhensible et monstrueuse que nous apparaît aujourd'hui la Shoah. Le film peut donc être considéré aussi comme un avertissement et un appel à tirer les leçons du passé. 1. « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à
la sûreté de sa personne », |
une image symbolique et évocatrice du passé