Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Fish Tank
de d'Andrea Arnold
Grande-Bretagne, 2009, 2h04
Le dossier pédagogique dont on trouvera un extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront le film Fish Tank avec leurs élèves (entre treize et dix-huit ans ans environ). Il contient plusieurs animations qui pourront être rapidement mises en œuvre en classe après la vision du film.
Le travail de mise en scène cinématographique correspond (au moins dans les films de fiction) à raconter une histoire en images et en sons (parmi lesquels des paroles).
On pourra apprécier, évaluer, juger le travail d'un cinéaste en observant comment il traduit en images et en sons des idées, des sentiments, des atmosphères en somme, tout ce qui ne se dit pas en paroles.
Pour sensibiliser au travail de mise en scène, nous proposons ici deux approches.
La première consiste à examiner comment Andrea Arnold, la cinéaste, a mis en images et en sons des éléments narratifs qui sont bien identifiables, comme, par exemple, le moment où Mia comprend que Connor a une famille
La seconde procède de la démarche inverse: qu'est-ce que la cinéaste veut dire ou faire ressentir quand elle filme telle ou telle chose? Comme, par exemple, le vent dans les arbres.
Concrètement, demandons aux participants s'ils se souviennent de la manière dont s'y prend la cinéaste pour
nous faire percevoir que Mia est sensible au charme de Connor? qu'elle est attirée par lui?
nous faire comprendre que Mia découvre que Connor a une femme et un enfant?
Il s'agit de détailler tous les éléments qui participent à l'élaboration de ces significations (comportements des personnages, rythme, cadrage, lumière, montage, etc.)
Les observations recueillies en relation avec les consignes d'observation (proposées dans la première animation du dosiser, non reproduite sur cette page web) seront ici très utiles.
Commentaires: comment mettre en scèneMia est attirée par ConnorQuand elle rencontre Connor, Mia est partagée entre différents sentiments: elle est attirée, mais se méfie de lui. Elle l'observe, fouille ses poches, cherche à le voir mais se montre agressive avec lui. Son attirance pour Connor se traduit notamment par ce que fait le personnage (qui est parfois contredit par les paroles), comme, par exemple, le suivre du regard, l'observer par la fenêtre, fouiller ses poches mais aussi par la manière dont les scènes sont filmées. Ainsi, la caméra se substitue parfois au regard de Mia: elle nous montre Connor, tel que Mia le regarde, par exemple en s'attardant sur son dos nu et sa chute de rein, quand il prépare le thé, quand il monte l'escalier pieds nus, etc. Après que Mia s'est blessée au pied au réservoir à poissons, Connor l'invite à grimper sur son dos. Mia s'exécute et la scène est filmée au ralenti. On a l'impression que Mia voudrait que ce moment dure longtemps... On peut également comparer la manière dont sont filmées les deux scènes où Connor met les filles au lit. Dans la première, Connor prend dans ses bras Mia qui s'est endormie dans le lit de sa mère mais qui s'est réveillée: elle fait semblant de dormir. Dans la seconde, Connor prend Tyler qui s'est endormie dans le salon pour la mettre dans son lit. Ces deux scènes comparables ne sont pas équivalentes: alors que la scène de Tyler peut se résumer en une phrase, comme «Connor prend Tyler pour aller la mettre au lit», la scène de Mia est beaucoup plus longue, beaucoup plus précisément décrite. Mia entend sa mère et Connor parler, elle fait semblant de dormir, elle se laisse porter par Connor, puis déshabiller. La cinéaste prend soin de montrer les yeux entrouverts de Mia. La lumière, faible (on baigne dans une ambiance de nuit, chaude et obscure), la lenteur et la douceur des gestes (qui se justifient par la situation: il ne faut pas réveiller Mia), la longueur de la scène, le bruit amplifié de la respiration traduisent le plaisir que Mia éprouve à être ainsi prise dans les bras et déshabillée par Connor. La mise en scène nous fait ressentir ce que Mia est en train de vivre [1] Mia comprend que Connor a une famille.Quand Mia s'introduit chez Connor, elle croit le connaître et ne s'étonne pas de ce qu'elle voit. Elle semble constater l'environnement dans lequel il vit: une maison, un jardin entouré de palissades, un canapé gonflable et des clapiers au fond du jardin, un intérieur bien rangé et bien propre. La caméra nous montre ce qu'elle voit. Habituée à s'introduire dans des propriétés privées (l'appartement inoccupé où elle danse, le terrain vague), elle visite la maison, sans scrupule et sans crainte. Elle ouvre le frigo et prend une bière, comme si elle était chez elle. On a l'impression qu'elle va attendre le retour de Connor et, pour s'occuper, elle prend le caméscope et l'allume pour regarder les dernières images enregistrées. C'est là qu'elle découvre la petite Keira qui chante, bientôt rejointe par sa maman. Les images sont tournées dans le jardin même de cette maison, la voix masculine qui encourage la fillette est celle de Connor, et Mia comprend alors que Connor a une femme et une petite fille. Tout semble s'accélérer alors. Elle jette le caméscope à terre, mais l'on continue à entendre Keira chanter timidementLa caméra se substitue alors au regard de Mia qui voit tout à coup ce qu'elle n'avait pas vu auparavant: les signes de la présence d'une femme et d'un enfant dans cette maison (des jouets, un vêtement de femme, des accessoires de déguisement,) La caméra filme Mia en tournant autour d'elle, ce qui fait ressentir la panique qu'éprouve la jeune fille. Enfin, elle urine dans le salon. Qu'il s'agisse de ce que montre la caméra (avec notamment des gros plans rapides sur les indices de la présence de la femme et de l'enfant), du changement de rythme entre l'avant et l'après ou de ce comportement inattendu d'uriner sur place, tout dans cette séquence fait parfaitement partager au spectateur la surprise, le désarroi et l'oppression que ressent Mia. 1. Cette scène inspire le critique Éric Loret: «messieurs, grâce au cinéma, vous pourriez devenir une jeune fille de 15 ans et savoir ce que ça fait de se faire ôter son jogging et ses pompes par son beau-père, dans la moiteur d'une nuit endormie, mais un œil entrouvert quand même, retenant sa respiration. C'est le miracle qui arrive ici []» in Libération, le 16 septembre 2009. |
Dans un deuxième temps, demandons aux participants s'ils se souviennent des scènes ou des plans suivants: une silhouette étrange traverse l'écran. (On comprend ensuite qu'il s'agit d'une personne noire qui va faire des acrobaties. Elle a les cheveux attachés en deux queues au sommet du crâne qui donne à sa silhouette en contre-jour une forme étrange.)
Invitons les participants à rassembler leurs souvenirs autour de ces scènes et plans et ensuite à chercher des interprétations de ces images.
Dans ce contexte, on pourra également relever d'autres «scènes courtes et énigmatiques» qui ont fait l'objet d'une consigne d'observation.
Les observations recueillies en relation avec les consignes seront ici très utiles.
Commentaires: que signifieUne silhouette étrangeLe plan est très furtif. Une silhouette traverse l'écran, au ralenti, de droite à gauche. Ce plan pourrait passer tout à fait inaperçu si ce n'était précisément son étrangeté. Cette image est identifiable quelques instants plus tard. Le contre-jour est dû au fait que l'on se trouve dans un passage couvert de la cité. La silhouette appartient à une personne noire (fille ou garçon?) qui a les cheveux noués en deux queues sur le sommet de la tête, ce qui donne à sa silhouette cette forme bizarre. On voit ensuite cette personne faire des acrobaties dans le couloir. Là, Mia rencontre des jeunes qu'elle connaît (puisque l'un d'eux a été acheter du cidre pour elle). On pourra noter que ces jeunes sont très différents des jeunes filles que l'on voyait danser au début du film et des gars qui les regardaient. Ceux-ci sont d'un autre style, beaucoup moins «sexués» dans leur apparence. Toute la scène confère une touche d'étrangeté au monde de Mia et marque la différence de styles des groupes de jeunes. Une vitre opaqueAprès que Connor a reconduit Mia à la gare, la caméra s'attarde sur une vitre opaque. Après quelques secondes, l'on comprend qu'il s'agit de la vitre d'un abri; Mia se trouve derrière, à attendre le train. Il s'agit d'un moment de suspension, où l'on n'identifie pas bien ce que l'on voit à l'écran. Mia attend, elle réfléchit sans doute à l'échange qu'elle a eu juste avant avec Connor. On pourra déduire ensuite que ce temps de pause, inexplicable pour nous spectateurs, a en fait permis à Mia de réfléchir à la situation, de percevoir son insatisfaction par rapport à la manière dont Connor s'est débarrassé d'elle, en quelque sorte. Le ciel, les arbresÀ plusieurs reprises, la cinéaste filme une part de paysage: le ciel, une multitude d'oiseaux en vol, le vent dans les arbres, etc. Ces images, qui peuvent être perçues comme de petits moments de respiration pour les spectateurs, ont-elles une signification particulière? Difficile à dire. Elles produisent en tout cas un contraste dans la mesure où elles donnent à voir la nature, alors que l'intrigue est concentrée dans la cité. Elles contrastent également dans le sens où il s'agit de plans larges, vides de présence humaine. Si l'on ressent l'enfermement que peut représenter la cité, ces images évoquent l'extérieur. Des ralentisLes scènes filmées au ralenti ne sont pas facilement repérables, d'autant plus qu'elles sont très courtes. Les plus faciles à interpréter concernent Mia et Connor: elles correspondent à des instants un peu magiques où Mia jouit de la présence bienveillante de Connor. Par exemple, quand il l'invite à monter sur son dos après qu'elle s'est blessée dans le réservoir à poissons, quand il lui fait sentir son parfum, et même quand il se tourne vers la banquette arrière pour faire marche arrière dans l'auto D'autres ralentis sont plus difficiles à interpréter. Par exemple, quand Keira passe devant Mia en trottinette ou encore quand la gamine s'enfuit après son enlèvement. Ces ralentis donnent un sentiment de «temps suspendu» qui correspondent peut-être d'une part à l'étrangeté de la situation et d'autre part à l'indécision de Mia quant à la suite à donner aux événements Les adieuxMia a fait sa valise. Elle a dit à Tyler qu'elle partait au Pays de Galles. Elle entre dans le salon pour dire au revoir à sa mère. Celle-ci danse sur une musique du rappeur NAS. Elles échangent quelques mots à propos de cette musique, puis Mia s'avance. On peut penser qu'elle va embrasser Joanne, mais elle n'en fait rien. Elle se met à danser avec sa mère, et elles sont bientôt rejointes par Tyler. Cette scène est curieuse et inattendue. On peut l'interpréter comme une scène d'adieu Le langage entre Mia et sa mère a toujours été assez cru et violent. Leurs contacts physiques relèvent d'habitude du registre de la violence ou au moins du rapport de force. Ainsi, la danse apparaît comme un langage commun entre elles. Cette scène correspond pour Mia et sa mère à un unique moment d'harmonie. |