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Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Modus Operandi
de Hugues Lanneau
Belgique, 2008, 1h38

Le dossier pédagogique dont on trouvera un extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront le film Modus Operandi avec leurs élèves (à partir de quatorze ans environ). Il contient plusieurs animations qui pourront être rapidement mises en œuvre en classe après la vision du film. Il peut également intéresser les animateurs qui souhaitent aborder ce film avec un large public d'adultes.

Le contexte

Modus Operandi retrace le processus d'exclusion puis de déportation des Juifs de Belgique par les nazis. Ce processus s'inscrit, on le sait bien, dans une politique beaucoup plus vaste qui a débuté en Allemagne dès l'arrivée au pouvoir de Hitler en 1933, qui a été ensuite étendue à l'ensemble des pays occupés et qui a finalement débouché sur l'extermination systématique des Juifs européens. Si de nombreux faits de cette persécution sont connus d'un large public (le port de l'étoile, les rafles, les chambres à gaz...), ces connaissances restent cependant souvent approximatives et parfois confuses.

Il est donc important avec un jeune public de retracer l'ensemble de ce processus et d'en distinguer les principales étapes ainsi que la logique d'ensemble.

On pourra pour cela se baser sur le film Modus Operandi qui décrit en plusieurs grands chapitres ce qui s'est passé du début à la fin de l'occupation en Belgique: diaboliser-rejeter / recenser-exclure / piller-humilier / rafler-déporter / s'enfuir-résister. En utilisant leurs souvenirs de la projection, les participants expliqueront en quelques mots ce que recouvrent ces mots, citeront l'un ou l'autre exemple évoqué par le film et essaieront de dater les différents événements. Tout cela pourra faire l'objet d'une synthèse graphique au tableau sur le modèle ci-dessous:

diaboliser/rejeter recenser/exclure piller/humilier rafler/déporter s'enfuir/résister
  • La propagande anti-juive, les caricatures antisémites
  • Le film Le Juif Süss
  • ...
  • Les premières ordonnances allemandes
  • L'inscription obligatoire au registre des Juifs
  • La collaboration des autorités communales
  • L'exclusion des Juifs de toute une série de professions mais également de lieux publics
  • ...
  • Les entreprises «juives» sont «aryanisées»
  • Les descentes à la bourse diamantaire d'Anvers
  • Tout le pays est en fait pillé (tickets de rationnement)
  • Émeute anti-juive à Anvers
  • Exclusion des enfants juifs des écoles
  • L'étoile juive (mai 42)
  • ...
  • Les convocations pour une «prestation de travail» (août 42)
  • La caserne Dossin à Malines
  • 1 convoi pour 1.000 déportés
  • Seuls 3.900 Juifs se sont présentés à Malines (au lieu des 10.000 prévus): des rafles sont organisées à Anvers et Bruxelles
  • ...
  • La clandestinité
  • Les dénonciations
  • Le CDJ (centre de défense des Juifs)
  • Les enfants juifs cachés, séparés de leurs parents
  • Évasions des trains
  • L'attaque du XXe convoi par trois hommes seuls
  • Déportation des Juifs belges (septembre 43), puis des Tziganes (janvier 44)
  • ...

On invitera ensuite les participants à comparer ce qui s'est passé en Belgique avec la situation dans les autres pays occupés. Pour cela, on utilisera un résumé de l'ouvrage classique de Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d'Europe (Paris, Gallimard (Folio Histoire), 1991 et 2006) qui propose quant à lui de décrire le processus génocidaire en quatre grandes étapes. Le résumé dans l'encadré ci-dessous s'attarde notamment sur le cas de la Pologne dont la communauté juive était alors la plus importante en Europe et dont le destin tragique comporte des similitudes essentielles mais également des différences importantes avec celui des Juifs de Belgique. Les événements liés à la guerre en URSS permettent en outre de comprendre pourquoi le processus de déportation s'est enclenché en Belgique (mais aussi en France et aux Pays-Bas) de façon dramatique à l'été 42.

La Destruction des Juifs d'Europe par Raul Hilberg: un résumé

Il est très peu probable que Hitler et les principaux chefs nazis aient envisagé dès 1933 d'assassiner de manière systématique les Juifs, et encore moins qu'ils aient conçu à ce moment ce qui sera l'instrument le plus terrible du génocide, les chambres à gaz. Les Juifs constituèrent cependant une des premières et une des plus importantes cibles de la politique hitlérienne: il s'agissait bien, pour ces racistes extrémistes, d'éliminer les Juifs d'Allemagne, même s'ils ne précisaient pas quel devait être le sens exact de cette élimination, ni ce que signifiait concrètement pour eux «en finir avec la question juive». Très rapidement, ils envisagèrent d'évacuer la population juive d'Allemagne vers des pays étrangers, et, jusqu'au début 41, circula dans les sphères dirigeantes nazies un vague projet d'expulsion vers Madagascar.

Si le but ultime de cette élimination de «l'influence juive» est donc resté longtemps mal défini (en fait jusqu'à l'été ou l'automne 1941), cette politique, quel que soit son terme, impliquait un certain nombre d'étapes incontournables. Il fallait d'abord définir juridiquement qui était juif (et corrélativement qui ne l'était pas), puis exproprier les Juifs, c'est-à-dire les priver d'un maximum de biens mais aussi de leurs positions acquises dans la société (et reconnues par elle), et ensuite les regrouper systématiquement avant, enfin, leur «élimination» (par le meurtre ou l'émigration) de la société allemande.

Avec le nazisme, le racisme antisémite ne se présente plus comme une série de violences brutales et désorganisées mais devient une politique, c'est-à-dire une action systématique, méthodique, où les décisions sont prises de manière bureaucratique avec des règles et des quotas à respecter, et où les différences individuelles s'effacent (ou tendent à s'effacer) derrière un fonctionnement abstrait et régulier: une grande partie des exécutants de la «solution finale» furent des fonctionnaires qui ont pu ainsi souvent déclarer après la guerre n'éprouver personnellement aucune haine envers les Juifs! Et, en effet, pour exécuter une telle politique, il n'était pas nécessaire d'éprouver une telle haine, il suffisait de se comporter comme un fonctionnaire zélé.

En Allemagne comme dans tous les pays occupés, cette politique se présentera donc de la même manière comme un processus avec ses quatre étapes nécessaires: la définition, l'expropriation, la concentration et enfin l'assassinat.

1. La définition

Le pouvoir nazi proclamera en Allemagne puis dans les différents pays occupés une série de décrets ou d'ordonnances (selon les situations juridiques locales) qui définissent qui est juif. Par le fait de l'assimilation, des mariages inter-communautaires, il était (et il est toujours) difficile de tracer une délimitation claire entre la communauté juive et les autres. Face à cette difficulté, les fonctionnaires nazis se baseront sur l'ascendance et sur la religion: était déclarée juive toute personne qui avait au moins trois grands-parents juifs (c'est-à-dire qui étaient supposés avoir appartenu à la religion judaïque) ou bien toute personne qui avait deux grands-parents juifs et qui, de plus, soit appartenait à la communauté religieuse judaïque, soit était mariée à une personne juive. On voit la complexité de cette définition (qui comprenait encore d'autres cas) mais qui, dans les faits, traçait une frontière nette entre les Juifs et les non-Juifs: on peut parler ici de «communauté forcée» puisque tous les Juifs d'Europe étaient censés appartenir à une même «race» qui niait toutes les différences individuelles mais aussi les liens, parfois ténus, parfois forts importants, qui existaient entre les Juifs et les communautés environnantes.

Cette législation s'appliqua immédiatement dans les pays occupés, et, en Belgique par exemple, une série d'ordonnances de septembre et octobre 40 proclamèrent le statut des Juifs qui leur imposait en particulier de se faire inscrire dans un registre spécial à l'administration communale. La définition se double aussitôt d'un repérage: en se faisant recenser — et la plupart des Juifs de Belgique obéiront à cette ordonnance —, les Juifs deviennent les proies futures des nazis.

Pour faciliter ce repérage, les autorités nazies imposèrent en outre des signes distinctifs (généralement un J) sur les papiers d'identité: dès 1938, les passeports des Juifs allemands sont ainsi marqués d'un J majuscule à l'encre rouge. Et finalement, le repérage s'accompagnera d'une véritable désignation physique, l'étoile jaune que les Juifs devront porter à partir de septembre 41 en Allemagne, puis à différentes dates dans les pays occupés (dès novembre 39 en Pologne, en mai 42 en Belgique).

2. L'expropriation

Persuadés de la toute-puissance et de la richesse immense des Juifs, les nazis prirent une série de mesures juridiques pour éliminer les Juifs de toute fonction publique puis les déposséder de leurs entreprises commerciales. L'Allemagne fut naturellement la première touchée par ces mesures: dès avril 1933, une loi proclamait la mise à la retraite de tous les fonctionnaires non-aryens qui furent en outre progressivement privés des pensions auxquelles ils avaient droit. Le processus fut le même dans les pays occupés où des lois ou ordonnances furent prises par les autorités allemandes pour exclure les Juifs des fonctions publiques mais également de certaines professions comme la médecine (les médecins juifs ne pouvant plus soigner que des patients juifs).

Dans le domaine économique, le processus fut plus long et plus complexe. En Allemagne, l'«aryanisation» fut d'abord «volontaire»: par différentes mesures de boycott, les nazis espéraient étouffer les entreprises «juives» et obliger ainsi leurs propriétaires à les revendre à bas prix à des Allemands. Cette politique, dont les effets n'étaient pas systématiques puisque les propriétaires juifs avaient encore une faible marge de négociation avec d'éventuels acquéreurs, fut remplacée à partir de 1938 par une «aryanisation» forcée. À ce moment, une série de décrets fixèrent «des dates limites de cessation d'activité pour les entreprises de services, les cabinets de médecins ou d'avocats, les commerces de détail». En outre, un dernier décret donnait le pouvoir aux représentants de l'État d'obliger les Juifs à vendre les industries, les biens immobiliers ou mobiliers dont ils étaient propriétaires: cette mesure visait évidemment les entreprises importantes dont la vente forcée sous le contrôle des fonctionnaires de l'État ne laissait plus aucune marge de manœuvre à leurs anciens propriétaires.

D'autres mesures (avant 1940) visèrent enfin la fortune mobilière des Juifs en les empêchant d'en disposer à leur guise et en rendant ainsi leur émigration éventuelle particulièrement pénible et difficile: actions et obligations devaient être déposées dans les bureaux du Ministère des Finances tandis qu'une stricte réglementation des changes rendait pratiquement impossible le transfert de fonds importants vers l'étranger. Toutes ces mesures expliquent qu'entre 1933 et 1939, 40% des 525000 Juifs allemands choisirent l'exil bien que celui-ci signifiât nécessairement dépouillement et appauvrissement.

Dans les pays occupés (alors qu'il n'était plus question désormais d'exil vers l'étranger pour les Juifs), l'«aryanisation» de l'économie fut plus rapide et plus brutale: partout, des décrets ou des ordonnances obligèrent les Juifs à liquider leurs entreprises, les plus petites étant purement et simplement fermées, les plus importantes passant à des acheteurs «aryens» sous le contrôle des autorités allemandes. Parmi ces acheteurs se trouvaient souvent des firmes allemandes bien décidées à profiter de l'aubaine. En outre, différentes mesures, comme le blocage des comptes bancaires, permettaient de parfaire ce processus d'expropriation. Enfin, la déportation permettra aux nazis ainsi qu'à leurs collaborateurs dans les pays occupés de faire main basse sur les biens des maisons et des appartements qu'occupaient les Juifs.

3. La concentration

La concentration des Juifs avait un double but. Il s'agissait de regrouper les Juifs avant leur élimination mais aussi de rompre tous les liens qu'ils pouvaient entretenir avec la société environnante. Alors que l'émancipation avait entraîné la disparition des ghettos, les nazis vont s'acharner à reconstituer cette barrière physique entre les Juifs et les non-Juifs, même si les ghettos de la Seconde Guerre mondiale n'ont pratiquement rien à voir avec ceux des siècles passés.

Parmi les premières mesures dans ce sens figure la loi de 1935 pour la protection du sang allemand qui interdisait le mariage et les relations sexuelles entre Juifs et non-Juifs. S'y ajoutèrent différentes dispositions visant à interdire les lieux publics, les écoles supérieures, les transports et même les plages aux Juifs.

Mais c'est l'invasion de la Pologne en septembre 1939 qui va précipiter de manière dramatique ce processus de ségrégation. Avec cette conquête territoriale, l'Allemagne avait en son pouvoir la plus importante communauté juive d'Europe: plus de trois millions de personnes dont près de deux millions dans les territoires occupés par l'Allemagne (rappelons que l'est de la Pologne fut occupé en septembre 39 par l'armée soviétique suite aux accords secrets du pacte germano-soviétique d'août: ces territoires seront ensuite envahis par l'Allemagne à partir de juin 1941 au moment de l'attaque contre l'Union Soviétique).

Les premières déportations

La Pologne occupée par la Wehrmacht fut découpée en deux: l'ouest (Posnan, Lodz, Katowice) fut pratiquement annexé à l'Allemagne, tandis que le centre (Varsovie, Lublin, Cracovie) formait le «Gouvernement général» dirigé par un nazi, Hans Frank. Le projet des nazis prit alors forme: il s'agissait de regrouper tous les Juifs d'Allemagne et de Pologne dans l'est du Gouvernement général.

La première phase de ce plan consistait à expulser les Juifs des territoires nouvellement incorporés (de Pologne), c'est-à-dire plus ou moins 600 000 personnes qu'on commença à transférer par convois ferroviaires à partir de décembre 39. Rapidement, il fut décidé de leur adjoindre les Juifs du Reich (Allemagne et Autriche). Mais le Gouvernement général, d'abord coopératif, se révéla incapable de gérer un tel afflux de personnes, et les évacuations furent interrompues à partir de mars 1940 avant de reprendre en octobre 1941. Au même moment avait cependant commencé la deuxième phase d'expulsion et de regroupement. À l'intérieur de toute la Pologne, les nazis mirent sur pied dans les grandes villes des ghettos fermés où les Juifs furent obligés d'habiter dans des conditions qui allaient rapidement se dégrader. Tous les Juifs des petites villes, des villages, des campagnes environnantes durent abandonner leurs habitations pour se rendre dans ces ghettos surpeuplés où ils n'avaient pratiquement aucun moyen de subsistance. Furent mis sur pied successivement de 1939 à 1941 les ghettos de Lodz, de Varsovie, de Cracovie, de Lublin, de Radom, de Kielce, de Lwow (récemment conquise par les Allemands lors de l'invasion de l'Union soviétique en 1941). «À la fin de l'année 1941, presque tous les Juifs des territoires incorporés et du Gouvernement général se trouvaient dans les ghettos».

L'exploitation et la famine

Rien dans ces ghettos supposés provisoires n'avait cependant été prévu pour la subsistance de leurs habitants! Une grande partie de ceux-ci durent alors épuiser les économies qu'ils avaient pu soustraire aux spoliations, pour acheter de la nourriture souvent au marché noir parce que les Allemands rationnaient de manière dramatique les quantités de nourriture qui entraient dans les ghettos. Un certain nombre d'ateliers et d'usines purent cependant être établis dans les ghettos: leur production souvent élémentaire — uniformes, chaussures, matelas, récipients — était essentiellement destinée à l'armée et mise ainsi au service de l'effort de guerre allemand.

Un certain nombre de Juifs furent en outre employés dans des entreprises à l'extérieur du ghetto sous forme de détachements qui se rendaient chaque jour sur leur lieu de travail avant de revenir le soir au ghetto: les salaires payés à ces ouvriers juifs étaient généralement de 30 à 40 % inférieurs à ceux des Polonais. Pour beaucoup de Juifs, ce travail même dans des conditions extrêmement pénibles fut cependant provisoirement la seule chance de survie et l'assurance tout aussi temporaire contre les rafles qui, à partir du début 42, vidèrent progressivement les ghettos pour expédier leurs habitants vers les chambres à gaz.

L'exploitation du travail prit cependant des formes beaucoup plus brutales avec l'organisation de camps à proximité notamment de grandes usines. Dans ces camps de travail forcé où les travailleurs résidaient de façon permanente, les conditions d'existence furent le plus souvent effroyables: la nourriture fortement rationnée, le surpeuplement, l'absence totale d'hygiène et de matériel sanitaire, le travail sept jours sur sept provoquèrent une mortalité importante.

Dans ces conditions, la famine et les épidémies s'installèrent rapidement dans les ghettos. La plupart des Juifs, sans travail, n'avaient que leurs maigres réserves pour survivre. Rapidement, les plus pauvres et les plus faibles d'entre eux, les enfants, les vieillards, les isolés dépérirent. Le typhus notamment fit des ravages parmi cette population entassée dans des conditions d'hygiène déplorables et qui ne disposait ni de médicaments ni même de savon. La mortalité fut telle dans le ghetto de Varsovie que des cadavres gisaient sur les trottoirs et n'étaient même plus ramassés. Durant cette période, de septembre 39 à janvier 43, avant la phase d'extermination proprement dite (bien que ces deux phases se soient en fait superposées à partir de la fin 41), 500.000 Juifs environ périrent en Pologne de faim, de maladie, de mauvais traitements et d'exactions diverses.

Les conseils juifs

Une des particularités importantes des ghettos et plus généralement du processus de concentration des populations juives fut l'instauration par les Allemands de conseils juifs chargés d'administrer les communautés des ghettos (ou les communautés nationales ou municipales dans d'autres pays comme la France, l'Allemagne, l'Autriche ou la Belgique). Ces conseils composés généralement de notables désignés autoritairement devaient servir de relais à la politique des nazis: c'est eux qui allaient par exemple désigner les travailleurs pour les camps de travail forcé. D'eux allait dépendre également une police armée seulement de bâtons mais chargée de faire respecter l'ordre dans les ghettos. Plus généralement, ces conseils devaient avoir toutes les responsabilités d'un gouvernement civil, la santé, l'administration, l'éducation même, l'impôt aussi.

Dans les faits, ces conseils furent le plus souvent les complices sans doute inconscients des nazis: ils encouragèrent leurs «administrés» à obéir aux ordres des Allemands, ils essayèrent de rassurer tous ceux qui redoutaient, à raison, les rafles et les déportations, ils cédèrent pratiquement à toutes les exigences nazies. Croyant pratiquer la politique du moindre mal et sauver, par leur obéissance, ceux qui n'avaient pas encore été déportés, ils se contentaient le plus souvent d'intercéder auprès des autorités allemandes en faveur de cas individuels sans se rendre compte que le but final des nazis était bien l'extermination totale des Juifs d'Europe (les membres des conseils juifs faisant généralement partie du dernier convoi… ). L'existence de ces conseils juifs et de l'administration qui les entourait a par ailleurs entraîné une grande disparité sociale à l'intérieur des ghettos: alors que la grande majorité de la population souffrait de la faim et des privations, cette bureaucratie jouissait de multiples privilèges et put même parfois (comme à Varsovie) prospérer pendant un temps. Les déportations de la «solution finale»

Dans les pays d'Europe autres que la Pologne, le processus de concentration dura en général beaucoup moins longtemps et aboutit rarement à la formation de ghettos. Les Allemands, une fois que le processus d'extermination fut mis en route, procédèrent par convocations, par rafles, par traques, et rassemblèrent leurs victimes dans des camps provisoires, le temps de remplir tous les wagons d'un convoi: à Westerbork à Assen en Hollande, à la caserne Dossin à Malines en Belgique, au Vélodrome d'Hiver à Paris lors des rafles de juillet 42. À Salonique en Grèce, en Hongrie, le regroupement dans des ghettos fut tout à fait provisoire, dernière étape d'une déportation déjà en marche. La concentration avait maintenant pour but reconnu, l'extermination.

4. L'extermination

L'invasion de l'U.R.S.S. en juin 41 modifia la politique nazie dans le sens le plus noir. Pour les nazis, l'U.R.S.S. représentait sans doute, avec les Juifs, l'ennemi le plus méprisable et le plus détestable, et cette invasion militaire se déroula avec une brutalité sans bornes: les lois de la guerre qui prévoient notamment la sauvegarde des prisonniers furent très largement bafouées, et, sur les 5700000 prisonniers soviétiques environ, plus de deux millions périrent, soit directement exécutés (ceux qui étaient réputés juifs, commissaires politiques ou membres du parti communiste), soit morts de faim, de froid, de maladie, l'armée allemande ayant par exemple pratiquement cessé de les nourrir pendant l'hiver 41-42.

En outre, ces nouvelles conquêtes territoriales livraient aux nazis de nouvelles populations juives alors que les ghettos de Pologne surpeuplés étaient déjà livrés aux famines et aux épidémies. Pour les dirigeants allemands, il devenait de plus en plus urgent de trouver ce qui, de leur point de vue raciste, devait constituer la «solution finale» de la «question juive». La guerre à outrance en U.R.S.S., le nombre toujours croissant de Juifs livrés par les conquêtes militaires à l'emprise des Allemands, la situation dramatique des ghettos polonais, le racisme impitoyable de Hitler et des autres chefs nazis, tout ce contexte poussait à ce que cette solution soit radicale et meurtrière.

C'est vraisemblablement pendant l'été ou à l'automne 1941 qu'a été prise la décision d'exterminer systématiquement tous les Juifs d'Europe. Dès septembre, l'on procédait à des essais de gazage (sur des prisonniers de guerre soviétiques) dans le camp d'Auschwitz, et, à la fin de l'automne, l'on construisait le camp d'extermination de Belzec puis ceux de Sobibor et de Treblinka . Le 20 janvier 1942 à Wannsee, Heydrich, qui avait pratiquement tout pouvoir concernant la «question juive», annonçait aux principaux dirigeants allemands concernés la mise en place de la «solution finale» et la déportation de tous les Juifs d'Europe vers l'Est.

L'extermination avait cependant déjà commencé à ciel ouvert dans l'U.R.S.S. envahie depuis juin 41.

Les tueries perpétrées par les Einsatzgruppen

Dès le début de cette invasion, les dirigeants nazis avaient décidé qu'il s'agirait d'une guerre totale qui ne viserait pas seulement à vaincre l'ennemi mais aussi à l'anéantir physiquement. Les troupes de l'armée allemande, la Wehrmacht, furent alors suivies par de petites unités de SS et de policiers qui avaient pour mission de tuer sur place la population juive ainsi que tous les cadres du parti communiste. Ces trois mille hommes regroupés en quatre grands Einsatzgruppen (groupes d'action) qui agissaient sur un front de plus de mille kilomètres de long opérèrent de ville en ville, de village en village, par vagues successives et répétées. Au début, les massacres touchèrent seulement les hommes adultes accusés de «judéo-bolchevisme», mais, très rapidement, ils s'étendirent aux familles entières, et les assassinats devinrent collectifs.

«Si les Allemands accomplissaient leur besogne rapidement et efficacement, c'est que les massacres étaient standardisés. Dans chaque ville, les unités mobiles répétaient le même processus, avec seulement des variantes mineures. Ils choisissaient un lieu d'exécution, généralement en dehors de la ville, et y préparaient une fosse commune. Souvent ils approfondissaient un fossé antichar ou un grand trou d'obus; quelquefois ils devaient creuser une nouvelle tombe collective. Puis, à partir du point de rassemblement, on amenait les victimes par fournées successives en commençant par les hommes». Les victimes étaient ensuite assassinées avec des armes légères généralement d'un coup de feu dans la nuque ou bien par mitraillage ou tirs croisés.

Ces massacres furent d'une ampleur effroyable: d'après les rapports des Einsatzgruppen, le bilan des victimes était de 100000 personnes par mois environ jusqu'à décembre 41, 33771 hommes, femmes et enfants ayant par exemple été assassinés les 29 et 30 septembre à Babi Yar près de Kiev. Le bilan global de ces tueries à ciel ouvert, qui se déroulèrent jusqu'à la fin 42 environ, s'éleva finalement à plus de 1.300.000 tués.

Les chambres à gaz dans les camps d'extermination

Plusieurs procédés de gazage furent bientôt expérimentés et mis en pratique en Pologne pour exterminer les Juifs de l'Europe occupée.

À Kulmhof (Chelmno en polonais), les victimes, déportées essentiellement des territoires polonais incorporés au Reich, étaient amenées dans l'enceinte d'un château où elles étaient obligées de se déshabiller et de remettre toutes leurs affaires. Elles descendaient alors «vers les bains», en fait une rampe en bois qui conduisait dans des camions qui étaient ensuite hermétiquement fermés. Ceux-ci pouvaient contenir environ quarante personnes et avaient été spécialement conçus pour assassiner leurs occupants avec les gaz d'échappement. Les camions s'en allaient ensuite jeter les victimes dans des fosses communes puis revenaient au château rechercher une nouvelle cargaison. Kulmhof fonctionna de décembre 41 à mars 43 puis fut remis en activité d'avril 44 à janvier 45: 150000 personnes environ y furent assassinées.

À Belzec, Sobibor et Treblinka, les Allemands construisirent des camps d'extermination dotés de chambres à gaz (fonctionnant avec des moteurs diesel ou à essence produisant du monoxyde de carbone). Ils étaient essentiellement destinés à l'extermination des 2200000 Juifs polonais survivants des ghettos et avaient été reliés dans ce but au système ferroviaire. L'assassinat de masse commença à partir de mars 42: les victimes saisies par rafles successives dans les ghettos polonais étaient amenées par train dans ces camps où on leur faisait croire qu'elles allaient passer au bain et à la désinfection. Déshabillées et dépossédées de tout ce qui leur restait, elles étaient ensuite conduites dans les chambres à gaz qui étaient dissimulées et camouflées. Après le gazage, les corps étaient encore examinés pour leur arracher les dents en or et leur prendre d'éventuels objets de valeur dissimulés. Enfin, ils étaient jetés dans des fosses communes.

Tout ce travail était accompli, sous les ordres des SS, par des groupes de prisonniers juifs qui furent pratiquement tous assassinés soit à intervalles réguliers soit lors de la destruction finale des camps. Certains d'entre eux furent également chargés des travaux d'agrandissement de ces camps et de la construction de nouvelles chambres à gaz lorsque les anciennes installations se révélèrent insuffisantes. Enfin, ils durent à l'automne 42 exhumer les cadavres des fosses communes, débordantes et suintantes, et les brûler dans des fours improvisés en plein air (où étaient également brûlées les victimes des nouveaux gazages). Cette crémation n'était pas seulement justifiée par des raisons d'hygiène mais répondait surtout à la volonté des chefs nazis de faire disparaître toute trace de leurs crimes : après avoir servi à exterminer pratiquement tous les Juifs de Pologne, ces camps furent, à partir de 1943, systématiquement rasés, nivelés, labourés, plantés d'arbres...

Auschwitz

Une des particularités d'Auschwitz est d'avoir été à la fois un camp d'extermination comme Belzec, Sobibor et Treblinka, et un camp de concentration. Les camps de concentration, destinés essentiellement aux opposants au régime nazi furent créés dès avant la guerre en Allemagne: Dachau fut ouvert en 1933, Ravensbrück en 34, Buchenwald en 37, Bergen-Belsen en 43. Les conditions d'existence y étaient épouvantables et entraînèrent une mortalité extrêmement élevée due à la malnutrition, aux mauvais traitements, à l'absence de toute hygiène, aux exécutions et surtout à un travail harassant. Les prisonniers y furent en effet ravalés au rang d'esclaves au service des SS (qui avaient leurs propres industries) tandis que des entreprises allemandes importantes installaient des usines à proximité des camps pour profiter de cette main d'œuvre asservie.

Le camp d'Auschwitz, au fil de ses agrandissements, devait comprendre plusieurs parties: «Auschwitz I était le Stammlager (camp-souche); Auschwitz II, dans les bois de Birkenau, le camp de mise à mort; Auschwitz III, appelé également Monowitz, le camp industriel». À Birkenau aboutissaient les trains venus de l'Europe entière, chargés de Juifs raflés en Belgique, en France, en Hollande, au Luxembourg, en Allemagne, en Croatie, en Norvège, en U.R.S.S., en Pologne encore, en Grèce, en Italie, en Hongrie enfin. Après avoir voyagé le plus souvent dans des conditions épouvantables, ces Juifs étaient soumis dès leur arrivée sur la rampe le long du train à une sélection destinée à retenir les plus valides pour le travail: les autres, des femmes, des enfants, des vieillards, des invalides étaient alors conduits immédiatement vers les chambres à gaz.

Au fil du développement du camp, ces installations étaient devenues de plus en plus importantes et comprenaient (à partir de 1943) trois grands ensembles qui réunissaient des chambres de déshabillage, des chambres à gaz maquillées (à partir de l'automne 43) en salles de douches et enfin des fours crématoires destinés à brûler le corps des victimes. Ici aussi, un groupe de prisonniers, les Sonderkommandos (commandos spéciaux) devaient dépouiller les victimes et les amener vers les chambres à gaz; ensuite, après le gazage, ils devaient extraire les cadavres, arracher les dents en or, couper les cheveux des femmes, amener les corps dans les crematoriums où ils les brûlaient.

Les prisonniers que la sélection avait retenus pour le travail - environ 30 à 35 % des convois - étaient immédiatement dirigés vers les autres parties du camp (ils étaient d'abord placés en quarantaine pour éviter qu'ils n'amènent des maladies contagieuses dans le camp!) et n'assistaient en aucune façon au processus d'extermination. Débarqués brutalement du train, séparés souvent de leurs proches, ils ne comprenaient pas ce qui leur arrivait, et ce n'est généralement qu'après quelques heures ou quelques jours qu'ils découvraient, par des rumeurs et des indiscrétions, le sort tragique de leurs proches: dans le camp, il était en effet interdit de parler de ce qui se passait dans les crématoires, les membres des Sonderkommandos étant d'ailleurs séparés du reste des prisonniers.

Pour ceux-ci commençait une vie d'esclaves dans des commandos de travail. Comme dans tous les autres camps de concentration, la mortalité était particulièrement élevée à cause des conditions d'hébergement et de travail souvent effroyables, de la malnutrition, de l'absence totale d'hygiène, des épidémies, des mauvais traitements et des exécutions sommaires. Les Allemands procédaient en particulier à intervalles réguliers (en fait quand la main-d'œuvre était surabondante à cause des derniers arrivages) à des sélections destinées à éliminer les personnes les plus faibles, devenues souvent squelettiques et inaptes au travail. Ces malheureux, qui ne pouvaient avoir aucune illusion sur leur sort, étaient également conduits aux chambres à gaz.

Les très rares déportés (raciaux) qui survécurent (3 % des Juifs déportés de France, 5% des Juifs déportés de Belgique) échappèrent à la mort grâce sans doute à la fois à la chance, à leur relativement bonne santé (seuls les adultes jeunes étaient aptes au travail), à des conditions de travail moins pénibles (certains travaux comme ceux de terrassement signifiaient la mort à brève échéance mais d'autres comme celui des médecins à l'infirmerie donnaient une plus grande chance de survie), à l'entraide qui a pu souvent exister entre déportés (ou entre certains groupes de déportés), à leur courage personnel enfin.

Le camp d'Auschwitz, situé dans l'est de la Pologne, ne fut évacué - dans des conditions dramatiques - et partiellement détruit, devant la poussée soviétique, qu'en janvier 45. Les gazages avaient cependant cessé depuis novembre 44. Comme dans les autres camps d'extermination, le nombre des personnes assassinées à Auschwitz ne peut faire l'objet que d'estimations: celles-ci varient entre 800.000 (d'après Jean-Claude Pressac pour qui 630.000 Juifs furent gazés dans ce camp), un million (Raul Hilberg, Pierre Vidal-Naquet) et 1.300.000 victimes (Georges Wellers).


On trouvera sur le site du film plusieurs documents historiques (qui pourront être analysés avec les élèves), de nombreuses photos ainsi qu'un dossier très complet répondant à un grand nombre de questions que peuvent se poser les spectateurs, jeunes ou moins jeunes.


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