Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Entre les murs
de Laurent Cantet
France, 2008, 2h08
Le dossier pédagogique dont on trouvera un extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront le film Entre les murs avec leurs élèves (à partir de treize ans environ). Il contient plusieurs animations qui pourront être rapidement mises en œuvre en classe après la vision du film. Les activités proposées peuvent également intéresser des animateurs travaillant avec des groupes d'adultes.
Le film Entre les murs se clôt sur une séquence où l'on voit les élèves d'une part et les profs d'autre part s'opposer dans un match de foot amical à la fin de l'année scolaire. Cette confrontation n'est-elle pas à l'image des relations dans la classe tout au long de l'année scolaire? De la même manière qu'au foot, chaque équipe cherche à placer le ballon dans le but de l'adversaire, en classe, le prof essaie d'«imposer» des savoirs, des attitudes, des comportements, et il rencontre toutes sortes de résistances (pas envie de travailler, détournement de sujet, etc.); quant aux élèves, ils tentent également d'imposer leurs propres choix ou leurs propres envies: ne pas travailler, utiliser leur langage plutôt que celui du prof, etc.
Invitons les participants à examiner les scènes où le prof et les élèves sont en situation d'affrontement, de confrontation ou d'incompréhension. Analysons les séquences résumées1 ci-dessous sous l'angle de l'opposition entre l'enseignant et les élèvesen répondant à des questions comme :
Cette activité sera menée de préférence oralement et en grand groupe.
Entre les murs: quelques séquences à commenter…
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Les incompréhensions entre le prof et les élèves se situent à différents niveaux: ils ne s'entendent pas toujours sur les mots; les intentions ou les objectifs du prof ne sont pas toujours clairs pour les élèves ou ne s'accordent pas aux intentions des élèves; il y a souvent une confusion entre le rôle assigné par l'école (celui qui enseigne — ceux qui apprennent) et la personnalité individuelle, etc. On peut interpréter les différentes séquences avec des explications comme celles-ci.
Les interprétations suivantes peuvent être soumises aux participants après la discussion. Dans le cas où celle-ci se révélerait peu productive, on peut faire appel à ces commentaires pour la nourrir.
Une question de langageL'enseignant et les élèves ne s'entendent pas toujours sur le sens des mots. Quand François Marin dit, par exemple, «je trouve que vous avez eu une attitude de pétasses», il signifie quelque chose comme «vous vous êtes conduites bêtement, vous n'avez pas fait votre travail de déléguée avec sérieux», mais les mots qu'il utilise teintent le message de mépris. Les élèves, eux ne retiennent que le mot «pétasse» qu'ils comprennent comme «prostituée» (c'est en tout cas ce que prétend Esméralda…). Les mêmes mots n'ont donc pas toujours le même sens, selon qu'ils sont prononcés par l'un ou par l'autre[1]… Les élèves n'entendent pas non plus la nuance: «avoir une attitude de pétasse» est différent de «être une pétasse», mais les réactions émotives de chacun dans cette séquence ne permettent pas que le malentendu soit levé. Pour le prof «pétasse» est «un petit mot de rien du tout» et il s'insurge à son tour quand Carl déclare que «tous les profs qui excluent un élève sont des enculés»… De la même manière, le tutoiement ne semble pas avoir la même valeur selon celui qui l'utilise. François Marin s'offusque fort quand Souleymane le tutoie, et c'est d'ailleurs le premier argument qu'il invoque devant le principal pour justifier l'exclusion de Souleymane du cours. Le tutoiement d'un enseignant par l'élève est vécu par le premier comme une injure assez grave. Les mots sont donc fréquemment source de désaccord. Au début du film, l'enseignant se plaint du temps perdu à se ranger, à s'installer… «Ça fait un quart d'heure de perdu sur une heure». Khoumba rétorque que c'est faux: la classe n'est pas censée travailler une heure puisque le cours commence à 8h30 et se termine à 9h25. François répond: «effectivement, ça fait 55 minutes; la nuance est importante». La fin de sa phrase est ironique, il ne trouve pas la nuance importante; ce qu'il veut dire, c'est qu'il estime perdre trop de temps. Il se joue beaucoup de choses dans cette petite scène. En répliquant, Khoumba apporte de l'eau au moulin du prof, pourrait-on dire, dans le sens où il est encore plus grave de perdre 15 minutes sur 55 plutôt que sur 60. On a l'impression que Khoumba «joue sur les mots» par esprit de contradiction. Mais elle relève aussi sans doute une hypocrisie du prof qui prétend que dans d'autres collèges, on travaille 100% du temps imparti. La différence que fait François Marin entre le lycée Françoise Dolto et d'autres collèges est injuste (comment feraient les autres pour ne pas perdre de temps à se rendre en classe, s'installer, etc.?). Khoumba est quand même un peu de mauvaise foi: les élèves ne parlent-ils pas eux aussi d'«heures» de cours? Ainsi, il semble que le vocabulaire soit parfois un alibi pour «aller à la confrontation». Au conseil de classe, François est quasiment le seul à défendre Souleymane, mais les déléguées ne retiendront de ses interventions que la formule malheureuse de «scolairement limité» pour déclencher un conflit dans la classe. Une question de valeurLe langage tel qu'il est enseigné a une valeur différente de celui qui utilisé dans la classe, même si, dans le cadre du cours de français, l'enseignant souhaite faire concorder ces deux formes de la langue. Ainsi, dans la discussion sur l'imparfait du subjonctif, une élève dit: «même ma grand-mère, elle parlait pas comme ça!», à quoi François Marin répond grosso modo qu'il faut maîtriser l'imparfait du subjonctif avant de remettre en question le fait qu'on l'utilise. Ensuite, il ne sera pas très convaincant pour montrer l'intérêt d'apprendre et de maîtriser ce temps rarement utilisé. L'enseignant et les élèves ne partagent donc pas la même hiérarchie de valeur où le français classique est, pour le prof, supérieur au langage des jeunes, alors que ceux-ci n'en voient pas l'utilité. On pourrait argumenter que c'est le rôle du prof de français qui veut cela, mais à le voir corriger ses élèves quand ils utilisent le verlan et surtout stigmatiser toutes leurs maladresses langagières par des piques (qui doivent être blessantes à la longue), l'on comprend bien qu'il jouit de sa supériorité en matière de langage… Si les élèves mesurent l'intérêt d'une chose à son utilité pratique (personne ne se sert de l'imparfait du subjonctif, donc pourquoi l'apprendre?), François Marin ne trouve pas d'argument pour les convaincre: il déclare que l'imparfait du subjonctif relève d'un registre soutenu, voire maniéré et qu'il est plutôt utilisé par les snobs…[2] Cette réponse ne peut que conforter les élèves dans leur désintérêt. Des «projets» qui ne concordent pasLe moins que l'on puisse dire c'est que le prof et les élèves n'ont pas souvent envie de faire la même chose au même moment… Quand l'enseignant demande à chaque élève d'écrire son nom sur un papier, pour qu'il puisse connaître leurs prénoms, ceux-ci «décorent» leur écrit avec toutes sortes de petites choses. Pour les élèves, il s'agit sans doute de s'exprimer, d'en dire un peu plus sur eux-mêmes (comme celui qui dessine sous son nom le drapeau de son pays d'origine) mais aussi de faire durer une «tâche» facile et plaisante. Mais pour le prof, ce n'est pas le lieu ni le moment puisque lui veut simplement connaître leurs prénoms… Mais quand il leur demandera d'écrire leur autoportrait, il se heurtera à plusieurs résistances: «notre vie n'est pas intéressante»; «vous ne vous intéressez pas réellement à nous»; «je n'ai pas envie de vous raconter ma vie»… Ainsi, quand François leur demande simplement qui ils sont, ils développent, et quand il leur demande de développer, ils rechignent! Mais ces deux scènes montrent aussi autre chose. Esméralda n'accepte d'écrire son nom sur une feuille que si le prof le fait aussi; cela n'a pourtant pas de sens puisqu'elle connaît son nom à lui. Elle manifeste clairement par là le désir d'égalité entre prof et élèves. Quant aux résistances que les élèves expriment par rapport à l'autoportrait, elles révèlent l'ambiguïté du rôle du prof de français: s'intéresse-t-il réellement à leur vie? ou n'est-ce qu'un prétexte pour un exercice d'écriture? D'une manière générale, les «projets» du prof et des élèves ne concordent guère parce que l'enseignant a un programme à suivre, un contrat à remplir pourrait-on dire, là où les élèves n'en ont pas. L'exemple de Souleymane qui vient sans ses affaires ou celui de Khoumba qui n'a pas envie de lire illustrent l'écart entre les intentions de l'enseignant et les dispositions des élèves. L'enseignant espère ou s'attend à une collaboration[3] qui lui semble indispensable pour mener à bien sa mission; du côté des élèves, cette collaboration semble n'être accordée que par ennui ou «pour ne pas déplaire au prof»… Ce décalage entre le projet du prof et celui des élèves se marque peut-être le plus dans une des dernières séquences où François Marin demande à chacun de citer une chose qu'il a apprise cette année. D'abord, aucun élève ne déclare avoir appris quelque chose au cours de français[4], et ensuite, au moment où tout le monde est sorti de la classe, Henriette s'approche du bureau de François pour lui dire, comme une confidence, qu'elle n'a rien appris et qu'elle ne comprend pas ce qu'elle fait là… Toutes les situations où la «conversation» dévie relèvent aussi sans doute de cette non-concordance entre prof et élèves sur l'objet qui devrait être commun entre eux à tel moment. Il est fréquent en effet que les échanges tels qu'ils sont dirigés par l'enseignant dévient ou dérapent: de l'imparfait du subjonctif qui est «utilisé par les snobs, les gens maniérés», on passe à «homosexuels» et à la question de Souleymane: est-ce que c'est vrai que vous aimez les hommes? La discussion dévie et passe en même temps du registre impersonnel à un registre personnel… Le passage du registre impersonnel au registre personnelÉlèves et enseignants ont un rôle défini par l'institution école. Mais ce sont aussi des êtres humains (!) avec des goûts, des envies, des sentiments, des émotions. Souvent, quand le prof s'adresse à l'élève, c'est la personne, avec ses qualités, ses défauts, son histoire qui répond… et inversement. Ainsi, quand Khoumba refuse de lire, c'est l'adolescente qui s'exprime: elle ne joue pas le rôle de l'élève qui est censé répondre positivement aux injonctions du prof. Comme François Marin «ne lâche pas l'affaire» et insiste, elle s'obstine dans son refus et prétend être harcelée: «Pourquoi vous vous acharnez sur moi?». Il n'est pas question de cela bien sûr. Au contraire, l'enseignant s'adresse à une élève dont il pense qu'elle va accepter l'injonction, puisqu'autrefois elle était coopérative. Mais Khoumba se croit ou se dit victime de harcèlement. Finalement, c'est Esméralda qui acceptera de lire «avec très grand plaisir». Il y a sans doute une sorte de rivalité qui s'exprime alors entre les deux adolescentes et qui n'a rien à voir avec leur statut d'élève. Comme si Esméralda voulait dire à son amie:«moi, je suis différente, j'accepte de coopérer avec le prof». (Est-ce cet incident qui explique la rupture momentanée entre les deux filles qui changeront de place de manière à ne plus être l'une à côté de l'autre?) Mais il arrive aussi à l'enseignant de sortir de son rôle quand il ne devrait pas. Par exemple, l'on sent bien qu'il a une préférence pour Wey («Quand c'est lui, c'est toujours bien!» dénonce Rabah) et pas pour Arthur. Il félicite Wey et se moque (un peu) de l'exposé d'Arthur qui défend son look gothique. L'inverse eut été imaginable (se moquer de Wey qui passe tout son temps libre à jouer aux jeux vidéo et féliciter Arthur pour son courage…) L'enseignant devrait être neutre et ne pas avoir de préférences, mais la personne François Marin a des préférences. De la même manière, quand Souleymane se plaint d'avoir été «cassé» au conseil de classe, le prof se détourne vite de ce problème pour s'adresser aux déléguées de classe qui n'ont pas fait leur travail correctement. Sa colère prend le pas sur son rôle qui consisterait peut-être à expliquer à Souleymane le rôle d'un conseil de classe. Enfin, quand Souleymane prétend être la victime d'une vengeance des profs, il prend à son compte personnel une sanction qui s'adresse à lui en tant qu'élève. Sa maman qui vient témoigner au conseil de discipline permet de mesurer l'écart entre le fils Souleymane, qui est aimable, qui aide à la maison, qui est un bon garçon et l'élève Souleymane qui ne participe pas (ou peu). Toutes les sources d'incompréhension ou de désaccord que l'on a proposées ici jouent largement ensemble. Et l'on peut encore sans doute en proposer d'autres: la difficulté pour l'enseignant d'être face à un groupe hétérogène, où les individus n'ont pas les mêmes intérêts ni les mêmes envies; l'inégalité de fait entre le prof et les élèves où le prof détient l'autorité, etc. Quand François exige de Khoumba qu'elle présente des excuses pour avoir été insolente, il lui demande à la fois de la sincérité (engager sa personne et pas seulement sa façade d'élève) et d'utiliser son langage à lui qui n'est pas le sien. Dans cette scène entrent en jeu les différences de langage, l'autorité de l'enseignant que l'élève ne trouve pas légitime à ce moment-là, des détournements de sujets (Khoumba ne répond pas aux questions du prof et lui demande de se dépêcher parce que sa mère l'attend) … Souvent les émotions des uns et des autres ne permettent pas de sortir du registre de la confrontation, quand il vaudrait mieux échanger sur le mode de l'explication. 1. Il pourrait être intéressant de comparer le sens que les participants attribuent à des mots comme « pétasse» ou «enculé» ou d'autres encore et d'évaluer le degré de gravité de ces insultes. 2. Il est vrai qu’il n’est pas toujours facile de répondre à des questions ou des objections auxquelles on ne s’attend pas. En fait, l’imparfait du subjonctif n’est plus employé dans la langue orale (sauf très rares exceptions) mais bien dans la langue écrite (notamment littéraire) où il permet de marquer des nuances de sens plus ou moins importantes et où il est exigé par la concordance des temps notamment avec le passé simple, un temps lui aussi «littéraire» . Par exemple: «Bien qu’il fût courageux, il préféra ne pas combattre». 3. Après son altercation avec Khoumba, François Marin lui demande d’ailleurs ce qui s’est passé pendant les vacances. «L’année dernière, tu étais coopérative» lui rappelle-t-il. Dans l’esprit de l’enseignant, coopératif est sans doute synonyme de «gentil», tel qu’il est employé par un prof qui avertit un nouveau au début de l’année, en passant en revue les noms des élèves, répartis en «gentils» et «pas gentils»… 4.Pourtant, François tend la perche à Esméralda qui prétend n’avoir rien appris, en l’interrogeant sur les livres «qu’on a lus cette année». Mais la jeune fille déclare que les livres du prof sont moches et elle préfère évoquer La République de Platon qu’elle a lu en dehors du cours de français… |
Vous pouvez également consulter sur ce site un article complémentaire consacré au film Entre les murs et publié à l'origine dans la revue La Santé en action. Cet article n'est pas repris dans le dossier pédagogique imprimé et est à la libre disposition des personnes intéressées.