Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Persepolis
de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud
France, 2007, 1 h 35
Le dossier pédagogique dont on trouvera un extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront le film Persepolis avec leurs élèves (entre treize et dix-huit ans ans environ). Il contient plusieurs animations qui pourront être rapidement mises en œuvre en classe après la vision du film.
Persepolis est une évocation de l'histoire récente de l'Iran, vue cependant à travers les yeux d'un personnage, Marjane, qui est également un des auteurs du film (avec Vincent Paronnaud) ainsi que de la bande dessinée dont ce film est inspiré [1]. Cet aspect autobiographique, très visible, prend en outre une coloration particulière due au fait que le personnage est au début du récit une très jeune fille qui voit le monde qui l'entoure avec des yeux d'enfant. Cette enfant grandit, et son regard va bien sûr se transformer. Cette évolution est particulièrement sensible dans le film qui dure à peine une heure et demi, alors que la bande dessinée est scindée en quatre volumes dont le lecteur peut ne parcourir qu'un ou deux épisodes à la fois [2].
En cela, Persepolis se distingue aussi bien d'une autobiographie d'adulte (par exemple les Mémoires de guerre du général de Gaulle ou dans le domaine de la fiction Adolphe de Benjamin Constant) que d'un récit dont le personnage principal est un enfant (par exemple la Gloire de mon père de Pagnol ou un film comme Stand By Me de Rob Reiner). Il est cependant bien sûr possible de trouver d'autres récits dont la démarche est similaire à celle de Marjane Satrapi comme les Mots de Jean-Paul Sartre ou même, pour une part, les Confessions de Jean-Jacques Rousseau.
Il paraît donc intéressant de revenir avec les jeunes spectateurs sur cette dimension autobiographique et plus particulièrement sur l'évolution du personnage principal: on remarquera en particulier que le film (comme d'ailleurs la bande dessinée) souligne par différents procédés l'écart entre le personnage de Marjane, enfant ou adolescente, et l'auteur devenue adulte. On pourra ainsi demander aux participants, après la vision du film, de citer les éléments du film dont ils se souviennent et qui révèlent cette distance — souvent ironique — que Marjane Satrapi marque par rapport à elle-même et aux événements qu'elle a vécus.
Un petit exemple suffira à concrétiser cette analyse et à lancer la réflexion des jeunes spectateurs. Ainsi, au début du film, la petite Marjane affirme qu'elle sera «le dernier prophète de la galaxie»: il s'agit bien sûr là d'une parole d'enfant, et tous les spectateurs (adolescents ou adultes) comprennent bien que l'auteur adulte ne croit évidemment plus à ce qui n'était qu'un rêve de petite fille. C'est d'abord avec nos connaissances d'adulte que nous jugeons qu'il s'agit là d'un enfantillage (et que nous estimons que Marjane Satrapi adulte doit elle aussi réagir comme nous), mais d'autres indices nous permettent de confirmer notre interprétation [3]: ainsi, l'échange qui suit avec la grand-mère de Marjane suffit à nous convaincre de la naïveté de la petite fille, tout en nous montrant une réaction d'adulte à laquelle nous pouvons nous identifier intellectuellement. Comme la grand-mère nous sourions intérieurement de ces propos enfantins tout en retrouvant sans doute dans l'attitude de la petite Marjane une part de notre expérience personnelle (pour rappel, la grand-mère répond immédiatement à Marjane qu'elle sera sa première disciple lorsque celle-ci lui affirme qu'aucune vieille n'aura désormais le droit de souffrir: mais elle lui demande quand même comment elle fera pour que les vieilles ne souffrent plus, ce à quoi Marjane répond que ce sera interdit...).
Demandons alors aux participants d'essayer de se souvenir d'un maximum d'épisodes qui révèlent l'évolution de Marjane; essayons également de repérer dans ces différents épisodes des indices qui permettent de percevoir la distance que l'auteur marque ainsi par rapport à elle-même. Cette réflexion pourra être menée en petits groupes, mais l'on essaiera ensuite de regrouper les éléments relevés pour retracer l'ensemble du parcours psychologique du personnage (par exemple au tableau). On trouvera dans les encadrés ci-dessous quelques exemples d'analyses qui pourraient être faites.
Alors que ses parents reviennent d'une manifestation, Marjane défile dans l'appartement en criant «À bas le shâh!», ce qui énerve ses parents qui lui ordonnent d'aller dans sa chambre. Elle y va en continuant à crier à voix basse «À bas le shâh!».
Pour Marjane enfant, manifester est une espèce de jeu, et elle ne perçoit évidemment pas les dangers que courent ses parents. En outre, ses «convictions» politiques sont fort naïves puisqu'elle est passée de la vénération à la haine du shâh après une simple explication de son père sans vraiment connaître la réalité du régime.
Après la chute du shâh, Marjane et ses copains décident de torturer Ramine dont le père appartenait à la Savak (la police politique) et «a tué un million de personnes».
Les luttes politiques sont pour Marjane une espèce de jeu qui pourrait cette fois devenir très cruel sans l'intervention de sa mère. La réaction de Marjane est bien sûr enfantine (sinon infantile) puisqu'elle se base sur une rumeur — le père de Ramine appartiendrait à la Savak — qui est manifestement exagérée — il aurait tué un million de personnes —. On perçoit par ailleurs dans ce jeu cruel une tendance fréquente chez les enfants, consistant à se liguer contre un autre désigné comme «bouc émissaire» ou souffre-douleur: n'importe quel prétexte serait bon pour «torturer» Ramine.
On remarquera enfin comment les enfants s'approprient les réalités — ici les tortures pratiquées par la Savak — dont parlent les adultes: ils «rejouent» cette réalité terrible sur le mode actif — du rôle des victimes évoquées par leurs parents, ils passent aussitôt à celui de juges et de bourreaux — afin d'éprouver leur toute-puissance. La mère de Marjane la menacera d'ailleurs d'un sort aussi terrible que celui qu'elle réservait à Ramine, précisément pour qu'elle prenne conscience (au moins en partie) de ce que peut éprouver une victime de la torture.
Siamak, le père d'une copine de Marjane, est libéré: sa fille est très fière d'avoir un tel père. Puis c'est au tour de l'oncle Anouche d'être libéré: Marjane a elle aussi un héros dans sa famille!
Marjane est prise dans des jalousies d'enfant. Pour elle, avoir un prisonnier politique dans sa famille est un titre de gloire, et elle se sent dévalorisée aux yeux de sa copine dont le père vient d'être libéré. Et quand son oncle réapparaît à son tour, elle l'accapare de façon démesurée. Bien entendu, elle n'a que très peu conscience des souffrances qu'ont endurées ces personnes. Ici aussi en montrant la réaction des parents un peu exaspérés, l'auteur révèle qu'elle porte évidemment à présent un regard d'adulte sur l'enfant qu'elle était alors.
[...]
1. La bande dessinée Persepolis de Marjane Satrapi a été publiée en quatre volumes aux éditions «L'Association» de 2000 à 2003.
2. Le journal français Libération a ainsi publié une ou deux planches par jour de Persepolis sur une période de quelques mois.
3. Il pourrait s'agir en effet de l'autobiographie d'un «gourou» convaincu dès son enfance de sa vocation de prophète: ce n'est évidemment pas le cas de Persepolis où il y a suffisamment d'éléments textuels pour nous faire immédiatement comprendre que le personnage enfant est vu avec une distance ironique.