Un dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Birdy
d'Alan Parker
USA, 1984, 2 h 00
Le dossier pédagogique réalisé en 1986 par le centre culturel les Grignoux et consacré au film Birdy est aujourd'hui épuisé. On a réactualisé la partie du dossier consacrée à l'analyse du film et de quelques procédés cinématographiques remarquables.
Contrairement aux dossiers réalisés plus récemment par les Grignoux, cette analyse s'adresse essentiellement aux personnes intéressées par le cinéma (enseignants, animateurs en éducation permanente ou simples spectateurs) et ne comprend pas de suggestion pédagogique d'activité à mener immédiatement en classe.
Alan Parker.
Après les deux films-cultes que sont Midnight Express et The Wall, Birdy, le sixième long-métrage d'Alan Parker, connaîtra lui aussi un succès retentissant. De la même manière, il interpelle la critique et provoque des controverses. Ce sera une nouvelle fois l'occasion de mettre en question Alan Parker, le réalisateur « qui a des prétentions ».
Qu'en est-il exactement, quelle est la véritable personnalité d'Alan Parker ? Il est possible d'y répondre, au moins partiellement, par l'analyse des moyens cinématographiques qu'il a mis en oeuvre pour réaliser Birdy.
Nous ne nous attarderons pas sur le scénario, amplement détaillé dans nombre de critiques : Birdy est passionné par le monde des oiseaux; son rêve : voler comme eux. Détaché du réel, il vit pourtant une amitié très forte avec Al; ce dernier, par contre, aime les plaisirs de la vie. La guerre du Viêt-nam survient et les arrache tous deux à leur vie d'adolescents. Tous deux en reviendront traumatisés.
Nous ne nous attarderons pas non plus sur les motivations psychologiques, les pressions sociales ou le traumatisme de la guerre, qui ont lentement acculé Birdy à un comportement autistique et qui ont provoqué chez Al un changement d'attitudes vis-à-vis de la vie.
Il s'agit ici de montrer avant tout comment ces divers morceaux d'existence, comment l'évolution des deux parcours sont exprimés par les moyens du cinéma.
Il faut souligner au préalable l'importance du générique du début du film. Dans tout le film, c'est grâce à lui que sont mis en place les éléments de la fiction. En général, le texte double l'image sur fond musical. Cette première séquence-générique donne la situation de départ, le contexte psychologique, social, relationnel, l'ambiance, le climat; elle fournit également certains indices de lieu et de temps (ou du moins d'époque).
Ainsi, sitôt le générique terminé, l'histoire peut démarrer d'emblée : le spectateur est alors en possession des principales données contextuelles du film.
Dans Birdy, pas d'images, uniquement le texte, qui défile sur fond noir; pas de musique, mais un arrière-fond sonore, qui livre au spectateur des indices de lieu (hôpital), d'ambiance (affairement, froideur).
Nous ne sommes en possession d'aucune donnée concrète, mais seulement de facteurs d'ambiance, qui ne nous sont suggérés que par des bruits (les dialogues étant pratiquement inaudibles) sans aucun support visuel. Le spectateur perçoit ce qu'il se passe comme si lui-même se trouvait dans cet hôpital, dans un état semi-comateux, comme si, en somme, il était à la place de Al.
Birdy est construit suivant la forme du montage alterné, qui donne à voir en une suite de séquences parallèles, les deux grandes périodes qui ont marqué la vie des deux adolescents : l'avant et l'après Viêt-nam.
Sitôt le générique terminé, la caméra nous situe d'emblée les deux personnages : Birdy, enfermé dans une cellule d'un hôpital psychiatrique, et Al, sortant d'une clinique où il vient de subir une opération à la tête (d'après divers indices comme les remarques du médecin, il s'agit sans doute d'une opération de chirurgie esthétique destinée à effacer ou atténuer les séquelles de ses brûlures).
Dès qu'Al aura rejoint Birdy, la caméra ne quittera plus la cellule que pour le suivre dans son errance au fil des couloirs de l'hôpital et dans ses discussions avec le médecin.
Cette période de l'après Viêt-nam, qui correspond à l'internement de Birdy, est en fait très courte; elle recouvre un laps de temps qui ne dépasse pas un mois, et présente un caractère continu. Les ellipses temporelles sont très courtes. Au contraire, les retours en arrière (flash-back) qui renvoient au passé, à l'avant Viêt-nam, portent sur des périodes beaucoup plus longues, non précisées par la fiction, mais facilement estimables à plusieurs mois, voire plusieurs années. Ce sont de véritables tranches d'existence qui sont ainsi abordées.
Les séquences rendues par le flash-back sont beaucoup plus longues, mais elles sont aussi séparées par des ellipses spatiales et temporelles beaucoup plus importantes.
"l'avant" marqué par la joie de vivre et des couleurs sépia |
"l'après" caractérisé notamment par sa lumière bleutée |
le montage alterné fonctionne à base de contrastes temporels mais aussi visuels |
Le flash-back, procédé essentiel qui intervient dans la construction de Birdy, mérite quelques explications quant à son fonctionnement.
Pour marquer un retour au passé, on passe traditionnellement du gros-plan du visage de la personne qui se souvient au plan qui embraye sur le souvenir. Peu à peu, l'emploi du fondu-enchaîné s'est généralisé pour marquer le passage entre ces deux plans. Dans Birdy, le passage s'effectue par montage sec, d'où la nécessité, du moins au début, de compenser cette perte de signification par une instance particulière sur le plan du visage, sur les traits pensifs, sur la fuite du regard.
Birdy |
Al |
"Tu te souviens de l'histoire des chiens": trois plans successifs pour un flash-back (retour en arrière) |
Les séquences rendues par le flash-back sont beaucoup plus longues, mais elles sont aussi séparées par des ellipses spatiales et temporelles beaucoup plus importantes.
Dans la plupart des cas, le changement de plan est accompagné par les propos en voix off de la personne qui se souvient. C'est le cas du tout premier flash-back, embrayé par Al. Quant aux flash-back amorcés par Birdy, ils se font sans cette intervention sonore, ce qui est « logique » puisque, durant son internement, Birdy est plongé dans une crise de mutisme prolongée.
Traditionnellement, le flash-back est employé pour rompre la monotonie d'un long discours; il se substitue ainsi à l'image statique du locuteur.
Dans Birdy, le flash-back ne se substitue nullement au récit : il en est une des composantes intrinsèques. Il met dans ce cas l'accent sur le trouble, concrétisant de manière très vive une série de souvenirs, pour aboutir à une réactualisation de la scène évoquée.
Cette survivance des situations passées semble de plus en plus prégnante à mesure que l'on voit Birdy entrer en transes, soumis, semble-t-il, à une véritable torture du passé.
La démarche de la caméra vers les personnages sera différente suivant que l'on se trouve dans la première ou la seconde période.
Comment se marquent dès lors les personnalités respectives de Birdy et d'Al à travers le travail de la caméra avant l'épisode du Viêt-nam ?
La caméra ne le montre jamais seul, mais toujours au sein d'un groupe de personnes, dont le pivot central reste Birdy (ses parents, les parents de Birdy, les rencontres qu'ils font au cours de leurs sorties). Nous verrons toujours les scènes où il apparaît d'un point de vue, sinon extérieur, du moins jamais insistant ou marqué.
La caméra ne s'immisce jamais dans sa vie privée. Elle le saisit toujours dans une relation minimale. Elle reste discrète, toujours soigneusement à l'écart, en dehors de la scène filmée. Peut-être peut-on signaler une présence un peu plus appuyée lorsqu'elle le capte dans ses rapports avec Birdy.
En conséquence, les scènes où il intervient sont ainsi pour la plupart présentées :
La caméra n'a pas besoin de venir à lui, il s'offre lui-même à la vue. Elle semble, par contre, beaucoup s'intéresser à la personnalité de Birdy.
l'image souligne le contraste entre les deux personnages : Al, personnage sociable, Birdy seul dans son monde |
Ce personnage est beaucoup plus difficile à cerner. Comment, en effet, rendre au cinéma ce qui se passe dans la tête d'un homme, surtout lorsque cet homme est tout à fait déconnecté du monde réel, imprévisible, aux abords de la folie ?
Le seul moyen, et Parker semble y être parvenu, était d'y rejoindre par une position de la caméra tout aussi insolite, des moments inédits. La caméra devait aller « plus loin » pour percer le mystère de Birdy, pour le comprendre et le livrer au spectateur.
Dans un premier temps, nous ne percevons Birdy que par le regard d'Al.
Dans un second temps, le regard de la caméra va progressivement se détacher du regard d'Al pour donner son point de vue propre sur Birdy.
nous partageons d'abord le regard d'Al sur Birdy |
Là où elle laisse évoluer Al sans intervenir, elle semble commettre une sorte de viol en ce qui concerne la vie privée de Birdy. Contrairement à Al, il est perpétuellement « traqué » par l'oeil de la caméra, qui nous révèle en détail les moments intimes de son existence (il le fallait, puisque lui-même n'est pas prolixe).
Étant donné l'introversion de Birdy, la caméra devait par conséquent faire preuve d'une certaine extraversion; ce qui nous renforce, nous, spectateurs, dans notre position de voyeur. Car c'est bien de voyeurisme qu'il s'agit; non seulement du voyeurisme traditionnel du spectateur de cinéma, mais encore de voyeurisme au sens malsain du terme.
C'est ainsi que nous sommes témoins, par exemple, de la relation quasi amoureuse, quasi sexuelle qui unit Birdy à Bertha, un canari femelle [2].
le début de la relation entre Birdy et son canari |
la nudité de Birdy |
une relation visiblement ambiguë |
Devant ce spectacle à la limite de la perversion, la caméra s'émeut et nous fait participer à cette émotion contenue : longs regards caressants, mouvements lents, imprégnés de douceur, de sensualité. Dans ces scènes intimes, où Birdy est pris en aparté, il n'a pas d'interlocuteurs : une telle situation handicape la narration cinématographique; elle résout le problème du manque de dialogues en utilisant les monologues intérieurs en voix off. La musique joue alors un rôle très important, en introduisant une nouvelle forme de communication entre Birdy et le spectateur.
Les effets produits sont spectaculaires; le point de vue semble être véritablement celui d'un oiseau en vol, celui, imaginaire, de Birdy. La caméra, qui semble être détachée de tout support, paraît vouloir libérer tout le monde d'une sensation d'étouffement et de claustrophobie.
Notons que les seules tentatives de vol qui aboutissent pour Birdy sont précisément celles-là, où il parvient à décoller imaginairement et à nous entraîner dans son aventure folle, par le biais de la sky-cam, qui se présente avant tout comme une forme de caméra subjective.
Ces trois essais « fructueux » concordent avec des moments d'une grande intensité émotionnelle.
l'envol de Birdy hors de sa chambre |
Contrairement aux scènes où Al apparaît, où tout n'est que vie, mouvement, dans les séquences où Birdy est seul dans sa chambre, tout est plus calme, plus reposant. Il n'y a plus que le vol des oiseaux. L'affectivité de Birdy, mise à nu, atteint chaque spectateur. La caméra s'accorde plus de liberté, plus d'audace; elle nous livre Birdy sous des angles particuliers, toujours poétiques. Contre-plongées, qui refusent d'écraser, mais qui traduisent la fragilité affective dont il est l'objet, et appellent à la compassion; gros plans émotionnels, qui nous rapprochent d'avantage de lui et nous font pénétrer plus encore ses états d'âme; jamais de mouvements heurtés, cassants.
Al revient de la guerre, atteint d'une blessure à la tête (même s'il s'agit sans doute surtout de brûlures, la localisation de celles-ci à la tête est sans doute symbolique). Sa perception de l'existence en est profondément transformée et son attitude vis-à-vis de la vie va changer; ses valeurs et ses points de référence ne sont désormais plus les mêmes.
La caméra va le cerner d'un peu plus près, s'intéresser à lui-même pour lui-même, adopter un autre point de vue à son égard. Elle s'attarde sur son visage, met en exergue son expression. À mesure qu'il se replie sur lui-même, la caméra entreprend un rapprochement plus ou moins évident, et commence à le saisir en aparté.
une image visuellement forte : l'homme amoindri par son handicap monte pourtant vers la lumière |
le visage d'Al marqué par ce qu'il voit au gymnase |
D'un comportement (relativement) asocial, Birdy passe à une forme de mutisme total. Il vit replié sur lui-même, au propre comme au figuré, traumatisé par les bombes, profondément marqué par ses souvenirs (exprimés par de longs flash-back). Ainsi, il se réfugie tout entier dans le passé. Recroquevillé, il fait désormais partie du monde des oiseaux; il mange d'ailleurs comme eux, se comporte comme eux et se retrouve en cage comme eux, définitivement exclu des circuits normaux de l'existence.
l'image symbole du film qui marque la mémoire du spectateur |
Outre le procédé du flash-back, le spectateur peut voir à quel point Birdy est marqué par les souvenirs qui concernent le Viêt-nam ou la période d'adolescence qui a précédé la guerre, par des gros plans en insert; ceux-ci révèlent de manière amplifiée l'angoisse, la décomposition de ses traits lors de l'évocation de telle ou telle situation antérieure à son état de choc. Il n'y a plus que les flash-back qui nous permettent de nous identifier à l'étant de Birdy, puisque celui-ci est décidément muet et qu'il ne peut dès lors nous livrer aucune information sur ses sentiments, son comportement.
le chat attrape le canari |
l'oiseau "renaît" (il faisait le mort) |
Birdy le regarde s'envoler |
Birdy à l'hôpital se souvient |
le montage des
images successives révèle immédiatement au spectateur ce que Birdy, muet, enfermé dans ses rêves, est en train de penser et d'éprouver. |
Nous ne serons avertis de ce qu'il vit que par les dialogues entre Al et le psychiatre ou, quand ils se retrouvent face à face, par les longs monologues entamés par Al, pour faire sortir Birdy de son mutisme; ces monologues constitueront le seul point d'ancrage et nous permettront de suivre l'évolution, la progression des événements.
Il faut noter que les plans, enregistrés sous des angles originaux, toujours empreints de poésie, sont tous d'une grande beauté, mais en même temps uniques, fragiles, éphémères, en un mot, émouvants, à l'image du personnage de Birdy.
Entre la période de l'adolescence (l'avant Viêt-nam) et celle de l'enfermement de Birdy (l'après Viêt-nam), il y a un trou, une césure : la guerre elle-même.
Les flash-back ne nous en montreront que de courts moments très violents, comme autant de chocs affectifs, de soubresauts nerveux, de convulsions, véritablement des « flashes » aveuglants, hors temps et hors espace. La guerre du Viêt-nam n'est pas abordée dans son contexte, ses causes; en un mot, elle n'est amenée par aucun indice.
Bien que les premières images du film nous situent d'emblée Al et Birdy dans les hôpitaux, et nous livrent Al en uniforme, couvert de bandages, on ne comprendra véritablement ce qui s'est passé que beaucoup plus tard. La guerre surgit dans le film comme elle semble avoir surgi dans la vie de Birdy et d'Al : de manière abrupte et imprévue, en même temps comme quelque chose de traumatisant et de lointain à la fois, quelque chose d'horrible et d'irréel. Elle nous trouble et nous choque comme elle les a surpris et frappés d'effroi.
À de nombreuses reprises au cours de la première période, celle rendue par les flash-back, nous ne percevons les personnages, les scènes qu'au travers de grillages, de barreaux ou de vitres; dans la plupart des cas, il y a toujours un cadre supplémentaire à celui de l'écran qui s'interpose entre le spectateur et Birdy. On repérera également de nombreux rappels au niveau de l'histoire elle-même : une série de cages à oiseaux prises en gros-plans, l'emprisonnement momentané d'Al et de Birdy, après qu'ils se seront faits arrêter sans permis au volant d'une voiture récupérée à la ferraille
L'évocation de l'enfermement atteint son paroxysme dans le huis-clos qui se déroule entre Al et Birdy dans la chambre d'hôpital; chacun se retrouve prisonnier, les seules issues étant une porte blindée et une fenêtre bordée de barreaux.
les regards parallèles |
le regard d'Al sur Birdy |
les regards au cinéma révèlent ce que pensent ou éprouvent les personnages : Birdy ne semble pas voir le grillage qui le sépare des oiseaux comme s'il était au-delà de cette barrière; Al commence par partager sa fascination mais il revient ensuite à la "réalité" et il semble s'interroger sur l'attitude un peu étrange de son ami. |
Tout au long du film, la lourdeur de la vie, toutes les contraintes, sont opposées au désir de voler.
Le vol des oiseaux, les expéditions « aériennes » d'Al et de Birdy contrastent avec un certain engluement dans une réalité parfois sordide : déhanchements lourds et disgracieux de camions, amas de ferraille inesthétique, décharges publiques sentant la putréfaction, contre l'harmonie d'un mouvement d'ailes, la beauté fragile d'un canari, ou encore l'espoir et la satisfaction fugitive d'avoir cru un instant à l'impossible.
l'envol des mouettes au-dessus de la décharge |
la tentative d'envol de Birdy |
la réalité est particulièrement sordide, mais elle n'interdit pas le rêve : le mouvement — celui d'Al et Birdy — s'oppose alors à la catatonie, à la passivité de Birdy à l'hôpital quand le rêve sera brisé. |
On peut souligner l'omniprésence des oiseaux dans le film (même au cours des scènes filmées dans la cellule de Birdy, on peut les voir de l'intérieur, libres, au travers des barreaux).
La caméra choisit d'ailleurs à plusieurs reprises de filmer les oiseaux indirectement, en filmant leurs ombres agrandies sur les murs, à la tombée de la nuit. C'est le cas, par exemple, du plan où l'on voit l'ombre de Bertha, agrandie démesurément sur le mur qui fait face à la chambre de Birdy : la douceur et la grâce de son battement d'aile sont amplifiées à l'extrême.
Ce désir de liberté, cette soif d'absolu, cette envie de voler sont évidemment traduits de façon flagrante par le procédé cinématographique orignal qu'est la « sky-cam », qui libère à la fois Birdy et le spectateur du carcan étroit de la réalité.
La période qui précède le départ d'Al et de Birdy pour la guerre est marquée par la passion, même si cette passion présente pour Birdy un caractère légèrement déviant. Elle trouve à s'exprimer dans de nombreux lieux « ouverts ». Notons quelques grands espaces : la mer, la plage, les terrains vagues, la décharge publique.
Toutes les escapades d'Al et de Birdy sont imprégnées de vie, d'action, de mouvement. Les couleurs sont naturelles (bien que l'on devine l'utilisation de légers filtres sépia), chatoyantes, ou bien grises et tristes suivant les ambiances.
Beaucoup de bruits divers, pas toujours identifiables, envahissent le champ sonore; parmi ceux-ci, on remarque tout spécialement divers cris d'oiseaux : roucoulement des pigeons, chant du canari, concert assourdissant de volatiles encagés dans une volière.
Ces bruits, qui expriment la vie de façon insistante au long de cette période, ajoutent encore au film une dimension passionnelle, déjà contenue dans leurs comportements respectifs, l'un à l'égard des filles, l'autre vis-à-vis des oiseaux. Dans les lieux clos, intérieurs, la caméra ne nous donne à voir que Birdy, soit installé dans une sorte de pigeonnier construit expressément pour l'observation et l'éducation des pigeons, soit dans sa chambre, transformée progressivement en véritable repère pour volatiles divers. La vie et la passion y sont également présentes, mais d'une tout autre façon : tout est plus calme, plus doux, plus de l'ordre du sentiment et de l'émotion.
La période qui succède à la guerre du Viêt-nam est traitée uniquement au travers des séquences qui se déroulent dans un lieu unique et fermé : l'hôpital psychiatrique où Birdy se retrouve interné. Le contraste est évidemment total. L'austérité, le silence, la solitude, la froideur, le statisme, le vide, s'opposent à l'existence effrénée et passionnée qu'Al et Birdy avaient menée antérieurement au drame.
Tout est rationnel, tranchant : il n'y a plus que des lignes, des arêtes, des angles cassants.
Planté dans ce décor, recroquevillé à la manière d'un oiseau blessé, Birdy semble loin.
deux
séquences successives qui jouent sur l'analogie et le contraste : Birdy, qui regardait l'oisillon avec des jumelles, est à présent aussi faible et dénudé que cet oisillon et se retrouve sous l'œil de la caméra et du spectateur. |
Voilà donc bien un cliché traditionnel, exploité au cinéma en de nombreuses circonstances. Or, il se fait que dans Birdy, l'exploitation d'une telle situation semble inédite, originale.
Bien que Birdy semble atteint d'un mutisme insondable, impénétrable, son état de choc et les troubles psychologiques qui s'en sont suivis, semblent imprégner toute la cellule.
Il ne s'agit plus de Birdy placé dans un lieu sordide, mais bien d'un lieu sordide appréhendé au travers de la personnalité de Birdy. On semble en effet baigner dans une sorte d'onirisme un peu surréel. Les jeux de lumière et d'ombre acquièrent une importance exceptionnelle et capitale, lumière bleutée qui inonde la cellule, investissant personnages et objets d'un au-delà de réalité.
Chaque cadrage, chaque angle de prise de vue est soigneusement choisi, étudié, de façon à produire un plan esthétique irréprochable, qui donne à ce lieu sordide et glacé un certain côté poétique, chargé de toute une atmosphère pénétrante, légèrement irréelle, aux frontières de la folie, du rêve.
Les angles cassants, agressifs qui façonnent l'univers carcéral sont atténués, adoucis par les courbes harmonieuses qu'offre le corps de Birdy perché à la manière d'un oiseau sur les barreaux de son lit. Dans ce cadre aux limites de l'inhumain, l'expression des deux visages ressort évidemment amplifiée : de la douleur à l'angoisse, de l'absence à la colère, de la peur à la tendresse, on ne peut s'empêcher de ressentir une nouvelle forme de communication entre eux, précaire, insensible presque, et cependant émouvante, profonde, même si les souvenirs évoqués par Al sont inefficaces pour faire sortir Birdy de son mutisme.
l'utilisation de l'espace de la cellule : la caméra au ras du sol souligne la perspective, ce qui contribue à l'atmosphère angoissante |
même les personnages "normaux" sont filmés en légère contre-plongée à distance, comme pour souligner l'étrangeté de l'atmosphère. |
l'objectif grand angle utilisé ici accentue légèrement la dimension des jambes d'Al, contrastant ainsi avec le repliement de Birdy sur lui-même. |
la caméra se met au niveau du sol, au niveau de Birdy. |
1. C'est-à-dire que les plans se succèdent par coupe franche : on voit par exemple un personnage puis instantanément on passe à son interlocuteur sans «marque de ponctuation» visible comme un fondu-enchaîné, un passage au noir, un volet qui masque progressivement l'écran, etc. Ce type de montage par coupe franche ou cut-cut est le plus fréquent au cinéma.
2. Notons que le transfert d'une passion excessive et exclusive sur un objet déviant, l'oiseau, est constamment mis en parallèle par le film avec l'indifférence totale qu'il éprouve vis-à-vis des filles.