Le dossier pédagogique dont on trouvera un extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront le film La Raison du plus faible avec leurs élèves (entre quatorze et dix-huit ans environ). Il contient plusieurs animations qui pourront être rapidement mises en œuvre en classe après la vision du film.
Un film politique: du côté des exclus
Objectif
- Analyser le point de vue du réalisateur sur les rapports sociaux
Méthode
On propose que les élèves réfléchissent en petits groupes à l'aspect politique du film, puis qu'ils exposent à l'ensemble de la classe les résultats de leurs réflexions de façon à reconstruire le point de vue du cinéaste.
Commentaire
Le film de Lucas Belvaux trouve son origine dans un fait divers qui a marqué l'actualité liégeoise voici une vingtaine d'années. Début septembre 1989, trois truands notoires se rendent au domicile d'un gérant de banque situé dans une localité proche de Liège. Leur but est de garder la famille en otage (l'épouse du banquier et leurs deux fillettes) tandis que le banquier lui-même doit être emmené afin de remettre aux braqueurs le liquide se trouvant à l'agence qu'il gère dans le centre-ville. Dès le départ cependant, leur plan échoue: échappant à la vigilance des trois hommes, le banquier parvient à s'enfuir et à donner l'alerte. L'affaire, qui allait durer près d'une semaine, se terminera avec la libération des otages, la fuite des gangsters et leur arrestation à Droixhe, dans la banlieue de Liège. Acculés au sommet d'un immeuble, deux d'entre eux se rendent à la police tandis que le troisième se suicide d'une balle dans la tête, après avoir jeté aux badauds les billets de la rançon.
la Raison du plus faible est pourtant loin de se réduire à une simple adaptation «policière» de cet événement sensationnel, le titre même du film prédisposant à une lecture politique du film. Marqué plus ou moins consciemment par cette annonce, le spectateur est naturellement porté à dégager au cours de la vision des éléments de sens, des détails signifiants, une morale ou encore un point de vue orienté sur les faits exposés. Mais à travers quels éléments ce discours indirect nous parvient-il? quelle en est la teneur? À quoi peut-on la mesurer? C'est à ces questions que nous allons maintenant demander aux élèves de réfléchir.
Pour faciliter cette approche, qui devrait conduire à dégager le point de vue du réalisateur sur les rapports sociaux et leur évolution actuelle, nous suggérons de soumettre aux élèves un certain nombre de points à discuter en petits groupes, à raison d'un point par groupe:
1. Le titre du film
- Quel est le sens de ce titre?
- De quelle(s) locution(s) courante(s) peut-on rapprocher cette formule?
- À quoi le réalisateur fait-il allusion?
- Quelle signification ces rapprochements permettent-ils d'induire?
- À votre avis, quelle est cette «raison» du plus faible?
2. Lucas Belvaux et ses personnages
- Comment Lucas Belvaux, le réalisateur du film, montre-t-il les patrons de l'aciérie? les policiers? les autres personnages de l'histoire? Éprouve-t-il de la sympathie pour eux? Quels sont les détails qui l'indiquent (réflexions, attitudes, comportements de ces personnages...)?
- Sur quoi les personnages s'opposent-ils à propos de l'idée du braquage? Lequel adopte l'attitude la plus réservée, la plus lucide et la plus sensée? Quelle est la (ou quelles sont les) scène(s) forte(s) qui l'indique(nt)? Comment les choses vont-elles se passer pour lui? Qu'est-ce que cela signifie?
- Dans le fait divers réel dont s'inspire partiellement le film, les braqueurs étaient tous des récidivistes notoires issus du grand banditisme; Lucas Belvaux en a fait des débutants, des gens ordinaires ayant jusque-là mené une vie «normale». Quel est le sens de cette transformation?
- Grâce à ces détails, peut-on déterminer son point de vue sur la société? Qu'est-ce qu'il critique? Sur quoi attire-t-il l'attention? Qu'attend-il de nous, spectateurs du film?
3. L'acte: commettre un braquage à main armée
- Quelle est le point de vue du réalisateur sur l'acte de commettre un braquage?
- Lucas Belvaux y trouve-t-il une explication?
- Approuve-t-il cette méthode criminelle?
- Pour le réalisateur, qui sont les vrais responsables de la délinquance?
- Entrevoit-il des solutions pour rétablir une certaine paix sociale?
4. Des motivations à approfondir
- Comment expliquer que Jean-Pierre et Robert réussissent à rassembler de l'argent pour acheter des armes, chose qui leur paraissait totalement impossible lorsqu'il s'était agi de se procurer une mobylette, un objet coûtant approximativement la même somme?
- Quand ils s'en rendent compte et qu'ils s'en font la réflexion à haute voix, pourquoi dès lors ne renoncent-ils pas au casse? qu'est-ce que le réalisateur a voulu dire en faisant remarquer cette apparente contradiction dans le comportement des deux amis?
- Quelle est finalement la motivation profonde de ceux-ci:
- aider le jeune couple en difficulté?
- améliorer leurs conditions de vie?
- se venger (en récupérant ce qu'ils considèrent être leur dû)?
- «se sentir vivre», avoir un but, un projet à réaliser ensemble?
- retrouver une dignité perdue?
- autre?
5. Trois plans remarquables à interpréter
- Le premier plan du film: travelling sur une lourde barrière métallique coulissante qui se ferme, séparant les ouvriers de l'usine qui les a licenciés; le mouvement se poursuit lentement en sens inverse, balayant en gros plan les visages des hommes maintenant rassemblés derrière les barreaux de la grille.
- Contre-plongée: du haut de l'immeuble où Marc s'est réfugié pour échapper aux policiers, les billets de banque qu'il jette par poignées tombent en pluie au-dessus de la foule.
- Le dernier plan du film: travelling aérien au-dessus de la banlieue, tourné à partir de l'hélicoptère de police en train de s'éloigner.
6. Quelques réflexions de Lucas Belvaux à commenter
- «Dans tous mes films, la géographie est extrêmement importante et cohérente [...]»
- «Si les gens ne réagissent pas politiquement ou syndicalement, moi j'ai peur que ça coince, peur du développement d'une société où il y aura effectivement ceux qui pourront se protéger d'un côté et la jungle de l'autre.»
- «C'est la raison de se redresser, de se mettre debout, de dire qu'on existe, de crier.»
- «La mondialisation, les crises à répétition ont fragmenté la classe ouvrière. Ils sont en dehors du système, y compris de leur classe. Déclassés. Cette façon de lutter, qui a fonctionné pendant un siècle, ne fonctionne plus. [...] Je ne suis pas contre la mondialisation si elle était sociale-démocrate, dans le sens d'un progrès humain. Mais elle est exclusivement financière. On exploite toujours le plus faible.»
- «Le film est une mise en garde. Quand on sera au bout du dialogue social et je crains qu'on n'en soit plus très loin , la violence sera la seule manière de s'exprimer. Une violence de droit commun. Pas une violence politique. Quand les gens n'auront plus confiance dans la société, dans ses structures, on assistera à la montée de la délinquance, au développement des mafias et des économies parallèles. On le voit dans les pays de l'Est, où il n'y a plus de structures étatiques fortes. Dès qu'il y a un vide, il se remplit comme cela. Un réseau mafieux se construit plus vite qu'un Etat.»