Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
L'Enfant lion
de Patrick Grandperret
France, 1993, 1h26
Ce dossier s'adresse aux enseignants et aux animateurs qui verront le film L'Enfant lion avec un jeune public (entre huit et douze ans environ). Il propose plusieurs analyses pour mener avec les participants réflexion et débat autour du film..
La question de la part entre la réalité et l'invention se pose avec une acuité particulière pour certains films dont on perçoit un peu intuitivement que le réel n'y joue pas qu'un rôle secondaire de contexte ou de décor, ou lorsque la réalité en question est relativement mal connue.
C'est le cas avec L'enfant lion où le continent africain et ses sociétés traditionnelles apparaissent comme «déformés» par le regard subjectif du réalisateur. Mais le spectateur, la plupart du temps dépourvu d'une représentation objective de l'Afrique, n'a guère les moyens de faire le tri entre la pure invention et le côté documentaire du film. Si certains éléments du film relèvent indubitablement de la fiction (l'esprit du vent enfermé dans une cage), d'autres pourraient bien être authentiques (la vie d'un village). Cette distinction est d'autant moins évidente que l'histoire est difficile à situer dans le temps et dans l'espace.
On a donc un film à la fois imprégné de merveilleux et marqué par ce que l'on suppose être (ou avoir été) la réalité africaine. Cette ambiguïté pourrait laisser les jeunes spectateurs perplexes. Dans quelle mesure peut-on croire à cette histoire?
Il nous paraît intéressant de travailler avec les élèves sur cet aspect un peu hybride du film. En effet, on est ainsi amené à confronter les opinions, les connaissances de chacun mais aussi à découvrir combien cette distinction entre réalité et invention peut-être relativisée selon le point de vue que l'on adopte. Pour aborder cette question, on peut dans un premier temps procéder par une démarche intuitive.
A première vue, il semble relativement facile d'isoler tout ce qui relève de l'invention en prenant par exemple pour critère «c'est impossible» ou «c'est invraisemblable». Ainsi, on pourra classer d'une manière indubitable du côté de la fiction des éléments de l'intrigue comme:
Mais ce seul critère ne suffit pas. En effet, ce qui est inventé peut rester dans le registre du vraisemblable. Par exemple:
Finalement, on pourrait croire que l'intrigue est inventée alors que le contexte paraît vrai. Par exemple, la vie dans un village ou dans un palais du Nord de l'Afrique telle qu'elle est représentée dans le film pourrait bien correspondre à une réalité du passé.
On ne peut guère aller plus loin dans la réflexion sans disposer d'informations nouvelles.
Nous proposons donc de se référer à des documents [ces documents ne sont pas reproduits sur cette page WEB mais se trouvent dans le dossier imprimé]. Les informations reprises dans ces différents documents concernent la réalité du tournage, les sources du films et l'histoire et les traditions africaines.
Il peut être intéressant pour les enfants d'exploiter directement ces documents. En effet, les anecdotes du tournage, par exemple, font apparaître à la fois la réalité du tournage (tous les artifices dont on use pour obtenir le résultat souhaité) et la réalité africaine (l'animisme, la culture, le mode de vie, l'importance des croyances et des prédictions, etc.). Il y a donc là un exercice de «lecture en profondeur» à faire pour dégager les informations sur l'Afrique d'une part et les informations sur les interventions de l'équipe de tournage d'autre part. De la même façon, les documents sur les sources de certaines idées du film peuvent être révélateurs de la «pensée africaine» et montrer que l'imagination de l'auteur n'est pas toujours là où l'on a cru l'y voir
On pourrait procéder en divisant la classe en petits groupes auxquels on distribuera quelques-uns des documents. Invitons ensuite chaque groupe à faire, pour les autres, un compte-rendu des informations découvertes. Les enfants peuvent ensuite mettre en commun les renseignements recueillis et classer, d'après ces recherches, les éléments du film en différents registres: par exemple, ce qui est inventé, ce qui correspond à la réalité, ce qui n'est pas vrai mais qui correspond à la tradition africaine
A titre d'exemple, nous résumons ici quelques-unes des informations que l'on peut tirer de ces documents.
Des documents sur le tournage, on retiendra surtout le caractère artificiel de cette étape de la fabrication d'un film. Alors que la première impression pourrait se formuler ainsi «c'est réel, puisque ça a été filmé», ces documents montrent combien tout a été reconstruit: faux décors, toiles peintes, village traditionnel que l'on bâtit Le réalisateur parle de recréer une Afrique idéalisée, une Afrique dont il rêvait quand il était enfant. De là à dire que le décor du film n'a pas grand-chose de commun avec la réalité, il y a un pas
En effet, les anecdotes de tournage nous informent sur l'Afrique actuelle qui, sous certains aspects, se révèle assez proche de l'univers que veut créer Patrick Grandperret. Par exemple, les villages sont si peu en relation avec l'extérieur qu'il faut construire des routes pour acheminer le matériel et le mode de vie n'y est pas très différent du passé: Mathurin Sinze, le jeune acteur qui joue le rôle d'Oulé à dix ans, a été découvert «sur place» qui construisait des cases; la petite fille qui interprète le rôle de Léna vendait des oeufs sur un marché avec sa mère quand l'équipe de tournage l'a «repérée»; au Niger, le réalisateur a découvert un «marché aux esclaves» Comme si les différences entre la réalité et l'Afrique idéalisée que voudrait créer le réalisateur étaient moins d'ordre structurel qu'esthétique: Patrick Grandperret parle de toits de tôle ondulée, de T-shirts Rambo, du bruit des moteurs diesel comme s'ils constituaient les signes d'une «modernité» qui ne laisse que des traces éparses sans vraiment imprégner l'organisation sociale. Manifestement, il existe encore en Afrique des communautés d'hommes dont le mode de vie est resté relativement traditionnel.
Si l'on s'attache maintenant aux informations sur la source du film, on peut relativiser cette notion d'«Afrique idéalisée». En effet, on peut supposer que cette vision du continent noir du réalisateur repose tout entière sur le souvenir que lui a laissé le livre de René Guillot. Celui-ci, professeur à Dakar de 1925 à 1950, s'est inspiré de plusieurs contes africains pour composer Sirga la lionne. L'expérience de l'auteur (la vie au Sénégal) laisse supposer que la représentation que celui-ci donne de l'Afrique (et qui correspond à cette image idéalisée de Patrick Grandperret) est conforme à la réalité, sans doute pas dans les faits, mais bien dans l'atmosphère et dans l'esprit du continent.
D'autre part, les contes dont s'est inspiré René Guillot appartiennent à la tradition africaine. Ainsi, bon nombre d'éléments de l'intrigue trouvent leur origine dans des histoires très largement répandues en Afrique, parfois en des versions différentes, et qui font véritablement partie de la culture, au même titre que «nos» contes comme Le petit chaperon rouge [1].
Enfin, les informations que l'on peut recueillir sur les traditions africaines concordent assez bien avec certains passages du film. Pensons par exemple à l'importance de la magie, de la divination, des prémonitions dont Amadou Hampâté Bâ nous dit combien elles font partie de la réalité. Si, pour nous, consulter une araignée pour connaître l'avenir peut paraître aussi aléatoire que se fier à un horoscope, c'est une pratique valide dans les sociétés africaines. Il ne s'agit donc pas d'une trouvaille ou d'une invention de l'auteur mais bien d'une coutume authentique (sinon dans les détails, au moins dans l'intention).
De la même façon, l'enlèvement des enfants par les hommes venus du Nord fait référence à une réalité historique: le trafic des esclaves noirs par les Arabes.
Quant à la cérémonie d'initiation, si elle est un peu abrégée dans le film, elle constitue aussi une tradition vraie.
Finalement, on pourrait dire que l'invention réside essentiellement dans l'amalgame: le récit s'inspire de plusieurs contes traditionnels et les mélange, il s'inscrit aussi dans un contexte «authentique» interprété plutôt que reconstitué objectivement. Ainsi, les détails ne sont sans doute pas rigoureusement exacts (les peintures corporelles qui représentent le squelette, par exemple) mais l'esprit de ces traditions est respecté. Et même ce qui, pour nous, peut apparaître comme la fiction la plus pure (la gémellité d'un enfant et d'un lion) trouve un écho dans des croyances populaires très ancrées dans les sociétés africaines.
L'objectif du réalisateur était de «retrouver une Afrique originelle [2]» c'est-à-dire le continent d'avant la colonisation et les transformations qu'elle a produites, avant ce qu'elle a apporté et ce qu'elle a peut-être fait disparaître. Si aujourd'hui l'Afrique est très différente de l'image qu'en donne le film, l'animisme et toutes sortes de croyances, certains documents le montrent bien, restent très présents dans les sociétés actuelles.
Où se passe cette histoire ?Il n'est pas facile de situer géographiquement et précisément le cadre de L'enfant lion. Dans le film, on cite la région comprise entre les deux Voltas, la blanche et la noire. La Volta blanche et la Volta noire sont deux rivières du Ghâna. (La Volta noire coule aussi en Haute-Volta [aujourd'hui le Burkina] et en Côte d'Ivoire.) Dans le film, le village d'Oulé s'appelle Pama (Pama est une ville qui existe vraiment en Haute-Volta [Burkina]) mais dans le livre de René Guillot, le village s'appelle Porga, qui est une ville du Dahomey [aujourd'hui le Bénin]. D'après le livre, la région sur laquelle règne Ouara est le Baoulé. Or, les Baoulés sont une ethnie de Côte d'Ivoire. Le film a été tourné en Côte d'Ivoire, au Niger et au Zimbabwe mais aussi au Burkina Faso et au Mali. Quant aux scènes du palais du seigneur des hautes terres, elles ont été tournées au Maroc. La montagne sur laquelle se referment les lourdes portes du palais représente la chaîne de l'Atlas (Il s'agit en fait d'une toile peinte). On pourra demander aux enfants de situer ces différents lieux sur une bonne carte, d'estimer la distance entre le village d'Oulé et le palais, d'estimer le temps qu'il aura fallu à la caravane pour parcourir cette distance. Comment cela est-il rendu dans le film? |
1. On pourrait d'ailleurs comparer Sirga la lionne aux versions édulcorées des contes occidentaux. On sait que ceux-ci, dans leur version originale, sont plus durs, plus crus que dans leurs versions les plus largement diffusées. De la même façon, le conte original L'ami du lion où l'on retrouve le thème de l'amitié-identité entre un garçon et un lion est à bien des égards assez impressionnant...
2. On notera que cette présentation de l'Afrique n'a pas la naïveté d'une image paradisiaque. Le film ne décrit pas un jardin d'Eden où les espèces, hommes compris, vivraient en harmonie. Dans l'univers de L'enfant lion, il faut se battre pour défendre son territoire, il faut tuer pour manger. La violence n'est pas absente. Elle l'est encore moins dans le roman de René Guillot Sirga la lionne...