Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Joyeux Noël
de Christian Carion
France / Allemagne / Belgique / Roumanie , 2005, 1 h
50
Le dossier pédagogique dont on trouvera un extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront le film Joyeux Noël avec leurs élèves (entre douze et dix-huit ans environ). Il contient plusieurs animations qui pourront être rapidement mises en œuvre en classe après la vision du film.
Pour mener à bien cette animation, il est nécessaire que les élèves maîtrisent la notion d'échelle de plans. Il est également préférable qu'on leur donne, avant la projection, la consigne d'observer (même si c'est de façon sommaire) l'utilisation de l'échelle des plans dans Joyeux Noël. Il sera évidemment impossible de se souvenir de tous les cadrages du film, mais quelques exemples suffiront sans doute à une exploitation ultérieure. De façon générale, ce sont en général les contrastes entre les cadrages qui sont en fait remarquables : un plan général sera perçu esthétiquement s'il succède à une suite de gros plans ou de plans rapprochés.
À l'issue de la projection, les participants pourront confronter leurs observations ; ils pourront également lire l'analyse proposée dans l'encadré ci-dessous.
L'échelle des plans se définit, de façon pratique, par la taille des personnages relativement au cadre : on passe ainsi du plan d'ensemble (ou plan général) qui cadre un groupe de personnages, au plan moyen qui cadre le(s) personnage(s) en pied, au plan américain où le personnage est coupé à mi-cuisse, au plan rapproché qui se situe à hauteur de poitrine, au gros plan (sur un visage, une main...) et au très gros plan (un oeil, un détail...).
L'échelle des plans |
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Un gros plan |
Un plan général |
Commentaire : l'utilisation de l'échelle des plans dans Joyeux NoëlLes spectateurs auront certainement remarqué que dans Joyeux Noël, la guerre n'est pas envisagée dans sa dimension spectaculaire. Les combats sont montrés en plans brefs et rapprochés, sans recul ni perspective d'ensemble, pratiquement au corps à corps. Ces combats ne constituent d'ailleurs pas le thème principal du film : ils ne font l'objet que d'une seule séquence exemplaire au début. Les larges plans d'ensemble sont réservés à la description d'épisodes collectifs qui ont lieu durant le mouvement de fraternisation. Ceux-ci montrent non pas les affrontements mais l'unité retrouvée : unité pendant la messe dite par le pasteur protestant, devant une assemblée divisée par la guerre mais aussi par l'appartenance religieuse. (On peut en effet supposer que les Français sont majoritairement catholiques, et l'on ne manquera pas de se rappeler la réflexion du lieutenant allemand, qui remercie Anna d'avoir chanté pour eux : « Je suis Juif. Noël ne signifie rien pour moi, mais je n'oublierai jamais cette nuit. »). Unité également durant la séquence d'échange et d'enterrement des cadavres, inhumés sans distinction au son du même air de cornemuse joué par le pasteur écossais, et enfin plan d'ensemble aussi du cimetière érigé sur le no man's land, face auquel Anna vient se recueillir. La caméra est alors placée à distance des événements qu'elle filme, comme si elle traduisait le point de vue d'un observateur admiratif et impressionné par les différents aspects de cette grande réconciliation provisoire. Par contre, dans la mêlée des combats, la caméra semble souffrir avec les soldats. Comme eux, elle est acculée dans les tranchées, comme « paniquée », dépassée par la rapidité et la violence des combats. Sur le plan de l'interprétation, ces plans heurtés et rapprochés, qui nous empêchent, comme spectateurs, d'avoir un point de vue « surplombant » qui nous permettrait d'accéder à une position d'observateur et à une vue d'ensemble de la situation, nous obligent à partager le point de vue et le vécu du simple soldat, de quelque camp qu'il soit. Par cette façon de filmer, ce sont la souffrance, la peur, l'incompréhension et le dégoût des hommes que le spectateur du film est amené à partager. En ce qui concerne les gros plans, on remarquera enfin qu'ils sont nombreux et principalement réservés aux visages, dont l'expression ainsi mise en perspective permet au spectateur de saisir et de partager toutes les nuances des sentiments ressentis par les personnages du film : la souffrance, la peur, l'incompréhension, la révolte, la colère, le dégoût, la tristesse mais aussi la candeur, la joie, la complicité, l'espoir... Un motif récurrent : les bougiesÀ côté de cet usage essentiellement lié à l'émotion, on retiendra la mise en évidence, par ce même procédé, d'un motif récurrent dans le film : celui de la bougie. L'insistance à montrer ces petites flammes à de multiples reprises et souvent en gros plan traduit certainement une intention particulière. On se souvient que c'est « armé » d'un sapin illuminé que Sprink prend le risque, au mépris des ordres de son lieutenant, de sortir de la tranchée allemande pour s'avancer au beau milieu du no man's land. Ce sapin de Noël éclairé lui permet bien sûr d'être vu, mais il ouvre aussi la voie à la trêve, en revêtant un peu la même valeur symbolique que le drapeau blanc qui, en temps de guerre, signifie à l'ennemi que l'on veut parlementer (ou se rendre), ce qui n'est évidemment pas le cas ici. Par ailleurs, la lumière chaude, tremblante, intime et éphémère dégagée par les bougies qui se consument peut, pour certains spectateurs en tous cas, évoquer la vie humaine dans tout ce qu'elle a de fragile, de précaire et de vulnérable. Dans un contexte de guerre et donc de proximité avec la mort, cette valeur symbolique que l'on peut donner aux petites flammes ressort avec encore plus d'acuité. On se souviendra également de la présence de bougies dès les tout premiers moments du film, juste après le prologue : dans une petite chapelle de campagne, Jonathan, un jeune Ecossais, est occupé à peindre des statues religieuses en bois pendant que le pasteur allume les bougies d'un chandelier. Lorsque son frère vient annoncer que la guerre est déclarée et qu'ils quittent tous les deux précipitamment les lieux en claquant la porte, le courant d'air ainsi provoqué éteint brutalement les flammes des deux bougies fixées au mur à l'entrée de la chapelle. Juste après, un gros plan montre les bougies allumées par le pasteur en train de s'éteindre également, un peu comme si quelque chose — l'innocence enfantine, par exemple — venait de se perdre, de prendre fin avec l'annonce de cette guerre ; en quelque sorte, ces bougies encore fumantes sont comme le signe avant-coureur de la mort à venir, en l'occurrence, celle de William, qui interviendra dès les tout premiers moments de combats. La scène qui se déroule ensuite à l'Opéra de Berlin est introduite par un fondu enchaîné (une image se fond dans l'autre) qui rapproche deux plans à la fois semblables et contrastés : le gros plan de la rangée de bougies fumantes avec, en avant-plan, le visage ému du pasteur, fait place à un gros plan du visage d'Anna en train de chanter ; ce visage est vivement éclairé par la lueur toute proche que dégagent les flammes d'une rangée de bougies alignées devant elle. On ne peut s'empêcher d'effectuer le rapprochement entre ces deux plans contigus qui appartiennent à des scènes ayant lieu dans des lieux radicalement différents : une sombre chapelle dans le fin fond des campagnes écossaises et l'Opéra de Berlin, une institution prestigieuse de la capitale allemande, où les flammes, droites et vigoureuses, sont utilisées pour magnifier l'expression d'un visage, en pleine représentation. Sur le plan de l'interprétation, on peut voir dans cette « transfiguration » la métaphore d'une Allemagne forte, puissante et profondément exaltée. Par ailleurs, sur un tout autre registre, on distinguera encore la « flamme du souvenir », celle que l'on entretient pour ne pas oublier, la bougie que l'on allume pour préserver la mémoire d'un disparu, comme celle que le lieutenant Audebert allume à côté du réveil de son aide de camp tué sur le no man's land quelques instants plus tôt. En quelque sorte, on peut considérer que ce réveil, lié à son propriétaire dans un rapport presque métonymique tant cet objet constitue une part de l'identité de l'aide de camp français, continue de « vivre » au-delà de la mort de Ponchel, puisqu'il se met à sonner alors que celui-ci est déjà décédé. La bougie allumée à côté du réveil, symbole du temps qui passe par excellence, est là pour rappeler une fois encore la fragilité de l'existence humaine en même temps qu'elle vient la prolonger dans la mémoire de ceux pour qui elle a compté. De manière plus générale, on pourrait aussi considérer que le feu représenté par ces petites flammes aux multiples significations s'oppose au feu des armes et aux combats « incendiaires », qui, d'une part, symbolisent la guerre et qui, d'autre part caractérisent souvent les films qui ont ce motif pour thème principal [1]. Enfin, pour résumer l'ensemble de la réflexion, on pourrait dire que Christian Carion, par sa manière de filmer et notamment par l'utilisation qu'il fait de l'échelle des plans, entend faire partager ses propres sentiments sur la guerre, sur son absurdité et sur les dégâts irréversibles qu'elle cause parmi les hommes. [1] Parallèlement, un peu dans le même sens, on retiendra le détournement que font les soldats des fusées éclairantes. Celles-ci font partie de l'équipement militaire et sont habituellement utilisées la nuit pour éclairer le théâtre des opérations de guerre. Au cours de la trêve, elles vont être « gaspillées » et utilisées comme fusées de feu d'artifice, autrement dit pour faire la fête ensemble, toutes arméess confondues. Un des symboles de la guerre devient ici un moyen d'exprimer et de partager sa joie. Ces fusées éclairantes sont utilisées à deux reprises, notamment une première fois lorsque les trois lieutenants se souhaitent « Joyeux Noël », chacun dans leur langue et en buvant un verre de champagne. |