Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Le royaume des chats - Neko no Ongaeshi
de Hiroyuki Morita
Japon, 2003 1 h 14
Le dossier pédagogique dont on trouvera un court extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants de la fin du primaire qui verront le film Le royaume des chats avec leurs élèves (entre neuf et douze ans environ). Il contient plusieurs animations qui pourront être rapidement mises en œuvre en classe après la vision du film.
Le Royaume des chats raconte une histoire. Cette histoire peut être interprétée (comprise, analysée) de plusieurs manières. Ce qui est intéressant, ce n'est pas de dégager une interprétation dite «juste» de cette histoire mais de réfléchir et confronter les avis sur base notamment des découvertes précédentes. L'animation qui suit propose aux élèves de débattre entre eux sur quelques questions relatives à l'interprétation du film.
Les élèves forment des groupes d'au moins quatre enfants et choisissent un sujet de débat parmi les propositions ci-dessous. L'enseignant laissera les enfants discuter vingt minutes environ en ayant soin de passer dans les groupes afin de vérifier que la discussion ne s'enlise pas et, si nécessaire, de relancer la discussion par l'une ou l'autre idée. Nous vous fournissons ci-dessous les questions à débattre ainsi qu'un argumentaire qui ne représente en aucun cas les bonnes réponses mais une interprétation du film parmi d'autres. Pour aider les enfants, l'enseignant peut afficher les quatre photos de Haru représentant quatre moments distincts de l'histoire (à la page 4 du dossier imprimé, non reproduite sur cette page WEB) et leur demander de les comparer.
En ce qui concerne la dernière question, nous vous proposons de laisser les enfants réfléchir un petit moment. Mais s'ils n'avaient pas de piste de réflexion, on leur soumettra le texte repris dans l'argumentaire et on leur rappellera la phrase de Mouta au Baron, lorsque celui-ci lui demandait des informations sur le Royaume des chats («Le Royaume des chats est un endroit bidon, un endroit où vont ceux qui ne savent plus qui ils sont, ceux qui ont perdu leur identité»).
Dans la note d'intention du film, le réalisateur donne 17 ans à Haru. Ça nous semble assez âgé: en effet nous avons recommandé le film pour les élèves du primaire à partir de neuf ans et nous pensons que les élèves vont probablement donner leur âge à Haru voire un peu plus. Quoi qu'il en soit Haru semble être entrée dans l'adolescence avec les difficultés que cette période comporte et la recherche d'identité qu'elle implique forcément. Mal dans sa peau, rêveuse, désireuse d'un ailleurs, Haru peut avoir entre 12 et 17 ans sans que cela change l'idée générale du film.
À chaque fois que Haru accepte quelque chose du Royaume ou tout simplement a envie de rester au Royaume, elle se déshumanise et acquiert une caractéristique féline (moustache, pattes avec coussinets, queue, visage de jeune chatte...). Un peu comme si, en refusant d'affronter le monde réel et en s'enfuyant au Royaume, elle acceptait de perdre sa condition d'être humain et son libre arbitre. C'est d'ailleurs cette transformation qui est à l'origine de sa prise de conscience de son identité d'humaine et de sa volonté ferme de quitter le Royaume pour rentrer chez elle.
Haru ne sait plus où elle en est, elle vit seule avec sa maman (on ne parle pas du père mais on peut imaginer qu'il manque), elle n'a pas de petit ami (celui qu'elle aime sort avec une autre fille qu'elle trouve bien plus jolie qu'elle), elle arrive en retard tous les matins et se retrouve la risée de sa classe (et du garçon qu'elle aime), elle se sent différente, seule, maladroite et voudrait vraiment vivre autre chose. Même si elle sait qu'elle n'est pas un chat et ne peut dès lors en épouser un, elle est malgré tout flattée de la demande en mariage et elle est quand même attirée par ce monde inconnu qu'on lui présente comme le Paradis. Haru a besoin de changement et veut fuir sa réalité.
Parce qu'elle est justement en quête de son identité, en train de former sa personnalité et qu'elle est donc fragile et sujette aux influences (bonnes ou mauvaises). On peut dire qu'elle est fragile car elle est en devenir...
Haru est en pleine période d'adolescence et elle doit forger son identité, ses valeurs, ses désirs. Haru n'a jamais fermement refusé d'aller dans le Royaume, elle hésite et semble attirée par la vie oisive et apparemment sans problème qu'on lui propose.
La société japonaise est basée sur la réussite et la concurrence. Dès leur entrée à l'école maternelle, les enfants participent à des concours qui détermineront toute leur scolarité et par conséquent leur vie d'adulte. Dès ce moment, les jeunes Japonais perdent en quelque sorte leur statut d'enfant au profit de celui d'étudiant. En outre, les Japonais ont développé des valeurs sociales telles que le conformisme (être comme tout le monde, faire comme tout le monde et tout le monde agissant selon les valeurs et traditions japonaises) et l'effort collectif (les Japonais ont un sentiment national très fort et veulent tous contribuer au développement de leur patrie). Une des conséquences de ce système est ce qu'on appelle l'otakisme. Le terme otaku est une invention d'un écrivain très populaire au Japon et qui se traduit généralement par «qui s'abrite à la maison». Les otakus sont donc des gens qui vivent seuls, à l'écart de la société pour vivre leur passion. Il peut y avoir autant d'otakus que de passions, que ce soient les jeux vidéos, les mangas, les montres ou encore les chaussures. Ces gens ne vivent que pour leur passion et se retirent complètement de la vie réelle. On a remarqué que beaucoup de jeunes Japonais se sentaient inadaptés dans le système scolaire et refusaient de plus en plus le réel. Ils échappent alors aux contraintes en se réfugiant dans leurs passions et en se repliant sur leurs rêves d'adolescents. On dit souvent que les otakus ne veulent pas passer à l'âge adulte. [1]
Les enfants, qui ne connaissent sans doute pas cette particularité de la société japonaise, donneront probablement du Royaume des chats, une interprétation beaucoup plus générale mais néanmoins proche de celle proposée ici. Le Royaume des chats, c'est le monde du rêve, la concrétisation de cet «ailleurs» tant convoité à l'adolescence et qui, dans la réalité, peut prendre différentes formes (drogues, alcool, jeux de rôles ou vidéos...).
Une fois les débats clôturés, chaque groupe désigne un rapporteur et donne son interprétation aux autres. Nous proposons qu'ensuite, sur base d'une discussion informelle, les enfants essaient de dégager ce qui, pour eux, serait le message du film.
On remarquera que l'interprétation proposée ici suppose qu'il existe une relation cachée entre la personnalité de Haru et le royaume des chats: pour apercevoir cette relation, il faut que les jeunes spectateurs prennent conscience du fait que ce film est une construction voulue par son auteur (le réalisateur) et qui traduit des significations dépassant les personnages mis en scène. En tant que personnage, Haru ne peut pas voir qu'il y a une relation entre elle et le royaume des chats qui existe «en dehors d'elle». C'est le créateur et les spectateurs qui seuls peuvent deviner cette relation. L'interprétation proposée ici est donc relativement élaborée car elle suppose que l'on dépasse le point de vue du personnage pour considérer celui de l'auteur et que l'on comprenne l'univers de la fiction comme un univers symbolique où un monde imaginaire — le royaume des chats — peut être le reflet de l'âme d'une jeune fille. Mais l'on voit aussi l'importance pédagogique de ce genre d'interprétation qui dépasse le simple niveau de l'histoire racontée.
[1] Ce texte est composé à partir de renseignements trouvés sur le site http://www.chez.com/japmanga/.