Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
The Magdalene Sisters
de Peter Mullan
Grande-Bretagne, 2002, 2h00
Le dossier pédagogique dont on trouvera un court extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants de la fin du secondaire qui verront le film The Magdalene Sisters avec leurs élèves (entre quinze et dix-huit ans environ). Il contient plusieurs animations qui pourront être rapidement mises en œuvre en classe après la vision du film.
En fonction du matériel disponible à l'école, les élèves se répartiront en groupes plus ou moins importants et consulteront l'un des sites proposés. On veillera à ce que chaque groupe comporte un ou deux élèves qui maîtrisent bien l'anglais. Si cela n'était pas possible, on pourra se limiter uniquement au parcours des sites présentant des illustrations. Voici l'adresse de ces sites, dont le contenu est à chaque fois brièvement détaillé et commenté.
http://www.source.ie/issues/issues0120/issue17/is17revforshe.html
L'exposition de Maloïsa Boyle intitulée «For She Loved Much» rassemble une série de photographies prises à l'intérieur d'une blanchisserie récemment fermée. Par ces clichés, l'artiste entend attirer l'attention sur la situation critique vécue par les femmes à l'intérieur de ces établissements «pénitentiaires», montrant les espaces clos et austères dans lesquels elles se trouvaient alors confinées.
Deux photographies sont visibles sur le site. La première montre une chaise isolée, abandonnée dans une chambre vide, sombre et sans fenêtre. L'unique lumière qui filtre dans la pièce entre par la porte ouverte. Placée dans l'ombre et invisible de l'extérieur, la chaise évoque bien le sort des blanchisseuses, mises à l'écart et oubliées par une société qui ne voulait rien voir ni savoir. On remarquera encore qu'au-delà de la porte ouverte, le mur de la laverie est vitré, indiquant à la fois une transparence utile à la surveillance des pensionnaires, et l'absence totale d'intimité de celles-ci.
La seconde photographie montre un vieux tourne-disques des années 60 installé sur une desserte désuète et branlante. Juste à côté, une chaise roulante est rangée face au mur vide, blanchâtre d'une pièce ou d'un couloir apparemment vide également, un peu comme si les petits moments de joie et de vie qui pouvaient alors exister ne parvenaient jamais à faire oublier «l'impotence» dans laquelle étaient placées les femmes internées dans les blanchisseries. Par ces photographies de lieux et d'objets, c'est la solitude et le vide de toutes ces vies que Maloïsa Boyle traduit, afin que l'on puisse se souvenir «d'une minorité oubliée et invisible, sans voix et sans présence».
Ces deux clichés sont intéressants à analyser et à mettre en relation avec The Magdalene Sisters. En effet, dans le film de Peter Mullan, on aura peut-être remarqué entre autres la présence récurrente de portes (souvent fermées ou entrouvertes), indices qui évoquent la séparation de l'espace en deux (l'espace autorisé et l'espace interdit; l'intérieur, et l'extérieur; le monde des femmes / le monde des hommes; la société religieuse / la société civile), les contrastes d'ombre et de lumière ou encore, l'état d'infirmité et de dépendance dans lequel ces filles sont maintenues, de gré ou de force. Grâce à ces clichés, les élèves pourront aborder notamment l'une des caractéristiques de la mise en scène de Peter Mullan: le travail sur l'ombre et la lumière, la nudité des lieux ainsi que l'utilisation du motif récurrent de la porte comme autant de détails symboliques destinés à façonner un espace clos et austère, coupé du monde extérieur. Pour une analyse plus riche et plus détaillée, nous avons reproduit quelques photogrammes du film à rapprocher des photographies de Maloïsa Boyle.
http://www.dianefenster.com/secretsviews6.html
L'exposition de photographies de Diane Fenster que l'on peut parcourir sur ce site s'intitule: «Secrets of the Magdalen Laundries». Les œuvres, imprimées sur de grands draps de lit blancs suspendus à des cordes à linge ou à même les murs, évoquent déjà par leur support même le thème de la blanchisserie. Les draps sont plongés à la base dans de grandes bassines métalliques telles qu'on en utilisait dans les institutions de Madeleine. Les «toiles» juxtaposent systématiquement deux photographies agrandies et à dominante brune, chacune représentant un visage ou un buste de jeune femme. Chaque diptyque est surmonté, comme «écrasé» par la représentation, bleutée et dénudée, d'un livre ouvert, sur les pages duquel un objet se trouve surimprimé: un lit, une chaise, une bouilloire, une pièce de vêtement, une échelle, une moto...
Ces différents montages, loin de donner une représentation objective de l'espace et de la vie ordinaire dans une blanchisserie, portent une signification intéressante à définir et à confronter avec le film de Peter Mullan.
http://www.netreach.net/~steed/joni.html
Ce site présente le texte de la chanson «The Magdalene Laundries», extraite de l'album de Joni Mitchell intitulé «Turbulent Indigo». Dans cette chanson, l'auteur utilise son histoire personnelle elle a elle-même retrouvé sa propre fille en 1997, après des années de rupture des liens pour évoquer le sort des femmes qui ont été victimes de ces institutions. Ce texte en forme d'hommage évoque les stigmates qu'elles portent à jamais pour avoir enfanté hors-mariage.
http://www.netreach.net/~steed/maighread.html
Sur ce site, on pourra lire le poème écrit en 1993 par Maighread Medbh et intitulé «The Price That Love Denied», poème dédié à sa sur née en 1968 et morte en 1997. Dans ce poème, l'auteur fait notamment allusion aux tombes des 133 femmes anonymes enterrées dans l'enceinte d'une blanchisseries à Dublin, et dont les corps ont été récemment déterrés et brûlés. Les restes ont ensuite été réenterrés dans une fosse commune située dans un cimetière de la capitale irlandaise. Cette opération a été menée suite à la vente par les Surs du morceau de terrain où avaient été enterrées ces femmes, qui étaient soit des mères non mariées, soit des filles nées hors-mariage.
En lisant ce poème, on se souviendra du personnage de Cathy qui, dans The Magdalene Sisters, meurt seule dans sa chambre et dans la plus grande indifférence.
http://www.ibar.com/gavi/ghosts.html
Gavriela Maxime Ze'eva Person, l'auteur du texte présenté sur ce site, est précisément la sur de Maighread Medbh. Son poème, intitulé «Ghosts», est accompagné de trois illustrations (deux photographies et une œuvre graphique). Elle y évoque la souffrance des enfants nés hors-mariage et coupés de leur mère, ainsi que la détresse des femmes enfermées dans les blanchisseries pour souvent y mourir dans la solitude et y être enterrées sans compassion.
Pour reprendre l'expression de Maloïsa Boyle, The Magdalene Sisters est un film qui, au-delà de la description d'une réalité historique, rend hommage à «une minorité oubliée et invisible, sans voix et sans présence», un peu comme l'annonce le plan qui clôture le prologue et ouvre le film. Le titre s'inscrit en effet en surimpression sur les colonnes de noms inscrits sur le Mémorial dédié aux victimes des blanchisseries. De la même façon, les œuvres des artistes découvertes au cours de cette animation contribuent à entretenir la mémoire d'une réalité dont il reste très peu de traces matérielles.
Pour prolonger de façon dynamique et expressive cette activité
d'interprétation artistique, on demandera aux élèves de concevoir une création à la manière
de Christian Boltanski, un artiste français contemporain qui pratique l'art de
la commémoration d'une manière doublement originale, à la fois par le sujet de
ses œuvres contrairement à la tradition commémorative qui entretient le culte
du héros, son œuvre est dédiée à l'homme ordinaire, et par le dispositif formel
qu'il utilise: l'installation. L'enseignant commencera par expliquer aux élèves
qu'en matière d'art contemporain le procédé de l'installation consiste à agencer
des objets divers (meubles, tissus, structures métalliques, photographies) pour
créer une œuvre artistique. En guise d'exemples, il pourra évoquer l'œuvre de
Diane Fenster, que les élèves auront pu découvrir au cours de l'animation ou
encore, précisément, celle de Christian
Boltanski (par exemple :
http://www.regards.fr/archives/1998/199809/199809cre02.html
ou http://www.cofrase.com/artforum/html/g02-080h.htm).
On les invitera ensuite à utiliser ce procédé pour réaliser une œuvre collective. L'objectif sera de rassembler diverses traces matérielles pour évoquer la mémoire d'individus ordinaires, puis de les organiser dans l'espace de façon à faire apparaître le destin de ces individus et un point de vue original sur leur histoire. On soulignera ici l'importance de l'éclairage dans la création d'effets particuliers et dans la définition d'un sens global. Si l'école ne dispose pas d'un lieu qui permette l'agencement des matériaux collectés, les élèves pourront concevoir individuellement un modèle réduit et plus personnalisé. Pour donner une finalité concrète à ce prolongement créatif, une exposition pourrait être organisée à destination des élèves, des professeurs, des parents, ou même d'un public extérieur à l'école. Et si l'installation est particulièrement réussie, pourquoi ne pas imaginer de l'implanter de façon temporaire dans l'un ou l'autre lieu public avec, bien sûr, l'accord des autorités concernées?
Un exemple d'installation à mettre en placeLes exemples de personnes ordinaires qui sortent de l'anonymat par le concours de circonstances malheureuses sont nombreux. À titre illustratif, on retiendra le cas de Semira Adamu, cette jeune Nigériane dont personne ne connaîtrait le nom sans l'accident tragique survenu au cours de son rapatriement forcé. Son histoire compte parmi les révélateurs du destin méconnu de toute une catégorie sociale, celle des immigrés clandestins. Une installation simple pourrait être conçue sur ce sujet par l'agencement de photographies diverses (du Nigéria, des centres fermés où les demandeurs d'asile attendent la décision des autorités, des églises où ils trouvent parfois refuge, d'avions en plein vol), de coupures de presse relatives à l'accident (encadrées, superposées, collées, agrandies), d'objets à valeur symbolique dans cette histoire (képis, oreillers, menottes), de grands draps blancs taggués à la bombe Le sens de la composition d'ensemble émergerait grâce au montage, à la disposition de tous ces éléments les uns par rapport aux autres. Un jeu d'éclairages (élaboré grâce à quelques spots, ampoules nues ou simples lampes de poche, par exemple) permettrait de travailler l'ombre et la lumière, et de participer activement à cette composition en mettant l'accent sur l'un ou l'autre détail. On remarquera que le thème d'une telle exposition ne doit pas nécessairement être grave ou dramatique (comme c'est le cas pour The Magdalene Sisters). Ainsi, l'on pourrait évoquer à travers une telle installation l'histoire d'une classe d'école primaire et les destins divergents de ceux qui s'y sont pourtant croisés pendant un temps: que sont devenus ces enfants et pourquoi la vie les a-t-elle séparés? À l'inverse, l'unité du lieu une école par exemple peut donner lieu à une réflexion sur son histoire et l'évolution de son public: les élèves ne sont plus les mêmes, mais sont-ils vraiment différents? Une installation artistique ne se résume pas à une collection de souvenirs nostalgiques et s'accompagne d'une réflexion sur ce qui est montré: elle cherche à souligner par le jeu même de «l'installation» (au sens premier du terme) ce qui n'apparaît pas ou ce qui n'apparaissait pas aux témoins ordinaires. |