Extrait du dossier pédagogique
édité par les Grignoux et consacré au film
Daens
de Stijn Coninx
Belgique, 1992, 2h15
Le dossier dont on trouvera un extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants et aux animateurs qui verront le film Daens avec un jeune public (à partir de quatorze ans environ). Contrairement à d'autres dossiers plus récents réalisés par les Grignoux, il ne contient pas de suggestion d'animation qui peuvent être imédiatement mises en oeuvre. Il s'agit d'un travail original de vulgarisation qui permet d'aborder différents spects du film.
La population flamande est, au 19e siècle, dominée par une aristocratie ancienne, la noblesse, de moins en moins nombreuse, et nouvelle, la bourgeoisie, de plus en plus nombreuse. L'idéologie bourgeoise réussit à s'imposer par le droit et les faits dans tous les domaines. Cette aristocratie habitant la campagne et la ville se trouve non seulement en Flandre mais aussi à Bruxelles et dans le reste du pays.
En 1900, | la Belgique compte | 6.693.548 habitants |
la province d'Anvers | 819.159 habitants | |
la Flandre occidentale | 805.236 habitants | |
la Flandre orientale | 1.029.971 habitants | |
le Limbourg | 240.796 habitants |
C'est à la fin du siècle que certaines villes de Flandre (Alost, Ninove, Grammont, Courtrai notamment) vont s'industrialiser et absorber une main-d'œuvre rurale excédentaire. Depuis longtemps, celle-ci fournit, tant à la campagne qu'en ville, un personnel domestique abondant. Jusqu'à la veille de la deuxième guerre mondiale, l'agriculture a constitué le secteur essentiel de l'économie flamande; la pêche en mer réserve un sort peu enviable au petit groupe qui la pratique. Seule la ville de Gand a connu très vite l'industrialisation tandis qu'Anvers était un important centre d'affaires; les mines de la Campine commencent à être exploitées dans la première décennie du 20e siècle. Dans cette Flandre rurale, il est exceptionnel de voir de grandes ou moyennes entreprises agricoles directement exploitées par leurs propriétaires. À la fin du siècle, 80 à 90 %, selon les régions, des paysans sont des petits fermiers. Le montant des contrats de fermage subit une hausse quasi constante que ne connaissent pas les produits agricoles, ainsi en 1895, le prix du froment diminue de moitié. Entre 1880 et 1895, des milliers de petits exploitants sont ruinés, les salaires agricoles baissent de 20 %. La poussée démographique particulière à la Flandre pèse lourdement sur les budgets ménagers et accroît la concurrence parmi les fermiers.
Le nombre de naissances s'élève à
en 1880 | en 1890 | en 1900 | |
Province d'Anvers | 21 313 | 24 193 | 27 589 |
Flandre occidentale | 21 937 | 24 114 | 27 812 |
Flandre orientale | 27 926 | 29 813 | 33 770 |
Limbourg | 6 712 | 6 509 | 7 730 |
Royaume | 171 864 | 176 595 | 193 789 |
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En général, l'activité secondaire, dans l'artisanat à domicile, ne suffit plus. Certains membres de la famille sont des «saisonniers», qui renforcent fort loin de la ferme familiale, en France souvent, la main-d'œuvre nécessaire pour différentes récoltes; d'autres encore émigrent vers l'Amérique à moins qu'ils n'aient trouvé du travail à Bruxelles ou dans les centres industriels de France ou de Wallonie.
L'abondance de la main-d'œuvre explique, d'une part, la sujétion, à la campagne, d'une grosse partie de la population aux propriétaires ruraux, seigneurs du coin, appartenant très souvent à la petite noblesse et, d'autre part, la soumission, à la ville, aux patrons des usines ou des ateliers. Possédant la maîtrise du marché de l'emploi, l'aristocratie nouvelle impose unilatéralement les conditions de travail qui ne varient qu'en fonction des besoins et des saisons.
Partout, le petit peuple très nombreux est abusé. Les conditions de travail isolent et brisent les individus et les familles.
À la domination économique spécifique à la Flandre et qui existe avec une intensité variable dans le reste du pays, s'ajoute une domination linguistique qui pèse tout particulièrement en Flandre et qui touche non seulement les petits paysans, les ouvriers, mais aussi les petits artisans, les petits commerçants qui caressent quelque espoir d'ascension sociale. En fonction de l'article 23 de la Constitution, une série de mesures légales et réglementaires font du français la seule langue officielle du pays. La bourgeoisie, en général, ne veut parler que le français. La langue française est devenue un critère social important qui pèse bien plus en Flandre qu'en Wallonie où les dialectes locaux appartenant à la langue romane sont plus proches de la langue française, tandis qu'il n'en est évidemment rien des parlers flamands.
Constitution belge |
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Art. 23. L'emploi des langues usitées en Belgique est facultatif; il ne peut être réglé que par la loi, et seulement pour les actes de l'autorité publique et pour les affaires judiciaires. |
Tous les Flamands qui ambitionnent une quelconque promotion sociale sont donc obligés d'apprendre le français que, paradoxalement, ils n'ont pas eu l'occasion d'apprendre à l'école, pour autant aussi qu'ils aient eu la chance de fréquenter celle-ci.
Les notables politiques, toutes tendances confondues, sont des membres d'une bourgeoisie qui, depuis la fin du 18e siècle a progressivement évincé la noblesse en basant le pouvoir politique non plus sur la naissance, comme dans la société d'Ancien Régime, mais sur la fortune. Depuis la création de l'Etat belge, l'arrivée de l'aristocratie nouvelle au pouvoir politique est consacrée par un ensemble de mesures légales et réglementaires. Ainsi, les élections ne sont réservées qu'à une fraction de la population : les «?censitaires?», dénommés de la sorte parce qu'ils payent un cens, un impôt suffisant. Ainsi, le Sénat n'est composé que des grosses fortunes du pays. La détention exclusive du pouvoir politique par les notables leur garantit l'élaboration de la loi et la maîtrise des institutions. Si certains conflits pèsent sur la vie politique, ils ne résultent que d'intérêts divergents se situant chez ces notables eux-mêmes. Ceux-ci ne portent, en général, au 19e siècle, leur attention qu'aux relations entre l'Eglise et l'Etat. Ils sont convaincus, à différents degrés, des bienfaits sociaux d'un régime libéral dont les principes sont inscrits dans la Constitution (1831).
Différentes crises économiques ont frappé l'agriculture, l'industrie, le commerce et la banque. S'il y a eu des mesures politiques pour y apporter quelque remède, leurs effets sont à court terme et n'ont pas d'incidences sociales profondes, leur finalité économique répond avant tout aux intérêts ponctuels des industriels. La liberté économique — qui n'est pas inscrite dans la Constitution — est encore plus réelle que les libertés publiques; elle ne suscite pas la passion du monde politique au point de le diviser comme la «question scolaire».
La législation que l'on appelle «sociale» aujourd'hui n'existe pratiquement pas avant 1886. Le seul décret interdisant le travail souterrain aux enfants de moins de 10 ans — qui date de 1813 — n'a pas été appliqué. Il faut attendre l'arrêté royal du 24 avril 1884 pour, qu'en principe, le travail souterrain soit interdit aux garçons de moins de 12 ans et aux filles de moins de 14 ans. En matière linguistique, trois lois introduisent, dans une certaine mesure la possibilité d'utiliser le flamand : dans la justice répressive (1873), dans l'administration (1878) et dans l'enseignement (1883).
La loi du 17 août 1873 sur l'emploi de la langue flamande dans la justice répressive en Flandre (y compris l'arrondissement judiciaire de Bruxelles et Louvain)
(La loi ne s'appliquait pas aux cours d'appel de Bruxelles et de Liège ainsi qu'à la cour d'assises du Brabant.) La loi du 22 mai 1878 sur l'emploi de la langue flamande dans l'administration, même cadre territorial que le précédent, plus l'arrondissement de Bruxelles
La loi du 15 juin 1883 sur l'emploi du flamand dans l'enseignement en Flandre (même cadre territorial que la loi du 17 août 1873)
(La loi ne portait que sur l'enseignement moyen de l'Etat, et une partie seulement de cet enseignement.) |
Enfin, la religion catholique est constamment présente dans la vie quotidienne de la société flamande. Majoritaire, elle dispose d'un clergé bien structuré. Dans les entreprises traditionnelles mais aussi dans les entreprises industrielles nouvelles, le patron n'hésite pas à l'utiliser pour le bon fonctionnement des rapports qu'il entretient avec son personnel. Les œuvres catholiques sont financièrement soutenues par les notables qui peuvent exercer ainsi une pression non négligeable sur le clergé.