Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux
et consacré au film
Lilya 4-Ever
de Lukas Moodysson
Suède, 2003, 1h49
Le dossier pédagogique dont on trouvera un court extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront le film Lilya 4-Ever avec leurs élèves (entre quinze et dix-huit ans environ). Il contient plusieurs animations qui pourront être rapidement mises en oeuvre en classe après la vision du film.
Lukas Moodysson, le réalisateur de Lilya 4-Ever, a choisi de réaliser un film de fiction et non un documentaire sur l'esclavage sexuel tel qu'on peut le rencontrer notamment en Suède aujourd'hui. Ce choix a des conséquences qui peuvent être jugées positivement - la fiction permet de suivre le personnage pendant toute une longue période de son existence et de partager ainsi ses émotions les plus intimes - mais peut-être aussi négativement: où s'arrête la fiction et où commence la réalité? les malheurs que vit Lilya sont-ils une invention du scénario ou bien reflètent-ils une situation plus large à laquelle sont confrontées beaucoup de jeunes filles dans les pays issus de l'éclatement de l'ex-URSS? la mise en scène ne favorise-t-elle pas la dramatisation et l'émotion au détriment de l'intelligence et de la compréhension du phénomène?
Il n'y a sans doute pas de réponse unique à ces questions qui seront laissées à l'appréciation de chacun. En revanche, elles doivent conduire les spectateurs à s'interroger de façon un peu plus approfondie sur le travail de mise en scène, sur les caractéristiques esthétiques de cette mise en scène, sur ses effets éventuels Ce sera l'objet de la proposition d'animation développée à présent.
Bien qu'il s'agisse d'un film à vocation «réaliste», Lilya 4-Ever présente des caractéristiques très visibles de mise en scène. L'on peut donc suggérer aux jeunes spectateurs d'essayer de se souvenir des scènes les plus marquantes du film et de décrire les procédés stylistiques éventuellement utilisés. Même en se basant uniquement sur la mémoire, il devrait être possible de repérer certaines de ces caractéristiques. Pour faciliter l'analyse, l'on peut suggérer aux participants de se souvenir notamment des éléments suivants:
Il ne s'agira pas bien sûr de fournir des analyses détaillées mais de prendre conscience grâce à une discussion avec les autres spectateurs de certaines caractéristiques de la mise en scène de Lukas Moodysson.
On trouvera également dans l'encadré ci-dessous quelques réflexions à ce sujet qui pourront être soumises à l'appréciation des spectateurs.
Lilya 4-Ever: le travail de mise en scèneLes mouvements de caméraDès le début du film, lors de la fuite de Lilya, la caméra sans doute portée à l'épaule est agitée de mouvements frénétiques comme ceux du personnage: certains plans traduisent d'ailleurs son point de vue subjectif (comme si on voyait à travers ses yeux), ce qui accentue l'impression d'agitation. Ainsi, tout le film paraît être filmé avec une caméra à l'épaule (ce qui n'est sans doute pas vrai), une caméra très mobile qui multiplie les plans très brefs et qui suit rapidement les mouvements des personnages: cette manière de procéder crée sans doute une grande tension dans les moments d'agitation comme quand Lilya et ses copains font la fête ou quand Lilya est violée par les faux policiers où on a l'impression que les gros plans se succèdent à une vitesse folle, nous empêchant d'avoir une vue d'ensemble de la situation. Le procédé serait sans doute vite lassant s'il n'y avait pas une alternance de séquences au rythme très différent. L'apaisement (même bref) succède à la violence et nous permet, si l'on peut dire, de reprendre nos esprits. Le montage des différentes séquencesLe montage c'est-à-dire la manière d'agencer les plans de certaines séquences est parfois très visible: ainsi, tout le monde se souvient sans doute de cette succession de plans nous montrant les clients suédois de Lilya, immédiatement l'un après l'autre, en très gros plan, sans qu'on puisse les distinguer les uns des autres. Le montage, qui procède par ellipse (le réalisateur «coupe» tous les événements qui lui semblent inutiles), produit ainsi des «chocs», des rencontres violentes entre les plans: ainsi, le premier client de Lilya en Suède commence par essayer de l'amadouer et semble même la supplier de ne lui donner que la main, mais le plan qui suit immédiatement nous montre ce client en train de violer Lilya. L'ellipse est brutale et révèle l'hypocrisie qui animait l'approche doucereuse du client. Toutes les scènes sexuelles sont d'ailleurs traitées de cette manière, avec un gros plan sur le visage de Lilya ou du client, précédé ou suivi immédiatement d'une ellipse qui efface tout caractère érotique à la scène et en révèle la triste réalité (exploitation, viol). L'utilisation du son et de la musiqueLa musique fait une irruption bruyante dès la première séquence du film où la fuite de Lilya est rythmée par la musique brutale du groupe allemand de hard rock, Rammstein (dont la chanson porte le titre significatif «Mein Herz brennt», ce qui signifie «Mon cur brûle»). Alors que la musique passe souvent inaperçue au cinéma (même si elle est employée abondamment), Lukas Moodysson l'utilise d'entrée de jeu d'une manière très «frappante», accentuée, qui marque les esprits. Son choix musical n'hésite donc pas devant les effets les plus appuyés, mélangeant les styles, recourant par exemple à la musique classique de Vivaldi (la sonate «Al Santo Sepolcro») dans les moments les plus mélancoliques ou à des morceaux de musique pop au titre explicite ou ironique («All the love you needed» de la chanteuse estonienne Maarja, candidate à l'Eurovision, «Forever young» du groupe allemand Alphaville). Le choix des décorsLe choix des décors est évidemment dépendant du propos du film et on ne s'étonnera pas de l'aspect misérable et même repoussant de la chambre sordide de Lilya. En revanche, l'image que le réalisateur donne de la Suède est plus surprenante: les immeubles où Lilya est séquestrée ressemblent à ceux qu'on a vus dans la première partie du film, même s'ils sont sans doute moins misérables, et l'atmosphère grisâtre et pluvieuse où baigne toute la seconde partie ne tranche pas avec tout ce qu'on a vu jusque-là. Il est évident que le réalisateur aurait pu opérer d'autres choix et donner une image beaucoup plus «riante» de la Suède (qui est un des pays les plus riches du monde), et l'on peut donc s'interroger sur les raisons d'un tel choix: ainsi, l'on peut penser qu'il a voulu éviter de donner à ce pays les «couleurs du rêve» que les jeunes filles comme Lilya auraient sans doute tendance à lui attribuer. La réalité est toujours moins souriante que nos rêves. Le choix et le jeu des acteursL'actrice Oksana Akinshina, qui incarne Lilya, a été choisie par le réalisateur (ou son directeur de casting) jeune (ce qui était exigé par le rôle) mais aussi jolie et sympathique de manière à déclencher une identification immédiate du public: une comparaison avec l'actrice qui incarne son amie Natasha, plus grande, plus froide, plus «adulte» suffit sans doute à faire comprendre les raisons de son choix. Oksana Akinshina témoigne par ailleurs d'un vrai talent qu'on remarque notamment dans sa capacité à exprimer une grande variété d'émotions, la douleur bien sûr, mais également la joie, l'insouciance (quand elle est avec Volodya), le rêve, la séduction, la colère rentrée. On peut également admirer la manière dont elle oscille entre l'enfance et l'âge adulte, entre l'image de la séductrice qui porte un faux chignon et la fragilité d'une jeune adolescente abandonnée de tous. (On signalera encore à ce propos que Lukas Moodysson, qui est suédois, ne parle pas le russe qui est la langue de sa jeune actrice: il a donc dirigé l'actrice avec l'aide d'une interprète, ce qui est une expérience inhabituelle au cinéma.) Les «inventions» du scénarioSi le scénario a pour une part importante une base documentaire, il comporte également de nombreux éléments de fiction qui concernent en particulier toute l'amitié entre Lilya et le jeune Volodya. Ce choix scénaristique sera sans doute interprété de différentes manières, et l'on peut par exemple penser qu'il permet au réalisateur de montrer que Lilya, que ses «clients» considèrent comme une adulte, est encore très largement une enfant, comme en témoigne également la peinture naïve à laquelle elle adresse ses prières et qui représente un ange protégeant ou guidant un jeune enfant. Les séquences oniriques (les rêves qui montrent Volodya transformé en ange) permettent quant à elles de dépasser «l'objectivité des faits» (tels qu'ils pourraient ressortir d'un reportage) et de partager les émotions les plus intimes du personnage: alors que le suicide de Volodya est montré de façon brutale, sans explication, elles révèlent cette fois tout le cheminement intérieur de Lilya qui l'amènera à son geste fatal. La répétition des mêmes éléments ou des mêmes situations sous des formes différentesNombre d'éléments se répètent dans le film sous une forme différente, ainsi la tentative de suicide de Volodya qui s'apprête à sauter d'un pont, ce que fera à son tour Lilya. On peut également citer la photo de la mère de Lilya, d'abord déchirée puis brûlée quelques semaines plus tard, l'achat infructueux ou fructueux de cigarettes par Lilya au même magasin, les voyages en train (ou en métro) de Lilya vers la boîte de nuit, la peinture de l'ange que Lilya emballe, déballe à plusieurs reprises (avant de la briser par terre), le ballon de basket que Lilya paie à Volodya et que son père crèvera, la «tente» sous laquelle Lilya et Volodya dormiront au «Pentagone» et que Lilya reconstruira dans l'appartement en Suède, le départ de Lilya qui croise une vieille femme dans l'escalier et qu'elle revivra sous une forme imaginaire à la fin du film, etc. Ces répétitions n'ont sans doute pas toutes la même signification; elles montrent néanmoins de façon très concrète, sur le vif, l'évolution malheureusement le plus souvent négative du destin de Lilya. Les images (on devrait plutôt dire les situations concrètes) sont sans doute plus «parlantes» que de longs discours. |