Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux
et consacré au film
Sweet Sixteen
de Ken Loach
Grande-Bretagne, 2003, 1 h 46
Le dossier pédagogique dont on trouvera un court extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront le film Sweet Sixteen avec leurs élèves (entre quinze et dix-huit ans environ). Il contient plusieurs animations qui pourront être rapidement mises en oeuvre en classe après la vision du film.
Activité à mener en petits groupes d'élèves
Cette animation a pour but d'amener les élèves à remarquer comment les lieux du film et la géographie de l'espace déterminent les choix et l'évolution de Liam. On commencera par leur demander de dresser un inventaire des principaux endroits fréquentés en ville par l'adolescent au cours du film, et ensuite de caractériser ces endroits.
L'étape suivante consistera à former des paires (ce qui implique une certaine ressemblance), en mettant en parallèle des lieux dont les caractéristiques sont toutefois opposées, pratiquement point par point. Cet exercice devrait faire apparaître le contraste qui oppose clairement deux mondes: celui de Liam et celui de Douglas.
Les élèves seront ensuite invités à sortir du milieu urbain pour s'attacher à deux espaces particuliers vus dans le film: la prison, et surtout son pendant opposé: les bords de la Clyde, où va souvent se réfugier Liam.
Enfin, de façon un peu plus anecdotique, il s'agira de donner de la première scène du film (celle où Liam invite les enfants du quartier à scruter le ciel avec son télescope) une interprétation originale, d'après ce critère de lieu.
En fonction des observations effectuées, les élèves essayeront de déterminer de quelle façon tous ces endroits influencent l'évolution et le parcours de Liam: que ne supporte-t-il plus? pourquoi? au fil de l'histoire, quels lieux découvre-t-il? qu'est-ce qui le fascine dans un premier temps? qu'est-ce qui le fascine dans un second temps? de quelle façon se traduit cette fascination? etc.
Trois exemples, impliquant donc le repérage et la description de six lieux, permettent de montrer l'opposition marquée indiquant la coexistence de deux mondes différents au sein de l'espace urbain.
Ainsi le pub populaire enfumé, bruyant et en mouvement où Liam et Pinball écoulent leurs cigarettes de contrebande contraste avec le pub luxueux où l'emmènera plus tard Douglas, un lieu feutré, silencieux, figé où les clients «se tiennent bien».
Quant au squat des junkies, sombre, sans commodité, sale et désordonné, c'est un lieu fréquenté par des adolescents sans repères et sans hygiène de vie. C'est un lieu froid et obscur qui évoque la souffrance et l'abandon, en somme, un profond mal de vivre qui se traduit par l'autodestruction et le refuge dans une autre réalité. L'aspect sordide de cet espace, lui-même abandonné et sans véritable propriétaire, ressort d'autant plus fort quand il est mis en rapport avec le centre de mise en forme où Liam rencontre Douglas pour la première fois. Ce club sportif, qui symbolise à la fois la bonne santé, le plaisir, l'estime de soi et l'épanouissement personnel, est un lieu propre, ordonné, lumineux, bien chauffé et confortable. Il est quant à lui fréquenté par une clientèle aisée qui a du temps et de l'argent à consacrer à son bien-être.
Pareil contraste apparaît encore si l'on compare l'appartement de Chantelle et l'appartement de Douglas, mis à la disposition de Jean. Tandis que le premier se caractérise par l'exiguïté, la modestie, la vétusté et un mobilier réduit au nécessaire, le second est luxueux, frais, spacieux, lumineux. Tout a été prévu sur le plan des accessoires et des gadgets. Le mobilier est moderne et neuf.
Ces trois exemples montrent une fracture entre deux mondes coexistant au sein d'un même espace urbain. Le monde de Douglas, interdit à Liam jusqu'au moment de sa rencontre avec le dealer, va exercer sur l'adolescent une fascination déterminante dans l'évolution de son comportement. C'est désormais dans cet univers-là luxueux, ordonné, calfeutré et protégé que Liam aura envie d'introduire sa mère, même s'il doit pour cela payer le prix fort: «régler le sort» de son meilleur ami. Il est par ailleurs intéressant de constater ici que ces deux mondes imperméables et clos sur eux-mêmes s'alimentent et s'entretiennent l'un l'autre par l'intermédiaire du trafic de drogue, qui apparaît ici comme un vrai facteur de rupture de l'espace. D'un côté, nous avons le monde des dealers et de l'argent facile et, de l'autre, le monde des toxicomanes et de la misère, l'un ne pouvant exister sans l'autre.
Entre ces deux types de milieux à la fois liés, lointains et opposés, les rives de la Clyde représentent un espace à part, une sorte de no man's land naturel que l'on pourrait définir comme le lieu de l'émotion et de la liberté. Cet espace ouvert sur l'horizon contraste lui avec l'univers fermé et «insensible» de la prison. C'est là-bas que se retrouve Liam à plusieurs reprises dans le film, irrésistiblement attiré par cet «ailleurs». Une première vue du ciel sur la Clyde précède immédiatement le moment où Liam, chassé de chez lui par son grand-père et par Stan, quitte le quartier sous le regard des jeunes, qui lui reprochent ironiquement de «bousiller la réputation du coin». Liam vient alors de trouver son télescope brisé devant la maison, cet instrument qui lui permettait jusque-là de forcer l'horizon pour atteindre un ailleurs lointain et inaccessible, où même le déroulement du temps n'est pas le même. En brisant (accidentellement ou non) cet objet, les deux hommes ont donc aussi brisé le rêve de l'adolescent, qui ne trouvera désormais d'autre refuge, d'autre consolation que la proximité du fleuve et l'ouverture qu'il offre. Cet espace sera d'abord une aire de jeu, où Liam emmène Calum pour jouer au ballon. C'est le long des rives bétonnées, non loin du domicile de Chantelle, que Pinball viendra le chercher pour faire un tour en voiture, voiture qui les conduira en dehors de la ville, là-bas où la Clyde a retrouvé son libre cours. Les berges sauvages impressionnent beaucoup Liam, qui reconnaît dans cet endroit situé «au milieu de nulle part» le paradis dont il rêve pour débuter une nouvelle vie de famille. La caravane à vendre viendra d'ailleurs immédiatement concrétiser cette possibilité de bonheur, faisant naître son grand projet: acheter la caravane coûte que coûte, pour mettre sa mère à l'abri des mauvaises influences de Stan. À ce moment, Liam ne connaît pas encore le monde de Douglas. Ce qui compte alors pour lui, c'est l'aspect tranquille et paisible du lieu. Plus tard, il y emmènera ses copains et prendra des photos pour les montrer à sa mère, toujours emprisonnée. Il n'imagine pas à ce moment-là que l'endroit pourrait déplaire à sa mère, qui perçoit sans doute déjà alors une certaine similitude entre la vie en prison et la vie en caravane. Là où Liam imagine la paix, la liberté et le bonheur, Jean remarque l'isolement géographique, l'exiguïté, la promiscuité, l'inconfort et l'inaction, tous ces détails qui caractérisent précisément sa vie carcérale [1].
Plus tard, Liam invite sa soeur, Suzanne et Calum à pique-niquer au bord de l'eau, à la caravane. Lorsqu'ils arrivent en taxi sur les lieux, il n'en reste qu'une carcasse calcinée. Une nouvelle fois son rêve d'un ailleurs, qui était cette fois sur le point de se réaliser, se trouve anéanti et avec lui, l'espoir d'une autre vie. C'est cet événement dramatique qui fera basculer définitivement Liam dans le monde fascinant et sans morale de Douglas.
Les rives du fleuve restent pourtant jusqu'au bout un lieu de refuge, de réconfort et de répit, qui «aimante» Liam dans les moments les plus difficiles. Ainsi, pour avertir Douglas que sa mission est accomplie (régler le compte de Pinball), il s'installe sur un banc public, face à la Clyde, un peu comme si l'eau de la rivière pouvait laver sa conscience d'une telle trahison, comme si le courant pouvait emporter sa faute.
Quant au dernier plan du film, il nous montre Liam en train de déambuler le long du fleuve, après avoir agressé Stan au couteau. Il semble remonter vers l'embouchure du fleuve, qui paraît plus large. De petites vagues laissent supposer qu'il n'est plus très loin de la mer. Chantelle lui téléphone car tout le monde le cherche. «Quel gâchis! le jour de ton anniversaire... T'as 16 ans!», dit-elle. Liam ne trouve pas de mots pour répondre à sa soeur. Il coupe court à la conversation en disant «J'ai plus de batterie...». Concrètement, cette phrase laconique fait allusion à la batterie déchargée de son portable. Mais sur un plan symbolique, elle signifie aussi que Liam est allé jusqu'au bout de ses forces, qu'il se trouve maintenant «à plat». Finalement la Clyde, jusque-là lieu d'espoir et de ressourcement, se révèle être un terme, une voie sans issue qui le confrontera immanquablement à l'immensité du large, ne pouvant guère le renvoyer qu'à lui-même.
Si l'on récapitule toutes ces situations selon un ordre chronologique, l'on s'aperçoit que l'histoire suit le fil de l'eau, s'éloignant progressivement du quartier où a vécu Liam pour se terminer là où se termine le fleuve, là où il n'est plus possible d'aller plus loin.
[1] On ne découvrira ce point de vue qu'à la fin du film.