Amen. entre vérité et fiction
Quelques éléments de réponse
1. Le fait est authentique: le 3 juillet 1936, Stephen (ou Stephan) Lux, un journaliste israélite
allemand, se suicide en pleine séance de la SDN (la Société Des Nations, ancêtre de l'ONU), à Genève, pour
attirer l'attention sur le sort des Juifs en Allemagne: à ce moment, l'extermination n'avait pas
encore commencé, mais les premières mesures étaient suffisamment brutales pour susciter ce genre
d'acte désespéré. L'Allemagne nazie, insensible aux pressions extérieures, avait déjà quitté la SDN dès 1933. [Remonter à la question]
2. Dès septembre 1939, au lendemain de l'invasion de la Pologne par l'Allemagne, les autorités
nazies mettent en oeuvre un plan d'extermination des pensionnaires des asiles atteints de folie, de sénilité,
de faiblesse d'esprit, de troubles graves ou de maladies incurables. Les faits se sont déroulés
globalement comme le montre le film avec une sélection sommaire par des médecins, puis par gazage dans des
centres spécialisés avec le monoxyde de carbone produit par un moteur. Cette opération (dénommée T4)
était secrète, et les assassinats camouflés en mort naturelle, les familles étant seulement prévenues des
décès sans autre précision, les corps ayant été immédiatement brûlés (puis les cendres remises aux
familles). Ces gazages ont fait vraisemblablement 70 000 victimes. Une belle-soeur de Kurt Gerstein,
Bertha Ebeling, a été effectivement l'une de ces nombreuses victimes. [Remonter à la question]
3. L'évêque de Munster, Clemens von Galen, déposa plainte fin juillet 41 contre inconnu pour le
meurtre des handicapés mentaux, puis prononça plusieurs sermons contre cette politique d'euthanasie.
Ces protestations relayées par de nombreux catholiques ont sans doute contraint les nazis à mettre fin
à l'opération T4 le 24 août 41: les assassinats de handicapés se sont cependant poursuivis de façon
plus «artisanale» (par injection de poison, surdose de médicaments ou par absence totale de soins
ou manque de nourriture). L'attitude de l'évêque von Galen, particulièrement courageuse, fut
cependant exceptionnelle au sein de l'Église catholique allemande. On remarquera enfin que la mise en scène
de Costa-Gavras est particulièrement spectaculaire, l'évêque en habits liturgiques traversant tout le
cadre de l'écran d'un pas décidé pour se rendre au tribunal. [Remonter à la question]
4. Kurt Gerstein est un témoin essentiel du processus d'extermination par gazage en particulier au
camp de Belzec où il assista pour la première fois en 1942 à la mise à mort d'un convoi de 6000 Juifs
(dont, dit-il, 1450 étaient déjà morts à l'arrivée). Dans le récit qu'il a donné de ces événements en juillet
45 (alors qu'il était détenu), il décrit cependant les faits de façon très différente de la mise en scène
imaginée par Costa-Gavras: il a en effet assisté à l'arrivée des déportés en se tenant devant les chambres à
gaz avec le capitaine de police Christian Wirth (responsable de différents camps d'extermination) qui
frappa certains détenus avec sa cravache; les victimes nues furent poussées puis littéralement entassées
dans les chambres à gaz (quatre ou cinq), environ 700 à 800 personnes dans un espace de 25
m2 (le chiffre indiqué par Wirth étonne même Gerstein); quand les portes furent refermées, un mécanicien essaya
de mettre en marche un moteur diesel mais n'y parvint pas; il lui fallut deux heures cinquante pour
réparer le moteur, les victimes restant enfermées pendant tout ce temps dans les chambres à gaz; finalement
le gazage eut lieu et dura une demi-heure environ: une petite fenêtre permettait de voir ce qui se
passait à l'intérieur; quand les portes furent ouvertes, les corps se tenaient encore debout tellement les
victimes avaient été serrées par leurs bourreaux; des détenus ont dû ensuite dépouiller les cadavres de ce qui
leur restait (les dents en or) avant de les jeter dans de grands fossés. On conçoit l'horreur de cette
situation (horreur qui transparaît dans tout le témoignage de Gerstein), horreur telle que le cinéaste a choisi
de renoncer à la mettre en scène telle quelle. On remarquera également que le détail de la boîte de
Zyklon B est inexact puisqu'on utilisa à Belzec des gaz d'échappement: la suite de la confession de
Gerstein laisse penser que les nazis envisageaient de remplacer ces moteurs par du Zyklon B (qui fut utilisé
quant à lui à Auschwitz). Le film fait donc de Gerstein un acteur absolument central (mais
intérieurement révolté) du processus d'extermination puisqu'il doit livrer du Zyklon B à tous les centres
d'extermination (ce qui ne fut vraisemblablement pas le cas). [Remonter à la question]
5. Les faits sont certainement exacts: outre le témoignage de Gerstein, le baron von Otter, secrétaire à
la légation de Suède, a confirmé avoir rencontré Gerstein et avoir écouté son témoignage à propos de
ce qu'il avait vu à Belzec. En ce qui concerne le légat du Pape, Gerstein a expliqué qu'il n'a même pas
pu le rencontrer, une fois qu'on lui eut demandé s'il était soldat. Le film dramatise donc la scène
puisque l'on voit Gerstein forcer le passage et s'entretenir avec le légat qui refuse de croire ses propos et
lui ordonne de quitter les lieux. Il est peu vraisemblable cependant que Gerstein se soit présenté en
uniforme (surtout de SS!) à la légation qui était vraisemblablement surveillée par la police secrète
(Gerstein rapporte d'ailleurs qu'il fut suivi par un policier sans doute en civil à sa sortie de l'ambassade). [Remonter à la question]
6. Aucun élément ne permet de supposer que Gerstein se soit rendu à Rome ni qu'il ait tenté d'une
manière ou d'une autre d'approcher le pape ou ses représentants. Tout l'épisode est inventé et
fortement dramatisé notamment par le fait que cette venue coïncide avec l'arrestation des Juifs romains: alors
que l'Italie fasciste était l'alliée de l'Allemagne nazie, elle avait toujours refusé de livrer les Juifs
d'Italie aux Allemands; mais le débarquement des Alliés en Sicile en juillet 43 provoqua la chute de
Mussolini, un retournement d'alliance (l'Italie rejoignant le camp allié) et l'invasion de l'Italie par les
troupes allemandes; les nazis organisèrent alors la déportation des Juifs en particulier à Rome où une
grande rafle saisit le 16 octobre plus de mille personnes qui furent expédiées à Auschwitz. Ces
événements authentiques servent donc d'arrière-plan dramatique à la venue (fictive) de Gerstein à Rome:
on remarquera encore à ce propos, qu'au moment de la rafle des Juifs romains, on évoque devant le
pape le bombardement de l'abbaye du Mont Cassin par l'aviation alliée. Lors de leur avance en Italie,
les forces alliées ont effectivement été longuement bloquées devant cette abbaye: le bombardement
de l'abbaye elle-même par l'aviation l'a totalement détruite, mais de façon inutile car elle n'était
pas occupée par les troupes allemandes (retranchées sur les contreforts du Mont Cassin). Ici aussi, le
film «fabrique» des coïncidences puisque ce bombardement eut lieu seulement le 14 février 1944 (et
non à l'automne 43): la coïncidence permet sans doute de montrer la confusion du pape confronté à
des événements dramatiques (le bombardement de l'abbaye du Mont Cassin détruisit un
monument particulièrement important de la chrétienté) mais de nature et d'importance différentes: la
déportation et l'extermination de populations civiles innocentes ne peut pas se comparer à des dommages
militaires même considérables. [Remonter à la question]
7. Le fait est rapporté par Gerstein dans sa confession: il ne précise cependant pas les quantités
ainsi détruites ni les circonstances exactes de ces destructions. [Remonter à la question]
8. Le personnage et toute l'histoire du père Riccardo Fontana sont fictifs et n'apparaissent donc nulle
part dans la confession de Kurt Gerstein. Néanmoins, le personnage est inspiré, selon Rolf Hochhuth
lui-même (l'auteur de la pièce de théâtre,
Le Vicaire, dont Amen. est l'adaptation), du prévôt du
chapitre Bernhard Lichtenberg qui pria ouvertement pour les Juifs, puis fut condamné à la prison et enfin
mourut au cours de son transfert vers Dachau. D'autres figures peuvent faire penser au personnage de
Riccardo Fontana: ainsi, le père polonais Maximilien Kolbe, arrêté et déporté à Auschwitz à l'été 41 (à
un moment où l'extermination des Juifs par gazage n'avait pas encore commencé), prit volontairement
la place d'un autre détenu condamné avec trois autres compagnons (pour l'évasion d'un autre
prisonnier) à mourir de faim et de soif dans un bunker: sa béatification par Jean-Paul II a cependant provoqué
une vive polémique car le père Kolbe s'était distingué avant-guerre par des écrits violemment
antisémites (ce qui ne l'a pas empêché d'entrer ultérieurement dans la résistance aux Allemands). Une autre
figure célèbre est celle de Janusz Korczak, un célèbre médecin et pédagogue juif polonais: devenu
directeur d'un orphelinat dans le ghetto de Varsovie, il consacra toute son énergie à protéger les enfants (alors
qu'il aurait sans doute pu trouver des complicités à l'extérieur du ghetto pour s'enfuir) et suivit ses
pupilles dans la déportation et la mort le 5 août 1942. La démarche de Riccardo Fontana, aussi
exceptionnelle soit-elle, n'est donc pas sans exemple. [Remonter à la question]
9. Tout l'épisode est évidemment inventé puisque Riccardo Fontana est un personnage fictif. Il semble
en outre que les nazis n'aient jamais soupçonné le double jeu de Kurt Gerstein, même s'il a,
semble-t-il, multiplié les imprudences. La crémation de cadavres évoque en revanche des faits réels: au début,
dans les camps d'extermination de Belzec, Sobibor et Treblinka, les nazis se contentèrent d'enterrer
les victimes des gazages, mais dès le printemps 42, Himmler ordonna de détruire les traces de
ces massacres, et les cadavres furent déterrés puis brûlés sur des bûchers improvisés (Auschwitz fut
en revanche doté en 1943 de gigantesques fours crématoires destinés à brûler les cadavres directement
à la sortie des chambres à gaz). Les nazis détruisirent et rasèrent totalement les camps de Belzec,
Sobibor et de Treblinka, et firent sauter les crematoriums d'Auschwitz avant l'arrivée des troupes
soviétiques, afin de faire disparaître les traces de leurs crimes. [Remonter à la question]
10. Comme Riccardo Fontana, le personnage du «docteur», dont le nom n'est d'ailleurs jamais cité
dans le film, est un personnage fictif. Mais sa sinistre carrière est largement inspirée de celles de
criminels comme Franz Stangl ou Christian Wirth qui participèrent d'abord aux opérations d'euthanasie avant
de devenir responsables à des niveaux divers dans les camps d'extermination en Pologne. On
sait notamment aujourd'hui que Franz Stangl, qui fut arrêté en 45 mais s'évada en 48, a réussi à
rejoindre la capitale italienne où il a bénéficié de la protection de Monseigneur Alois Hudal, un dignitaire
du Vatican, qui lui a permis d'obtenir un laisser-passer de la Croix Rouge et de s'enfuir en Syrie.
Alois Hudal a également aidé d'autres criminels nazis dont le tristement célèbre Adolf Eichmann qui
se réfugia en Argentine où il fut enlevé par les services secrets israéliens en 1960 (puis jugé lors d'un
procès retentissant, condamné à mort et exécuté en 1962). La carrière du «docteur», si elle peut
paraître exceptionnelle, est très vraisemblable. [Remonter à la question]
Si le film de Costa-Gavras suit largement la biographie de Kurt Gerstein, personnage authentique et
témoin capital du processus d'extermination, on voit qu'il est entouré par deux personnages largement fictifs
(bien que vraisemblables), deux figures opposées du bien et du mal absolus. Loin de proposer une
reconstitution historique brute, Amen. présente donc une situation dramatique fortement stylisée qui pourrait même
paraître caricaturale si une multitude d'autres personnages secondaires (le père de Riccardo Fontana, le Cardinal,
les amis protestants de Gerstein, son épouse, son père, etc.) ne présentaient une variété de comportements
plus banals mais également plus médiocres.
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