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Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
The Commitments
d'Alan Parker
Grande-Bretagne, 1991, 2h00

Le dossier dont on trouvera un extrait ci-dessous s'adresse d'abord aux enseignants et aux animateurs qui verront le film The Commitments avec un jeune public (à partir de quatorze ans environ). Contrairement à d'autres dossiers plus récents réalisés par Les Grignoux, il ne propose pas de pistes d'animations immédiatement utilisables : il s'agit d'un travail original de vulgarisation sur différents aspects et thèmes du film d'alan Parker.

Analyse du film

« Le cinéma américain reste totalement, selon moi, le cinéma du public, le cinéma pour le public. Pour moi, lorsqu'un film est dans ma tête ou dans sa boîte, il n'existe pas tant qu'il ne se passe pas quelque chose entre ce qui scintille sur l'écran et la manière dont le public le reçoit. Si vous faites un film pour huit personnes dans une cinémathèque, vous savez exactement communiquer avec eux. Mais je fais des films vus dans soixante pays pour des gens dont les degrés d'intelligence et d'éducation et les opinions sont totalement différents, pourtant je dois quand même les toucher. Alors je dois être obsédé par ce qui est important dans ce que j'essaye de communiquer, pour faire réfléchir le public à la même chose que moi. Il y a plusieurs manières de faire ça, mais je préfère utiliser les moyens de cinéma pour toucher le public par ses sentiments plutôt que par son intellection. »
Alan Parker

L'Amérique est assurément l'un des premiers objets d'intérêt, de préoccupation et même de pensée des Américains. Tout citoyen américain adhère, avec aisance ou difficulté, dans la certitude ou dans le doute, à une certaine idée de l'Amérique, qu'il se la soit forgée lui-même ou qu'elle lui ait été inculquée par son éducation, par la religion ou par les médias. Forcément, cette idée de l'Amérique traverse toutes les œuvres culturelles d'origine américaine, qu'elles soient littéraires, picturales ou cinématographiques : depuis Naissance d'une nation de Griffith (1915) jusqu'à Batman de Tim Burton (1992), tous genres confondus (du western au mélodrame, du film de guerre aux biographies historiques — y compris les toutes récentes épopées de Christophe Colomb —), il ressort très clairement que ce cinéma nous parle d'abord et avant tout de l'Amérique, de ce qu'elle est, a été et sera, de ceux qui l'ont faite et continuent à la faire (JFK d'Oliver Stone, par exemple), de ceux qui la menacent (Indiens, nazis, communistes, Vietnamiens, psychopathes conducteurs de taxis et autres « Alien » venus d'ailleurs), et enfin de ceux qui l'ont rêvée.

On pourrait se demander en quoi tout ceci concerne The Commitments, film britannique réalisé en Irlande avec des acteurs irlandais et qui nous raconte une histoire d'Irlandais vivant en Irlande. C'est que ce film nous parle moins de l'Irlande et des Irlandais que, en réalité, de l'Amérique et des Américains. S'il évoque effectivement, et souvent avec réalisme, l'Irlande contemporaine, il ne faut cependant pas oublier que ce film est destiné avant tout au marché américain où il doit être amorti. Pour cette raison essentielle, comme l'explique en partie Alan Parker dans l'extrait de l'interview reproduit ci-dessus, il doit donc toucher la corde sensible de son public majoritaire. Et, aujourd'hui comme hier, on ne peut toucher le public américain en lui parlant de l'Amérique telle qu'elle est, mais en lui parlant de l'Amérique telle qu'on l'imagine, telle qu'on la rêve. L'Irlande, dans ce film comme dans ceux de John Ford, est simplement le lieu où le rêve américain est encore possible.

« C'est le Tiers-Monde ici, on n'y peut rien » répondra Jimmy à l'employée du bureau de chômage... voici donc bien un lieu idéal : un lieu fruste et « sous-développé » que, de toutes les manières, il faut fuir. L'échappatoire, ici, n'est plus l'émigration vers le Nouveau Monde, mais l'évasion dans la musique soul. À l'un des musiciens inquiet d'avoir une peau « un peu trop blanche » pour faire de la musique soul, Jimmy répond : « Les Irlandais sont les Blacks de l'Europe. À Dublin, on est les Blacks de l'Irlande, et ceux des quartiers nord sont les Blacks de Dublin ! Alors, vous pouvez le crier haut et fort : “Je suis black et fier de l'être” ».

Pendant des décennies, et aujourd'hui encore, bien que les formes du phénomène soient atténuées, le Noir a été le seul individu de la société américaine à n'avoir pas droit au rêve américain. Dans les années 30, certains intellectuels ont pensé la société américaine selon le modèle du melting pot, le brassage de populations de souches et de cultures différentes, et ont même reconnu à l'Indien l'honneur prestigieux d'être un authentique Américain. Mais dans ce modèle, aucune place n'était accordée aux Noirs : les Noirs n'étaient pas nés sur le sol américain et n'avaient pas immigré. Ils avaient été transplantés et, privés d'une culture propre, ils ne pouvaient nourrir le rêve d'une société multiculturelle. Chacun se souvient du célèbre discours de Martin Luther King commençant par ces mots : « I had a dream... », « J'ai fait un rêve... », le rêve d'une société dans laquelle Blancs et Noirs vivraient en harmonie. Ce que le pasteur noir mettait ainsi en cause, c'était l'idéologie du rêve américain qui envisageait une société dans laquelle les biens matériels et le profit étaient accessibles à tous. À tous, dit Luther King, excepté aux Noirs. Pour être en droit de réclamer leur part de rêve, les Noirs ont dû prouver non seulement qu'ils avaient une culture propre, mais que cette culture pouvait se fondre et enrichir la culture américaine. Le jazz ou la musique soul ont contribué à apporter cette preuve. Cela n'a rien changé à leur sort (point que nous avons développé dans la première partie), mais leur a au moins donné l'illusion de participer au grand rêve américain.

En identifiant l'Irlande à la communauté noire américaine, Jimmy évoque évidemment le statut économique de son pays et non pas son statut culturel. Chacun sait que l'Irlande a une culture et qu'elle a largement contribué à fonder la société multiculturelle américaine : le film ne nous parle pas en effet de la culture irlandaise, mais de jeunes dont l'avenir se réduit à cette alternative : le chômage ou l'emballage de poulets surgelés, c'est-à-dire l'esclavage économique, un statut contre lequel il n'est même plus possible de se révolter. Par contre, il est permis de rêver; ce que nous dit le film, c'est que là où la revendication sociale est inexistante, le rêve est toujours possible. Il suffit d'y croire comme les Noirs américains y ont cru alors que tout le leur interdisait. Il suffit d'y croire puisque, comme chacun le sait, la foi renverse les montagnes... Voyons maintenant en quoi l'Irlande se présente comme le cadre idéal d'un film parlant du rêve américain. Quatre raisons, au moins, doivent être invoquées :

  • La première est d'ordre historique : depuis que les Etats-Unis existent, des millions d'Irlandais ont immigré vers le Nouveau Monde, où ils ont formé l'une des communautés les plus importantes dont sont issus quelques célèbres présidents des Etats-Unis. C'est d'abord à cette communauté que le film s'adresse, en lui montrant que le rêve qui l'avait autrefois poussée à franchir l'océan existe encore mais qu'il revêt aujourd'hui des formes nouvelles. Le choix de l'Irlande, c'est donc d'abord le choix de réactiver un rêve ancien.
  • La seconde raison est d'ordre économique. Puisqu'il s'agit de démontrer que l'Amérique fait encore rêver, l'action ne pouvait se dérouler sur le sol des Etats-Unis. Il fallait un lieu autre (vieille recette du cinéma hollywoodien qui est allé la chercher dans la figure traditionnelle du conte), un lieu dont la différence s'exprime économiquement.
  • La troisième raison est d'ordre racial. Ce pays ne pouvait pas être africain, latino-américain ou asiatique. Le film aurait manqué son public essentiel, celui qu'il vise avant tout parce qu'il est majoritaire : la population blanche de souche anglo-saxonne considérée depuis toujours comme la plus authentiquement américaine. Le choix de l'Irlande, c'est donc aussi le choix d'un pays économiquement pauvre, européen et anglo-saxon.
  • La quatrième raison, enfin, constitue le véritable ressort du film : l'Irlande est un pays très catholique dans lequel la foi religieuse constitue encore un puissant moyen de régulation sociale.

Le film associe d'ailleurs explicitement et de façon répétée la musique à la religion : c'est le portrait d'Elvis Presley surmontant celui du pape, deux images proches aussi par leur style mièvre et kitsch, leurs couleurs bariolées. Ce sont les histoires de Jimmy qui s'interviewe lui-même comme on récite une prière pour se persuader d'y croire. C'est le clavieriste étudiant en médecine qui joue du Marvin Gaye à l'orgue de l'église. C'est le pasteur, lui-même grand connaisseur de musique soul, qui patronne le groupe de toute sa sympathie de curé. C'est le personnage mystique de Joey « The Lips » Fagan, vieil inspiré revenu du désert où il prétend avoir rencontré le sauveur en personne, alias Wilson Pickett, celui dont on attendra longtemps la venue et qui finira par arriver trop tard, alors qu'on n'y croyait plus. Dans son rôle d'intercesseur, de prophète qui a vu et entendu les dieux de la musique, dont il véhicule la bonne parole, Joey « The Lips » est incontestablement le personnage-clé du film, celui qui reproche à Jimmy de ne pas avoir confiance en lui alors que Jimmy doute de la venue annoncée de Wilson Pickett, celui qui dit, quand tout est fini, que rien n'est perdu puisqu'il leur a au moins permis d'y croire.

C'est, enfin, le nom que les membres du groupe choisissent pour se désigner : Les « Commitments », que l'on peut traduire par les « Engagements » : « Notre groupe a une mission, répondra Jimmy au journaliste du Herald, nous apportons la soul à Dublin. Nous rendons la musique au prolétariat. »

Le choix de l'Irlande, c'est donc le choix d'un pays dans lequel la foi permet de croire que le rêve américain est encore possible.

Image du film


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