Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Girlfight
de Karyn Kusama
USA, 2000, 1h50
Le dossier, dont on trouvera un extrait ci-dessous, s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront le filmGirlfight avec leurs élèves (entre quinze et dix-huit ans environ). Il propose plusieurs animations à mettre en oeuvre rapidement après la projection du film.
En faisant son entrée dans le gymnase (et dans le monde de la boxe), Diana fait aussi son entrée dans un monde d'hommes (un monde auquel elle est déjà habituée puisqu'elle est également la seule femme dans son foyer). Cette entrée est vécue par certains comme une intrusion ou au moins comme une extravagance, alors que d'autres acceptent plus facilement cette nouvelle venue. Des points de vue s'opposent donc quant aux rôles des hommes et des femmes et quant à ce que l'on peut attendre de l'un et l'autre sexe. Les rapports hommes-femmes apparaissent alors comme un thème central du film. En effet, au-delà des questions comme «la boxe est-elle un sport de filles?» ou «est-il bien qu'une fille et un garçon combattent l'une contre l'autre?», le film laisse apparaître toutes sortes d'idées reçues relatives aux rôles féminins ou masculins et les remet en question, et cela, aussi en dehors du gymnase.
Dans le film, il y a beaucoup de paroles ou de gestes (qui peuvent passer inaperçus) qui sont révélateurs des rôles que les personnages attribuent aux hommes ou aux femmes.
Par exemple, quand Diana rentre tard chez elle après un cours de boxe (Sandro ne sait pas qu'elle s'entraîne) et que son père le lui reproche et dit sèchement: «Dis merci à ton frère pour le dîner», on peut penser que c'est d'habitude Diana elle-même qui prépare le repas et que, pour Sandro, son père, c'est normal qu'elle le fasse, que Tiny l'a préparé exceptionnellement puisque Diana n'était pas là. On peut supposer également que, les autres jours, ni son père ni Tiny ne remercient Diana pour le dîner qu'elle leur prépare.
Cette petite phrase anodine laisse donc apparaître comment le père de Diana envisage le rôle des femmes: ce sont les femmes qui font la cuisine, elles doivent être disponibles pour cela et il est normal qu'elles le fassent. Qu'un homme fasse la cuisine est exceptionnel et, à ce titre, il doit en être remercié
Organisons la classe en groupes de trois ou quatre personnes auxquels on soumettra une, deux ou trois des scènes résumées dans l'encadré de la page suivante. ·
Chaque groupe examine attentivement la scène et cherche à définir ce que cette scène dit sur les rôles des hommes et les rôles des femmes, selon le point de vue des personnages (ou selon le point de vue de la réalisatrice).
Les scènes évoquées ici font apparaître ce que les personnages ont comme attentes vis-à-vis des hommes et des femmes. Ainsi, certains ont une idée «traditionnelle» de la femme et de l'homme [1]; d'autres ne s'étonnent pas que la différence s'estompe entre les rôles traditionnels masculins et féminins.
Par exemple, le couple qui vient assister au combat de boxe présente deux points de vue différents. À la femme qui dit «Il est écrit Diana Guzman sur le programme», l'homme répond «Ça doit être une erreur», ce qui signifie que l'homme ne conçoit pas qu'une fille fasse de la boxe. La femme répond alors: «Je ne crois pas», ce qui signifie qu'elle conçoit qu'une fille puisse faire de la boxe et même être opposée à un garçon. Ces répliques toute simples révèlent donc deux conceptions différentes «de la femme» et on peut imaginer toutes sortes d'arguments pour justifier l'une et l'autre.
Les arguments en faveur de la répartition traditionnelle des rôles selon le sexe sont parfois difficiles à tenir face à une personne, comme Diana, qui ne se comporte pas selon le rôle traditionnel féminin (elle se bat, elle fait de la boxe, elle tient tête aux hommes, elle ne cherche pas à séduire les hommes en se maquillant et en s'habillant de manière sexy, etc.). Ainsi, les personnages qui sont peut-être les moins souples par rapport à cette distribution des rôles, paraissent tout à coup plus fragiles face à Diana. Cette fragilité ou ce malaise s'expriment notamment par des phrases ambiguës ou provocantes. Ainsi, le père de Diana, qui dans une même scène refuse de lui donner de l'argent de poche pour ne pas qu'elle le gaspille en dépenses futiles (comme du rouge à lèvres) et lui reproche également de ne jamais porter de jupe, est exemplaire d'une vision de la femme particulièrement rigide et étroite. En gros, on pourrait dire qu'il pense que les femmes sont dépensières et coquettes, mais il attend également d'elles qu'elles soient féminines. (Entre la jupe, souhaitable, et le rouge à lèvres, à éviter, il n'y a guère de marge pour la liberté individuelle.) Ray, lui, tient des discours ambigus et difficiles à interpréter: «Tu sais danser» (en mimant les déplacements d'un boxeur sur un ring), «Laisse-toi aller! Sois un homme!», «On ne t'a jamais appris à être une dame» sont autant d'expressions un peu provocantes du malaise: face à une jeune femme qui ne se comporte pas comme il l'attend, Ray ne sait pas très bien comment réagir. Il la provoque alors un peu, en la traitant comme un homme et en la blâmant de ne pas être «une dame».
D'autres personnes se montrent au contraire beaucoup plus ouvertes par rapport à la définition «traditionnelle» des rôles masculins et féminins. Ainsi, Hector ne s'étonne guère que Diana veuille boxer et il accepte d'être son entraîneur. Quand Tiny se plaint de «passer pour une gonzesse», Hector répond: «Fais gaffe à ce que tu dis», comme s'il voulait mettre le jeune garçon en garde contre certaines idées reçues, comme «les filles sont faibles et fragiles» (mais on pourrait dire aussi qu'il le met en garde contre sa sur qui vient de faire la démonstration qu'elle sait cogner). En tout cas, Hector se montre plus ouvert à l'idée de l'égalité des sexes puisqu'il est favorable aux combats mixtes, contrairement à Cal, par exemple, qui y est tout à fait opposé [2].
Mais les différents personnages du film ne représentent pas que deux positions opposées face à l'égalité des sexes. Le film évoque aussi des phénomènes liés à l'évolution vers l'égalité des sexes. Ainsi, quand le vieil homme qui présente un débarras à Diana pour qu'elle en fasse son vestiaire lui dit: «il n'y a pas beaucoup de filles, ici; dans le quartier, c'est pas le genre avocats», cela signifie sans doute que dans le milieu des avocats, contrairement au monde des boxeurs, il y a beaucoup de filles. Et s'il y a beaucoup de filles parmi les avocats, c'est que sur le plan des capacités intellectuelles (contrairement au plan de la force physique), il n'y a pas de différences entre les filles et les garçons. Cela évoque alors le fait que, dans nos sociétés où le travail relève de plus en plus du secteur tertiaire, les femmes ont de plus en plus l'occasion d'être les égales des hommes ce qui, bien sûr, peut poser un problème à ces derniers [3].
Ainsi, le film va à l'encontre de certaines idées reçues en mettant en scène une jeune femme qui ne se comporte pas selon le rôle traditionnel féminin. Mais il va plus loin. Le film montre aussi des hommes dans un contexte ou faisant des gestes traditionnellement plutôt féminins. Par exemple, quand Diana et Adrian vont manger ensemble, c'est Adrian qui commande une soupe et une salade parce qu'il surveille son poids (pour rester dans sa catégorie) De la même façon, le film montre parfois le gymnase et le milieu des combats de boxe comme des lieux de douceur, voire de tendresse En effet, on y voit un homme masser un boxeur avec de la douceur, un arbitre toucher un boxeur dans un geste rassurant, presque paternel, et les entraîneurs du gymnase sont de bons vieux papys qui n'ont rien de managers agressifs. Par contre, le foyer familial peut être un lieu de violence (on comprend que Sandro battait sa femme, ce qui l'a poussée au suicide) ou manquer de la tendresse qu'on s'attend à y trouver (la compagne d'Hector dit à Diana qu'il ne voit pas souvent ses enfants). C'est donc à plusieurs niveaux que le film remet en question certaines idées reçues.
Commenter certaines scènes du film, comme on l'a proposé ici, permettra sans doute d'ouvrir le débat sur les rôles masculins et féminins. Les activités suivantes permettront sans doute de nourrir ce débat.
[1] En gros, la femme représente la douceur, la beauté, elle s'occupe des enfants et des travaux du ménage; l'homme représente la force, le courage, il travaille à l'extérieur et ramène l'argent du ménage, et à ce titre, c'est plutôt lui le «chef» du ménage. [Cliquez ici pour revenir au texte principal.]
[2] D'une manière générale, la position d'Hector est un peu mitigée sur ce plan. D'une part, il accepte d'être l'entraîneur de Diana (ce que Cal aurait sûrement refusé), d'autre part, il reconnaît qu'il ne le fait que parce que ça lui rapporte de l'argent («Il faut bien payer les factures»), comme s'il n'avait aucune ambition pour elle. À moins qu'il ne soit «gêné» par rapport à ce macho de Cal de reconnaître qu'il croit en Diana. Et en effet, après la victoire de Diana sur Adrian, Hector déclare que c'est la plus belle victoire de sa vie... [Cliquez ici pour revenir au texte principal.]
[3] Ainsi, quand Diana se montre, sur le plan physique, supérieure à un homme, en l'occurrence Adrian, celui-ci est bouleversé: la seule porte de sortie qu'il imaginait pour lui-même se referme brutalement. L'évolution vers l'égalité des sexes place alors les relations hommes-femmes et donc aussi les relations amoureuses sur le plan de la compétition.[Cliquez ici pour revenir au texte principal.]
Quelques scènes de Girlfight
* Dans la version originale, Ray dit: «You never learnt how to be a lady», ce que l'on pourrait traduire par «On ne t'a jamais appris à être une dame» |