Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Stand by Me
de Rob Reiner
USA., 1986, 1h30
Le dossier pédagogique dont on trouvera un extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront le film Stand by Me avec leurs élèves (entre onze et quinze ans environ). Il propose plusieurs animations à réaliser en classe pour aborder l'histoire racontée par le film ainsi que ses principaux thèmes. Il est complété par une analyse de l'esthétique du film.
Autour du feu dans la forêt, Chris, Vern et Teddy écoutent Gordie raconter une histoire mais lorsqu'il a terminé son récit, Vern et Teddy lui demandent «et alors ?», comme si l'histoire racontée était insuffisante ou incomplète. Et ils inventent aussitôt un autre dénouement.
Qu'est-ce donc qu'une histoire ? Quand peut-on considérer qu'elle est complète ? Quelles sont les parties indispensables d'un récit ? Comment et quand sait-on qu'un récit est terminé ? Stand by Me peut être l'occasion d'aborder sur le vif ces questions : la vision du film pourrait ainsi déboucher sur une compréhension plus large de la structure générale des récits, qu'ils soient littéraires, cinématographiques ou simplement oraux. Dans les pages qui suivent, nous essaierons de tracer quelques pistes pour mener à bien une telle analyse.
Il semble cependant peu indiqué de mener cette analyse de façon purement théorique, surtout avec de jeunes enfants. Nous proposerons donc un ensemble d'exercices qui permettront de mettre en jeu et en pratique les éléments d'analyse dégagés par ailleurs. Ce travail doit pouvoir être facilement abordé avec les élèves du cycle inférieur de l'enseignement secondaire.
L'ensemble de l'analyse constitue une séquence d'apprentissage sur la structure et la signification des récits, complétée par des exercices d'écriture : une telle séquence occupera facilement cinq ou six heures de cours.
Si le professeur juge cette démarche trop longue, il pourra cependant se contenter d'aborder l'un ou l'autre point de l'analyse, qu'il aura jugé plus intéressant ou mieux adapté à ses élèves.
Les premiers exercices proposés se fondent sur l'intérêt immédiat que le film aura suscité chez les enfants. Il s'agirait de rédiger le slogan du film et une nouvelle brève résumant l'argument du film. (Ces exercices sont tirés de J.-P. Goldenstein, Pour une lecture-écriture. Bruxelles, De Boeck, Duculot, 1985, p. 32-33). Quelques consignes permettent de guider ces différents types d'écriture.
Il s'agit simplement d'imaginer un slogan publicitaire vantant le film vu. L'accent doit être mis ici sur la brièveté : une vingtaine de mots tout au plus.
Il ne s'agit cependant pas de faire un résumé de l'histoire le slogan a une visée pragmatique, à savoir susciter la curiosité du public. L'attention des élèves doit être immédiatement dirigée sur la nécessité de prendre en compte cette volonté publicitaire d'impressionner ou d'intéresser des gens qui n'ont pas vu le film quels sont donc les éléments susceptibles de retenir l'attention ? Il y a l'histoire, mais aussi le climat, l'émotion, le décor, l'époque, autant d'aspects du film qu'il ne faut pas négliger.
Si cet exercice est retenu (1), la meilleure méthode est sans doute de procéder par échange d'idées dans des petits groupes de quatre ou cinq personnes comme la pratique même des publicitaires le confirme, l'originalité et l'efficacité des slogans naissent plus facilement de la confrontation et de la coopération des individus que d'une recherche solitaire, repliée sur elle-même.
Un des buts de cet exercice d'écriture est de faire apparaître la diversité des centres d'intérêt suscités par le film chez les élèves, et donc la diversité de leurs lectures : certains seront sans doute plus attirés par le côté «aventurier» de l'histoire, d'autres par l'aspect sentimental, d'autres encore par l'humour ou le dépaysement.
Les publicitaires se sont contentés de reprendre des extraits de presse. Il est évidemment plus intéressant et plus amusant d'inventer des slogans totalement neufs.
«Dans le langage journalistique, la brève est cette petite information d'une dizaine de lignes qui présente un événement selon l'immuable rhétorique du qui ? quoi ? où ? quand ? comment ? pourquoi ? avec quels résultats ? La brève n'est ni titrée, ni signée, mais les premiers mots de la phrase initiale, en italique ou en gras, permettent au lecteur de savoir de quoi il s'agit» (Goldenstein, op. cit., p. 33).
La lecture de quelques exemples de brèves tirées des journaux devrait précéder cet exercice pour permettre de dégager les règles d'écriture de ce genre de texte. Il faut d'abord dégager l'information essentielle qui sera mise en gras dans ce cas, sera-ce la découverte du cadavre, l'expédition des quatre enfants ou le conflit avec les aînés ? Cette information doit être complétée par des détails immédiatement en rapport avec elle, et former avec elle un ensemble cohérent. Enfin, le style de la brève doit être impersonnel (absence de pronoms personnels à la première ou à la seconde personne, de possessifs, etc.).
L'exercice est complexe et mérite discussion et réflexion en s en tenant aux données du film, le journaliste ne peut pas savoir par exemple que c'est Gordie et ses amis qui ont trouvé le cadavre puisqu'ils ont prévenu la police de manière anonyme. On peut néanmoins se donner la licence de conserver toutes les informations données par le film, même celles qui ne seraient pas connues du public.
Plutôt que de proposer une rédaction individuelle, il paraît plus rentable de travailler de manière collective en procédant par remaniements et améliorations d'une première ébauche cette démarche permettrait de révéler les erreurs (par exemple le recours au style personnel ou l'utilisation d'informations inutiles) et de les corriger immédiatement.
La vision du film ne laisse que des souvenirs plus ou moins périssables, propres à chaque individu. Si l'on veut procéder à une analyse approfondie de ce film, il faut nécessairement disposer d'un matériau plus stable, identique pour tous. Il est alors indispensable de faire le résumé du film.
Faire un résumé consiste à retenir l'information essentielle et à éliminer les détails accessoires. Mais toute la question est de faire la différence entre l'essentiel et l'accessoire. Il ne suffit pas de se fier à l'intuition de chacun et il faut donner aux élèves les moyens d'opérer cette distinction. Il existe en effet des règles du résumé (cf. notamment Liliane Sprenger-Charolles, «Le résumé de texte», Pratiques, n° 26, mars 1980, p. 59-90, dont nous nous inspirons).
1. La règle première, et sans doute fondamentale, du
résumé est de supprimer les informations qui ne permettent pas
d'interpréter une information ultérieure, ou qu'on ne peut pas
relier à une information ultérieure. Ainsi, on doit retenir le
fait que Chris a pris le pistolet de son père, puisqu'à la fin
du film, Gordie s'en servira pour défendre Chris. Par contre, le fait
que Gordie prenne une gourde dans la chambre de son frère peut
être supprimé puisque cette gourde ne jouera aucun rôle
ultérieurement («on n'en reparlera pas»).
Un résumé peut être plus ou moins court cette
règle peut donc être appliquée plusieurs fois de suite.
Dans un premier résumé (plutôt long), on retiendra que
Vern a emporté un peigne, puisqu'il le perdra plus tard sur le pont de
la voie ferrée, lorsqu'il sera poursuivi par le train. Dans un
résumé plus bref, l'événement «Vern a
emporté un peigne, qu'il perd sur le pont de la voie
ferrée» sera supprimé, puisque cet
événement n'a pas de conséquence ultérieure, ni
n'est lié à d'autres événements.
2. Une deuxième règle permet de supprimer les événements qui sont une cause, une conséquence, ou une composante normale d'un autre événement qui, lui, sera retenu. Par exemple, si l'on a la suite d'événements «Ace menace Chris, Gordie tire en l'air pour impressionner Ace, celui-ci a peur, il s'en va», on peut supprimer «pour impressionner Ace» qui est la cause évidente du geste de Gordie, et «Ace a peur» qui est également une cause évidente du départ du jeune homme.
3. Enfin, l'on supprimera un événement ou une série d'événements s'il est possible de trouver un événement dont les événements supprimés soient une cause, une conséquence ou une composante normale. Cette règle est très proche de la précédente, sauf qu'il faut ici construire un énoncé qui permettra de résumer une série d'énoncés plus longs. Ainsi la série «Les enfants s'engagent sur un pont du chemin de fer au-dessus d'une rivière. Au milieu du pont, Gordie aperçoit un train qui arrive. Il avertit ses compagnons. Ils se mettent à courir. Gordie pousse Vern. Chris et Teddy arrivent au bout du pont. Gordie et Vern sautent de côté pour échapper au train qui les talonne» peut être remplacée par «Sur un pont du chemin de fer, Gordie et ses compagnons s enfuient pour échapper à un train qui va les rattraper».
Les deux règles précédentes peuvent être elles aussi appliquées plusieurs fois pour obtenir un résumé de plus en plus bref. La série «poursuite chez le casseur, traversée du pont du chemin de fer, chute dans le marais, découverte du cadavre» pourrait ainsi donner le résumé le plus bref «Après plusieurs péripéties, Gordie et ses compagnons découvrent le corps de Ray Brower».
On remarquera que ces règles laissent certains choix ouverts : de deux événements liés entre eux, gardera-t-on la cause ou la conséquence (selon la deuxième règle) ? Résumera-t-on de la manière suivante «Gordie va chez un épicier» (en mettant l'accent sur le déplacement) ou bien «Gordie achète à manger» (en mettant l'accent sur le but) ?
Si certains choix restent ainsi ouverts (et si plusieurs résumés du même film sont donc possibles), il faut cependant que le résumé garde sa cohérence. Avant de commencer le résumé, il faut donc fixer son but, son terme essentiel, celui par rapport auquel on jugera de la cohérence de l'ensemble : dans Stand by Me, il faudra décider si l'événement essentiel, c'est la mort de Ray Brower, ou la découverte du corps par les quatre gamins, ou encore leur confrontation avec les aînés. Selon ce choix, on voit immédiatement que certaines séries d'événements deviennent secondaires et peuvent être supprimées dans un résumé : si l'on décide que l'événement central, c'est l'expédition de Gordie et de ses compagnons, tout ce qui arrive aux aînés devient aussitôt accessoire.
Les règles qui précèdent sont valables pour n'importe quelle sorte de texte, qu'il s agisse d'un roman, d'un conte, d'un exposé scientifique ou philosophique. Mais chaque genre de texte (fiction, philosophie, drame...) exige en outre le respect de certaines règles spécifiques pour que le résumé soit valide.
Dans le cas d'une histoire comme celle de Stand by Me, «on peut observer - et faire observer - que, sauf exception, les résumés présentent toujours les mêmes caractéristiques narratives :
Ces règles, qui paraissent évidentes à tout rédacteur "compétent", méritent d'être explicitées à de jeunes enfants qui ne peuvent d'eux-mêmes deviner l'existence de telles règles. Par ailleurs, elles supposent une première analyse du fonctionnement d'un film comme Stand by Me.
La règle a implique que les élèves soient capables de distinguer le temps de l'histoire et le processus de la narration le film ne raconte pas les événements dans l'ordre où ils se sont déroulés. Il faut donc reconstituer la série des événements réels, ou donnés comme tels dans la fiction, à partir de l'extraordinaire mélange que constitue la narration filmique.
Le film débute ainsi par la vision d'une voiture arrêtée où se trouve Gordie Lachance adulte avec, à côté de lui, le journal annonçant la mort de Chris Chambers s amorce alors un retour en arrière, une remontée dans le temps jusqu'à cette époque où Gordie et Chris étaient encore des gamins.
Les événements ne se sont pas déroulés dans cet ordre et le résumé devra rétablir une chronologie exacte : il débutera donc par la mort de Ray Brower, racontera l'expédition des quatre copains et terminera par l'évocation de Gordie Lachance devenu écrivain.
La règle b suppose que les élèves maîtrisent la notion de point de vue. L'histoire de Stand by Me suppose l'existence d'une ville, Castle Rock, d'un monde environnant et d'une série d'événements comme la mort de Ray Brower. Mais tous les personnages n'ont pas le même point de vue sur ces événements, tous n'ont pas la même connaissance de ce monde les policiers ne savent pas ce qu'est devenu Ray Brower; les aînés ne savent pas ce que font Gordie et ses copains.
Dans le film, le spectateur suit le plus souvent Gordie, partage donc son point de vue il ne saura rien, par exemple, des recherches entreprises par la police.
Mais, dans un résumé, il faut adopter le point de vue le plus large possible ("omniscient") et ne pas se limiter à ce que sait un seul personnage Gordie et ses compagnons ne se doutent pas ainsi que les aînés sont également partis à la recherche du cadavre. Dans un résumé, il faudra rapporter les deux séries d'événements.
La combinaison des deux règles a et b suppose donc que l'on rapporte les événements dans leur ordre chronologique sans tenir compte du fait qu'ils soient ou non connus des différents protagonistes un résumé commencera par la mort de Ray Brower et par l'explication de cette mort, même si le film débute, lui, par le récit de Vern racontant comment il a appris de façon détournée cette histoire.
La règle c, enfin, pose le problème des différents types de narration (ou encore des voix narratives) : qui parle ? qui raconte l'histoire ? Dans le film, c'est Gordie, devenu adulte, qui se rappelle ce qui lui est arrivé quand il avait une douzaine d'années. Dans son résumé, par contre, l'élève assumera nécessairement la voix narrative :la règle veut cependant qu'il ne manifeste pas sa présence et qu'il renonce donc à l'emploi de la première personne et à toutes les marques de cette personne (au contraire de Gordie).
Cette dernière règle pose peu de problèmes et sera sans doute appliquée spontanément par la plupart des élèves. Mais sa simple explicitation permet d'attirer l'attention sur certaines techniques importantes de la narration.
On remarquera par exemple que ce n'est pas toujours la même personne qui raconte : si c'est le plus souvent Gordie qui parle, Vern, puis Chris, interviennent à leur tour et évoquent des événements qu'ils sont seuls à connaître (pour Vern, la conversation entre son frère et un copain au sujet de la découverte du corps de Ray Brower; pour Chris, l'histoire de l'argent du lait volé et restitué).
Par ailleurs, il est important de préciser avec exactitude la personne du narrateur : dans Stand by Me, il s'agit, pour la plus grande part, de Gordie, mais Gordie adulte et devenu écrivain. Gordie enfant n'a pas pu savoir ce que faisaient les aînés, pendant que les enfants marchaient sur la voie ferrée mais Gordie adulte a pu reconstituer les faits et gestes des aînés qui apparaissent alors de manière plausible dans le film (quand ils renversent des boîtes aux lettres, ou quand ils font une course en voiture). Gordie écrivain en sait donc plus et en raconte plus que Gordie enfant. (À défaut de faire cette distinction, on considérera qu'il y a une infraction à l'adoption d'un point de vue subjectif comme l'a cru un des critiques du film dont le texte est paru dans le journal La Cité du 19 janvier 1987).
On trouvera ci-dessous un découpage du film qui, contrairement à un résumé, reprend toutes les séquences du film. Il s'agit essentiellement d'un outil de travail pour se remémorer l'un ou l'autre passage dont on ne se souviendrait plus.
Stand by Me : découpage
[2] Voix off : voix d'un personnage qui n'apparaît pas à l'écran en train de parler. |
Le résumé n'est pas une activité spontanée et suppose un début d'analyse du texte (filmique ou romanesque) pour distinguer ce qui est essentiel de ce qui est accessoire. Mais, en même temps, l'analyse a besoin d'un résumé pour ne pas travailler sur un matériau immaîtrisable comme les souvenirs ou un volume de cinq cents pages.
Résumé et analyse doivent ainsi déboucher sur une compréhension plus profonde de la structure des récits dont on a déjà dégagé quelques éléments (la distinction entre le temps de l'histoire et celui de la narration, le choix du point de vue et enfin, la voix narrative).
L'étude des modèles narratifs (c'est-à-dire la manière dont s'organisent les séquences du récit) avec de jeunes enfants ne saurait avoir pour but la construction d'un schéma plus ou moins abstrait (inspiré des théoriciens de la "narratologie"), mais doit déboucher sur une meilleure compréhension du texte, en permettant d'abord de distinguer dans la complexité de ce texte ce qui est essentiel et ce qui est accessoire, et en montrant ensuite que, dans un récit, les événements ne se succèdent pas comme des morceaux isolés et détachés les uns des autres, mais entretiennent entre eux des rapports de signification qu'un lecteur ou un spectateur inexpérimenté risque de négliger.
Intuitivement, le spectateur devine quand le film est terminé, le lecteur pressent que son livre touche à sa fin (indépendamment du nombre de pages qui lui restent à lire). Pour qu'un récit soit réussi, il ne suffit donc pas de raconter n'importe quoi, de couper au hasard dans le flux temporel une série d'événements qui se succèdent.
Le spectateur qui ne verrait que la première moitié de Stand by Me, ou seulement la seconde, jugerait immédiatement que le film est incomplet. Comment reconnaît-on alors que le film a un début, un milieu et une fin ? Comment devine-t-on que l'histoire est entamée ou achevée ?
Il suffit ici de partir de l'expérience des jeunes spectateurs et de leur demander de déplacer imaginairement le début et la fin du récit. Est-ce que le film aurait pu commencer plus tard (ou même plus tôt) ? Est-ce qu'il aurait pu se terminer plus tôt (ou même plus tard) ? Qu'est-ce qu'on aurait pu couper dans le film ?
Il est important de disposer ici du résumé du film qui doit, comme on l'a vu, restituer les événements dans leur ordre chronologique. On tombera facilement d'accord sur le fait qu'il y a deux grandes parties dans cette histoire, celle où Gordie apparaît enfant (qu'on désignera comme l'histoire I), et celle où il est devenu un adulte (histoire II).
Peut-on à présent séparer ces deux parties ? L'histoire du jeune Gordie et de ses compagnons peut sans doute être racontée isolément. Par contre, l'histoire de Gordie adulte apparaîtra certainement comme incomplète si on ne la relie pas à la précédente autrement dit, l'histoire I est une partie indispensable de l'histoire Il, alors que l'inverse n'est pas vrai. On peut représenter cette situation de la manière suivante :
Si l'on efface l'histoire II, l'histoire I reste complète; mais si l'on efface I, l'histoire II est incomplète, elle présente un "trou".
On peut donc diviser la tâche et commencer par analyser l'histoire I de manière isolée, en reposant les mêmes questions quand débute cette histoire ? quand s'achève-t-elle ?
Pouvait-on terminer le film (ou plus exactement l'histoire) avant la découverte du corps de Ray Brower ? ou juste après cette découverte, mais avant la confrontation avec les aînés ? ou sans raconter le retour à la petite ville de Castle Rock ? Chacune de ces suppositions mérite d'être discutée et aura sans doute ses partisans et ses détracteurs.
Il faudra donc expliciter les raisons de chacun, et comprendre pourquoi tel événement est ressenti (ou non) comme le début ou le terme de l'histoire. La discussion fera certainement apparaître que l'événement n'a pas d'importance en lui-même, mais qu'il reçoit son sens ou sa fonction de ses liens avec les événements postérieurs ou antérieurs
Examinons d'abord la fin de l'histoire : où se situe-t-elle ?
La découverte du corps de Ray Brower apparaîtra sans doute à tout le monde comme indispensable à la cohérence du récit, car c'est le but que se sont fixé les enfants dès le début du film.
Le cas de la confrontation avec les aînés est plus complexe.
Admettons que l'histoire se soit interrompue juste après la découverte du corps : beaucoup de spectateurs auraient sans doute considéré que le film était achevé, puisqu'ils ne pouvaient soupçonner les événements ultérieurs. Néanmoins, certains spectateurs plus attentifs auraient peut-être remarqué que certaines pistes ouvertes par le film n'étaient pas refermées on nous avait en effet prévenus à plusieurs reprises que les aînés étaient eux aussi à la recherche du cadavre. Sans la confrontation finale, le spectateur se serait donc demandé ce que ces aînés étaient devenus.
On voit ainsi qu'il y a deux histoires, une principale (n° 1) et une secondaire (n° 2), qui se déroulent parallèlement et se rejoignent à la fin.
On vient de voir que Stand by Me est composé de plusieurs histoires, parallèles les unes aux autres, emboîtées les unes dans les autres. A l'intérieur de chacune de ces histoires, quelles sont à présent les différentes étapes ? quelles sont les différentes parties indispensables au récit ?
Il est sans doute plus facile, pour répondre à ces questions, de considérer une seule histoire et, plus particulièrement, celle de la recherche du corps de Ray Brower par les quatre enfants.
Il faudrait d'abord déterminer, par la discussion, le début et le terme de cette histoire quand l'action s'engage-t-elle ? quand se termine-t-elle ? Il faut attirer l'attention des élèves sur le fait qu'il s'agit de déterminer, non pas le début et la fin chronologique des événements, mais les noeuds indispensables à la compréhension de l'histoire si l'on fait débuter l'histoire après tel ou tel événement, le récit devient incompréhensible.
Le fait que Gordie, Teddy et Chris jouent aux cartes dans la cabane n'est pas nécessaire à la suite de l'histoire. Par contre, le récit, que leur fait Vern, de la conversation qu'il a surprise entre son frère et un de ses amis, est indispensable pour comprendre comment les quatre enfants ont su où se trouvait le corps de Ray Brower. La découverte du corps constitue naturellement la fin de cette action.
Restent toutes les étapes intermédiaires la traversée du pont du chemin de fer, l'arrêt chez le casseur, l'arrivée dans le marais, etc. Tous ces épisodes étaient-ils indispensables ? Est-ce que le film serait resté cohérent si on avait supprimé l'histoire de la poursuite sur le pont du chemin de fer ou l'épisode qui se passe chez le casseur ? Inversement, quel est l'épisode, l'événement indispensable pour qu'il y ait une histoire ?
La discussion peut se baser ici sur la connaissance du début et de la fin de l'histoire (qui viennent d'être dégagés), mais également sur les différentes versions du résumé quel est le résumé le plus court possible ?
On tombera sans doute assez facilement d'accord sur le fait que les événements intermédiaires constituent autant d'étapes dans la recherche du disparu le voyage, le déplacement des enfants de Castle Rock à l'endroit de l'accident représentent l'événement indispensable pour que l'histoire soit cohérente. Il y a donc au minimum, dans l'histoire de Stand by Me, trois étapes essentielles au déroulement du récit.
On remarquera immédiatement que l'histoire des aînés comporte les mêmes étapes :
1) les aînés apprennent où se trouve le corps de Ray Brower;
2) ils partent à sa recherche;
3) ils ne peuvent "s'approprier" le corps devant la résistance des enfants.
Peut-on à présent généraliser cette analyse basée sur l'histoire de Stand by Me ? Pourquoi les trois étapes qui viennent d'être distinguées forment-elles un tout cohérent ? Quelle est la logique qui relie ces trois étapes en une unité significative ?
On voit immédiatement que ces trois étapes comportent des éléments communs : on retrouve chaque fois les enfants et le corps de Ray Brower. Les enfants constituent naturellement les héros ou les personnages de l'histoire (qu'on symbolisera comme P), tandis que le corps de Ray Brower ne constitue qu'un objet inanimé, incapable évidemment de toute action pendant le film (on le symbolisera comme l'objet O).
Abstraitement, les trois étapes se présentent à présent sous la forme suivante :
On pourrait appeler ce schéma le modèle de la recherche ou, en termes plus savants, de la quête. Sur ce modèle, chacun pourra construire rapidement une histoire, qu'elle soit réaliste, féerique, fantastique ou d'aventures P peut ainsi désigner un explorateur à la recherche d'un trésor caché, une abeille qui part à la conquête d'une fleur merveilleuse, une sorcière qui veut retrouver son balai magique disparu, etc.
D'autres films vus, d'autres textes lus peuvent également être convoqués ici et fournir des points de comparaison.
L'histoire des aînés, comparée à celle des enfants, montre immédiatement que la dernière étape peut être positive ou négative les enfants prennent (symboliquement) possession du cadavre tandis que les aînés y renoncent. Il est évident que le même choix existe au second moment de l'histoire : au lieu de partir à la recherche du corps, les enfants renonceraient à cette expédition, car elle comporterait trop d'obstacles ou de risques.
La séquence de la traversée du marais se présente d'ailleurs sous cette forme : les enfants veulent traverser le marais, car le chemin est plus court (I), mais ils doivent renoncer à leur expédition, car le marais est trop profond et rempli de sangsues (II); la troisième étape (III) est évidemment absente.
Le schéma se présente donc sous la forme suivante
Le schéma se présente maintenant sous une forme plus générale. Il reste néanmoins un terme concret "partir à la recherche". Il s'agit d'un verbe désignant une action on pourrait donc remplacer ce verbe par n'importe quel autre verbe d'action. On obtiendrait alors le schéma abstrait
On voit immédiatement la logique de ce modèle abstrait (inspiré, on le voit, de Claude Bremond et de sa Logique du récit, Paris, Seuil, 1973) qui explique pourquoi l'histoire de Stand by Me doit comporter trois étapes pour être ressentie comme complète. (Elle aurait pu n'en comporter que deux si la seconde avait été un renoncement à l'action II,b).
Pour qu'il y ait une histoire, un récit, il ne suffit pas qu'il y ait une action, il faut qu'il y ait un développement de l'action en trois étapes. La dernière partie du film, où Gordie adulte apprend la mort de Chris, est jugée insuffisante parce qu'elle ne comporte qu'une seule action ("apprendre une nouvelle"). L'histoire de la recherche du corps de Ray Brower et celle de l'annonce de la mort de Chris adulte forment cependant un récit complet (cf. plus haut C,1) puisqu'on retrouve facilement les trois étapes Chris et Gordie sont ensemble (quand ils sont enfants), ils "commencent" à se séparer à leur retour à Castle Rock (après la découverte du cadavre), ils sont définitivement séparés par la mort (quand ils sont devenus adultes).
On peut d'ailleurs lire la dernière séquence de manière différente, en y intégrant le retour en arrière la mort de Chris Chambers rappelle à Gordie Lachance son enfance, il se souvient de l'expédition avec Chris, il achève de se souvenir et rejoint ses enfants.
Schématiquement :
I. occasion de se souvenir;
II. le souvenir;
III. fin du souvenir.
Ce modèle en trois étapes ne doit pas être asséné de façon théorique et magistrale aux élèves, mais plutôt être dégagé à partir des discussions autour du film et de sa construction (comme on l'a fait ici). Son intérêt est de montrer aux enfants qu'une histoire n'est pas faite d'éléments hétéroclites, mais répond à une certaine logique qui donne sa cohérence au texte.
Armés de ce schéma, ils pourront ensuite aborder d'un oeil neuf d'autres textes, dans lesquels ils distingueront beaucoup plus facilement ce qui est essentiel de ce qui est accessoire et dont ils retrouveront aisément le fil conducteur au lieu de se perdre dans des détails peu fonctionnels).
Le schéma des séquences d'un récit n'est pas un but en soi, mais doit permettre une meilleure compréhension des textes.
Gianni Rodari propose, dans sa Grammaire de l'imagination (Paris, Messidor, 1979), d'inventer un conte à partir de la structure d'un autre conte. Ce procédé permet à la fois d'exploiter les ressources imaginaires des élèves et de montrer par la pratique l'intérêt d'une analyse structurale.
La première étape consiste à réduire l'histoire à ses fonctions essentielles. Stand by Me (du moins la partie située dans l'enfance des personnages) peut se résumer ainsi :
Quatre copains apprennent où se trouve le corps d'un jeune homme disparu. Ils partent à sa recherche. Sur leur route, ils affrontent la colère d'un casseur et son chien, traversent en courant le pont du chemin de fer, tombent dans un marias et doivent rebrousser chemin. Ils trouvent finalement le corps.
Mais pendant ce temps, la bande des aînés fait le même projet et part par un autre chemin à la recherche du cadavre. Ils tombent nez à nez avec les quatre copains.
Ceux-ci sortent vainqueurs de l'affrontement.
Ensuite, on réduit encore ce résumé à une formule plus abstraite en remplaçant le nom des personnages et des lieux par des symboles
A apprend ou se trouve B. A part à la recherche de B. Sur sa route, A affronte la colère de C, il traverse l'endroit D dangereux, mais doit renoncer à prendre le raccourci E, impraticable. Il trouve B.
Mais pendant ce temps, F part aussi à la recherche de B. F prend un autre chemin et tombe nez à nez avec A. A triomphe dans l'affrontement final avec E.
Il suffit maintenant que les élèves donnent à cette formule abstraite un nouveau contenu. Cette histoire de garçons pourra ainsi devenir une histoire de filles. Le réalisme céderait la place à la science-fiction ou au fantastique. L'histoire contemporaine retournerait dans le passé, etc.
Tous les récits ou, au moins, la plupart d'entre eux présentent la même structure dont on vient de rappeler le schéma en trois grandes étapes.
Mais chaque texte, chaque roman, chaque film utilise cette structure générale de manière spécifique et lui donne un sens particulier, ce qui fait que le lecteur ou le spectateur n'a jamais l'impression de voir la même histoire. Il s'agit donc maintenant de montrer aux élèves qu'au delà de la simple histoire, il est possible de dégager un sens spécifique dans un film comme Stand by Me.
Ici aussi, l'on partira des impressions des jeunes spectateurs et d'une discussion autour du film celui-ci leur a-t-il plu ? Pourquoi ? Est-ce un film gai ou triste ? Sur quels éléments peut-on fonder son jugement pour dire que le film est plutôt gai ou plutôt triste ? Est-ce un film optimiste ou pessimiste, comique ou sérieux, angoissant, émouvant ou distrayant ? Sur quels éléments peut-on de nouveau fonder son jugement ?
Ce petit sondage d'opinion ne manquera pas de faire apparaître des différences d'appréciation et de susciter des discussions le but du professeur sera alors d'essayer de fonder ces jugements sur des éléments objectifs et de fournir un système d'interprétation valide.
Une première étape devrait amener les élèves à ne plus aborder seulement des séquences isolées, mais à considérer l'ensemble du film et son sens général, à découvrir donc le fil conducteur sous-jacent à un maximum de séquences. Un film optimiste n est pas un film qui présente quelques séquences gaies, mais celui qui, du début à la fin, raconte un processus d'amélioration". Pour juger du sens du récit, il faut donc comparer la situation de départ et celle d'arrivée (et éventuellement les intermédiaires).
Stand by Me est composé, on l'a vu (C,1), de plusieurs histoires enchâssées les unes dans les autres le sens du film risque donc de se transformer si l'on considère plutôt l'une ou l'autre de ces histoires.
Analysons d'abord la période de l'enfance et comparons la séquence initiale à la situation finale de cette période, à savoir, d'une part, l'épisode du jeu de cartes dans la cabane et, d'autre part, le retour à Castle Rock. Il faut trouver à la fois ce qui est commun à ces deux séquences et surtout ce qui a changé. Entre la situation initiale et la situation finale, quel est l'élément (ou les éléments) qui s'est transformé (ou qui se sont transformés) ?
En fait, diverses réponses sont possibles.
Il y a d'abord la découverte du corps de Ray Brower avant, Gordie n'avait jamais vu de cadavre; après, il en a vu un. (Signification 1 : ne pas voir un mort voir un mort).
Mais, au retour à Castle Rock, Gordie dit aussi que la ville leur parut plus petite. La ville, bien entendu, n'a pas changé, mais ceux qui la regardent sont transformés ils ont grandi "moralement". (Signification 2 : être petit être grand).
La dernière séquence montre également les enfants qui se séparent et rentrent chez eux, alors que la première montre les trois copains jouant aux cartes et rejoints par Vern. L'histoire raconte donc une aventure vécue ensemble, suivie d'une séparation. (Signification 3 : ensemble séparés).
Reste alors la période adulte où l'on apprend que Chris Chambers est devenu, non pas un mauvais garçon (comme on l'avait prédit), mais un avocat et qu'il a été tué d'un coup de couteau en voulant s'interposer dans une bagarre. On tombera facilement d'accord pour dire que du moment initial au moment final de cette période, on passe de la vie à la mort.
Mais est-il possible de relier cette période à celle de l'enfance et donc de trouver un sens commun à l'ensemble de l'histoire ?
Est-il ainsi possible de retrouver une signification analogue à la signification i dans la période "adulte" ? Y retrouve-t-on cette expérience de "voir un mort" ? Pas exactement, mais Gordie apprend par le journal la mort de Chris Chambers autrement dit, dans son enfance et à l'âge adulte, Gordie est, disons, confronté à un mort, il fait l'expérience de la mort. Et c'est cette expérience qui unifie les deux récits et donne son sens à tout le film.
De la même façon, est-il possible de retrouver la signification 2 dans la période "adulte" ? Est-ce que, dans cette séquence où Gordie apprend la mort de Chris, il devient plus "grand" ? Le rapport est ici moins évident, et les élèves ne seront peut-être pas capables de l'établir spontanément.
Sans vouloir forcer la comparaison, on peut cependant avancer que, pour un adulte, "devenir plus grand" n'est plus possible, et ne peut signifier que "devenir plus vieux" : l'enfant grandit, l'adulte vieillit. Si cette analogie est reconnue (il ne faut évidemment pas l'imposer aux jeunes spectateurs, mais seulement la suggérer), la mort de Chris Chambers signifierait que Gordie Lachance se sent vieillir, de la même façon que la découverte du corps de Ray Brower des années auparavant lui avait fait éprouver l'impression que la ville de Castle Rock était plus petite et donc qu'il était en train de grandir.
Autrement dit, les deux fois, l'expérience de la mort mûrit le personnage ou, si l'on veut, lui fait éprouver son vieillissement. Schématiquement, on peut résumer cette analogie sous la forme
Enfin, il est facile de retrouver la signification 3 (ensemble - séparés) dans la séquence "adulte". Celle-ci nous dit en effet que Chris Chambers (après l'épisode de la recherche du corps de Ray Brower) n'est pas devenu un mauvais garçon, comme on l'avait prédit, mais qu'il a entrepris des études comme Gordie et qu'il est devenu avocat Gordie et Chris sont donc restés ensemble, et leurs trajectoires sociales n'ont pas divergé. Puis Chris adulte s'est interposé dans une bagarre et a été assassiné. Cette mort sépare évidemment les deux amis. Les deux épisodes dans l'enfance et à l'âge adulte présentent donc la même signification, celle du passage de "être ensemble" a "être séparé".
Ce type d'analyse où l'on compare la première et la dernière séquence d'une histoire, permet de dégager de façon plus objective le sens d'un récit qu'une approche intuitive basée sur des impressions éparses. Cette analyse permet également, comme on vient de le voir, de comparer les différentes parties d'un récit et d'en dégager le sens commun (ou les significations communes) un romancier, un conteur, un cinéaste ne se contentent pas de raconter une histoire linéaire, ils établissent des similitudes, des analogies, des rapports de signification entre les différents morceaux de cette histoire.
Cet outil d'analyse, qu'il est important que les élèves possèdent, permet d'aborder un grand nombre de récits. Dans le cas de Stand by Me, on pourrait par exemple demander aux élèves, après avoir expliqué et utilisé collectivement cette démarche, de l'appliquer à un morceau de l'histoire qui n'a pas encore été analysé, le récit des rapports entre Gordie et son frère aîné décédé est-il, ici aussi, possible de retrouver les trois grandes significations précédemment dégagées ?
Le type d'analyse proposé ici, basé sur une comparaison entre la première et la dernière séquence d'une histoire, permet de dégager le sens général de cette histoire. Restent toutes les séquences intermédiaires.
Dans les récits les meilleurs, ces étapes intermédiaires ne font pas seulement office de remplissage, mais sont également porteuses de signification. Mais de jeunes spectateurs, tout occupés par le déroulement du récit, risquent de manquer ces éléments de signification. Ce sera au professeur de proposer aux élèves de revenir sur leur vision spontanée du film et de leur proposer un outil d'analyse pour appréhender ces significations.
Cet outil consistera encore une fois à comparer les différentes séquences pour en repérer à la fois les points communs et les points de divergence (au lieu de considérer seulement des séquences isolées sur lesquelles on peut à la fois tout dire et ne rien dire).
On pourrait ainsi demander aux jeunes spectateurs de repérer les actions qui se répètent sous une forme identique ou légèrement différente, en se basant sur un résumé ou sur le synopsis fourni ci-dessus. Le professeur peut orienter plus précisément cette recherche en suggérant à différents groupes d'élèves de s'attacher à tel ou tel thème par exemple, au début du film, Vern veut rejoindre ses copains dans la cabane, mais a oublié le mot de passe. Cette scène se répète-t-elle sous une forme ou sous une autre ? Vern oublie-t-il encore d'autres choses ? D'autres personnages se signalent-ils par de semblables oublis ?
Autres exemples au début de l'expédition, Teddy reste sur la voie de chemin de fer quand un train arrive et prétend l'esquiver au dernier moment. Cette scène se répète-t-elle avec le même personnage ? avec d'autres personnages ? sous une forme différente ?
On peut poser les mêmes questions au sujet de la traversée du pont de chemin de fer au-dessus de la rivière ou de la rencontre finale avec les aînés.
La recherche pourrait aussi s'orienter vers les rapports entre les quatre jeunes héros qui va avec qui ? qui fait quoi ? réagissent-ils tous de la même manière ? y a-t-il une évolution dans leurs réactions ?
A partir des différentes observations recueillies dans la classe, il devrait être possible de repérer quelques grands thèmes du film et de montrer que différentes séquences s'organisent autour d'une même signification.
Sans préjuger des réactions des élèves, on remarquera par exemple que les scènes de fuite se répètent plusieurs fois fuite de Chris et Gordie quand ils tirent accidentellement un coup de feu, fuite de Gordie poursuivi par le chien du casseur, fuite des quatre enfants devant le train sur le pont de la rivière, fuite de Vern et Teddy lors de la rencontre avec les aînés.
Pareillement, la scène où Teddy affronte le train permet de repérer un autre thème très présent dans le film le face-à-face, la confrontation. Premier face-à-face de Teddy et du train, face-à-face avec les aînés, face-à-face avec la mort ("il me fallait voir ce cadavre" dit Gordie). Très significative également est la scène où les aînés en voiture refusent de céder le passage à un camion qui vient en face cette scène prouve le courage un peu fou de Ace Merril (le "chef" des aînés) et s'oppose à la confrontation finale avec les gosses où c'est Ace précisément qui sera obligé de céder.
Le professeur fera facilement remarquer que le comportement de fuite est l'inverse de la confrontation et donc que la plus grande partie du film s'organise autour de ce double thème : faut-il fuir ? faut-il rester et faire face ? On peut alors relire chaque scène en fonction de ce thème et en tirer la signification : quand Teddy veut "esquiver" le train, ce face-à-face risqué prouve qu'il est une "tête brûlée", car la fuite est le comportement normal face à un train, comme le prouve ultérieurement la scène du pont.
Enfin, lors de la confrontation avec les aînés, Chris et Gordie restent en place, alors que Vern et Teddy s'éclipsent : eux seuls font donc preuve de courage au moment décisif, alors que Teddy montre uniquement une témérité déplacée et que Vern fuit très généralement.
La confrontation avec les aînés fournit par ailleurs un thème annexe à celui de la fuite et de la confrontation. Teddy et Vern s'enfuient et Chris reste seul face à Ace, jusqu'à ce que surgisse Gordie, armé du pistolet : autrement dit, Chris et Gordie se soutiennent mutuellement, ils se tiennent côte à côte. Comme le titre l'indique, il y a là un autre thème Stand by Me, "reste avec moi".
Ici aussi, il est facile de repérer la constance de ce thème. Ainsi, toutes les séquences avec le frère aîné de Gordie montrent un "côte à côte", le soutien que ce frère apportait à Gordie, notamment dans la confrontation avec les parents (quand l'aîné affirme par exemple que "Gordie écrit comme un chef"). On retrouve la même situation de "côte à côte" entre Gordie et Chris lors de la veillée dans la forêt où ils échangent leurs souvenirs malheureux.
Le thème se présente également sous une forme inversée, celle où le personnage "ne peut pas compter sur quelqu'un", où "quelqu'un ne reste pas" avec le personnage, c'est-à-dire s'absente, disparaît, meurt ou trahit. Disparition de Vern et Teddy lors de la confrontation avec les aînés, mort du frère de Gordie, trahison de la maîtresse d'école dans l'affaire du lait où est impliqué Chris. A ce "manque", succédera d'ailleurs chaque fois une situation de côte à côte où se prouve l'amitié (essentiellement de Chris et Gordie).
Sous une forme schématique, on peut résumer ces quatre grands thèmes, organisés deux par deux, de la manière suivante :
Les différentes séquences du film tournent autour des mêmes thèmes; mais chaque séquence organise ces thèmes de manière spécifique. Quand les thèmes ont été repérés, il faut donc opérer une relecture de chaque séquence pour en dégager le sens propre.
On verra facilement que tout le début du film montre la fuite des quatre enfants devant des éléments plus forts qu'eux, ou la confrontation absurde de Teddy avec le train, ou encore la trahison et l'absence de personnages susceptibles d'aider Chris ou Gordie (la maîtresse d'école, le frère aîné). Par contre, à la scène finale, on assiste à la confrontation des aînés avec les enfants et au côte-à-côte de Chris et Gordie dans cette épreuve à ce moment décisif, le côte à côte dans la confrontation prouve évidemment l'amitié essentielle de Chris et Gordie.
Cette relecture approfondie montre l'extraordinaire cohérence d'un film comme Stand by Me, dont les différentes séquences sont des variations autour des mêmes thèmes. Il faut donc apprendre aux élèves à lire, mais aussi à relire un texte pour en apercevoir les multiples significations qui, de prime abord, échappent au spectateur.
Ce travail d'interprétation peut encore être poussé plus loin. Stand by Me pose en effet une série d'énigmes qui ne peuvent être immédiatement résolues. Par exemple, après la scène du marais et des sangsues, Gordie affirme qu'il lui fallait absolument voir le cadavre de Ray Brower et il refuse de renoncer à l'expédition. Ensuite, après la confrontation avec les aînés, les quatre enfants renoncent à emporter le corps et téléphonent de façon anonyme à la police, alors que toute l'expédition avait été entreprise pour la gloire d'être les premiers à découvrir le disparu. Tous ces faits restent inexpliqués.
Les élèves proposeront sans doute spontanément l'une ou l'autre explication, mais il faudra ici aussi montrer qu'une interprétation n'est valide que si elle s'appuie sur un ensemble d'éléments textuels, et non pas seulement sur des intuitions personnelles ou sur un bon sens plus ou moins partagé.
L'affirmation de Gordie, qui veut absolument voir le corps de Ray Brower et aller jusqu'au bout de l'expédition, pourrait ainsi être mise en relation avec la scène de la découverte du cadavre où Gordie précisément se met à pleurer et s'adresse au mort comme s'il s'agissait de son propre frère ("Pourquoi il a fallu que tu meures ?" dit-il notamment).
On peut en conclure que Gordie identifie les deux morts et que, pour lui, voir le corps de Ray Brower équivaut à retrouver son frère disparu. Comme son frère lui manque, il est logique qu'il veuille à tout prix aller jusqu'au bout de l'expédition et retrouver le corps de Ray Brower.
Après cette scène pourtant, il renonce, comme ses compagnons, à ramener le cadavre. Comment peut-on interpréter cet abandon après ces retrouvailles étranges ?
Trois événements surviennent à ce moment. Gordie pleure; il s'adresse au mort et lui fait presque des reproches; et il y a enfin l'affrontement avec les aînés qui, finalement, renoncent à leur projet.
Les pleurs de Gordie peuvent être reliés à une autre séquence, le bivouac dans la forêt où Gordie avait confié à Chris que, précisément, il n'avait pas pleuré à l'enterrement de son frère. Autrement dit, son chagrin qui était resté muet jusque-là, ne s'exprime qu'au moment où il est confronté au cadavre de Ray Brower.
Les pleurs expriment le chagrin, les paroles expriment l'incompréhension, sinon un reproche atténué ("Pourquoi il a fallu que tu meures ?"). La mort, on l'a remarqué précédemment, est une forme de disparition, de manquement à l'injonction Stand by Me.
Ces paroles, comme les pleurs, auraient dû être dites à l'enterrement du frère aîné, et le silence de Gordie, qui ne parvient pas à s'exprimer, le marque comme une tare : on se souviendra de ses propres paroles à Chris sur la voie de chemin de fer (juste après l'incident du casseur) quand il lui demandait "Est-ce que je suis bizarre ?".
Autrement dit, pleurer, exprimer sa douleur, dire ce qui n'a pas été dit jusque-là permet à Gordie d'abandonner le cadavre qu'il identifie à son frère, d'en faire, si l'on veut, son deuil après lui avoir parlé une dernière fois, il peut y renoncer.
Enfin, l'affrontement avec les aînés lui permet d'éprouver le côte à côte avec Chris, de souder son amitié avec lui et donc de remplacer les liens disparus avec son frère décédé.
Schématiquement, on peut représenter cette analyse de la façon suivante :
Restent la mort de Chris Chambers et les réactions de l'écrivain Gordie Lachance. Enfant, après la mort de son frère, il est parti à la recherche du cadavre de Ray Brower, substitut de son frère et, après l'avoir retrouvé, c'est-à-dire avoir pleuré et exprimé son désarroi, il a pu l'abandonner" et revenir vers la vie normale à Castle Rock.
Or, l'écrivain va accomplir le même chemin à l'annonce de la mort de Chris Chambers, même si cette fois-ci, son parcours est seulement imaginaire.
Pour accepter la mort de son ami, il va entreprendre un voyage dans le passé et raconter, en tant qu'écrivain, ce qu'il a vécu avec Chris enfant. Cette histoire qu'il n'a jamais dite, qui n'a jamais été sue (puisque la police a été prévenue anonymement), il l'exprimera et il pourra ainsi admettre la mort de Chris et revenir, d'une certaine manière, à la vie : à la fin du film, on le voit éteindre l'écran de son ordinateur, puis sortir et rejoindre ses enfants.
Le schéma de la séquence "Gordie Lachance adulte" est ainsi exactement parallèle à celui de la séquence "Gordie enfant" :
L'interprétation est ici plus hasardeuse (parce que se basant sur moins d'éléments) et mérite d'être discutée avec les élèves. Elle repose en particulier sur une réaction psychologique complexe le fait de se taire, de ne pas exprimer sa douleur rendrait le personnage incapable de surmonter la mort de son frère, et donc de continuer à vivre "normalement". Et au contraire, l'expression, la parole permettrait à l'individu de se "libérer", d'oublier ou d'abandonner (imaginairement) le frère décédé.
Toute une discussion est ici possible et les réactions personnelles
de chacun sont les bienvenues. Comment chacun réagit-il aux
événements désagréables ? les oublie-t-il
rapidement ? le fait de se taire fait-il qu'on y pense tout le temps ?
préfère-t-on en parler ? etc.
1. Il est clair que les travaux proposés ici n'ont de sens que si Stand by Me a rencontré l'intérêt des élèves.