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Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Sleepy Hollow
de Tim Burton
USA, 1999, 1h45

Le dossier pédagogique dont on trouvera un extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront le film Sleepy Hollow avec leurs élèves (entre quatorze et dix-huit ans environ). Il contient plusieurs animations qui pourront être rapidement mises en œuvre en classe après la vision du film.

Le jeu des ambiguïtés
dans Sleepy Hollow

On a déjà montré, dans les animations précédentes, l'importance des ambiguïtés dans Sleepy Hollow. Toute l'intrigue du film repose d'ailleurs sur une ambiguïté fondamentale: les meurtres ont-ils une origine naturelle, comme le croit Ichabod au début, ou bien surnaturelle comme l'affirment les notables du village? La réponse sera elle-même double puisque le cavalier est incontestablement un être surnaturel mais qu'il obéit à un personnage, madame Van Tassel, bien vivant et guidé par des motifs prosaïques (se venger, capter un héritage). Ce thème de l'ambiguïté, qui caractérise tout le genre fantastique[1] de manière plus ou moins marquée, constitue ainsi une voie d'accès privilégiée à un film comme Sleepy Hollow.

Objectif

  • Comprendre la spécificité du genre fantastique qui articule de manière indissoluble les dimensions naturelle et surnaturelle

Méthodes

  • Relever un maximum de scènes ou d'événements ambigus dans le film
  • Préciser en quoi ces scènes ou événements sont ambigus

Déroulement et commentaires

Selon la définition habituelle, un événement ou un signe est ambigu s'il présente en même temps deux significations contradictoires. Ainsi, dans Sleepy Hollow, les meurtres ont, comme on vient de le dire, une double explication, à la fois naturelle et surnaturelle. Mais l'ambiguïté peut également porter sur d'autres dimensions, notamment l'opposition entre le bien et le mal, ou le bénéfique et le maléfique: le personnage le plus frappant de ce point de vue est celui de la sorcière, particulièrement effrayante et menaçante mais qui livrera des informations essentielles à Ichabod Crane. Bien sûr, on peut estimer que cette ambiguïté est temporaire et que la sorcière se situe finalement du côté du «bien», ce qui explique qu'elle se fasse elle aussi décapiter par sa soeur maléfique. Mais c'est sans doute une des caractéristiques du genre fantastique de «poser» à certains moments des ambiguïtés qui peuvent par la suite s'estomper ou disparaître, la fin du récit restant marquée par une ambiguïté fondamentale, celle entre l'ordre naturel et l'ordre surnaturel.

À ces deux premières dimensions naturel/surnaturel, bien/mal , on ajoutera une troisième, opposant ce qui est compréhensible à ce qui est incompréhensible: le comportement du cavalier sans tête apparaît ainsi d'abord comme incompréhensible puisqu'il sème la mort sans raison; puis, Ichabod découvre qu'il obéit à une logique cachée puisque le cavalier est à la recherche de la tête qu'on lui a volée; cette «explication» reste néanmoins fondamentalement absurde d'un point de vue étroitement rationnel car l'on ne voit évidemment pas ce qui pousserait un cadavre à rechercher la part disparue de son squelette!

Enfin, une dernière dimension opposera le réel objectif à l'imaginaire subjectif. Il est par exemple difficile de décider si les rêves d'Ichabod reflètent des événements qui se sont réellement passés (et qui comporteraient alors une dimension surnaturelle comme l'envol de la mère dans une clairière) ou s'ils sont, au moins en partie, le fruit de l'imagination du jeune homme.

On proposera donc aux participants d'analyser quelques séquences marquées par l'ambiguïté en se servant des quatre dimensions que l'on vient de distinguer [2]:

On remarquera immédiatement que ces quatre dimensions ne se superposent pas et que le surnaturel par exemple ne coïncide pas nécessairement avec le maléfique comme en témoigne par exemple la magie de Katrina destinée à protéger Ichabod. Semblablement, ce qui est naturel n'est pas nécessairement compréhensible comme en témoigne la folie qui saisit les notables dans le temple assiégé par le cavalier sans tête, et qui les pousse à s'entre-tuer de manière absurde. Enfin, l'imaginaire ne se confond pas avec le surnaturel, les rêves d'Ichabod pouvant s'interpréter de manière totalement «réaliste», sans intervention surnaturelle, comme le produit de l'imagination de l'enfant ou du jeune homme.

Par ailleurs, on rappellera que l'ambiguïté est souvent temporaire et que l'analyse doit tenir compte de l'état d'esprit du spectateur au moment où il voit le film et non quand il quitte la salle en connaissant le fin mot de l'histoire. La marque décisive de l'ambiguïté est précisément l'incertitude que peut ressentir le spectateur à un moment ou l'autre face aux événements représentés.

Après avoir proposé le schéma d'analyse ci-dessus, l'enseignant invitera donc les participants à se souvenir d'un maximum de séquences ou d'événements marqués par une forte ambiguïté. Après ce relevé, les jeunes spectateurs pourraient analyser de manière plus précise chacun de ces événements soit en petit groupe soit individuellement: cette analyse se fera selon les axes distingués mais pourra également porter sur la manière dont le réalisateur parvient à produire l'incertitude dans l'esprit du spectateur. Celle-ci peut en effet résulter de procédés très divers. L'ambiguïté peut naître de l'image (ou de l'absence d'imagecomme au début de Sleepy Hollow où l'on confond la cire avec du sang, parce que l'on ne voit pas la bougie dont elle s'écoule), des éléments du récit (comme les doutes sur la personnalité et les intentions des notables de Sleepy Hollow dont on devine qu'ils cachent certaines informations), ou encore des préjugés du spectateurqui estimera sans doute à première vue que la sorcière qui dans un antre sale, poussiéreux et rempli de toiles d'araignées est certainement un être néfaste.

Dans l'encadré ci-dessous, on trouvera un relevé des ambiguïtés dans Sleepy Hollow ainsi que quelques exemples d'analyse qui pourront être fournis aux participants.


[1] «Tout thème d'un récit fantastique doit s'accorder au dessein de présenter l'illusoire de manière convaincante sans qu'il soit confondu avec aucune vérité reçue, ni dénoncé comme illusion. Il contribue à donner l'apparence de l'existence à ce qui n'a jamais existé [...] le surnaturel introduit dans le récit fantastique un second ordre possible, mais aussi inadéquat que le premier. Le fantastique ne résulte pas de l'hésitation entre ces deux ordres, mais de leur contradiction et de leur récusation mutuelle et implicite.» (Irène Bessière, Le récit fantastique. La poétique de l'incertain. Paris, Larousse, 1974.)

[2] D'autres dimensions pourraient encore être ajoutées comme celle qui oppose la culpabilité et l'innocence: cette dimension particulièrement prégnante dans le cas des films policiers se retrouve également dans Sleepy Hollow qui a précisément la forme d'une enquête policière. Mais, comme elle se confond pratiquement avec celle opposant le bien et le mal, on propose de ne considérer ici que cette dernière dimension (dans d'autres films en revanche, il peut être intéressant de distinguer ces deux dimensions).

Quelques ambiguïtés dans Sleepy Hollow

Voici un relevé partiel d'événements, de séquences, de personnages marqués à un moment ou l'autre par l'ambiguïté :

  • Au début du film, des gouttes rouge sang tombent sur un papier: on comprend bientôt qu'il s'agit de cire.
     
  • Les paysages de Sleepy Hollow sont parsemés de citrouilles lumineuses et grimaçantes: le premier meurtre en particulier a lieu juste après un face-à-face entre Van Garrett et un épouvantail surmonté d'une telle citrouille qui sera éclaboussée par le sang de la victime. Dès lors, le spectateur peut penser que ces citrouilles fonctionnent comme des signes prémonitoires et maléfiques: leur présence n'annonce-t-elle pas la venue du cavalier sans tête?
     
  • Pour Ichabod, la croyance au surnaturel est associée au mal, incarné en particulier par le fanatisme de son père. Mais Katrina est elle aussi un peu sorcière, ce qui amènera Ichabod à la croire faussement coupable. Le rationalisme étroit d'Ichabod le conduit ainsi à une forme de fanatisme.
     
  • Ichabod Crane ne croit pas aux fantômes, mais le spectateur devine lui très tôt que le cavalier sans tête est un être surnaturel, et il peut donc rire de la naïveté du jeune inspecteur qui sera d'ailleurs bien puni de sa présomption. Pourtant, le rationalisme étroit d'Ichabod lui permet de comprendre quelque chose d'essentiel que les autres (en particulier le spectateur) n'ont pas compris, à savoir que le cavalier agit pour des raisons tout à fait «naturelles», assouvir la vengeance de la seconde épouse de Van Tassel.
     
  • Katrina a des pratiques magiques et dessine en particulier des signes cabalistiques dont on ne sait pas, à certains moments du film, s'ils sont bénéfiques ou maléfiques. En outre, il n'est pas possible de décider si ces pratiques sont efficaces (dans une logique du surnaturel) ou inefficaces (dans une logique rationnelle). Par exemple, le livre qui sauve la vie d'Ichabod à la fin du film était un objet naturel capable peut-être d'arrêter une balle, mais il contenait également les signes cabalistiques destinés à protéger l'être aimé. Semblablement, il n'est pas possible de décider si les signes cabalistiques qu'elle a dessinés sous son lit ont réellement pu protéger Ichabod de la mort.
     
  • Le spectateur a certainement moins d'incertitude qu'Ichabod à l'égard de Katrina et la croit volontiers innocente (c'est la part d'amour qu'on retrouve dans pratiquement tout film hollywoodien). Il y a néanmoins une image particulièrement ambiguë dans le film où on pourrait la confondre avec une créature démoniaque comme le cavalier sans tête. Elle brûle dans l'âtre de la maison en ruines les preuves qu'Ichabod a rassemblées contre son père puis monte à cheval en répliquant au jeune homme qu'il n'y avait aucun courage de sa part à le suivre dans la forêt si son père commandait effectivement au cavalier sans tête: à ce moment, elle cabre son cheval qui dresse ses pattes avant exactement comme l'a fait à plusieurs reprises celui du cavalier sans tête. L'analogie entre les deux silhouettes est très forte même si tous les spectateurs ne la remarquent pas et semble donner à Katrina un peu de la puissance surnaturelle qui est celle du cavalier sans tête.
     
  • Dans les premières séquences de rêve d'Ichabod, le personnage de la mère est subtilement ambigu: elle semble tendre et attentionnée mais a également un aspect séducteur à l'égard de son enfant qui peut paraître inquiétant. Comme dans certains contes de fées, ne veut-elle pas l'entraîner dans le monde du mal?
     
  • Les notables de Sleepy Hollow seront marqués d'un fort doute tout au long du film: qu'ont-ils à cacher? est-ce eux qui commandent au cavalier sans tête? sont-ils coupables d'une faute qui attire la malédiction sur leur village? Leurs motivations réelles échappent autant à Ichabod qui les soupçonne qu'au spectateur qui suit l'enquête de l'inspecteur. Cette ambiguïté culminera dans la scène de l'assaut du temple où trois des notables vont s'entre-tuer dans une folie collective dont le sens nous échappera largement. Par la suite cependant, Ichabod devra reconnaître que ses soupçons à l'égard de Van Tassel (et de sa fille) n'étaient pas fondés, mais les révélations de l'épouse de Van Tassel nuanceront leur innocence retrouvée: si c'est Van Garrett qui a expulsé la famille de la sorcière de la maison qu'elle occupait, c'est Van Tassel qui en a profité et c'est tout le village qui a refusé de porter secours à la malheureuse contrainte alors de vivre dans les bois. On ne saura donc jamais quelle aura été leur part de responsabilité dans cette histoire ni les raisons cachées de leurs grandes inquiétudes.
     
  • Le personnage même du cavalier sans tête peut prêter à discussion. Au début du film, il est évidemment surnaturel, maléfique et d'une violence cruelle et incompréhensible. Par la suite, ses «motivations» s'éclaircissent et l'on comprend qu'il n'est qu'un instrument aux mains de l'épouse de Van Tassel. En même temps, l'on découvre la «logique» qui le gouverne, qui est de retrouver sa tête disparue. Ainsi, le personnage apparaît d'une certaine manière comme innocent et on ne peut que l'approuver lorsqu'à la fin du film, il saisit l'épouse de Van Tassel et l'entraîne avec lui dans le monde des ténèbres.
     
  • La vérité des rêves d'Ichabod donne également lieu à une grande incertitude: traduisent-ils des événements réels ou ne sont-ils que le fruit de l'imagination de l'enfant? Le sadisme du père qui enferme sa femme dans un instrument de torture monstrueux peut ainsi sembler incroyable, et le spectateur pourrait être tenté de ne pas y croire si à un moment donné, le cinéaste ne nous donnait une «preuve» objective de la vérité de ces rêves, à savoir les stigmates sur les mains d'Ichabod. En même temps cependant, ces stigmates «objectifs» deviennent surnaturels puisqu'ils se mettent à saigner mystérieusement.
    Enfin, ne peut-on pas penser que toute l'histoire du film n'est qu'un mauvais rêve d'Ichabod Crane? La dernière séquence débute en effet par un plan nous montrant d'Ichabod endormi dans la diligence et s'éveillant semble-t-il d'un long sommeil. Bientôt, il sera à New York, dans un monde lumineux et rassurant, à l'aube d'un siècle qui verra le triomphe de la raison et de ses techniques. Cela ne signifie-t-il pas que toute l'histoire de Sleepy Hollow n'a été qu'un mauvais rêve et que rien de tout cela ne s'est passé? Ce serait une hypothèse séduisante mais qui buterait cependant sur la présence bien réelle, aux côtés d'Ichabod, de la «gentille sorcière» Katrina qu'il ramène précisément de Sleepy Hollow.

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